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PRÉFACE

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L’AUTEUR de ce livre était, entre tous, qualifié pour écrire la démonstration de l’œuvre décorative de François Boucher. Maurice Fenaille, à qui ses travaux et ses actes ont valu d’être nommé membre de l’Institut, section des beaux-arts, est une figure d’amateur comparable à ses prédécesseurs des XVIIe et XVIIIe siècles. Homme moderne, donné à l’industrie, il a su se reprendre et arracher à l’homme d’affaires le temps nécessaire à ses études, à la formation de son goût, et réaliser une œuvre de haute valeur, de haute utilité pour l’enseignement de l’élite et du public.

C’est le sentiment de cette utilité pour tous qui l’a guidé lorsqu’il a fait don au musée du Louvre d’un fauteuil de Tessier en tapisserie à fond rose des Gobelins, et de l’écran de Boucher, la Musique, en tapisserie de Beauvais, qui complète les meubles donnés par Mme Boursin et par M. de Camondo. De même pour le château de Montal, dans le département du Lot. Construit entre les années 1527 et 1532, par Jehanne de Balzac d’Entraigues, épouse d’Amaury, baron de Montai, il était encore en parfait état, vers 1881-83, époque où il fut acheté par une bande noire qui enleva les cheminées, les portes, les fenêtres, les lucarnes, la frise et les sept bustes de la cour d’honneur, pour les vendre à l’hôtel Drouot. Le château renfermait encore quelques cheminées très simples, des fenêtres sculptées, et un escalier remarquable. Le propriétaire étant mort, Maurice Fenaille put racheter le château en 1908, et il eut alors l’idée de refaire ce château en partie détruit, en recherchant les sculptures qui avaient été vendues et dont un certain nombre se trouvaient au musée du Louvre, au musée des Arts décoratifs, au musée de Lyon, au musée de Berlin, au South Kensington Museum, et dans plusieurs collections privées.

Pour obtenir les pièces des Musées, il fit don du château à l’Etat, en 1913, la réparation étant terminée et le château meublé de meubles de l’époque. L’inauguration fut faite par le président de la République, M. Raymond Poincaré, lors d’un de ses voyages dans le centre de la France. Il faut lire, dans le numéro de la revue Les Arts, publié en 1914, l’étude d’André Michel sur le château de Montai, et voir les photographies qui illustrent ce texte éloquent, pour comprendre l’importance et la beauté du don fait à la France de ce magnifique monument dépecé, détruit en ses plus beaux ornements, et refait patiemment pièce à pièce. C’est l’honneur d’un homme de science et de goût que d’avoir accompli seul une telle œuvre.

La sollicitude de l’amateur se tourne volontiers vers le passé, mais l’homme moderne songe au présent et à l’avenir. Les travaux entrepris par ses soins dans le village de Cléry-sur-Somme représentent sa participation à la reconstitution des villages détruits par la guerre: il réédifie dans ce village soixante-dix maisons de pauvres gens et participe à la reconstruction des écoles et de la mairie.

A travers ses labeurs et ses interventions, il publie, en 1896, le Catalogue de l’œuvre de L. P. Debucourt, et pendant quinze années il se donne à la mise en œuvre de l’Etat de fabrication des Tapisseries des Gobelins, de 1600 à 1900, six volumes in-folio, abondamment illustrés, pourvus de tous les renseignements d’archives, de toutes les descriptions des œuvres, de toutes les indications qui permettent de suivre l’histoire d’une tapisserie depuis sa confection jusqu’à la place qu’elle occupe actuellement. Cet ouvrage énorme, qui restera l’honneur et la gloire de celui qui l’a entrepris et mené à bonne fin, est en effet aujourd’hui terminé : le dernier volume (consacré aux travaux des ateliers de Paris qui ont précédé la fondation des Gobelins) a paru en 1924.

Et voici la biographie de François Boucher, sa vie succinctement racontée de façon exacte, sans un oubli, et l’étude de ses travaux de décoration à Beauvais et aux Gobelins, et aussi à la manufacture de Vincennes, qui a précédé et engendré la manufacture de Sèvres. Cette étude peut être considérée comme définitive; elle montre avec exactitude le rôle de Boucher, le situe dans l’art du XVIIIe siècle, le classe à la suite de Watteau et de Fragonard, comme peintre et comme artiste, mais le désigne d’une manière irréfutable comme le grand et abondant décorateur de son temps. Peintre décorateur est la définition du talent de Boucher. Il excelle à occuper une muraille, un panneau, un dessus de porte, et ce sens de la composition et de la mise en place, il l’apporte dans tout ce qu’il entreprend, dessin, gravure, tapisserie, décoration d’un salon ou d’une salle de spectacle. Ses toiles ne sont pas à leur place dans la galerie encombrée d’un musée. Il faut voir Boucher dans un milieu favorable, aéré, dans un salon meublé selon le goût de son temps. Alors, il prend tous ses avantages, son œuvre devient logique, il est bien l’artiste qui a compris et orné le XVIIIe siècle. «N’est pas Boucher qui veut», dira judicieusement David. Ce décorateur est un coloriste. Il a appris, ce que ne lui conteste pas Diderot, qui l’a toujours furieusement attaqué, il a appris à savamment distribuer la lumière et les ombres, à répartir les colorations et les nuances en une certaine harmonie fraîche qui est bien à lui. Il a un métier sûr et gracieux. Ce métier, il l’a appris chez Rubens, comme tous les peintres de son temps. «Tous — disent les Goncourt — descendent de ce père et de ce large initiateur, Watteau comme Boucher, Boucher comme Chardin. Pendant cent ans, il semble que la peinture de la France n’ait d’autre berceau, d’autre école, d’autre patrie que la Galerie du Luxembourg, la Vie de Marie de Médicis: le dieu est là.»

Est-il besoin d’ajouter que Boucher n’a pas le génie mélancolique et la distinction innée de son maître Watteau? qu’il n’a pas la verve et la fièvre de son élève Fragonard? Il n’a pas non plus, en s’en tenant au pur métier de peintre, le dessin délié et l’harmonie fine du premier, la touche grasse et libre du second. Entre l’un et l’autre, il fait un peu figure vulgaire. Pour le mettre à sa place et le tenir en honneur, il faut supposer ses tableaux dans le milieu qu’ils étaient destinés à orner. Alors, ils sont savants et charmants. C’est ce que Maurice Fenaille a mis en lumière en étudiant Boucher dans ses œuvres décoratives.

Il me paraît intéressant de signaler ici que la collection Maurice Fenaille abonde en œuvres de Boucher, délicieux décor d’un logis devenu un musée intime: un Portrait de femme au pastel, avec le même vêtement bleu que la «Femme au manchon» de la galerie Lacaze; une Femme couchée, pastel, étude pour le tableau du musée Wallace, Vénus surprise par Vulcain; un paysage; deux sujets mythologiques; un paysage en grisaille, préparation d’un tableau; plusieurs dessins. Puis, plus spécialement du décorateur: une Harpe en vernis Martin décorée de deux figures de Boucher; une Suite de quatre tapisseries de Beauvais, d’après les modèles de Boucher: Renaud et Armide — Apollon et Issé — Vénus et les Amours — Apollon et Clytie; une autre Suite de quatre tapisseries des Gobelins sur fond rose, d’après les modèles de Boucher: Vertumne et Pomone — L’Aurore et Céphale — Neptune et Amymone, — Vénus et Vulcain; trois dessus de portes de Beauvais, des Enfants. Et encore une collection de biscuits de Vincennes et de Sèvres en pâte tendre d’après Boucher, — et une collection de gravures par et d’après Boucher.

Voici qui révèle un goût particulier pour le XVIIIe siècle et pour l’artiste le plus représentatif de ses arts du mobilier. Mais il y a aussi en Maurice Fenaille un amateur de l’art moderne qui n’a pas craint d’affirmer que Jules Chéret était digne de prendre place auprès des maîtres d’hier, que lui aussi était un maître, d’aujourd’hui et de demain. Il est allé de son propre mouvement vers celui que l’on se contentait de saluer comme l’inventeur de l’affiche du XIXe siècle, mais en lequel on ne devinait pas un rénovateur possible de l’art décoratif perdu de pastiches et de redites. Il aurait fallu livrer à Chéret un espace suffisant pour y élever un palais, une maison (il l’a fait chez lui, en Bretagne) dont il aurait été l’architecte, le statuaire, le décorateur complet. Grâce à Fenaille, il a créé une œuvre de tapisserie qui suffira à immortaliser son génie charmant, où l’improvisation apparente recèle une science profonde des mouvements, des couleurs, des harmonies. Chez Fenaille, Chéret voisine avec Boucher — comme Rodin s’accorde avec Clodion. Et s’il m’est permis d’apporter ici un témoignage personnel, je terminerai ce sincère hommage en remerciant l’érudit collectionneur, le perspicace amateur, de m’avoir cédé, lorsque me fut confiée l’administration des Gobelins, les Quatre Saisons: les Roses, les Blés, les Pampres, les Houx, qui se sont augmentés peu à peu d’un mobilier complet, tapis de la Savonnerie compris — le Salon Chéret, orgueil nouveau de l’antique maison.

GUSTAVE GEFFROY.

François Boucher

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