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Chapitre 7

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And when that star goes by [6]

I’ll hold it in my hands and cry. Her love was mine. You know my sun will shine.

Eloise - The Damned

Les doigts de Iuri couraient sur les touches du piano. Les notes d’une Nocturne de Chopin voltigeaient entre les murs tandis que ses yeux fermés suivaient des images lointaines.

Elle était assise sur le tabouret, à ses côtés, les mains posées sur les genoux, le regard fixé sur les siennes. Elle ne portait qu’une chemise de coton blanc, ses cheveux, dénoués dans l’intimité, tombaient en douces ondulations auburn le long de son dos. Iuri pouvait sentir son souffle chaud lui effleurer le cou et un léger parfum épicé s’insinuer dans ses narines. Le feu allumé dans la cheminée répandait une agréable tiédeur dans la pièce et la réverbération des flammes marbrait les ombres d’orange.

“Joue encore. Joue encore pour moi” semblait demander chaque fibre de son corps, et lui continuait à jouer comme s’il ne devait jamais s’arrêter, comme si ne pas cesser pouvait suffire à la garder là pour toujours…

***

Pour toujours… L’arrière-goût amer de cette promesse non tenue arrêta ses doigts malgré tout.

Subitement, il se figea, frappa le clavier de la paume des mains, se prit la tête et commença à la secouer lentement.

Il ne l’avait plus vue le jour précédent. Il s’était rendu à la boutique mais avait trouvé le rideau baissé et aucun panneau ne justifiait cette fermeture imprévue.

Était-elle malade?

Cela lui semblait improbable car elle lui avait semblé en très bonne forme la veille au soir et cela ne lui ressemblait pas de rester loin de son atelier. Il l’avait vue plus d’une fois aller travailler le regard fiévreux et le nez qui coulait.

Il devait s’être passé quelque chose de grave, quelque chose qui l’avait empêchée de sortir… Oui, car il était passé plusieurs fois devant sa maison, au moment du repas, l’après-midi et à l’heure à laquelle elle rentrait habituellement le soir. Il ne l’avait croisée en aucune occasion et, encore plus étrange, il avait toujours trouvé l’habitation plongée dans le silence. Normalement, il entendait de la musique sortir par ses fenêtres.

La situation le préoccupait. Surtout, ne pas la voir pendant une si longue période lui procurait un désagréable sentiment de vide au creux de l’estomac.

Il se leva, se dirigea vers sa chambre à coucher, fouilla dans le tiroir de la table de nuit et en sortit une boîte. Il l’ouvrit avec délicatesse et y prit un mouchoir en papier froissé. Le porta à son nez et inspira une bonne fois, comme pour remplir ses poumons de son odeur… L’odeur d’Elga, de son gel douche à la noix de coco, de son brillant à lèvres au miel, de ses larmes. Iuri l’avait ramassé quelques jours plus tôt au cimetière. Il lui avait échappé après qu’elle ait pleuré devant la tombe de son mari et il s’en était emparé sans se faire voir.

Ce n’était pas la première fois qu’il le faisait. Depuis qu’il l’avait retrouvée, il avait rassemblé plus d’une trouvaille similaire : une serviette utilisée au bar, un gobelet en plastique avec la trace de son rouge à lèvres, un cheveu, des objets récupérés dans ses poubelles… Toucher et renifler des choses qui avaient été en contact avec elle lui donnait le sentiment de la sentir plus proche et stimulait ses souvenirs. Des fragments, difficiles à situer dans un contexte précis, mais suffisants pour lui fournir la certitude d’avoir aimé Elga et d’avoir été aimé d’elle dans une autre vie.

Un instant avait suffi pour la reconnaître lorsqu’il l’avait vue la première fois au cimetière. Bien entendu, elle ne portait pas de longue jupe bouffante à crinolines et ses cheveux n’étaient pas tressés et rassemblés dans sa nuque, comme dans la plupart de ses visions, mais son visage était toujours le même et il l’aurait reconnu entre mille.

Même le détail qu’elle pleurait pour un autre homme dont elle avait été l’épouse était erroné. C’était plus qu’un simple détail en vérité : plutôt un fait incontestable qui l’avait atteint comme un coup de poignard dans le dos, mais pas autant que le fait qu’elle ne se souvienne pas de lui.

C’était une blague du destin, du hasard… Du chaos, ou de quoi que ce soit d’autre, qu’il avait encore du mal à assimiler.

Il avait toujours soupçonné qu’Ogma était derrière son odyssée personnelle mais il n’avait jamais avoué et il doutait qu’il le ferait dans le futur.

Toutefois, Iuri était optimiste. Si son amour l’avait guidé à travers l’espace et le temps jusqu’à le mener là, il devait y avoir une raison. Cela ne pouvait pas se terminer ainsi. Au fond de son cœur, il était certain que, tôt ou tard, Elga se souviendrait de lui elle aussi et il ferait tout pour que cela arrive.

La sonnerie de son téléphone le tira de ses pensées. Le riff de A forest des Cure se fit entendre dans la poche de sa veste pendue au dossier d’une chaise de la cuisine. Il n’aimait pas ce genre de musique et préférait le classique, mais Elga en était folle et l’écouter de temps en temps… Et bien, cela aussi l’aidait à la sentir plus proche. Sa vie était désormais réduite à un exercice continu pour raccourcir une distance infranchissable.

Pathétique l’avait jugé Ogma, mais l’insulte avait raté sa cible car lui se sentait simplement tenace.

Difficile de se tromper sur l’origine de l’appel, monsieur Di Spirito était le seul à connaître son numéro, à part Filippo qui n’appelait jamais.

Il posa soigneusement sa relique et alla répondre.

Un homme âgé d’un peu plus de quarante ans. Mort du cancer à l’hôpital. Le corps attendait à la morgue d’être remonté. Iuri détestait le froid des hôpitaux, l’anonymat des murs blancs et des sols en linoléum imprégnés de désinfectant. Personne ne choisirait de mourir dans un tel endroit, mais la mort n’avait cure de telles prétentions.

« J’arrive » dit-il sèchement avant de couper la communication, une manche de sa veste déjà enfilée à moitié. Il finit de se préparer en vitesse, attrapa son sac avec ses outils et sortit dans la rue.

Reborn

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