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II

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En automne, la colline est bleue sous un grand ciel ardoisé, dans une atmosphère pénétrée par une douce lumière d'un jaune mirabelle. J'aime y monter par les jours dorés de septembre et me réjouir là-haut du silence, des heures unies, d'un ciel immense où glissent les nuages et d'un vent perpétuel qui nous frappe de sa masse.

Une église, un monastère, une auberge qui n'a de clients que les jours de pèlerinage, occupent l'une des cornes du croissant; à l'autre extrémité, le pauvre village de Vaudémont, avec les deux aiguilles de son clocher et de sa tour, se meurt dans les débris romains et féodaux de son passé légendaire, petit point très net et prodigieusement isolé dans un grand paysage de ciel et de terre. Au creux, et pour ainsi dire au cœur de cette colline circulaire, un troisième village, Saxon, rassemble ses trente maisons aux toits brunâtres qui possèdent là tous leurs moyens de vivre: champs, vignes, vergers, chènevières et carrés de légumes. Sur la hauteur, c'est un plateau, une promenade de moins de deux heures à travers des chaumes et des petits bois, que la vue embrasse et dépasse pour jouir d'un immense horizon et de l'air le plus pur. Mais ce qui vit sur la colline ne compte guère et ne fait rien qu'approfondir la solitude et le silence. Ce qui compte et ce qui existe, où que nous menions nos pas en suivant la ligne de faîte, c'est l'horizon et ce vaste paysage de terre et de ciel.

Si vous portez au loin votre regard, vous distinguez et dénombrez les ballons des Vosges et de l'Alsace; si vous le ramenez plus près sur la vaste plaine, elle vous étonne et, selon mon goût, vous charme par ses superbes plissements, par de longs mouvements de terrains pareils à des dunes. C'est un pays sans eau en apparence, mais où l'eau sourd et circule invisible. Des prairies qui s'égouttent un ruisselet se forme et se débrouille vivement dans les rides enchevêtrées du terrain. Au fond de ravins sinueux, le Madon, l'Uvry, le Brenon développent en secret les beautés les plus touchantes, cependant qu'ils rafraîchissent une multitude de champs bombés et diversement colorés, des pâturages, des vignobles clairs, des blés dorés, de petits bois, des labours bruns où les raies de la charrue font un grave décor, des villages ramassés, parfois un cimetière aux tombes blanches sous les verts peupliers élancés. Sur le tout, sur cet ensemble où il n'est rien que d'éternel, règne un grand ciel voilé. Les appels d'un enfant ou d'un coq apportés de la plaine par le vent, le vol plané d'un épervier, le tintement d'un marteau qui là-bas redresse une faucille, le bruissement de l'air animent seuls cette immensité de silence et de douceur. Ce sont de paisibles journées faites pour endormir les plus dures blessures. Cet horizon où les formes ont peu de diversité nous ramène sur nous-mêmes en nous rattachant à la suite de nos ancêtres. Les souvenirs d'un illustre passé, les grandes couleurs fortes et simples du paysage, ses routes qui s'enfuient composent une mélodie qui nous remplit d'une longue émotion mystique. Notre cœur périssable, notre imagination si mouvante s'attachent à ce coteau d'éternité. Nos sentiments y rejoignent ceux de nos prédécesseurs, s'en accroissent et croient y trouver une sorte de perpétuité. Il étale sous nos yeux une puissante continuité, des mœurs, des occupations d'une médiocrité éternelle; il nous remet dans la pensée notre asservissement à toutes les fatalités, cependant qu'il dresse au-dessus de nous le château et la chapelle, tous les deux faiseurs d'ordre, l'un dans le domaine de l'action, l'autre dans la pensée et dans la sensibilité. L'horizon qui cerne cette plaine, c'est celui qui cerne toute vie; il donne une place d'honneur à notre soif d'infini, en même temps qu'il nous rappelle nos limites. Voilà notre cercle fermé, le cercle d'où nous ne pouvons sortir, la vieille conception du travail manuel, du sacrifice militaire et de la méditation divine. Des siècles ont passé sur le paysage moral que nous présente cette plaine, et l'on ne peut dire qu'une autre conception de la vie, tant soit peu intéressante, ait été entrevue. Voilà les plaines riches en blé, voilà la ruine dont le chef est parti, voilà le clocher menacé où la Vierge reçoit un culte que, sur le même lieu, nos ancêtres païens, adorateurs de Rosmertha, avaient déjà entrevu. Paysage plutôt grave, austère et d'une beauté intellectuelle, où Marie continue de poser le timbre ferme et pur d'une cloche d'argent. Tous ceux qui ne subissent pas, qui défendent leur sentiment et se rattachent aux choses éternelles trouvent ici leur reposoir. C'est toujours ici le point spirituel de cette grave contrée; c'est ici que sa vie normale se relie à la vie surnaturelle.

La colline inspirée

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