Читать книгу Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан - Страница 85
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ОглавлениеLupin la regarda longuement. Le comte dit :
– On croirait qu’elle sait ce qu’elle fait.
– Non, non, elle ne le sait pas. Seulement son grand-père a dû lui confier ce livre comme un trésor, un trésor que personne ne devait contempler, et, dans son instinct stupide, elle a mieux aimé le jeter aux flammes que de s’en dessaisir.
– Et alors ?
– Alors, quoi ?
– Vous n’arriverez pas à la cachette ?
– Ah ! Ah ! Mon cher comte, vous avez donc un instant envisagé mon succès comme possible ? Et Lupin ne vous paraît plus tout à fait un charlatan ? Soyez tranquille, Waldemar, Lupin a plusieurs cordes à son arc. J’arriverai.
– Avant la douzième heure, demain ?
– Avant la douzième heure, ce soir. Mais, je meurs d’inanition. Et si c’était un effet de votre bonté…
On le conduisit dans une salle des communs, affectée au mess des sous-officiers, et un repas substantiel lui fut servi, tandis que le comte allait faire son rapport à l’Empereur.
Vingt minutes après, Waldemar revenait. Et ils s’installèrent l’un en face de l’autre, silencieux et pensifs.
– Waldemar, un bon cigare serait le bienvenu… Je vous remercie. Celui-là craque comme il sied aux havanes qui se respectent.
Il alluma son cigare, et, au bout d’une ou deux minutes :
– Vous pouvez fumer, comte, cela ne me dérange pas. Une heure se passa ; Waldemar somnolait, et de temps à autre, pour se réveiller, avalait un verre de fine Champagne. Des soldats allaient et venaient, faisant le service.
– Du café, demanda Lupin.
On lui apporta du café.
– Ce qu’il est mauvais, grogna-t-il… Si c’est celui-là que boit César ! Encore une tasse, tout de même, Waldemar. La nuit sera peut-être longue. Oh ! Quel sale café !
Il alluma un autre cigare et ne dit plus un mot.
Les minutes s’écoulèrent. Il ne bougeait toujours pas et ne parlait point.
Soudain, Waldemar se dressa sur ses jambes et dit à Lupin d’un air indigné :
– Eh ! Là, debout !
À ce moment, Lupin sifflotait. Il continua paisiblement à siffloter.
– Debout, vous dit-on.
Lupin se retourna. Sa Majesté venait d’entrer. Il se leva.
– Où en sommes-nous ? dit l’Empereur.
– Je crois, Sire, qu’il me sera possible avant peu de donner satisfaction à Votre Majesté.
– Quoi ? Vous connaissez…
– La cachette ? À peu près, Sire… Quelques détails encore qui m’échappent… mais sur place, tout s’éclaircira, je n’en doute pas.
– Nous devons rester ici ?
– Non, Sire, je vous demanderai de m’accompagner jusqu’au palais Renaissance. Mais nous avons le temps, et, si Sa Majesté m’y autorise, je voudrais, dès maintenant, réfléchir à deux ou trois points.
Sans attendre la réponse, il s’assit, à la grande indignation de Waldemar.
Un moment après, l’Empereur, qui s’était éloigné et conférait avec le comte, se rapprocha.
– Monsieur Lupin est-il prêt, cette fois ?
Lupin garda le silence. Une nouvelle interrogation il baissa la tête.
– Mais il dort, en vérité, on croirait qu’il dort.
Furieux, Waldemar le secoua vivement par l’épaule. Lupin tomba de sa chaise, s’écroula sur le parquet, eut deux ou trois convulsions, et ne remua plus.
– Qu’est-ce qu’il a donc ? s’écria l’Empereur Il n’est pas mort, j’espère !
Il prit une lampe et se pencha.
– Ce qu’il est pâle ! Une figure de cire !… Regarde donc, Waldemar… Tâte le cœur… Il vit, n’est-ce pas ?
– Oui, Sire, dit le comte après un instant, le cœur bat très régulièrement.
– Alors, quoi ? Je ne comprends plus… Que s’est-il produit ?
– Si j’allais chercher le médecin ?
– Va, cours
Le docteur trouva Lupin dans le même état, inerte et paisible. Il le fit étendre sur un lit, l’examina longtemps et s’informa de ce que le malade avait mangé.
– Vous craignez donc un empoisonnement, docteur ?
– Non, Sire, il n’y a pas de traces d’empoisonnement. Mais je suppose… Qu’est-ce que c’est que ce plateau et cette tasse ?
– Du café, dit le comte.
– Pour vous ?
– Non, pour lui. Moi, je n’en ai pas bu.
Le docteur se versa du café, le goûta et conclut :
– Je ne me trompais pas : le malade a été endormi à l’aide d’un narcotique.
– Mais par qui ? s’écria l’Empereur avec irritation… Voyons, Waldemar, c’est exaspérant tout ce qui se passe ici !
– Sire…
– Eh ! Oui, j’en ai assez !… Je commence à croire vraiment que cet homme a raison, et qu’il y a quelqu’un dans le château… Ces pièces d’or, ce narcotique…
– Si quelqu’un avait pénétré dans cette enceinte, on le saurait, Sire… Voilà trois heures que l’on fouille de tous côtés.
– Cependant, ce n’est pas moi qui ai préparé le café, je te l’assure… Et à moins que ce ne soit toi…
– Oh ! Sire !
– Eh bien ! Cherche… perquisitionne… Tu as deux cents hommes à ta disposition, et les communs ne sont pas si grands ! Car enfin, le bandit rôde par là, autour de ces bâtiments… du côté de la cuisine… que sais-je ? Va ! Remue-toi !
Toute la nuit, le gros Waldemar se remua consciencieusement, puisque c’était l’ordre du maître, mais sans conviction, puisqu’il était impossible qu’un étranger se dissimulât parmi des ruines aussi bien surveillées. Et de fait, l’événement lui donna raison : les investigations furent inutiles, et l’on ne put découvrir la main mystérieuse qui avait préparé le breuvage soporifique.
Cette nuit, Lupin la passa sur son lit, inanimé. Au matin le docteur, qui ne l’avait pas quitté, répondit à un envoyé de l’Empereur que le malade dormait toujours.
À neuf heures, cependant, il fit un premier geste, une sorte d’effort pour se réveiller.
Un peu plus tard il balbutia :
– Quelle heure est-il ?
– Neuf heures trente-cinq.
Il fit un nouvel effort, et l’on sentait que, dans son engourdissement, tout son être se tendait pour revenir à la vie. Une pendule sonna dix coups.
Il tressaillit et prononça :
– Qu’on me porte… qu’on me porte au palais.
Avec l’approbation du médecin, Waldemar appela ses hommes et fit prévenir l’Empereur.
On déposa Lupin sur un brancard et l’on se mit en marche vers le palais.
– Au premier étage, murmura-t-il.
On le monta.
– Au bout du couloir, dit-il, la dernière chambre à gauche.
On le porta dans la dernière chambre, qui était la douzième, et on lui donna une chaise sur laquelle il s’assit, épuisé.
L’Empereur arriva : Lupin ne bougea pas, l’air inconscient, le regard sans expression.
Puis, après quelques minutes, il sembla s’éveiller, regarda autour de lui les murs, le plafond, les gens, et dit :
– Un narcotique, n’est-ce pas ?
– Oui, déclara le docteur.
– On a trouvé… l’homme ?
– Non.
Il parut méditer, et, plusieurs fois, il hocha la tête d’un air pensif, mais on s’aperçut bientôt qu’il dormait.
L’Empereur s’approcha de Waldemar.
– Donne les ordres pour qu’on fasse avancer ton auto.
– Ah ? Mais alors, Sire ?…
– Eh quoi ! Je commence à croire qu’il se moque de nous, et que tout cela n’est qu’une comédie pour gagner du temps.
– Peut-être… en effet… approuva Waldemar.
– évidemment ! Il exploite certaines coïncidences curieuses, mais il ne sait rien, et son histoire de pièces d’or, son narcotique, autant d’inventions ! Si nous nous prêtons davantage à ce petit jeu, il va nous filer entre les mains. Ton auto, Waldemar.
Le comte donna les ordres et revint. Lupin ne s’était pas réveillé. L’Empereur qui inspectait la salle, dit à Waldemar :
– C’est la salle de Minerve, ici, n’est-ce pas ?
– Oui, Sire.
– Mais alors, pourquoi ce N, à deux endroits ?
Il y avait en effet, deux N, l’un au-dessus de la cheminée, l’autre au-dessus d’une vieille horloge encastrée dans le mur, toute démolie, et dont on voyait le mécanisme compliqué, les poids inertes au bout de leurs cordes.
– Ces deux N, dit Waldemar…
L’Empereur n’écouta pas la réponse. Lupin s’était encore agité, ouvrant les yeux et articulant des syllabes indistinctes. Il se leva, marcha à travers la salle, et retomba exténué.
Ce fut alors la lutte, la lutte acharnée de son cerveau, de ses nerfs, de sa volonté, contre cette torpeur affreuse qui le paralysait, lutte de moribond contre la mort, lutte de la vie contre le néant.
Et c’était un spectacle infiniment douloureux.
– Il souffre, murmura Waldemar.
– Ou du moins il joue la souffrance, déclara l’Empereur, et il la joue à merveille. Quel comédien !
Lupin balbutia :
– Une piqûre, docteur, une piqûre de caféine… tout de suite…
– Vous permettez. Sire ? demanda le docteur.
– Certes… Jusqu’à midi, tout ce qu’il veut, on doit le faire. Il a ma promesse.
– Combien de minutes… jusqu’à midi ? reprit Lupin.
– Quarante, lui dit-on.
– Quarante ?… J’arriverai… il est certain que j’arriverai… Il le faut…
Il empoigna sa tête à deux mains.
– Ah ! Si j’avais mon cerveau, le vrai, mon bon cerveau qui pense ! Ce serait l’affaire d’une seconde ! Il n’y a plus qu’un point de ténèbres… Mais je ne peux pas… ma pensée me fuit… je ne peux pas la saisir… c’est atroce…
Ses épaules sursautaient. Pleurait-il ?
On l’entendit qui répétait :
– 813… 813…
Et, plus bas :
– 813… un 8 un 1… un 3… oui, évidemment… mais pourquoi ?… ça ne suffit pas.
L’Empereur murmura :
– Il m’impressionne. J’ai peine à croire qu’un homme puisse ainsi jouer un rôle…
La demie… les trois quarts…
Lupin demeurait immobile, les poings plaqués aux tempes.
L’Empereur attendait, les yeux fixés sur un chronomètre que tenait Waldemar.
– Encore dix minutes… encore cinq…
– Waldemar, l’auto est là ? Tes hommes sont prêts ?
– Oui, Sire.
– Ton chronomètre est à sonnerie ?
– Oui, Sire.
– Au dernier coup de midi alors…
– Pourtant…
– Au dernier coup de midi, Waldemar.
Vraiment la scène avait quelque chose de tragique, cette sorte de grandeur et de solennité que prennent les heures à l’approche d’un miracle possible. Il semble que c’est la voix même du destin qui va s’exprimer.
L’Empereur ne cachait pas son angoisse. Cet aventurier bizarre qui s’appelait Arsène Lupin, et dont il connaissait la vie prodigieuse, cet homme le troublait et, quoique résolu à en finir avec toute cette histoire équivoque, il ne pouvait s’empêcher d’attendre et d’espérer.
Encore deux minutes… encore une minute. Puis ce fut par secondes que l’on compta.
Lupin paraissait endormi.
– Allons, prépare-toi, dit l’Empereur au comte.
Celui-ci s’avança vers Lupin et lui mit la main sur l’épaule.
La sonnerie argentine du chronomètre vibra… une, deux, trois, quatre, cinq…
– Waldemar, tire les poids de la vieille horloge.
Un moment de stupeur. C’était Lupin qui avait parlé, très calme.
Waldemar haussa les épaules, indigné du tutoiement.
– Obéis, Waldemar, dit l’Empereur.
– Mais oui, obéis, mon cher comte, insista Lupin qui retrouvait son ironie, c’est dans tes cordes, et tu n’as qu’à tirer sur celles de l’horloge… alternativement… une, deux… À merveille… Voilà comment ça se remontait dans l’ancien temps.
De fait le balancier fut mis en train, et l’on en perçut le tic-tac régulier.
– Les aiguilles, maintenant, dit Lupin. Mets-les un peu avant midi… Ne bouge plus… laisse-moi faire…
Il se leva et s’avança vers le cadran, à un pas de distance tout au plus, les yeux fixes, tout son être attentif.
Les douze coups retentirent, douze coups lourds, profonds.
Un long silence. Rien ne se produisit. Pourtant l’Empereur attendait, comme s’il était certain que quelque chose allait se produire. Et Waldemar ne bougeait pas, les yeux écarquillés.
Lupin, qui s’était penché sur le cadran, se redressa et murmura :
– C’est parfait… j’y suis…
Il retourna vers sa chaise et commanda :
– Waldemar, remets les aiguilles à midi moins deux minutes. Ah ! Non, mon vieux, pas à rebrousse-poil… dans le sens de la marche… Eh ! Oui, ce sera un peu long… mais que veux-tu ?
Toutes les heures et toutes les demies sonnèrent jusqu’à la demie de onze heures.
– écoute, Waldemar, dit Lupin…
Et il parlait, gravement, sans moquerie, comme ému lui-même et anxieux.
– écoute, Waldemar, tu vois sur le cadran une petite pointe arrondie qui marque la première heure ? Cette pointe branle, n’est-ce pas ? Pose dessus l’index de la main gauche et appuie. Bien. Fais de même avec ton pouce sur la pointe qui marque la troisième heure. Bien… Avec ta main droite enfonce la pointe de la huitième heure. Bien. Je te remercie. Va t’asseoir, mon cher.
Un instant, puis la grande aiguille se déplaça, effleura la douzième pointe… Et midi sonna de nouveau.
Lupin se taisait, très pâle. Dans le silence, chacun des douze coups retentit.
Au douzième coup, il y eut un bruit de déclenchement. L’horloge s’arrêta net. Le balancier s’immobilisa.
Et soudain le motif de bronze qui dominait le cadran et qui figurait une tête de bélier, s’abattit, découvrant une sorte de petite niche taillée en pleine pierre.
Dans cette niche, il y avait une cassette d’argent, ornée de ciselures.
– Ah ! fit l’Empereur… vous aviez raison.
– Vous en doutiez, Sire ? dit Lupin.
Il prit la cassette et la lui présenta.
– Que Sa Majesté veuille bien ouvrir elle-même. Les lettres qu’elle m’a donné mission de chercher sont là.
L’Empereur souleva le couvercle, et parut très étonné…
La cassette était vide.