Читать книгу LUPIN: Les aventures complètes - Морис Леблан - Страница 93

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Il réfléchit une minute, tout en s’efforçant de dominer son angoisse, et se dit qu’après tout, comme Mme Kesselbach ne semblait courir aucun danger immédiat, il n’y avait pas lieu de s’alarmer. Mais une rage soudaine le secoua, et il se précipita sur les bandits, distribua quelques coups de botte aux blessés qui s’agitaient, chercha et reprit ses billets de banque, puis bâillonna des bouches, lia des mains avec tout ce qu’il trouva, cordons de rideaux, embrasses, couvertures et draps réduits en bandelettes, et finalement aligna sur le tapis, devant le canapé, sept paquets humains, serrés les uns contre les autres, et ficelés comme des colis.

– Brochette de momies sur canapé, ricana-t-il. Mets succulent pour un amateur ! Tas d’idiots, comment avez-vous fait votre compte ? Vous voilà comme des noyés à la Morgue… Mais aussi on s’attaque à Lupin, à Lupin défenseur de la veuve et de l’orphelin ! Vous tremblez ? Faut pas, les agneaux ! Lupin n’a jamais fait de mal à une mouche… Seulement, Lupin est un honnête homme qui n’aime pas la fripouille, et Lupin connaît ses devoirs. Voyons, est-ce qu’on peut vivre avec des chenapans comme vous ? Alors quoi ? Plus de respect pour la vie du prochain ? Plus de respect pour le bien d’autrui ? Plus de lois ? Plus de société ? Plus de conscience ? Plus rien ? Où allons-nous, Seigneur, où allons-nous ?

Sans même prendre la peine de les enfermer, il sortit de la chambre, gagna la rue, et marcha jusqu’à ce qu’il eût rejoint son taxi-auto. Il envoya le chauffeur à la recherche d’une autre automobile, et ramena les deux voitures devant la maison de Mme Kesselbach.

Un bon pourboire, donné d’avance, évita les explications oiseuses. Avec l’aide des deux hommes il descendit les sept prisonniers et les installa dans les voitures, pêle-mêle, sur les genoux les uns des autres. Les blessés criaient, gémissaient. Il ferma les portes.

– Gare les mains, dit-il.

Il monta sur le siège de la première voiture.

– En route !

– Où va-t-on ? demanda le chauffeur.

– 36, quai des Orfèvres, à la Sûreté.

Les moteurs ronflèrent un bruit de déclenchements, et l’étrange cortège se mit à dévaler par les pentes du Trocadéro.

Dans les rues on dépassa quelques charrettes de légumes. Des hommes, armés de perches, éteignaient des réverbères.

Il y avait des étoiles au ciel. Une brise fraîche flottait dans l’espace.

Lupin chantait.

La place de la Concorde, le Louvre… Au loin, la masse noire de Notre-Dame…

Il se retourna et entrouvrit la portière :

– Ça va bien, les camarades ? Moi aussi, merci. La nuit est délicieuse, et on respire un air !

On sauta sur les pavés plus inégaux des quais. Et aussitôt, ce fut le Palais de Justice et la porte de la Sûreté.

– Restez-là, dit Lupin aux deux chauffeurs, et surtout soignez bien vos sept clients.

Il franchit la première cour et suivit le couloir de droite qui aboutissait aux locaux du service central. Des inspecteurs s’y trouvaient en permanence.

– Du gibier, messieurs, dit-il en entrant et du gros. M. Weber est là ? Je suis le nouveau commissaire de police d’Auteuil.

– M. Weber est dans son appartement. Faut-il le prévenir ?

– Une seconde. Je suis pressé. Je vais lui laisser un mot. Il s’assit devant une table et écrivit :

« Mon cher Weber,

« Je t’amène les sept bandits qui composaient la bande d’Altenheim, ceux qui ont tué Gourel et bien d’autres, qui m’ont tué également sous le nom de M. Lenormand.

« Il ne reste plus que leur chef. Je vais procéder à son arrestation immédiate. Viens me rejoindre. Il habite à Neuilly, rue Delaizement, et se fait appeler Léon Massier.

« Cordiales salutations.

« Arsène LUPIN

« Chef de la Sûreté. »

Il cacheta.

– Voici pour M. Weber. C’est urgent. Maintenant, il me faut sept hommes pour prendre livraison de la marchandise. Je l’ai laissée sur le quai.

Devant les autos, il fut rejoint par un inspecteur principal.

– Ah ! C’est vous, monsieur Lebœuf, lui dit-il. J’ai fait un beau coup de filet… Toute la bande d’Altenheim… Ils sont là dans les autos.

– Où donc les avez-vous pris ?

– En train d’enlever Mme Kesselbach et de piller sa maison. Mais j’expliquerai tout cela, en temps opportun.

L’inspecteur principal le prit à part, et, d’un air étonné :

– Mais, pardon, on est venu me chercher de la part du commissaire d’Auteuil. Et il ne me semble pas… À qui ai-je l’honneur de parler ?…

– À la personne qui vous fait le joli cadeau de sept apaches de la plus belle qualité.

– Encore voudrais-je savoir ?

– Mon nom ?

– Oui.

– Arsène Lupin.

Il donna vivement un croc-en-jambe à son interlocuteur, courut jusqu’à la rue de Rivoli, sauta dans une automobile qui passait et se fit conduire à la porte des Ternes.

Les immeubles de la route de la Révolte étaient proches ; il se dirigea vers le numéro 3.

Malgré tout son sang-froid, et l’empire qu’il avait sur lui-même, Arsène Lupin ne parvenait pas à dominer l’émotion qui l’envahissait. Retrouverait-il Dolorès Kesselbach ? Louis de Malreich avait-il ramené la jeune femme, soit chez lui, soit dans la remise du Brocanteur ?

Lupin avait pris au Brocanteur la clef de cette remise, de sorte qu’il lui fut facile, après avoir sonné et après avoir traversé toutes les cours, d’ouvrir la porte et de pénétrer dans le magasin de bric-à-brac.

Il alluma sa lanterne et s’orienta. Un peu à droite, il y avait l’espace libre où il avait vu les complices tenir un dernier conciliabule.

Sur le canapé désigné par le Brocanteur, il aperçut une forme noire.

Enveloppée de couvertures, bâillonnée, Dolorès gisait là…

Il la secourut.

– Ah ! Vous voilà… vous voilà, balbutia-t-elle… Ils ne vous ont rien fait ?

Et aussitôt, se dressant et montrant le fond du magasin :

– Là, il est parti de ce côté… j’ai entendu… je suis sûre… Il faut aller… je vous en prie…

– Vous d’abord, dit-il.

– Non, lui… frappez-le… je vous en prie… frappez-le.

La peur, cette fois, au lieu de l’abattre, semblait lui donner des forces inusitées, et elle répéta, dans un immense désir de livrer l’effroyable ennemi qui la torturait :

– Lui d’abord… Je ne peux plus vivre, il faut que vous me sauviez de lui… il le faut… je ne peux plus vivre…

Il la délia, retendit soigneusement sur le canapé et lui dit :

– Vous avez raison… D’ailleurs, ici vous n’avez rien à craindre… Attendez-moi, je reviens…

Comme il s’éloignait, elle saisit sa main vivement :

– Mais vous ?

– Eh bien ?

– Si cet homme…

On eût dit qu’elle appréhendait pour Lupin ce combat suprême auquel elle l’exposait, et que, au dernier moment, elle eût été heureuse de le retenir.

Il murmura :

– Merci, soyez tranquille. Qu’ai-je à redouter ? Il est seul.

Et, la laissant, il se dirigea vers le fond. Comme il s’y attendait, il découvrit une échelle dressée contre le mur, et qui le conduisit au niveau de la petite lucarne grâce à laquelle il avait assisté à la réunion des bandits. C’était le chemin que Malreich avait pris pour rejoindre sa maison de la rue Delaizement.

Il refit ce chemin, comme il l’avait fait quelques heures plus tôt, passa dans l’autre remise et descendit dans le jardin. Il se trouvait derrière le pavillon même occupé par Malreich.

Chose étrange, il ne douta pas une seconde que Malreich ne fût là.

Inévitablement il allait le rencontrer, et le duel formidable qu’ils soutenaient l’un contre l’autre touchait à sa fin. Quelques minutes encore, et tout serait terminé.

Il fut confondu ! Ayant saisi la poignée d’une porte, cette poignée tourna et la porte céda sous son effort. Le pavillon n’était même pas fermé.

Il traversa une cuisine, un vestibule, et monta un escalier, et il avançait délibérément, sans chercher à étouffer le bruit de ses pas.

Sur le palier, il s’arrêta. La sueur coulait de son front et ses tempes battaient sous l’afflux du sang.

Pourtant, il restait calme, maître de lui et conscient de ses moindres pensées.

Il déposa sur une marche ses deux revolvers.

– Pas d’armes, se dit-il, mes mains seules, rien que l’effort de mes deux mains ça suffit… ça vaut mieux.

En face de lui, trois portes. Il choisit celle du milieu, et fit jouer la serrure. Aucun obstacle. Il entra.

Il n’y avait point de lumière dans la chambre, mais, par la fenêtre grande ouverte, pénétrait la clarté de la nuit, et dans l’ombre il apercevait les draps et les rideaux blancs du lit.

Et là quelqu’un se dressait.

Brutalement, sur cette silhouette, il lança le jet de sa lanterne.

– Malreich !

Le visage blême de Malreich, ses yeux sombres, ses pommettes de cadavre, son cou décharné…

Et tout cela était immobile, à cinq pas de lui, et il n’aurait su dire si ce visage inerte, si ce visage de mort exprimait la moindre terreur ou même seulement un peu d’inquiétude.

Lupin fit un pas, et un deuxième, et un troisième.

L’homme ne bougeait point.

Voyait-il ? Comprenait-il ? On eût dit que ses yeux regardaient dans le vide et qu’il se croyait obsédé par une hallucination plutôt que frappé par une image réelle.

Encore un pas…

« Il va se défendre, pensa Lupin, il faut qu’il se défende. »

Et Lupin avança le bras vers lui.

L’homme ne fit pas un geste, il ne recula point, ses paupières ne battirent pas. Le contact eut lieu.

Et ce fut Lupin qui, bouleversé, épouvanté, perdit la tête. Il renversa l’homme, le coucha sur son lit, le roula dans ses draps, le sangla dans ses couvertures, et le tint sous son genou comme une proie sans que l’homme eût tenté le moindre geste de résistance.

– Ah ! clama Lupin, ivre de joie et de haine assouvie, je t’ai enfin écrasée, bête odieuse ! Je suis le maître enfin !

Il entendit du bruit dehors, dans la rue Delaizement, des coups que l’on frappait contre la grille. Il se précipita vers la fenêtre et cria :

– C’est toi, Weber ! Déjà ! À la bonne heure ! Tu es un serviteur modèle ! Force la grille, mon bonhomme, et accours, tu seras le bienvenu. En quelques minutes, il fouilla les vêtements de son prisonnier, s’empara de son portefeuille, rafla les papiers qu’il put trouver dans les tiroirs du bureau et du secrétaire, les jeta tous sur la table et les examina.

Il eut un cri de joie : le paquet de lettres était là, le paquet des fameuses lettres qu’il avait promis de rendre à l’Empereur.

Il remit les papiers à leur place et courut à la fenêtre.

– Voilà qui est fait, Weber ! Tu peux entrer ! Tu trouveras l’assassin de Kesselbach dans son lit, tout préparé et tout ficelé… Adieu, Weber…

Et Lupin, dégringolant rapidement l’escalier, courut jusqu’à la remise et, tandis que Weber s’introduisait dans la maison, il rejoignit Dolorès Kesselbach.

À lui seul, il avait arrêté les sept compagnons d’Altenheim ! Et il avait livré à la justice le chef mystérieux de la bande, le monstre infâme, Louis de Malreich !

LUPIN: Les aventures complètes

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