Читать книгу Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан - Страница 18

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Quelques lueurs dans les ténèbres

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Table des matières

Si bien trempé que soit le caractère d’un homme – et Sholmès est de ces êtres sur qui la mauvaise fortune n’a guère de prises – il y a cependant des circonstances où le plus intrépide éprouve le besoin de rassembler ses forces avant d’affronter de nouveau les chances d’une bataille.

– Je me donne vacances aujourd’hui, dit-il.

– Et moi ?

– Vous, Wilson, vous achèterez des vêtements et du linge pour remonter notre garde-robe. Pendant ce temps je me repose.

– Reposez-vous, Sholmès. Je veille.

Wilson prononça ces deux mots avec toute l’importance d’une sentinelle placée aux avant-postes et par conséquent exposée aux pires dangers. Son torse se bomba. Ses muscles se tendirent. D’un œil aigu, il scruta l’espace de la petite chambre d’hôtel où ils avaient élu domicile.

– Veillez, Wilson. J’en profiterai pour préparer un plan de campagne mieux approprié à l’adversaire que nous avons à combattre. Voyez-vous, Wilson, nous nous sommes trompés sur Lupin. Il faut reprendre les choses à leur début.

– Avant même si possible. Mais avons-nous le temps ?

– Neuf jours, vieux camarade ! C’est cinq de trop.

Tout l’après-midi, l’Anglais le passa à fumer et à dormir. Ce n’est que le lendemain qu’il commença ses opérations.

– Wilson, je suis prêt, maintenant nous allons marcher.

– Marchons, s’écria Wilson, plein d’une ardeur martiale. J’avoue que pour ma part j’ai des fourmis dans les jambes.

Sholmès eut trois longues entrevues – avec Maître Detinan d’abord, dont il étudia l’appartement dans ses moindres détails ; avec Suzanne Gerbois à laquelle il avait télégraphié de venir et qu’il interrogea sur la Dame blonde ; avec la sœur Auguste enfin, retirée au couvent des Visitandines depuis l’assassinat du Baron d’Hautrec.

À chaque visite, Wilson attendait dehors, et chaque fois il demandait :

– Content ?

– Très content.

– J’étais certain, nous sommes sur la bonne voie. Marchons.

Ils marchèrent beaucoup. Ils visitèrent les deux immeubles qui encadrent l’hôtel de l’avenue Henri-Martin, puis s’en allèrent jusqu’à la rue Clapeyron, et tandis qu’il examinait la façade du numéro 25, Sholmès continuait :

– Il est évident qu’il existe des passages secrets entre toutes ces maisons… mais ce que je ne saisis pas…

Au fond de lui, et pour la première fois, Wilson douta de la toute-puissance de son génial collaborateur. Pourquoi parlait-il tant et agissait-il si peu ?

– Pourquoi ? s’écria Sholmès, répondant aux pensées intimes de Wilson, parce que, avec ce diable de Lupin, on travaille dans le vide, au hasard, et qu’au lieu d’extraire la vérité de faits précis, on doit la tirer de son propre cerveau, pour vérifier ensuite si elle s’adapte bien aux événements.

– Les passages secrets pourtant ?

– Et puis quoi ! Quand bien même je les connaîtrais, quand je connaîtrais celui qui a permis à Lupin d’entrer chez son avocat, ou celui qu’a suivi la Dame blonde après le meurtre du Baron d’Hautrec, en serais-je plus avancé ? Cela me donnerait-il des armes pour l’attaquer ?

– Attaquons toujours, s’exclama Wilson.

Il n’avait pas achevé ces mots qu’il recula, avec un cri. Quelque chose venait de tomber à leurs pieds, un sac à moitié rempli de sable, qui eût pu les blesser grièvement.

Sholmès leva la tête au-dessus d’eux, des ouvriers travaillaient sur un échafaudage accroché au balcon du cinquième étage.

– Eh bien ! Nous avons de la chance, s’écria-t-il, un pas de plus et nous recevions sur le crâne le sac d’un de ces maladroits. On croirait vraiment…

Il s’interrompit, puis bondit vers la maison, escalada les cinq étages, sonna, fit irruption dans l’appartement, au grand effroi du valet de chambre, et passa sur le balcon. Il n’y avait personne.

– Les ouvriers qui étaient là ?… dit-il au valet de chambre.

– Ils viennent de s’en aller.

– Par où ?

– Mais par l’escalier de service.

Sholmès se pencha. Il vit deux hommes qui sortaient de la maison, leurs bicyclettes à la main. Ils se mirent en selle et disparurent.

– Il y a longtemps qu’ils travaillent sur cet échafaudage ?

– Ceux-là ? depuis ce matin seulement. C’étaient des nouveaux.

Sholmès rejoignit Wilson.

Ils rentrèrent mélancoliquement et cette seconde journée se termina dans un mutisme morne.

Le lendemain, programme identique. Ils s’assirent sur le même banc de l’avenue Henri-Martin, et ce fut, au grand désespoir de Wilson qui ne s’amusait nullement, une interminable station vis-à-vis des trois immeubles.

– Qu’espérez-vous, Sholmès ? Que Lupin sorte de ces maisons ?

– Non.

– Que la Dame blonde apparaisse ?

– Non.

– Alors ?

– Alors j’espère qu’un petit fait se produira, un tout petit fait quelconque, qui me servira de point de départ.

– Et s’il ne se produit pas ?

– En ce cas, il se produira quelque chose en moi, une étincelle qui mettra le feu aux poudres.

Un seul incident rompit la monotonie de cette matinée, mais de façon plutôt désagréable.

Le cheval d’un Monsieur, qui suivait l’allée cavalière située entre les deux chaussées de l’avenue, fit un écart et vint heurter le banc où ils étaient assis, en sorte que sa croupe effleura l’épaule de Sholmès.

– Eh ! Eh ! ricana celui-ci, un peu plus j’avais l’épaule fracassée !

Le Monsieur se débattait avec son cheval. L’Anglais tira son revolver et visa. Mais Wilson lui saisit le bras vivement.

– Vous êtes fou, Herlock ! Voyons… quoi … vous allez tuer ce gentleman !

– Lâchez-moi donc, Wilson… lâchez-moi.

Une lutte s’engagea, pendant laquelle le Monsieur maîtrisa sa monture et piqua des deux.

– Et maintenant tirez dessus, s’exclama Wilson, triomphant, lorsque le cavalier fut à quelque distance.

– Mais, triple imbécile, vous ne comprenez donc pas que c’était un complice d’Arsène Lupin ?

Sholmès tremblait de colère. Wilson, piteux, balbutia :

– Que dites-vous ? Ce gentleman ?…

– Complice de Lupin, comme les ouvriers qui nous ont lancé le sac sur la tête.

– Est-ce croyable ?

– Croyable ou non, il y avait là un moyen d’acquérir une preuve.

– En tuant ce gentleman ?

– En abattant son cheval, tout simplement. Sans vous, je tenais un des complices de Lupin. Comprenez-vous votre sottise ?

L’après-midi fut morose. Ils ne s’adressèrent pas la parole. À cinq heures, comme ils faisaient les cent pas dans la rue de Clapeyron, tout en ayant soin de se tenir éloignés des maisons, trois jeunes ouvriers qui chantaient et se tenaient par le bras les heurtèrent et voulurent continuer leur chemin sans se désunir. Sholmès, qui était de mauvaise humeur, s’y opposa. Il y eut une courte bousculade. Sholmès se mit en posture de boxeur, lança un coup de poing dans une poitrine, un coup de poing sur un visage et démolit deux des trois jeunes gens qui, sans insister davantage, s’éloignèrent ainsi que leur compagnon.

– Ah ! s’écria-t-il, ça me fait du bien… J’avais justement les nerfs tendus… excellente besogne…

Mais, apercevant Wilson appuyé contre le mur, il lui dit :

– Eh quoi ! qu’y a-t-il, vieux camarade, vous êtes tout pâle.

Le vieux camarade montra son bras qui pendait inerte, et balbutia :

– Je ne sais pas ce que j’ai… une douleur au bras.

– Une douleur au bras ? Sérieuse ?

– Oui… oui… le bras droit…

Malgré tous ses efforts il ne parvenait pas à le remuer. Herlock le palpa, doucement d’abord, puis de façon plus rude, « pour voir, dit-il, le degré exact de la douleur ». Le degré exact de la douleur fut si élevé que, très inquiet, il entra dans une pharmacie voisine où Wilson éprouva le besoin de s’évanouir.

Le pharmacien et ses aides s’empressèrent. On constata que le bras était cassé, et tout de suite il fut question de chirurgien, d’opération et de maison de santé. En attendant, on déshabilla le patient qui, secoué par la souffrance, se mit à pousser des hurlements.

– Bien… bien… parfait, disait Sholmès qui s’était chargé de tenir le bras… un peu de patience, mon vieux camarade… dans cinq ou six semaines, il n’y paraîtra plus… Mais ils me le paieront, les gredins vous entendez.., lui surtout… car c’est encore ce Lupin de malheur qui a fait le coup… ah ! je vous jure que si jamais…

Il s’interrompit brusquement, lâcha le bras, ce qui causa à Wilson un tel sursaut de douleur que l’infortuné s’évanouit de nouveau.., et, se frappant le front, il articula :

– Wilson, j’ai une idée… est-ce que par hasard ?…

Il ne bougeait pas, les yeux fixes, et marmottait de petits bouts de phrase.

– Mais oui, c’est cela… tout s’expliquerait… on cherche bien loin ce qui est à côté de soi… eh parbleu, je le savais qu’il n’y avait qu’à réfléchir… ah mon bon Wilson, je crois que vous allez être content !

Et laissant le vieux camarade en plan, il sauta dans la rue et courut jusqu’au numéro 25.

Au-dessus et à droite de la porte, il y avait, inscrit sur l’une des pierres :

« Destange, architecte, 1875. »

Au 23, même inscription.

Jusque-là, rien que de naturel. Mais là-bas, avenue Henri-Martin, que lirait-il ?

Une voiture passait.

– Cocher, avenue Henri-Martin, n° 134, et au galop.

Debout dans la voiture, il excitait le cheval, offrait des pourboires au cocher. Plus vite !… Encore plus vite !

Quelle fut son angoisse au détour de la rue de la Pompe ! Était-ce un peu de la vérité qu’il avait entrevu ?

Sur l’une des pierres de l’hôtel, ces mots étaient gravés : » Destange, architecte, 1874. »

Sur les immeubles voisins, même inscription : « Destange, architecte, 1874. »

Le contrecoup de ces émotions fut tel qu’il s’affaissa quelques minutes au fond de sa voiture, tout frissonnant de joie. Enfin, une petite lueur vacillait au milieu des ténèbres ! Parmi la grande forêt sombre où mille sentiers se croisaient, voilà qu’il recueillait la première marque d’une piste suivie par l’ennemi !

Dans un bureau de poste, il demanda la communication téléphonique avec le château de Crozon. La comtesse lui répondit elle-même.

– Allô !… C’est vous, Madame ?

– Monsieur Sholmès, n’est-ce pas ? Tout va bien ?

– Très bien, mais, en toute hâte, veuillez me dire… allô … un mot seulement…

– J’écoute.

– Le château de Crozon a été construit à quelle époque ?

– Il a été brûlé il y a trente ans, et reconstruit.

– Par qui ? Et en quelle année ?

– Une inscription au-dessus du perron porte ceci : « Lucien Destange, architecte, 1877. »

– Merci, madame, je vous salue.

Il repartit en murmurant :

– Destange… Lucien Destange… ce nom ne m’est pas inconnu.

Ayant aperçu un cabinet de lecture, il consulta un dictionnaire de biographie moderne et copia la note consacrée à « Lucien Destange, né en 1840, Grand-Prix de Rome, officier de la Légion d’honneur, auteur d’ouvrages très appréciés sur l’architecture… etc. »

Il se rendit alors à la pharmacie, et, de là, à la maison de santé où l’on avait transporté Wilson. Sur son lit de torture, le bras emprisonné dans une gouttière, grelottant de fièvre, le vieux camarade divaguait :

– Victoire ! Victoire ! s’écria Sholmès, je tiens une extrémité du fil.

– De quel fil ?

– Celui qui me mènera au but ! Je vais marcher sur un terrain solide, où il y aura des empreintes, des indices…

– De la cendre de cigarette ? demanda Wilson, que l’intérêt de la situation ranimait.

– Et bien d’autres choses ! Pensez donc, Wilson, j’ai dégagé le lien mystérieux qui unissait entre elles les différentes aventures de la Dame blonde. Pourquoi les trois demeures où se sont dénouées ces trois aventures ont-elles été choisies par Lupin ?

– Oui, pourquoi ?

– Parce que ces trois demeures, Wilson, ont été construites par le même architecte. C’était facile à deviner, direz-vous ? Certes… aussi personne n’y songeait-il.

– Personne, sauf vous.

– Sauf moi, qui sais maintenant que le même architecte, en combinant des plans analogues, a rendu possible l’accomplissement de trois actes, en apparence miraculeux, en réalité simples et faciles.

– Quel bonheur !

– Et il était temps, vieux camarade, je commençais à perdre patience… c’est que nous en sommes déjà au quatrième jour.

– Sur dix.

– Oh ! Désormais…

Il ne tenait pas en place, exubérant et joyeux contre son habitude.

– Non, mais quand je pense que, tantôt, dans la rue, ces gredins-là auraient pu casser mon bras tout aussi bien que le vôtre. Qu’en dites-vous, Wilson ?

Wilson se contenta de frissonner à cette horrible supposition.

Et Sholmès reprit :

– Que cette leçon nous profite ! Voyez-vous, Wilson, notre grand tort a été de combattre Lupin à visage découvert, et de nous offrir complaisamment à ses coups. Il n’y a que demi-mal, puisqu’il n’a réussi qu’à vous atteindre…

– Et que j’en suis quitte pour un bras cassé, gémit Wilson.

– Alors que les deux pouvaient l’être. Mais plus de fanfaronnades. En plein jour et surveillé, je suis vaincu. Dans l’ombre, et libre de mes mouvements, j’ai l’avantage, quelles que soient les forces de l’ennemi.

– Ganimard pourrait vous aider.

– Jamais ! Le jour où il me sera permis de dire Arsène Lupin est là, voici son gîte, et voici comment il faut s’emparer de lui, j’irai relancer Ganimard à l’une des deux adresses qu’il m’a données : son domicile, rue Pergolèse, ou la taverne suisse, place du Châtelet. D’ici là, j’agis seul.

Il s’approcha du lit, posa sa main sur l’épaule de Wilson – sur l’épaule malade naturellement – et lui dit avec une grande affection :

– Soignez-vous, mon vieux camarade. Votre rôle consiste désormais à occuper deux ou trois hommes d’Arsène Lupin, qui attendront vainement, pour retrouver ma trace, que je vienne prendre de vos nouvelles. C’est un rôle de confiance.

– Un rôle de confiance et je vous en remercie, répliqua Wilson, pénétré de gratitude ; je mettrai tous mes soins à le remplir consciencieusement. Mais, d’après ce que je vois, vous ne revenez plus ?

– Pour quoi faire ? demanda froidement Sholmès.

– En effet… en effet… je vais aussi bien que possible. Alors, un dernier service, Herlock : ne pourriez-vous me donner à boire ?

– À boire ?

– Oui, je meurs de soif, et avec ma fièvre…

– Mais comment donc ! Tout de suite…

Il tripota deux ou trois bouteilles, aperçut un paquet de tabac, alluma sa pipe, et soudain, comme s’il n’avait même pas entendu la prière de son ami, il s’en alla pendant que le vieux camarade implorait du regard un verre d’eau inaccessible.

– M. Destange !

Le domestique toisa l’individu auquel il venait d’ouvrir la porte de l’hôtel – le magnifique hôtel qui fait le coin de la place Malesherbes et de la rue Montchanin – et à l’aspect de ce petit homme à cheveux gris, mal rasé, et dont la longue redingote noire, d’une propreté douteuse, se conformait aux bizarreries d’un corps que la nature avait singulièrement disgracié, il répondit avec le dédain qui convenait :

– M. Destange est ici, ou n’y est pas. Ça dépend. Monsieur a sa carte ?

Monsieur n’avait pas sa carte, mais il avait une lettre d’introduction, et le domestique dut porter cette lettre à M. Destange, lequel M. Destange donna l’ordre qu’on amenât auprès de lui le nouveau venu.

Il fut donc introduit dans une immense pièce en rotonde qui occupe une des ailes de l’hôtel et dont les murs étaient recouverts de livres, et l’architecte lui dit :

– Vous êtes Monsieur Stickmann ?

– Oui, Monsieur.

– Mon secrétaire m’annonce qu’il est malade et vous envoie pour continuer le catalogue général des livres qu’il a commencé sous ma direction, et plus spécialement le catalogue des livres allemands. Vous avez l’habitude de ces sortes de travaux ?

– Oui, Monsieur, une longue habitude, répondit le sieur Stickmann avec un fort accent tudesque.

Dans ces conditions l’accord fut vite conclu, et M. Destange, sans plus tarder, se mit au travail avec son nouveau secrétaire.

Herlock Sholmès était dans la place.

Pour échapper à la surveillance de Lupin et pour pénétrer dans l’hôtel que Lucien Destange habitait avec sa fille Clotilde, l’illustre détective avait dû faire un plongeon dans l’inconnu, accumuler les stratagèmes, s’attirer, sous les noms les plus variés, les bonnes grâces et les confidences d’une foule de personnages, bref vivre, pendant quarante-huit heures, de la vie la plus compliquée.

Comme renseignement il savait ceci : M. Destange, de santé médiocre et désireux de repos, s’était retiré des affaires et vivait parmi les collections de livres qu’il a réunies sur l’architecture. Nul plaisir ne l’intéressait, hors le spectacle et le maniement des vieux tomes poudreux.

Quant à sa fille Clotilde, elle passait pour originale. Toujours enfermée, comme son père, mais dans une autre partie de l’hôtel, elle ne sortait jamais.

« Tout cela, se disait-il, en inscrivant sur un registre des titres de livres que M. Destange lui dictait, tout cela n’est pas encore décisif, mais quel pas en avant ! Il est possible que je ne découvre point la solution d’un de ces problèmes passionnants : M. Destange est-il l’associé d’Arsène Lupin ? Continue-t-il à le voir ? Existe-t-il des papiers relatifs à la construction des trois immeubles ? Ces papiers ne me fourniront-ils pas l’adresse d’autres immeubles, pareillement truqués, et que Lupin se serait réservés, pour lui et sa bande ? »

M. Destange, complice d’Arsène Lupin ! Cet homme vénérable, officier de la Légion d’honneur, travaillant aux côtés d’un cambrioleur, l’hypothèse n’était guère admissible. D’ailleurs, en admettant cette complicité, comment M. Destange aurait-il pu prévoir, trente ans auparavant, les évasions d’Arsène Lupin, alors en nourrice ?

N’importe ! L’Anglais s’acharnait. Avec son flair prodigieux, avec cet instinct qui lui est particulier, il sentait un mystère qui rôdait autour de lui. Cela se devinait à de petites choses qu’il n’eût pu préciser, mais dont il subissait l’impression depuis son entrée dans l’hôtel.

Le matin du deuxième jour il n’avait encore fait aucune découverte intéressante. À deux heures, il aperçut pour la première fois Clotilde Destange qui venait chercher un livre dans la bibliothèque. C’était une femme d’une trentaine d’années, brune, de gestes lents et silencieux, et dont le visage gardait cette expression indifférente de ceux qui vivent beaucoup en eux-mêmes. Elle échangea quelques paroles avec M. Destange, et se retira sans même avoir regardé Sholmès.

L’après-midi se traîna, monotone. À cinq heures, M. Destange annonça qu’il sortait. Sholmès resta seul sur la galerie circulaire accrochée à mi-hauteur de la rotonde. Le jour s’atténua. Il se disposait, lui aussi, à partir, quand un craquement se fit entendre, et, en même temps, il eut la sensation qu’il y avait quelqu’un dans la pièce. De longues minutes s’ajoutèrent les unes aux autres. Et soudain il frissonna : une ombre émergeait de la demi-obscurité, tout près de lui, sur le balcon. Était-ce croyable ? Depuis combien de temps ce personnage invisible lui tenait-il compagnie ? Et d’où venait-il ?

Et l’homme descendit les marches et se dirigea du côté d’une grande armoire de chêne. Dissimulé derrière les étoffes qui pendaient à la rampe de la galerie, à genoux, Sholmès observa, et il vit l’homme qui fouillait parmi les papiers dont l’armoire était encombrée. Que cherchait-il ?

Et voilà tout à coup que la porte s’ouvrit et que Mlle Destange entra vivement, en disant à quelqu’un qui la suivait :

– Alors décidément tu ne sors pas, père ?… En ce cas, j’allume… une seconde… ne bouge pas…

L’homme repoussa les battants de l’armoire et se cacha dans l’embrasure d’une large fenêtre dont il tira les rideaux sur lui. Comment Mlle Destange ne le vit-elle pas ? Comment ne l’entendit-elle pas ? Très calmement, elle tourna le bouton de l’électricité et livra passage à son père. Ils s’assirent l’un près de l’autre. Elle prit un volume qu’elle avait apporté et se mit à lire.

– Ton secrétaire n’est donc plus là ? dit-elle au bout d’un instant.

– Non… tu vois…

– Tu en es toujours content ? reprit-elle, comme si elle ignorait la maladie du véritable secrétaire et son remplacement par Stickmann.

– Toujours… toujours…

La tête de M. Destange ballottait de droite et de gauche. Il s’endormit.

Un moment s’écoula. La jeune fille lisait. Mais un des rideaux de la fenêtre fut écarté, et l’homme se glissa le long du mur, vers la porte, mouvement qui le faisait passer derrière M. Destange, mais en face de Clotilde, et de telle façon que Sholmès put le voir distinctement. C’était Arsène Lupin.

L’Anglais frissonna de joie. Ses calculs étaient justes, il avait pénétré au cœur même de la mystérieuse affaire, et Lupin se trouvait à l’endroit prévu.

Clotilde ne bougeait pas cependant, quoiqu’il fût inadmissible qu’un seul geste de cet homme lui échappât. Et Lupin touchait presque à la porte, et déjà il tendait le bras vers la poignée, quand un objet tomba d’une table, frôlé par son vêtement. M. Destange se réveilla en sursaut. Arsène Lupin était déjà devant lui, le chapeau à la main, et souriant.

– Maxime Bermond, s’écria M. Destange avec joie… ce cher Maxime ! … Quel bon vent vous amène ?

– Le désir de vous voir, ainsi que Mlle Destange.

– Vous êtes donc revenu de voyage ?

– Hier.

– Et vous nous restez à dîner ?

– Non, je dîne au restaurant avec des amis.

– Demain, alors ? Clotilde, insiste pour qu’il vienne demain. Ah ! ce bon Maxime… justement je pensais à vous ces jours-ci.

– C’est vrai ?

– Oui, je rangeais mes papiers d’autrefois, dans cette armoire, et j’ai retrouvé notre dernier compte.

– Quel compte ?

– Celui de l’avenue Henri-Martin.

– Comment ! Vous gardez ces paperasses ! À quoi bon ! …

Ils s’installèrent tous trois dans un petit salon qui attenait à la rotonde par une large baie.

– Est-ce Lupin ? se dit Sholmès, envahi d’un doute subit.

Oui, en toute évidence, c’était lui, mais c’était un autre homme aussi, qui ressemblait à Arsène Lupin par certains points, et qui pourtant gardait son individualité distincte, ses traits personnels, son regard, sa couleur de cheveux…

En habit, cravaté de blanc, la chemise souple moulant son torse, il parlait allégrement, racontant des histoires dont M. Destange riait de tout cœur et qui amenaient un sourire sur les lèvres de Clotilde. Et chacun de ces sourires paraissait une récompense que recherchait Arsène Lupin et qu’il se réjouissait d’avoir conquise. Il redoublait d’esprit et de gaieté, et, insensiblement, au son de cette voix heureuse et claire, le visage de Clotilde s’animait et perdait cette expression de froideur qui le rendait peu sympathique.

« Ils s’aiment, pensa Sholmès, mais que diable peut-il y avoir de commun entre Clotilde Destange et Maxime Bermond ? Sait-elle que Maxime n’est autre qu’Arsène Lupin ? »

Jusqu’à sept heures, il écouta anxieusement, faisant son profit des moindres paroles. Puis, avec d’infinies précautions, il descendit et traversa le côté de la pièce où il ne risquait pas d’être vu du salon.

Dehors, Sholmès s’assura qu’il n’y avait ni automobile, ni fiacre en station, et s’éloigna en boitillant par le boulevard Malesherbes. Mais, dans une rue adjacente, il mit sur son dos le pardessus qu’il portait sur son bras, déforma son chapeau, se redressa et, ainsi métamorphosé, revint vers la place où il attendit, les yeux fixés à la porte de l’hôtel Destange.

Arsène Lupin sortit presque aussitôt, et par les rues de Constantinople et de Londres, se dirigea vers le centre de Paris. À cent pas derrière lui marchait Herlock.

Minutes délicieuses pour l’Anglais ! Il reniflait avidement l’air, comme un bon chien qui sent la piste toute fraîche. Vraiment, cela lui semblait une chose infiniment douce que de suivre son adversaire. Ce n’était plus lui qui était surveillé, mais Arsène Lupin, l’invisible Arsène Lupin. Il le tenait pour ainsi dire au bout de son regard, comme attaché par des liens impossibles à briser. Et il se délectait à considérer, parmi les promeneurs, cette proie qui lui appartenait.

Mais un phénomène bizarre ne tarda pas à le frapper au milieu de l’intervalle qui le séparait d’Arsène Lupin, d’autres gens s’avançaient dans la même direction, notamment deux grands gaillards en chapeau rond sur le trottoir de gauche, deux autres sur le trottoir de droite en casquette et la cigarette aux lèvres.

Il n’y avait là peut-être qu’un hasard. Mais Sholmès s’étonna davantage quand Lupin, ayant pénétré dans un bureau de tabac, les quatre hommes s’arrêtèrent – et davantage encore – quand ils repartirent en même temps que lui, mais isolément, chacun suivant de son côté la Chaussée d’Antin.

« Malédiction, pensa Sholmès, il est donc filé ! »

L’idée que d’autres étaient sur la trace d’Arsène Lupin, que d’autres lui raviraient, non pas la gloire – il s’en inquiétait peu – mais le plaisir immense, l’ardente volupté de réduire, à lui seul, le plus redoutable ennemi qu’il eût jamais rencontré, cette idée l’exaspérait. Cependant l’erreur n’était pas possible, les hommes avaient cet air détaché, cet air trop naturel de ceux qui, tout en réglant leur allure sur l’allure d’une autre personne, ne veulent pas être remarqués.

« Ganimard en saurait-il plus long qu’il ne le dit ? murmura Sholmès… se joue-t-il de moi ? »

Il eut envie d’accoster l’un des quatre individus, afin de se concerter avec lui. Mais aux approches du boulevard, la foule devenant plus dense, il craignit de perdre Lupin et pressa le pas. Il déboucha au moment où Lupin gravissait le perron du restaurant hongrois, à l’angle de la rue Helder. La porte en était ouverte de telle façon que Sholmès, assis sur un banc du boulevard, de l’autre côté de la rue, le vit qui prenait place à une table luxueusement servie, ornée de fleurs, et où se trouvaient déjà trois messieurs en habit et deux dames d’une grande élégance, qui l’accueillirent avec des démonstrations de sympathie.

Herlock chercha des yeux les quatre individus et les aperçut, disséminés dans des groupes qui écoutaient l’orchestre de tziganes d’un café voisin. Chose curieuse, ils ne paraissaient pas s’occuper d’Arsène Lupin, mais beaucoup plus des gens qui les entouraient.

Tout à coup, l’un d’eux tira de sa poche une cigarette et aborda un Monsieur en redingote et en chapeau haut de forme. Le Monsieur présenta son cigare, et Sholmès eut l’impression qu’ils causaient, et plus longtemps même que ne l’eût exigé le fait d’allumer une cigarette. Enfin, le Monsieur monta les marches du perron et jeta un coup d’œil dans la salle du restaurant. Avisant Lupin, il s’avança, s’entretint quelques instants avec lui, puis il choisit une table voisine, et Sholmès constata que ce Monsieur n’était autre que le cavalier de l’avenue Henri-Martin.

Alors il comprit. Non seulement Arsène Lupin n’était pas filé, mais ces hommes faisaient partie de sa bande ! Ces hommes veillaient à sa sûreté !

C’était sa garde du corps, ses satellites, son escorte attentive. Partout où le maître courait un danger, les complices étaient là, prêts à l’avertir, prêts à le défendre. Complices les quatre individus ! Complice le Monsieur en redingote !

Un frisson parcourut l’Anglais. Se pouvait-il que jamais il réussît à s’emparer de cet être inaccessible ? Quelle puissance illimitée représentait une pareille association, dirigée par un tel chef !

Il déchira une feuille de son carnet, écrivit au crayon quelques lignes qu’il inséra dans une enveloppe, et dit à un gamin d’une quinzaine d’années qui s’était couché sur le banc :

– Tiens, mon garçon, prends une voiture et porte cette lettre à la caissière de la taverne suisse, place du Châtelet. Et rapidement…

Il lui remit une pièce de cinq francs. Le gamin disparut.

Une demi-heure s’écoula. La foule avait grossi, et Sholmès ne distinguait plus que de temps en temps les acolytes de Lupin. Mais quelqu’un le frôla, et une voix lui dit à l’oreille :

– Eh bien ! Qu’y a-t-il, Monsieur Sholmès ?

– C’est vous, Monsieur Ganimard ?

– Oui, j’ai reçu votre mot à la taverne. Qu’y a-t-il ?

– Il est là.

– Que dites-vous ?

– Là-bas… au fond du restaurant… penchez-vous à droite… vous le voyez ?

– Non.

– Il verse du champagne à sa voisine.

– Mais ce n’est pas lui.

– C’est lui.

– Moi, je vous réponds… ah cependant… en effet il se pourrait… ah ! le gredin, comme il se ressemble ! murmura Ganimard naïvement… et les autres, des complices ?

– Non, sa voisine c’est lady Cliveden, l’autre, c’est la duchesse de Cleath, et, vis-à-vis, l’ambassadeur d’Espagne à Londres.

Ganimard fit un pas. Herlock le retint.

– Quelle imprudence ! Vous êtes seul.

– Lui aussi.

– Non, il a des hommes sur le boulevard qui montent la garde… sans compter, à l’intérieur de ce restaurant, ce Monsieur…

– Mais moi, quand j’aurai mis la main au collet d’Arsène Lupin en criant son nom, j’aurai toute la salle pour moi, tous les garçons.

– J’aimerais mieux quelques agents.

– C’est pour le coup que les amis d’Arsène Lupin ouvriraient l’œil… non, voyez-vous, Monsieur Sholmès, nous n’avons pas le choix.

Il avait raison, Sholmès le sentit. Mieux valait tenter l’aventure et profiter de circonstances exceptionnelles. Il recommanda seulement à Ganimard :

– Tâchez qu’on vous reconnaisse le plus tard possible…

Et lui-même se glissa derrière un kiosque de journaux, sans perdre de vue Arsène Lupin qui, là-bas, penché sur sa voisine, souriait.

L’inspecteur traversa la rue, les mains dans ses poches, en homme qui va droit devant lui. Mais, à peine sur le trottoir opposé, il bifurqua vivement et d’un bond escalada le perron.

Un coup de sifflet strident… Ganimard se heurta contre le maître d’hôtel, planté soudain en travers de la porte et qui le repoussa avec indignation, comme il aurait fait d’un intrus dont la mise équivoque eût déshonoré le luxe du restaurant. Ganimard chancela. Au même instant, le Monsieur en redingote sortait. Il prit parti pour l’inspecteur, et tous deux, le maître d’hôtel et lui, disputaient violemment, tous deux d’ailleurs accrochés à Ganimard, l’un le retenant, l’autre le poussant, et de telle manière que, malgré tous ses efforts, malgré ses protestations furieuses, le malheureux fut expulsé jusqu’au bas du perron.

Un rassemblement se produisit aussitôt. Deux agents de police, attirés par le bruit, essayèrent de fendre la foule, mais une résistance incompréhensible les immobilisa, sans qu’ils parvinssent à se dégager des épaules qui les pressaient, des dos qui leur barraient la route…

Et tout à coup, comme par enchantement, le passage est libre !… Le maître d’hôtel, comprenant son erreur, se confond en excuses, le Monsieur en redingote renonce à défendre l’inspecteur, la foule s’écarte, les agents passent, Ganimard fonce sur la table aux six convives… il n’y en a plus que cinq. Il regarde autour de lui… pas d’autre issue que la porte.

– La personne qui était à cette place, crie-t-il aux cinq convives stupéfaits ?… Oui, vous étiez six… où se trouve la sixième personne ?

– M. Destro ?

– Mais non, Arsène Lupin !

Un garçon s’approche :

– Ce Monsieur vient de monter à l’entresol.

Ganimard se précipite. L’entresol est composé de salons particuliers et possède une sortie spéciale sur le boulevard !

– Allez donc le chercher maintenant, gémit Ganimard, il est loin !

Il n’était pas très loin, à deux cents mètres tout au plus, dans l’omnibus Madeleine-Bastille, lequel omnibus roulait paisiblement au petit trot de ses trois chevaux, franchissait la place de l’Opéra et s’en allait par le boulevard des Capucines. Sur la plate-forme, deux grands gaillards à chapeau melon devisaient. Sur l’impériale, au haut de l’escalier, somnolait un vieux petit bonhomme : Herlock Sholmès.

Et la tête dodelinante, bercé par le mouvement du véhicule, l’Anglais monologuait :

« Si mon brave Wilson me voyait, comme il serait fier de son collaborateur !… Bah !… Il était facile de prévoir au coup de sifflet que la partie était perdue, et qu’il n’y avait rien de mieux à faire que de surveiller les alentours du restaurant. Mais, en vérité, la vie ne manque pas d’intérêt avec ce diable d’homme ! »

Au point terminus, Herlock s’étant penché, vit Arsène Lupin qui passait devant ses gardes du corps, et il l’entendit murmurer : « À l’Étoile. »

« À l’Étoile, parfait, on se donne rendez-vous. J’y serai. Laissons-le filer dans ce fiacre automobile, et suivons en voiture les deux compagnons. »

Les deux compagnons s’en furent à pied, gagnèrent en effet l’Étoile et sonnèrent à la porte d’une étroite maison située au numéro 40 de la rue Chalgrin. Au coude que forme cette petite rue peu fréquentée, Sholmès put se cacher dans l’ombre d’un renfoncement.

Une des deux fenêtres du rez-de-chaussée s’ouvrit, un homme en chapeau rond ferma les volets. Au-dessus des volets, l’imposte s’éclaira.

Au bout de dix minutes, un Monsieur vint sonner à cette même porte, puis, tout de suite après, un autre individu. Et enfin, un fiacre automobile s’arrêta, d’où Sholmès vit descendre deux personnes : Arsène Lupin et une dame enveloppée d’un manteau et d’une voilette épaisse.

« La Dame blonde, sans aucun doute », se dit Sholmès, tandis que le fiacre s’éloignait.

Il laissa s’écouler un instant, s’approcha de la maison, escalada le rebord de la fenêtre, et, haussé sur la pointe des pieds, il put, par l’imposte, jeter un coup d’œil dans la pièce.

Arsène Lupin, appuyé à la cheminée, parlait avec animation. Debout autour de lui, les autres l’écoutaient attentivement. Parmi eux, Sholmès reconnut le Monsieur à la redingote et crut reconnaître le maître d’hôtel du restaurant. Quant à la Dame blonde, elle lui tournait le dos, assise dans un fauteuil.

« On tient conseil, pensa-t-il… les événements de ce soir les ont inquiétés et ils éprouvent le besoin de délibérer. Ah ! Les prendre tous à la fois, d’un coup !… »

Un des complices ayant bougé, il sauta à terre et se renfonça dans l’ombre. Le Monsieur en redingote et le maître d’hôtel sortirent de la maison. Aussitôt le premier étage s’éclaira, quelqu’un tira les volets des fenêtres. Et ce fut l’obscurité en haut comme en bas.

« Elle et lui sont restés au rez-de-chaussée, se dit Herlock. Les deux complices habitent le premier étage. »

Il attendit une partie de la nuit sans bouger, craignant qu’Arsène Lupin ne s’en allât pendant son absence. À quatre heures, apercevant deux agents de police à l’extrémité de la rue, il les rejoignit, leur expliqua la situation et leur confia la surveillance de la maison.

Alors il se rendit au domicile de Ganimard, rue Pergolèse, et le fit réveiller.

– Je le tiens encore.

– Arsène Lupin ?

– Oui.

– Si vous le tenez comme tout à l’heure, autant me recoucher. Enfin, passons au commissariat.

Ils allèrent jusqu’à la rue Mesnil, et de là, au domicile du commissaire, M. Decointre. Puis, accompagnés d’une demi-douzaine d’hommes, ils s’en revinrent rue Chalgrin.

– Du nouveau ? demanda Sholmès aux deux agents en faction.

– Rien.

Le jour commençait à blanchir le ciel lorsque, ses dispositions prises, le commissaire sonna et se dirigea vers la loge de la concierge. Effrayée par cette invasion, toute tremblante, cette femme répondit qu’il n’y avait pas de locataires au rez-de-chaussée.

– Comment, pas de locataire ! s’écria Ganimard.

– Mais non, c’est ceux du premier, les messieurs Leroux… ils ont meublé le bas pour des parents de province…

– Un Monsieur et une dame ?

– Oui.

– Qui sont venus hier soir avec eux ?

– Peut-être bien… je dormais… pourtant, je ne crois pas, voici la clef… ils ne l’ont pas demandée…

Avec cette clef le commissaire ouvrit la porte qui se trouvait de l’autre côté du vestibule. Le rez-de-chaussée ne contenait que deux pièces : elles étaient vides.

– Impossible ! proféra Sholmès, je les ai vus, elle et lui.

Le commissaire ricana :

– Je n’en doute pas, mais ils n’y sont plus.

– Montons au premier étage. Ils doivent y être.

– Le premier étage est habité par des messieurs Leroux.

– Nous interrogerons les messieurs Leroux.

Ils montèrent tous l’escalier, et le commissaire sonna. Au second coup, un individu, qui n’était autre qu’un des gardes du corps, apparut, en bras de chemise et l’air furieux.

– Eh bien, quoi ! En voilà du tapage… est-ce qu’on réveille les gens…

Mais il s’arrêta, confondu :

– Dieu me pardonne… en vérité, je ne rêve pas ? C’est Monsieur Decointre !… Et vous aussi, Monsieur Ganimard ? Qu’y a-t-il donc pour votre service ?

Un éclat de rire formidable jaillit. Ganimard pouffait, dans une crise d’hilarité qui le courbait en deux et lui congestionnait la face.

– C’est vous, Leroux, bégayait-il… oh ! que c’est drôle… Leroux, complice d’Arsène Lupin… ah ! j’en mourrai… et votre frère, Leroux, est-il visible ?

– Edmond, tu es là ? C’est M. Ganimard qui nous rend visite…

Un autre individu s’avança dont la vue redoubla la gaieté de Ganimard.

– Est-ce possible ! On n’a pas idée de ça ! Ah ! Mes amis, vous êtes dans de beaux draps… qui se serait jamais douté ! Heureusement que le vieux Ganimard veille, et surtout qu’il a des amis pour l’aider… des amis qui viennent de loin !

Et se tournant vers Sholmès, il présenta :

– Victor Leroux, inspecteur de la Sûreté, un des bons parmi les meilleurs de la brigade de fer… Edmond Leroux, commis principal au service anthropométrique…

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète)

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