Читать книгу Les aveugles par un aveugle - Maurice de la Sizeranne - Страница 4

INTRODUCTION

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Table des matières

C’était en wagon. L’express n’avait eu qu’une minute d’arrêt à la station de ***. En ouvrant la portière, mon guide m’avait simplement dit: «Un voyageur au fond, à droite.» J’avais escaladé les marchepieds, lestement enlevé valise, couvertures, etc., et, avant que le train fût complètement lancé , une portion de mon bagage était rangée sur le filet, l’autre développée sur mes genoux, et la valise gonflée de paperasses ouverte sur la banquette à côté de moi. Je tirai de ce bureau ambulant un volumineux courrier point encore dépouillé ; en un tour de main, j’eus séparé la portion écrite en noir de celle écrite en points saillants. Puis, réservant la première pour me la faire lire plus tard, je me mis à parcourir la seconde, tout en prenant des notes à l’aide d’une réglette à écrire le Braille Mon guide savait que, connaissant de longue date la disposition d’un wagon, je n’avais nullement besoin de ses services; il était donc monté après moi, avec son bagage, et en avait tiré un Jules Verne qu’il dévorait.

Cette scène que je jouais pour la millième fois, et certes sans le moindre apprêt, intriguait au plus haut point le voyageur (grand industriel, me dit-il ensuite), en face de qui je m’étais assis. Il m’observait curieusement, et, quand je fus plongé dans mon travail, s’adressant à mon guide, comme si j’eusse été incapable de lui donner la réplique:

«Est-ce de naissance?» dit-il.

Mon guide, très préoccupé par sa lecture, répondit: «Non», par un signe de tête.

Après une pause, nouvelle question, toujours en diagonale:

«Il écrit!»

Nouvelle réponse mimée, mais affirmative — et longue méditation. Puis, baissant la voix: «Il doit être bien malheureux! que peut-il faire?»

La réponse par signes n’était plus possible. Aussi, prenant la parole et donnant une dimension inusitée au premier. pronom personnel fréquemment répété : «Je serais aveugle de naissance, dis-je, que je pourrais faire tout ce que je fais...»

Et je m’efforçai de faire discrètement comprendre à mon interlocuteur — homme très aimable d’ailleurs — qu’un aveugle n’est pas fatalement un être bizarre, un peu muet, un peu sourd, dont toutes les facultés se seraient engourdies dans l’obscurité ; que, pour avoir des renseignements sur lui, lorsqu’on l’a devant soi, il n’est pas nécessaire, comme pour un chimpanzé, un chien savant ou un enfant en bas âge, de s’adresser à un tiers, en disant: «Est-il ceci? — Que fait-il?»

Je dis cela, et beaucoup d’autres choses sur les conditions physiques, intellectuelles et sociales faites à l’homme par la cécité.

Étant arrivé à destination, mon compagnon de route descendit.

Nous l’aidâmes à transborder ses paquets, et, avant de fermer la portière, il tint sans doute à me montrer qu’il avait compris, car il me dit, non sans malice: «Merci. Maintenant lorsque je rencontrerai un aveugle, je ne dirai plus: il.»

Je retournai dans mon coin, mais sans reprendre ma correspondance... Je pensai qu’il y avait certainement une immense quantité de gens intelligents et instruits, dans la situation de mon industriel. Ils ignorent qu’il se trouve 32 000 aveugles en France, 200 000 en Europe, près de 2 millions sur le globe; que depuis un siècle, grâce à Valentin Haüy, dont on connaît peu le nom et pas du tout la vie et l’œuvre, un grand nombre de ces aveugles peuvent devenir, par les écoles spéciales, des hommes actifs et utiles. Bien des gens, me semblait-il, seraient aises qu’un ancien élève de ces écoles, sans cesse en relations avec des centaines d’aveugles, leur dît avec beaucoup de sincérité qui sont les aveugles que l’on instruit, comment on les instruit, et pourquoi on les instruit.

Telle fut l’idée de ce livre.

M. S.

Les aveugles par un aveugle

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