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CHAPITRE SIX
ОглавлениеA l’aube, Thor ouvrit les yeux sur les vagues ondulantes de l’océan qui s’élevaient, formant de grandes crêtes, avant de retomber, illuminées par la douce lumière du petit jour. L’eau jaune clair du Tartuvien resplendissait sous la brume matinale. Le bateau se balançait silencieusement sur l’eau et seul se faisait entendre le bruit des vagues contre sa coque.
Thor s’assit sur son séant et regarda aux alentours. Ses paupières étaient lourdes d’épuisement. En fait, il ne s’était jamais senti si fatigué de toute sa vie. Ils naviguaient depuis des jours et tout ici, de ce côté du monde, semblait différent. L’air était saturé d’humidité et la température beaucoup plus chaude. C’était comme respirer à travers à filet d’eau. Thor se sentait morose et ses membres lui paraissaient toujours plus lourds. Il avait l’impression d’être arrivé au pays de l’éternel été.
Thor promena son regard sur le pont et s’aperçut que tous ses compagnons, d’ordinaire levés à l’aube, étaient encore avachis, endormis. Même Krohn, pourtant toujours en alerte, sommeillait à côté de lui. Le lourd climat tropical les affectait tous. Aucun d’entre eux ne prenait plus la peine de manier la barre : ils avaient abandonné l’idée depuis des jours. Ça n’aurait pas eu de sens : la voile était déployée, le vent d’ouest les poussait et les courants magiques de l’océan les entraînaient toujours dans la même direction. Tout se déroulait comme si quelque chose les tirait vers l’avant. Ils avaient essayé plusieurs fois de guider le navire ou de changer de cap, mais tous leurs efforts étaient vains. Ils s’étaient résignés à laisser le Tartuvien les guider.
Après tout, ils ne savaient même pas où aller exactement dans l’Empire, songea Thor. Tant que les courants les emmèneraient vers la terre ferme, pensa-t-il, cela suffirait.
Krohn se réveilla en gémissant et se pencha pour lécher le visage de Thor. Celui-ci plongea la main dans son sac, presque vide à présent, et donna à Krohn son dernier bâton de viande séchée. À sa grande surprise, celui-ci ne l’arracha pas de sa main comme à son habitude. Au lieu de cela, il promena son regard entre le sac vide et le morceau de viande, puis jeta à son maître un regard lourd de sens. Il hésitait à prendre la nourriture et Thor comprit qu’il ne souhaitait pas lui voler le dernier morceau.
Thor était touché par son geste mais il insista, poussant la viande dans la bouche de son ami. Il savait que le groupe serait bientôt à court de nourriture et priait pour attendre la terre ferme. Il ignorait combien de temps encore le voyage durerait. Des mois ? Que mangeraient-ils ?
Le soleil se levait très vite par ici. Très tôt, il brilla avec force. Comme la brume s’évaporait au-dessus des flots, Thor se mit debout et se dirigea vers la proue.
Debout, il observa l’horizon, le pont balançant tranquillement sous ses pieds. Il regarda la brume se dissiper. Il cligna alors des yeux et se demanda s’il voyait un mirage, quand la silhouette d’une terre lointaine apparut à l’horizon. Son cœur battit plus fort. Une terre ! Une véritable terre !
Elle était d’une forme particulièrement singulière : deux longues et étroites péninsules dépassaient par-dessus les flots, comme les branches d’une fourche, et, à mesure que la brume se levait, Thor découvrit avec surprise deux bandes de terre d’une part et d’autre, longue chacune de cinquante mètres environ. Elles semblaient comme aspirées en leur milieu par une longue crique.
Thor siffla et ses frères de la Légion s’éveillèrent. Ils sautèrent sur leurs pieds et se précipitèrent à ses côtés pour observer l’horizon.
Tous se tenaient debout près de la proue, le souffle coupé par la vue : ces rivages étaient les plus exotiques qu’ils n’aient jamais vus : ils débordaient d’une jungle luxuriante et d’arbres accrochés aux falaises. La végétation était si dense qu’il était impossible de voir au-delà. Les garçons aperçurent d’énormes fougères, hautes de neuf mètres, penchées sur les vagues, des arbres jaunes et violets qui semblaient vouloir percer le ciel. Partout se faisaient entendre les bruits étranges et persistants de bêtes sauvages, d’oiseaux, d’insectes ou de bien d’autres choses : ça grognait, ça criait, ça chantait.
Thor avala sa salive avec difficulté. Il avait l’impression d’entrer dans un royaume animal impénétrable. Tout semblait différent là-bas : l’air avait une autre odeur, un parfum d’étrangeté. Rien ne lui rappelait l’Anneau. Les autres membres de la Légion se tournèrent les uns vers les autres et s’entreregardèrent. Thor remarqua l’hésitation dans leurs yeux. Tous se demandaient quelles créatures les attendaient à l’intérieur de cette jungle.
Ils n’avaient pas vraiment le choix. Le courant les portait dans cette direction. Visiblement, c’était par là qu’ils aborderaient les terres de l’Empire.
– Par ici ! cria O’Connor.
Tous se précipitèrent de son côté de la rambarde. O’Connor se penchait et son doigt pointait vers les flots. Un énorme insecte nageait là, à côté du bateau. Violet, luminescent, long de trois mètres et muni de centaines de pattes. Il brillait sous les vagues puis filait à la surface de l’océan et ses milliers de petites ailes se mettaient à bourdonner. Il se hissait au-dessus des eaux, se glissait à nouveau entre les vagues, puis replongeait. Il répéta ce mouvement encore et encore.
Sous leurs yeux, l’insecte s’éleva soudain, beaucoup plus haut dans les airs, jusqu’à se porter au niveau des garçons, en vol stationnaire, et regarda le groupe de ses quatre grands yeux verts. Il poussa un sifflement et tous sursautèrent en attrapant leurs épées.
Elden fit un pas en avant et chercha à la frapper mais, au moment où sa lame fendait l’air, l’insecte avait déjà replongé.
Le bateau freina alors brusquement, envoyant Thor et les autres bouler sur le pont, puis il se rangea contre le rivage avec un sursaut.
Le cœur de Thor se mit à battre plus vite quand il se pencha par-dessus la rambarde : sous la coque, s’étendait une étroite plage composée de milliers de cailloux dentés d’un violet brillant.
La terre ferme. Ils l’avaient fait.
Elden mena le groupe jusqu’à l’ancre, qu’ils hissèrent et lâchèrent par-dessus bord. Chacun descendit le long de la chaîne et sauta sur le rivage. Thor donna Krohn à Elden pour le faire descendre.
Il poussa un soupir quand ses pieds touchèrent le sol. Il était si bon d’avoir les jambes sur la terre – une terre ferme et sèche. Thor ne serait pas mécontent s’il pouvait éviter de remonter sur un bateau.
Tous se saisirent de cordes et tirèrent l’embarcation aussi loin que possible sur la plage.
– Vous ne craignez pas que les courants l’emportent ? demanda Reece, en levant les yeux vers le bateau.
Thor jeta un coup d’œil à son tour mais la coque semblait fermement échouée sur le sable.
– Pas avec cette ancre, dit Elden.
– Les courants ne l’emporteront pas, dit O’Connor. La question est plutôt de savoir si quelqu’un de malintentionné le fera.
Thor jeta un dernier long regard au navire et réalisa que son ami avait raison. Même s’ils trouvaient l'Épée, il était fort possible qu’ils ne retrouvent pas l’embarcation à leur retour.
– Et alors, comment rentrerions-nous ? demanda Conval.
Thor avait la désagréable impression qu’ils effaçaient à chaque pas le chemin du retour.
– Nous trouverons un moyen, dit-il. Après tout, il y a sûrement d’autres navires dans l’Empire, non ?
Il tâcha de prendre une vois autoritaire pour rassurer ses amis, mais, au fond, il n’était sûr de rien. Ce voyage lui semblait de plus en plus hasardeux.
Comme un seul homme, ils se tournèrent pour faire face à la jungle, qui renvoya leur regard. C’était un mur de feuillage abritant une mer d’obscurité. Les cris des animaux s’élevaient comme une cacophonie autour d’eux. Ils étaient si bruyants que Thor arrivait à peine à réfléchir. Il semblait que chaque bête de l’Empire criait pour saluer leur arrivée.
Ou plutôt pour les mettre en garde…
*
Thor et ses compagnons marchaient à travers l’épaisse jungle tropicale, côte à côte, méfiants, en alerte. Les cris et les pleurs de l’orchestre d’insectes et d’animaux étaient si persistants que Thor avait du mal à s’entendre penser. Pourtant, quand il plongeait le regard dans l’obscurité, il ne pouvait apercevoir aucune bête.
Krohn marchait sur ses talons, montrant les dents, les poils hérissés sur le dos. Thor ne l’avait jamais vu si méfiant. Il jeta un œil à ses frères d’armes et vit que chacun d’eux, comme lui, gardait une main sur la poignée de son épée, sur le qui-vive.
Ils marchaient depuis des heures déjà, toujours plus profondément dans la jungle, et l’air devenait plus chaud, plus lourd, plus humide, plus difficile à respirer. Ils avaient suivi les traces de ce qui semblait être autrefois un sentier forestier : quelques branches cassées laissaient à penser que des pas d’hommes étaient passés par là. Thor espérait que c’était la trace du groupe responsable du vol de l'Épée.
Il leva les yeux, émerveillé par la flore : tout ici prenait des proportions épiques. Chaque feuille était aussi grande que lui. Il se sentait comme un insecte parcourant un pays de géants. Il aperçut une ombre fourrageant dans la végétation mais ne put la distinguer clairement. Il avait la désagréable impression qu’on les observait.
Le sentier déboucha soudain devant eux sur un impénétrable mur végétal. Tous s’arrêtèrent et s’entreregardèrent, étonnés.
– Le sentier ne peut pas disparaître comme ça, c’est impossible ! dit O’Connor, désemparé.
– Ce n’est pas ce qui s’est passé, dit Reece en examinant les feuilles. La jungle a repoussé d’elle-même.
– Alors par où allons-nous maintenant ? demanda Conval.
Thor, qui se posait la même question, se tourna et regarda de tous côtés. Dans toutes les directions, une végétation dense bloquait leur passage. Il semblait qu’il n’y avait aucune issue. Thor commençait à avoir un mauvais pressentiment et se sentait de plus en plus démuni.
Puis il eut une idée.
– Krohn, dit-il en s’agenouillant pour chuchoter à son oreille. Escalade cet arbre. Va voir. Dis nous quelle direction prendre.
Krohn leva vers lui son regard expressif et Thor sut qu’il avait compris.
Krohn se précipita vers un arbre immense, au tronc large comme dix hommes, et, sans hésitation, bondit et se hissa à la force de ses griffes. Il monta droit vers la cime puis se faufila sur une des plus hautes branches. Il marcha jusqu’à l’extrémité puis regarda aux alentours, ses oreilles bien droites. Thor avait toujours eu l’impression que Krohn comprenait tout ce qu’il lui disait. Maintenant, il en avait la confirmation.
Krohn s’aplatit et émit un étrange ronronnement du fond de sa gorge, puis redescendit avant de prendre une autre direction. Les garçons échangèrent un regard étonné et tous se tournèrent pour le suivre. Ils pénétrèrent dans la jungle, repoussant sur leur passage les grandes et épaisses feuilles.
Au bout de quelques minutes, Thor fut soulagé de voir le sentier reparaître : le signe bien distinct de branches cassées et de feuillage piétiné leur montrait le chemin suivi par le groupe précédent. Il se pencha et caressa Krohn, avant de l’embrasser sur la tête.
– Je ne sais pas ce que nous aurions fait sans lui, dit Reece.
– Moi non plus, répondit Thor.
Krohn ronronna, satisfait et fier.
Comme ils poursuivaient et s’enfonçaient toujours plus profondément dans la jungle, en se débattant, en se faufilant, ils débouchèrent dans une zone où la flore était différente : il y avait maintenant des fleurs tout autour d’eux, énormes, de la taille de Thor, éclatantes de toutes les couleurs. D’autres arbres portaient des fruits de la taille de briques.
Tous s’arrêtèrent, émerveillés. Conval s’approcha de l’un des fruits, d’un rouge brillant, et tendit la main pour le toucher.
Soudain, un grognement sourd se fit entendre.
Conval sursauta et se saisit de son épée. Les autres s’entreregardèrent, anxieux.
– Qu’est-ce que c’était que ça ? demanda Conval.
– Ça venait de là, dit Reece en pointant le doigt.
Tous se tournèrent pour voir ce qu’il montrait mais Thor ne distingua rien… rien que des plantes. Krohn poussa à son tour un grognement.
Le bruit se rapprocha, persistant, et les branches se mirent à s’agiter. Thor et ses compagnons reculèrent, tirant leurs épées, à l’affût. Ils s’attendaient au pire.
Ce qui sortit de la jungle était plus terrible encore que ce qu’aurait pu imaginer Thor. Là, devant eux, se tenait un énorme insecte, cinq fois plus grand qu’un homme adulte. Il ressemblait à une mante religieuse : deux pattes arrière et deux pattes avant, plus petites, qui battaient l’air, agitant de longues pinces. Son corps recouvert d’écailles brillait d’un vert fluorescent. De petites ailes vibraient sur son dos en émettant un bourdonnement. Il avait deux yeux au-dessus de la tête et un troisième sur le nez. L’insecte s’approcha, révélant des pinces supplémentaires, cachées sous sa gorge, qui vibraient et claquaient.
Il les domina de toute sa taille. Une longue pince jaillit alors de son estomac, tel un bras maigre et protubérant. Soudain, trop vite pour que le groupe ne réagisse, la pince se déplia et se saisit de O’Connor, en s’enroulant autour de sa taille. Il le souleva comme on ramasse une simple brindille.
O’Connor balança son épée mais ne fut pas assez rapide. La bête le secoua plusieurs fois, avant d’ouvrir soudain la bouche, révélant des rangées de dents aiguisées. Elle retourna O’Connor sur le côté et l’enfourna lentement.
O’Connor poussa un cri en voyant arriver cette mort terrible.
Thor réagit. Sans réfléchir, il saisit un caillou et sa fronde, visa et jeta son projectile droit sur le troisième œil de la bête, au bout de son nez.
Le tir était bon. La bête poussa un hurlement, un bruit atroce, assez puissant pour déraciner un arbre, puis lâcha O’Connor qui atterrit avec un bruit mat sur le sol mou de la jungle.
La bête, mise en rage, se tourna alors vers Thor.
Thor savait qu’il serait futile d’affronter l’animal. L’un de ses frères au moins serait tué dans la bataille, et sans doute Krohn également. De plus, ils perdraient une énergie précieuse. Il sentit que le groupe avait pénétré sur son territoire. S’ils pouvaient en ressortir assez vite, la bête les laisserait probablement tranquille.
– COUREZ ! cria Thor.
Ils firent volte-face et se mirent à courir – et la bête se lança à leur poursuite.
Thor pouvait entendre le son de ses griffes arrachant la végétation dense, juste derrière eux, filant dans les airs pour manquer seulement de quelques centimètres les têtes des garçons. Les feuilles arrachées, réduites en charpie, volaient et retombaient en pluie autour d’eux. Ils couraient comme un seul homme et Thor se dit qu’ils pourraient trouver un abri, si seulement ils prenaient assez de distance. Sinon, il faudrait faire face.
C’est fut alors que Reece glissa à côté de lui, trébucha sur une branche et tomba tête la première dans la végétation. Thor sut immédiatement qu’il ne se relèverait pas à temps. Il s’arrêta à côté de lui, tira son épée et se posta entre lui et la bête.
– CONTINUEZ, VOUS AUTRES ! cria-t-il par-dessus son épaule à ses compagnons, tandis que lui-même resta debout, prêt à défendre Reece.
La bête plongea vers lui en hurlant, toutes pinces dehors. D’un même mouvement, Thor plongea au sol et fit tournoyer son épée. Il trancha un des bras de la bête qui poussa un hurlement terrifiant. Un fluide vert aspergea Thor. Quand il leva les yeux, il vit avec horreur que la pince avait repoussé avec une étonnante rapidité… Comme si Thor ne l’avait même pas touchée.
Il avala sa salive avec difficulté. Impossible de tuer cet insecte ! Et maintenant, il l’avait mis en colère.
Une pince surgit des entrailles de la bête et frappa Thor violemment dans les côtes, l’envoyant voler au milieu d’un bosquet d’arbres. Le monstre se dressa alors de toute sa hauteur au-dessus de lui et Thor sut qu’il était en danger.
Elden, O’Connor et les jumeaux surgirent. Comme la bête s’apprêtait à épingler Thor, O’Connor tira une flèche en direction de sa bouche. Elle se logea à l’arrière de sa gorge et la bête poussa un cri. Elden empoigna sa hache à deux mains et l’abattit sur le dos de l’insecte, alors que Conven et Conval lançaient chacun une lance. Elles se plantèrent d’une part et d’autre de son cou. Reece sauta sur ses pieds et plongea son épée dans le ventre de l’animal. Thor bondit et, à nouveau, trancha un de ses pinces d’un coup de lame. Krohn se joignit au groupe et sauta sur le monstre pour enfoncer ses crocs dans sa gorge.
Celui-ci poussa une série de hurlements. Le groupe lui avait causé plus de peine que Thor ne croyait possible. Pourtant, il tenait encore debout et agitait ses ailes. C’était incroyable aux yeux de Thor. C’était comme si la chose ne pourrait jamais mourir.
Tous regardèrent avec horreur la bête retirer une à une avec ses pinces les lances, les épées et la hache qui la transperçaient. Sous leurs yeux ébahis, les lésions se refermèrent.
Cette bête était indestructible.
Elle jeta sa tête en arrière et poussa un rugissement. Les frères de Légion de Thor étaient stupéfaits et horrifiés. Ils avaient fait tout leur possible et elle n’avait pas la moindre égratignure.
La bête prit son élan pour les charger à nouveau, armée de ses mâchoires et de ses pinces aiguisées comme des rasoirs. Thor comprit qu’il n’y avait plus rien à faire. Ils allaient tous mourir.
– POUSSEZ-VOUS ! cria alors une voix.
Elle semblait jeune et venait de derrière Thor. Il se retourna et vit un garçon, âgé de onze ans peut-être, qui courait à leur rencontre en transportant ce qui semblait être une carafe. Thor se jeta sur le côté et le garçon jeta l’eau à la tête de la bête.
Elle recula et poussa un cri strident, comme un nuage de vapeur s’élevait d’elle. Elle leva ses pinces, se griffa la tête, les joues, les yeux. Elle hurla, encore et encore, et le bruit était si fort que Thor dut se boucher les oreilles.
Enfin, la bête fit volte-face et battit en retraite dans la jungle, jusqu’à disparaître.
Tous se tournèrent pour regarder le garçon avec un air d’émerveillement et d’admiration. Vêtu de haillons, les cheveux longs à la fois bruns et d’un vert brillant, les yeux intelligents, le jeune homme était couvert de terre. Il avait les pieds nus et les mains sales. Sans doute vivait-il ici même, dans la jungle.
Thor n’avait jamais éprouvé tant de gratitude.
– Les armes ne peuvent pas blesser un gathor, dit le garçon en levant les yeux au ciel. Heureusement pour vous, j’ai entendu le remue-ménage et je me suis approché. Sinon, vous seriez déjà tous morts. Vous ne savez donc pas qu’il ne faut pas chercher à affronter ces bêtes-là ?
Thor échangea un regard avec ses compagnons. Tous étaient bien incapables de répondre.
– Nous ne voulions pas l’affronter, dit Elden. C’est elle qui nous a attaqués.
– Ça n’arrive que si vous entrez sur son territoire, dit le garçon.
– Qu’aurions-nous dû faire ? demanda Reece.
– Eh bien, pour commencer, il ne faut pas la regarder dans les yeux, dit le garçon. Si elle attaque, il faut s’allonger face contre terre jusqu’à ce qu’elle parte. Et surtout, ne jamais chercher à fuir.
Thor fit un pas en avant et posa une main sur l’épaule du jeune homme.
– Tu nous as sauvé la vie, dit-il. Nous avons une dette envers toi.
Le garçon haussa les épaules.
– Vous n’avez pas l’air d’être des soldats de l’Empire, dit-il. On dirait que vous venez d’un autre endroit dans le monde. Alors pourquoi est-ce que je ne vous aurais pas aidés ? Je me suis demandé si vous ne faisiez pas partie du groupe qui a abordé en bateau il y a quelques jours.
Thor et ses compagnons échangèrent un regard entendu et se tournèrent vers le garçon.
– Sais-tu où ce groupe est parti ? demanda Thor.
Le garçon haussa les épaules.
– C’était un grand groupe et ils transportaient une arme. Ça avait l’air lourd : ils devaient s’y mettre à plusieurs pour la porter. J’ai suivi leurs traces pendant des jours. C’était facile. Ils n’allaient pas très vite. Ils ne faisaient attention à rien. Je sais où ils sont allés mais je ne les ai pas suivis longtemps après le village. Je peux vous emmener et vous montrer le chemin, si vous voulez. Mais pas aujourd’hui.
Les autres s’entreregardèrent, étonnés.
– Pourquoi pas ? demanda Thor.
– La nuit tombe dans quelques heures. On ne peut pas rester dehors quand il fait noir.
– Mais pourquoi ? demanda Reece.
Le garçon le dévisagea comme s’il était fou.
– À cause des éthaptères, dit-il.
Thor fit un pas en avant et observa son interlocuteur. Il l’aimait déjà. C’était un jeune homme intelligent, honnête, sans peur et animé de beaucoup de cœur.
– Sais-tu où nous pourrions passer la nuit ?
Le garçon renvoya à Thor son regard, puis haussa les épaules, l’air incertain. Il hésita :
– Je ne crois que je ne devrais pas… Grand-père sera furieux.
Krohn surgit soudain derrière Thor et s’avança vers le garçon, dont les yeux s’agrandirent de joie.
– Ouah ! s’exclama-t-il.
Krohn lécha le visage du jeune homme, encore et encore. Celui-ci gloussa de ravissement et tendit la main pour lui caresser la tête, puis il s’agenouilla, posa sa lance et prit Krohn dans ses bras. Comme l’animal semblait lui rendre son étreinte, le garçon se mit à rire de façon presque hystérique.
– Comment s’appelle-t-il ? demanda-t-il. Et c’est quoi ?
– Il s’appelle Krohn, dit Thor en souriant. C’est un léopard blanc, très rare. Il vient de l’autre côté de l’océan. De l’Anneau. Nous venons de là-bas. Il t’aime bien.
Le garçon planta plusieurs baisers sur le nez de Krohn, puis se leva et dévisagea Thor.
– Bon, dit-il d’un air toujours hésitant, je suppose que je peux vous ramener au village. J’espère que Grand-père ne sera pas trop fâché. S’il l’est, je ne pourrai rien y faire. Suivez-moi. On doit se dépêcher. La nuit tombe bientôt.
Le garçon fit volte-face et fila à travers la jungle, suivi de Thor et de ses compagnons. La dextérité du jeune homme et sa connaissance de l’environnement étonnaient Thor. Il était difficile de le suivre.
– Des gens viennent ici parfois, dit le garçon. L’océan, les courants, ça les amène droit vers la crique. Des groupes viennent de la mer et passent par là, pour aller ailleurs. La plupart ne survivent pas. Ils se font manger par une chose ou une autre. Vous, vous êtes chanceux. Il y a des trucs bien pires qu’un gathor par ici.
Thor avala sa salive avec difficulté.
– Pire que ça ? Comme quoi ?
Le garçon secoua la tête tout en poursuivant son chemin.
– Vous ne préférez pas savoir. J’ai vu des choses assez terribles par ici.
– Depuis combien de temps vis-tu là ? demanda Thor, curieux.
– Depuis toujours, répondit le garçon. Mon grand-père s’y est installé quand j’étais tout petit.
– Mais pourquoi là, dans cet endroit ? Il doit bien y avoir des lieux plus agréables.
– Vous ne connaissez pas l’Empire, vous, non ? demanda le garçon. Les soldats sont partout. Ce n’est pas facile de leur échapper. S’ils vous attrapent, ils vous réduisent en esclavage. Mais ils viennent rarement pas ici – jamais aussi loin dans la jungle.
Comme ils traversaient une région à la végétation dense, Thor tendit la main pour écarter une feuille de son passage, mais le garçon se retourna brusquement et repoussa le bras de Thor en criant :
– PAS TOUCHE !
Tous s’arrêtèrent et Thor observa la feuille qu’il avait presque effleurée. Elle était large et jaune. Elle semblait tout à fait innocente.
Le garçon se saisit d’un bâton, avec lequel il toucha doucement la plante. La feuille s’enroula soudain autour de la branche, avec une extraordinaire vivacité. Elle émit un sifflement et le bâton s’évapora.
Thor resta bouche bée.
– Une toxifeuille, dit le garçon. Du poison. Si tu l’avais touchée, tu n’aurais plus de main.
Thor regarda aux alentours pour observer la végétation avec un œil neuf. Quelle chance d’avoir rencontré ce garçon !
Ils poursuivirent leur chemin, Thor gardant ses mains contre son corps, tout comme les autres. Ils tâchèrent de faire plus attention où ils mettaient les pieds.
– Ne vous éloignez pas les uns des autres et marchez dans mes pas, dit le garçon. Ne touchez à rien. N’essayez pas de manger les fruits. Et ne reniflez pas le parfum des fleurs non plus, à moins de vouloir perdre connaissance.
– Eh, c’est quoi ? demanda O’Connor qui se tourna pour regarder un énorme fruit, long et fin, d’un jaune chatoyant, qui pendait à une branche.
Il s’approcha et tendit la main.
– NON ! cria le garçon.
Trop tard. À l’instant même où la main de O’Connor effleura le fruit, le sol se déroba sous les pieds du groupe et Thor se sentit glisser, comme dévalant une colline de boue et d’eau. La pente était trop raide et ils ne pouvaient plus s’arrêter.
Tous poussèrent un cri comme ils dégringolaient, encore et encore, sur une centaine de mètres, vers les profondeurs obscures de la jungle.