Читать книгу LUPIN: Les aventures complètes - Морис Леблан - Страница 71

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– Très grave… Très grave… murmura M. Formerie après une minute de réflexion. Malheureusement…

Il sourit.

– Malheureusement, votre révélation est entachée d’un gros défaut.

– Ah ! Lequel ?

– C’est que tout cela, monsieur Lupin, n’est qu’une vaste fumisterie… Que voulezvous ? Je commence à connaître vos trucs, et plus ils me paraissent obscurs, plus je me méfie.

« Idiot », grommela Lupin.

M. Formerie se leva.

– Voilà qui est fait. Comme vous voyez, ce n’était qu’un interrogatoire de pure forme, la mise en présence des deux duellistes. Maintenant que les épées sont engagées, il ne nous manque plus que le témoin obligatoire de ces passes d’armes, votre avocat.

– Bah ! Est-ce indispensable ?

– Indispensable.

– Faire travailler un des maîtres du barreau en vue de débats aussi… problématiques ?

– Il le faut.

– En ce cas, je choisis Me Quimbel.

– Le bâtonnier. À la bonne heure, vous serez bien défendu.

Cette première séance était terminée. En descendant l’escalier de la Souricière, entre les deux Doudeville, le détenu articula, par petites phrases impératives :

– Qu’on surveille la maison de Geneviève… quatre hommes à demeure… Mme Kesselbach aussi… elles sont menacées. On va perquisitionner villa Dupont… soyez-y. Si l’on découvre Steinweg, arrangez-vous pour qu’il se taise… un peu de poudre, au besoin.

– Quand serez-vous libre, patron ?

– Rien à faire pour l’instant… D’ailleurs, ça ne presse pas… Je me repose.

En bas, il rejoignit les gardes municipaux qui entouraient la voiture.

– À la maison, mes enfants, s’exclamat-il, et rondement. J’ai rendez-vous avec moi à deux heures précises.

Le trajet s’effectua sans incident.

Rentré dans sa cellule, Lupin écrivit une longue lettre d’instructions détaillées aux frères Doudeville et deux autres lettres.

L’une était pour Geneviève :

« Geneviève, vous savez qui je suis maintenant, et vous comprendrez pourquoi je vous ai caché le nom de celui qui, par deux fois, vous emporta toute petite, dans ses bras.

« Geneviève, j’étais l’ami de votre mère, ami lointain dont elle ignorait la double existence, mais sur qui elle croyait pouvoir compter. Et c’est pourquoi, avant de mourir, elle m’écrivait quelques mots et me suppliait de veiller sur vous.

« Si indigne que je sois de votre estime, Geneviève, je resterai fidèle à ce vœu. Ne me chassez pas tout à fait de votre cœur.

« ARSÈNE LUPIN. »

L’autre lettre était adressée à Dolorès Kesselbach.

« Son intérêt seul avait conduit près de Mme Kesselbach le prince Sernine. Mais un immense besoin de se dévouer à elle l’y avait retenu.

« Aujourd’hui que le prince Sernine n’est plus qu’Arsène Lupin, il demande à Mme Kesselbach de ne pas lui ôter le droit de la protéger, de loin, et comme on protège quelqu’un que l’on ne reverra plus. »

Il y avait des enveloppes sur la table. Il en prit une, puis deux, mais comme il prenait la troisième, il aperçut une feuille de papier blanc dont la présence l’étonna, et sur laquelle étaient collés des mots, visiblement découpés dans un journal. Il déchiffra :

« La lutte avec Altenheim ne t’a pas réussi. Renonce à t’occuper de l’affaire, et je ne m’opposerai pas à ton évasion. Signé : L. M. »

Une fois de plus, Lupin eut ce sentiment de répulsion et de terreur que lui inspirait cet être innommable et fabuleux – la sensation de dégoût que l’on éprouve à toucher une bête venimeuse, un reptile.

– Encore lui, dit-il, et jusqu’ici !

C’était cela également qui l’effarait, la vision subite qu’il avait, par instants, de cette puissance ennemie, une puissance aussi grande que la sienne, et qui disposait de moyens formidables dont lui-même ne se rendait pas compte.

Tout de suite il soupçonna son gardien. Mais comment avait-on pu corrompre cet homme au visage dur, à l’expression sévère ?

– Eh bien ! Tant mieux, après tout ! s’écria-t-il. Je n’ai jamais eu affaire qu’à des mazettes… Pour me combattre moi-même, j’avais dû me bombarder chef de la Sûreté… Cette fois je suis servi !… Voilà un homme qui me met dans sa poche… en jonglant, pourrait-on dire… Si j’arrive, du fond de ma prison, à éviter ses coups et à le démolir, à voir le vieux Steinweg et à lui arracher sa confession, à mettre debout l’affaire Kesselbach, et à la réaliser intégralement, à défendre Mme Kesselbach et à conquérir le bonheur et la fortune pour Geneviève… Eh bien vrai, c’est que Lupin… sera toujours Lupin… et, pour cela, commençons par dormir…

Il s’étendit sur son lit, en murmurant :

– Steinweg, patiente pour mourir jusqu’à demain soir, et je te jure…

Il dormit toute la fin du jour, et toute la nuit et toute la matinée. Vers onze heures, on vint lui annoncer que Me Quimbel l’attendait au parloir des avocats, à quoi il répondit :

– Allez dire à Me Quimbel que s’il a besoin de renseignements sur mes faits et gestes, il n’a qu’à consulter les journaux depuis dix ans. Mon passé appartient à l’histoire.

À midi, même cérémonial et mêmes précautions que la veille pour le conduire au Palais de Justice. Il revit l’aîné des Doudeville avec lequel il échangea quelques mots et auquel il remit les trois lettres qu’il avait préparées, et il fut introduit chez M. Formerie.

Me Quimbel était là, porteur d’une serviette bourrée de documents.

Lupin s’excusa aussitôt.

– Tous mes regrets, mon cher maître, de n’avoir pu vous recevoir, et tous mes regrets aussi pour la peine que vous voulez bien prendre, peine inutile, puisque…

– Oui, oui, nous savons, interrompit M. Formerie, que vous serez en voyage. C’est convenu. Mais d’ici là, faisons notre besogne. Arsène Lupin, malgré toutes nos recherches, nous n’avons aucune donnée précise sur votre nom véritable.

– Comme c’est bizarre ! Moi non plus.

– Nous ne pourrions même pas affirmer que vous êtes le même Arsène Lupin qui fut détenu à la Santé en 19… et qui s’évada une première fois.

– Une « première fois » est un mot très juste.

– Il arrive en effet, continua M. Formerie, que la fiche Arsène Lupin retrouvée au service anthropométrique donne un signalement d’Arsène Lupin qui diffère en tous points de votre signalement actuel.

– De plus en plus bizarre.

– Indications différentes, mesures différentes, empreintes différentes… Les deux photographies elles-mêmes n’ont aucun rapport. Je vous demande donc de bien vouloir nous fixer sur votre identité exacte.

– C’est précisément ce que je désirais vous demander. J’ai vécu sous tant de noms différents que j’ai fini par oublier le mien. Je ne m’y reconnais plus.

– Donc, refus de répondre.

– Oui.

– Et pourquoi ?

– Parce que.

– C’est un parti pris ?

– Oui. Je vous l’ai dit ; votre enquête ne compte pas. Je vous ai donné hier mission d’en faire une qui m’intéresse. J’en attends le résultat.

– Et moi, s’écria M. Formerie, je vous ai dit hier que je ne croyais pas un traître mot de votre histoire de Steinweg, et que je ne m’en occuperais pas.

– Alors, pourquoi, hier, après notre entrevue, vous êtes-vous rendu villa Dupont et avez-vous, en compagnie du sieur Weber, fouillé minutieusement le numéro 29 ?

– Comment savez-vous ?… fit le juge d’instruction, assez vexé.

– Par les journaux…

– Ah ! Vous lisez les journaux !

– Il faut bien se tenir au courant.

– J’ai, en effet, par acquit de conscience, visité cette maison, sommairement et sans y attacher la moindre importance…

– Vous y attachez, au contraire, tant d’importance, et vous accomplissez la mission dont je vous ai chargé avec un rôle si digne d’éloges, que, à l’heure actuelle, le sous-chef de la Sûreté est en train de perquisitionner là-bas.

M. Formerie sembla médusé. Il balbutia :

– Quelle invention ! Nous avons, M. Weber et moi, bien d’autres chats à fouetter.

À ce moment, un huissier entra et dit quelques mots à l’oreille de M. Formerie.

– Qu’il entre ! s’écria celui-ci… qu’il entre !…

Et se précipitant :

– Eh bien ! Monsieur Weber, quoi de nouveau ? Vous avez trouvé cet homme…

Il ne prenait même pas la peine de dissimuler, tant il avait hâte de savoir.

Le sous-chef de la Sûreté répondit :

– Rien.

– Ah ! Vous êtes sûr ?

– J’affirme qu’il n’y a personne dans cette maison, ni vivant ni mort.

– Cependant…

– C’est ainsi, monsieur le juge d’instruction.

Ils semblaient déçus tous les deux, comme si la conviction de Lupin les avait gagnés à leur tour.

– Vous voyez, Lupin… dit M. Formerie, d’un ton de regret.

Et il ajouta :

– Tout ce que nous pouvons supposer, c’est que le vieux Steinweg, après avoir été enfermé là, n’y est plus.

Lupin déclara :

– Avant-hier matin il y était encore.

– Et, à cinq heures du soir, mes hommes occupaient l’immeuble, nota M. Weber.

– Il faudrait donc admettre, conclut M. Formerie, qu’il a été enlevé l’après-midi.

– Non, dit Lupin.

– Vous croyez ?

Hommage naïf à la clairvoyance de Lupin, que cette question instinctive du juge d’instruction, que cette sorte de soumission anticipée à tout ce que l’adversaire décréterait.

– Je fais plus que de le croire, affirma Lupin de la façon la plus nette ; il est matériellement impossible que le sieur Steinweg ait été libéré à ce moment. Steinweg est au numéro 29 de la villa Dupont.

M. Weber leva les bras au plafond.

– Mais c’est de la démence ! Puisque j’en arrive ! Puisque j’ai fouillé chacune des chambres !… Un homme ne se cache pas comme une pièce de cent sous.

– Alors, que faire ? gémit M. Formerie…

– Que faire, monsieur le juge d’instruction ? riposta Lupin. C’est bien simple. Monter en voiture et me mener avec toutes les précautions qu’il vous plaira de prendre, au 29 de la villa Dupont. Il est une heure. À trois heures, j’aurai découvert Steinweg.

L’offre était précise, impérieuse, exigeante. Les deux magistrats subirent le poids de cette volonté formidable. M. Formerie regarda M. Weber. Après tout, pourquoi pas ? Qu’est-ce qui s’opposait à cette épreuve ?

– Qu’en pensez-vous, monsieur Weber ?

– Peuh !… je ne sais pas trop.

– Oui, mais cependant… s’il s’agit de la vie d’un homme…

– évidemment, formula le sous-chef qui commençait à réfléchir.

La porte s’ouvrit. Un huissier apporta une lettre que M. Formerie décacheta et où il lut ces mots :

« Défiez-vous. Si Lupin entre dans la maison de la villa Dupont, il en sortira libre. Son évasion est préparée. – L. M. »

M. Formerie devint blême. Le péril auquel il venait d’échapper l’épouvantait. Une fois de plus. Lupin s’était joué de lui. Steinweg n’existait pas.

Tout bas, M. Formerie marmotta des actions de grâces. Sans le miracle de cette lettre anonyme, il était perdu, déshonoré.

– Assez pour aujourd’hui, dit-il. Nous reprendrons l’interrogatoire demain. Gardes, que l’on reconduise le détenu à la Santé.

Lupin ne broncha pas. Il se dit que le coup provenait de L’Autre. Il se dit qu’il y avait vingt chances contre une pour que le sauvetage de Steinweg ne pût être opéré maintenant, mais que, somme toute, il restait cette vingt et unième chance et qu’il n’y avait aucune raison pour que lui, Lupin, se désespérât.

Il prononça donc simplement :

– Monsieur le juge d’instruction, je vous donne rendez-vous demain matin à dix heures, au 29 de la villa Dupont.

– Vous êtes fou ! Mais puisque je ne veux pas !…

– Moi, je veux, cela suffit. À demain dix heures. Soyez exact.

LUPIN: Les aventures complètes

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