Читать книгу A genoux devant la Gaule - Maurice Saint-Chamarand - Страница 5

Оглавление

II

Table des matières

De longs et amers regrets m’avaient chassé pour ainsi dire de moi-même, et, comme un aimant tendaient à me retirer, à m’arracher par les pieds de cette piste inconnue, de cette voie délaissée.

AINSI disputant, j’atteignis sans voir mes pas, sans fatigue, le haut d’une crête, et vis s’approcher ou me parut s’approcher, vers le brouillard de mes yeux ou parfois me venaient des larmes, une colline encore lointaine mais lumineuse et si belle que ma vue en fut éblouie dans le jour bleu de mon âme en même temps que du ciel.

Etait-ce un Parnasse? Elle valait mieux qu’un Parnasse, car aucun étalon du ciel ne l’incommodait de son vol; mais une pieuse bergère y chassait des hordes sauvages et houleuses du bout de sa houlette étoilée; car, chez nous, toujours les bergères ont repoussé les guerriers et bien mené les moutons.

Cette vue m’avait raffermi; mais déjà me revenait à l’esprit que cette douce colline, vêtue de bleu et de rose comme le matin, avait perdu le doux et beau nom qu’elle méritait de sa vierge, pour le rappel saugrenu d’un nom toujours charrié par leur Tibre, dont ces fossoyeurs de nos âmes affublèrent leur temple incolore qu’ils implantèrent sur sa cime: le dénommé Panthéon.

Et comme je venais de descendre l’autre versant de la crête pour aller toujours de l’avant, sous le couvert des futaies et de leurs vertes lumières, je fus comme pris en chemin, nouveau sortilège peut-être, d’une fatigue invincible du cœur et de la raison, au point que mon fier Quand-Même, l’opinion, le solide appui de ma route, soutenait tout juste mes pas.

Un esprit de trouble et de larmes m’infiltrait, m’infusait sa peine ainsi qu’un serpent dans le cœur, sous des apparences de doute, de cercles vicieux de scrupules, d’images et d’idées mal-verses et de pénibles pensées, comme les herbes confuses qui liaient mes pas en chemin.

De longs et amers regrets m’avaient chassé pour ainsi dire de moi-même, et, comme un aimant, tendaient à me retirer, à m’arracher par les pieds de cette piste inconnue, de cette voie délaissée.

Au lieu d’aile ardente, j’avais du plomb dans le cœur.

Des visions terrestres d’aménagements immortels, de lumières bleues sur des mers semées de soleils, agitées, brillantes et scintillant sous le ciel — des îles d’azur ceintes de bois lumineux, de rivages d’or, d’îlots parfumés, de vagues chantantes, de douces baies accueillantes comme les bras d’une vierge — des temples de marbre aux blanches colonnes déifiant de roses et clairs promontoires, et profilant leur sourire sur le fond bleu de la mer et son écume argentée — des charmes de vie éternelle, aux jeunes saisons sans souffrances — des beautés Hors de toute image et de tout langage, par l’âme et les nobles sens — jusqu’au souvenir épuré des leçons anciennes... tout faisait obstacle à mes nouveaux vœux, se conjurait sur ma route pour me nuire et briser mes pas.

Dans mes mains plus faibles je sentais s’émouvoir Quand-Même, et, de l’une à l’autre, je le passais chancelant, pour chercher un aide, un point d’appui rassurant, un refuge à mon abandon. Des mots sans fin d’inquiétude pleuraient, souffraient sur mes lèvres, comme une ondée éplorée, la nuit, sur des bois brisés par le vent. Un double de moi, un inconnu de mes jours, un envoûté de moi-même machinalement me portait; une autre main que la mienne, une main fébrile et nerveuse étreignait, brandissait «Quand-Même» déchirant les plantes, éparpillant les buissons, frappant les branches et les vieux troncs centenaires jusqu’à vouloir s’y briser.

Une voix perfide me chuchotait des scrupules, me parlait d’erreur, et tour à tour me donnait et m’opposait ses raisons:

— Au banc du mensonge j’avais traduit le savoir. Que lui remontrerais-je en retour? et que valait ma croyance auprès de leur sacerdoce? mon livre d’amour auprès de tous leurs corpus? mes textes auprès de leurs dires? et mon allègre confiance auprès de tous leurs conciles?

Toi qui l’exprimas certain jour à tes tortionnaires, en ce cri sublime: «il y a plus au livre de Dieu qu’aux vôtres», plus près de l’azur que n’est celui de Shakespeare , Raison, illustre bergère d’un humble foyer lorrain, Raison, que valait mon livre? Tout juste une erreur nouvelle, venue des régions endolories de la Terre, comme une onde noire, roulant par plaine et vallée, et traçant, pour former son lit, les lettres et les mots de cette phrase insidieuse et par en bas formulée, pour troubler les âmes du monde et même du ciel: «L’erreur une fois dans l’esprit y reste».

— «Pèse bien ces mots! m’infusait le doute obstiné, ces mots qui tiennent du vide, qui brûlent ton âme et qui surprennent ta foi. Pèse bien ces mots! Le temps les marque au fer rouge sur tous les fronts des humains. Tu n’en est pas exempt.» Et j’en souffrais en effet; je les sentais sous ma main; je les touchais de mes doigts; mon front brûlait de leur fièvre; en vain les en voulais-je arracher!

Ainsi mes propres raisons, les mots qui m’avaient guidé, la soif qui m’avait conduit, dès ce moment, et combien! faisaient faillite à ma foi.

Au lieu de faire contre-poids au désordre moral de mon esprit, la noble et forte sentence, le point d’appui de mon âme, le talisman de mes vœux m’avait laissé, pour tout charme, la seule obsession de ces mots: «l’erreur une fois dans l’esprit y reste», comme les ténèbres des sens après l’éclair de la foi.

De loin j’en avais vu la lumière briller comme un miracle à mes yeux; et, comme aussi dans les hautes sphères des brouillards et des nuages du ciel, une majestueuse montagne vous dévoile au loin la ligne éthérée de son dessin lumineux.

Belle, supérieure et pure, on veut la voir, la toucher, en gagner le faîte accessible, et l’on part, on marche, animé de force et d’esprit, et sans la perdre de vue.

Mais bientôt l’espace entre elle et vous-même, vous oppose un multiple écran de bois, de verdures, de cloisons diverses, d’épaulements, de coteaux.

D’étape en étape, malgré la distance, car rien de plus trompeur qu’une cime, on va d’un pied ferme, on marche, on vaque à son but, à son avance, à sa chance. On gagne il est vrai du chemin.

Mais la plaine monte, et puis la vallée, et puis le valon obscur; dès lors on marche moins vite. Et, de place en place, au fur et à mesure de l’étroite et lente montée, la noble et blanche ou verte montagne, se fond, s’amplifie, s’élève un peu plus, disparaît ou mieux semble disparaître et se travestir en buissons, forêts, rochers et pâturages grimpants, à la vue de l’âme et des yeux.

On monte, on pose son pied sur son vrai massif, ou que l’on croit tel, car on n’en perçoit, à vrai dire, ni le fondement ni le faîte ni la redoutable ceinture capricieusement déroulée dans les ténébreuses vallées de ses contreforts.

On pose le pied, un pas suivant l’autre; on grimpe ses flancs plus abrupts; on gagne le rude massif qui résorbe à présent nos sens, dans le seul effort de nous garer des ravins, des torrents, des chutes et des précipices — et déjà, déjà loin du rêve.

On grimpe, et plus haut encore, les voies, les chemins, les sentiers étroits sont absents. Leurs lignes se perdent dans le sol pierreux, plus haut que les verts pâquis des troupeaux.

D’étage en étage, on est plus seul et plus las, plus loin de tous et de tout; et, de palier en palier, toujours plus s’éloigne et s’évade l’intangible dôme du ciel, de la montagne incertaine, de la féerie convoitée.

On cherche sa route et les rochers vous enserrent; et, à tout instant, sous vos pieds, les pierres, les cailloux meurtris descendent des pentes rugueuses qu’ils ne remonteront jamais plus.

On compte ses pas et ses pieds et ses mains pareillement agrippés au sol implacable de l’âpre montée, aux moindres saillies du rocher, et même aux plantes pauvres de croissance germées dans les rochers où rôdent, courant ça et là, de tristes bestioles terrées, hivernées dans les anfractures.

Et, sur ce point mort de la vie, vos sens sont la proie comme elles, du terre à terre avéré, d’un morne terrain pétrifié et de l’incommensurable abandon.

N’osant regarder ni trop haut, ni trop bas des yeux, le cœur isolé, l’âme éteinte, les pieds indécis sur quelque arête imprécise, on n’aspire plus qu’à cette vallée du retour qui montre en bas, tout en bas, ses toits, ses fumées, son mouvement, son repos.

Si bien que parti du plus beau des songes, pour voir et visiter la montagne à perte de vue, on en perd, on en a perdu et le faîte même et la vue pour le corps à corps de sa pente, le nez à nez des cailloux, le point de vue de ses mousses et de leurs tristes bestioles — plus pâle, plus déçu qu’avant, humilié par elle et soi-même.

Ironie et retour des choses, des plus célestes des choses! Que le moindre pas sur la terre se change vite en faux pas! et la bonne chance, en mauvaise! et les beaux désirs, en contrainte! et le rossignol, en hiboux!

A genoux devant la Gaule

Подняться наверх