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AVANT-PROPOS
ОглавлениеL’Ecole d’Athènes a beaucoup contribué à répandre en France l’étude des arts du dessin dans l’antiquité, et particulièrement de la sculpture grecque. Il suffit de mentionner la Science du Beau, de M. Ch. Lévêque, l’Acropole d’Athènes, de M. Beulé, et l’essai plus récent du même écrivain sur la sculpture avant Phidias , pour rappeler ce que l’histoire de l’art antique doit au talent et au goût de nos prédécesseurs. Le premier de ces deux maîtres a définitivement appliqué à l’étude de l’art grec la méthode philosophique et psychologique que nous avons adoptée pour notre propre travail. Encouragé par leur exemple, nous voulons présenter le résultat de nos réflexions sur cet art dont nous avons étudié les monuments tour à tour au Louvre, dans les galeries de l’Allemagne, à Florence, à Rome, à Naples et au Parthénon.
Il n’est pas seulement question ici de Praxitèle et de la sculpture antique. Dans la Grèce de Périclès et d’Alexandre, toutes les œuvres de la pensée, toutes les manifestations de l’intelligence, la philosophie, les mœurs, la poésie, la politique et les arts, se sont développés avec logique et harmonie. Un progrès social introduisait dans la poésie un sentiment nouveau; une révolution politique faisait naître sur le théâtre un genre de comédie jusqu’alors inconnu; une théorie métaphysique ou une conception théologique donnait à une école de sculpture son génie original. Nous avions indiqué déjà cette loi remarquable de solidarité et d’analogie dans notre Essai sur la Poésie de la nature chez les anciens . A mesure que nous parcourions les musées de l’Italie, cette même loi s’est représentée et imposée à notre esprit. Il était difficile d’analyser l’œuvre de Praxitèle sans replacer auprès de lui Apelles son contemporain, et, dans un art différent, son émule et son rival; sans rapprocher des personnages du statuaire athénien les physionomies non moins aimables et non moins passionnées de quelques-uns des personnages de Ménandre et des poètes de la Nouvelle Comédie; sans interpréter la sculpture par les caractères semblables de l’architecture du temps; enfin, sans rechercher dans l’expression la plus haute de l’esprit public à la même époque, c’est-à-dire dans la philosophie morale d’Epicure, dans ses idées sur la vie divine et l’âme humaine, comme la raison dernière et le sens du génie grec au IVe siècle. C’est ainsi qu’au lieu d’une simple monographie, c’est une étude synthétique que nous avons composée, étude où la musique elle-même, sur laquelle les manuscrits d’Herculanum nous ont fourni quelques textes intéressants, a pu trouver place.
Mais peut-être, borné à ces aperçus, notre plan eût encore été incomplet. Dans l’histoire de l’art où tout s’enchaîne, où les caractères d’une école contiennent en germe les caractères des écoles futures, il faut, pour bien connaître un artiste, le comparer aux maîtres qui l’ont précédé, et montrer, d’une période à une autre, les ressemblances et les différences. Ainsi, non seulement nous avons entouré Praxitèle de son siècle tout entier, mais nous avons en outre, avant et après lui, esquissé l’histoire des plus illustres écoles de sculpture, depuis les artistes d’Egine jusqu’à Lysippe, et aux sculpteurs de Rhodes et de Pergame. Nous nous sommes arrêté longuement auprès de Phidias, et autour de lui nous avons pareillement groupé les artistes de son époque, Polygnote, Ictinus et Sophocle; puis les maîtres philosophiques du temps, Anaxagore et Socrate, dont les continuateurs Platon et Aristote, bien que vivant au IVe siècle, appartenaient par le génie de leurs doctrines à l’âge précédent, et avaient d’ailleurs beaucoup à nous apprendre sur l’art et l’esprit grecs du temps de Périclès.
Nous ne nous sommes pas dissimulé le danger d’une pareille étude. Souvent il arrive qu’on étreint mal en embrassant trop. Expliquer un art particulier par la civilisation même au milieu de laquelle il s’est produit, c’est risquer peut-être de rassembler un grand nombre de faits isolés, qui semblent indépendants les uns des autres et choisis arbitrairement pour remplir les vides d’un cadre trop ambitieux. Nous avons donc tâché d’éviter ce péril en faisant précéder nos études historiques d’un chapitre de théorie où nous recherchons d’une manière abstraite quelles sont les conditions absolues de la beauté de la personne humaine, ou plutôt de la beauté expressive de l’âme humaine, conditions auxquelles la statuaire n’est pas seule soumise, mais aussi la peinture, la poésie dramatique, et, d’une certaine façon, la musique et l’architecture elle-même. Les prémisses étant ainsi définies et posées, il était possible d’en montrer, à travers l’histoire du génie hellénique, la justification et la conclusion, et de relier, à l’aide des idées générales, en un faisceau compacte, tous les faits devenus désormais autant de preuves.
Ce travail est donc plutôt philosophique qu’archéologique. La philosophie, qui n’est déplacée nulle part, peut répandre sur l’histoire de l’art antique une grande lumière. Winckelmann comparait ce dernier à la mer, dont il a, disait-il, l’immensité et la vie. La philosophie, qui est la science des causes, si souvent lointaines et invisibles, peut plonger plus avant que la simple archéologie, qui se borne à noter les effets particuliers; elle sait découvrir, dans les dernières profondeurs, la cause des mouvements variés et du jeu infini des vagues; elle distingue quels accidents naturels donnent naissance aux larges courants et règlent leur marche. Enfin, la méthode philosophique assure aux conceptions et à la composition cette unité qui est un des caractères de la vérité. Elle permet de porter sur l’histoire un coup d’œil qui embrasse à la fois les grandes lignes et les détails. Elle retrouve les ensembles et reconstitue la vie. L’histoire de la civilisation et des arts de la Grèce étudiée ainsi nous a paru d’une simplicité et d’une beauté merveilleuses. Tout y est clair et raisonnable; rien d’étrange ni de heurté n’y dérange l’accord général. On reçoit, en la contemplant à ses deux périodes glorieuses de Périclès et d’Alexandre, une impression semblable à celle que donne le spectacle des horizons de ce beau pays. Si, par un jour éclatant d’été, du haut du Parthénon, on promène les yeux sur l’Attique et sur le golfe d’Egine, on est charmé d’abord de l’harmonie des proportions et des couleurs. La vue, du côté de l’orient, est arrêtée par des montagnes au noble aspect qui ferment la plaine sans l’amoindrir; l’Hymette et le Parnès s’allongent également vers le Pentélique, qui s’élève au fond du tableau simple et majestueux: quelques arbrisseaux parent la nudité des rochers dont les accidents produisent de grandes ombres, mais des ombres lumineuses; d’un côté de la vallée, le long du Céphise, se déroule, comme un fleuve de verdure sombre, la forêt d’oliviers qui passe sur Colone et sur l’Académie; de l’autre, parmi les ravins arides, le long des rives déchirées et rougeâtres de l’Ilissus, se montrent seulement quelques bouquets de laurier sauvage. A l’occident sourit la mer, bornée comme la plaine par Egine et les hauteurs du Péloponèse, mais déjà immense vers les sommets d’Epidaure et les montagnes bleues d’Argolide, et gracieuse encore et claire comme un beau lac à l’entrée de la baie sainte d’Eleusis, au pied des roches dorées de Salamine. Enfin, d’un ciel étincelant et profond, descendent, avec les rayons du soleil, la joie et la vie. Aucun bruit, ni de la nature ni des hommes, ne trouble la sérénité du spectacle: à peine si l’on entend le murmure lointain de la ville, ou les abeilles qui, des pentes de l’Acropole, montent et bourdonnent dans l’ombre autour des derniers cavaliers des Panathénées, apportant le parfum des dernières asphodèles.
Nous envoyons donc ce livre en France, en répétant pour lui les adieux et les souhaits d’Ovide. Nous voudrions qu’il fût plus digne des conseils qui, à Athènes, dans le sein de l’Ecole française, nous ont été prodigués avec une bienveillance qui nous a soutenu et honoré ; plus digne aussi de nos amis de l’Académie de Rome, au milieu de qui nous avons appris à aimer les choses de l’art, et dont l’hospitalité intelligente, que nous avons pu goûter à deux reprises, sera toujours mêlée à nos meilleurs souvenirs.