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I
Conte du tsar Agaphon et de son empire Primorskoie tsarstvo

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Il était une fois le tsar Agaphon. Il régnait sur Primorskoié Tsarstvo. C'était un petit royaume comprenant tout au plus deux forêts, deux rivières et un marais où se cueillaient les airelles. Comme son nom l'indiquait, le Primorskoié Tsarstvo s'étendait en bordure d'une mer immense. Des bâteaux sillonnaient cette mer immense et transportaient des marchandises. Le royaume était fier de ses deux villes et de ses huit villages. La capitale s'appelait Karass. C'est là que se trouvait le palais du tsar, où ce dernier résidait, rendait la justice et recevait les ambassadeurs étrangers. La ville devait son nom étrange à sa situation sur les bords du lac de Karass, dont les eaux regorgeaient de carassins. Chaque matin les pêcheurs sortaient et revenaient les filets pleins de carassins, mais il y en avait toujours autant le lendemain. Le nom de sa capitale déplaisait beaucoup au tsar. Il aurait aimé pour elle un nom un peu plus solennel. Un nom comme Vitiazgrad ou encore comme Gorod-Bogotyreï par exemple, en l'honneur des preux et des chevaliers, ou bien pourquoi ne pas appeler la ville tout simplement Gorod Agaphon en l'honneur de son tsar? Cette dernière variante lui souriait le mieux. Hélas, cela ne passa jamais dans les moeurs. En dépit des moult décrets du tsar, tout le monde continuait à appeler la ville Karass. Une haute tour abritait la résidence d'un scribe. Il inscrivait tout ce qui se passait au palais. Toute la tour était comme tapissée d'armoires emplies de livres. Et dans ces livres était consignée toute l'histoire de l'empire Primorskoié Tsarstvo depuis les temps les plus anciens, depuis l'époque même où le très puissant chevalier Slavodol était arrivé avec sa tribu sur les rives du lac Karasseï et avait fondé la ville de Karass. A cette époque si lointaine les manuscrits n'étaient pas encore sous forme de livres mais sous forme de rouleaux.

La capitale avait aussi son école. Les petits garçons y étudiaient les différentes sciences. Agaphon était très fier de cette école: "Nous avons une école et les sciences ici progressent. Tandis que nos voisins n'ont rien de tel, ce sont des barbares incultes". Mais l'école était interdite aux petites filles. Agaphon pensait que les femmes étaient plus bêtes que les hommes et qu'elles ne devaient pas étudier. Sa propre fillette Alionouchka ne cessait de lui demander: "Papa, laisse-moi aller à l'école, je veux apprendre à lire et écrire, je veux lire des livres!". Rien à faire, Agaphon ne cédait pas.

– Non, tu restes à la maison! Apprends à carder la laine et à coudre des roubachkas! Voilà toute l'école qu'il te faut! – répondait-il.

Une deuxième ville se dressait en bord de mer. Mais si petite qu'il était difficile de dire si c'était une ville ou un village. C'est pourquoi on l'appela Mal-Gorod, qui signifie petite ville. Il y avait un port où s'amarraient les navires marchands. Un deuxième port avait été aménagé à l'abri d'une petite crique pour les deux bateaux de guerre du tsar Agaphon. Agaphon aurait bien aimé posséder une imposante flotte, mais pour l'heure, son royaume ne pouvait se permettre que ces deux petits navires.

Un phare signalait la ville. Il permettait aux bâteaux en mer de trouver leur chemin et de contourner les récifs sous-marins. Il y avait aussi une école de navigation. On y apprenait à diriger les navires, à s'orienter en mer d'après les étoiles, à affronter les tempêtes. On apprenait aussi comment construire des navires plus rapides que le vent.

Trois bons sorciers vivaient dans le royaume de Primorskoie Tsarstvo. L'un d'eux savait guérir les animaux et les habitants. Il connaissait toutes les herbes et toutes les racines, toutes les formules magiques capables de chasser tous les maux. Il n'y avait pas une maladie qui puisse résister à ce magicien. Le second savait faire venir la pluie et le beau temps. Quand sévissait la sécheresse, il ramenait la pluie dans le ciel. Quand il pleuvait trop longtemps, il dispersait les nuages. Il savait calmer la tempête sur la mer et faire souffler le vent dans les voiles des navires.

Les sorciers aidaient les gens et sauvaient la vie à beaucoup d'entre eux. Soit en les guérissant d'une grave maladie, soit en sauvant leur navire en pleine tempête d'un naufrage certain contre les rochers.

Le troisième sorcier vivant dans le royaume s'appelait Silentin. Il était très vieux et très sage. Silentin avait étudié à l'école des sorciers sur l'île enchantée. Il était très savant et faisait toujours volontiers profiter de ses connaissances. Pourtant, il ne faisait presque plus de sorcellerie, parce qu'il se faisait vieux, disait-il.

Le tsar Agaphon, qui aimait la paix, était ami avec les voisins. Ses voisins étaient au nombre de quatre: un territoire dirigé par un autre tsar, deux royaumes et une épaisse forêt très sombre. On disait qu'au plus profond de cette forêt vivait le serpent Gorinytch. En vérité, personne ne savait rien de précis à ce sujet, pour la bonne raison que personne n'en était jamais revenu vivant.

Le tsar voisin s'appelait Varfoloméiev. Son royaume ne comptait qu'une ville en tout et pour tout. En revanche, cette ville était célèbre pour son marché très animé où les gens venaient de tous les pays acheter ou vendre des marchandises. Ce marché rapportait beaucoup d'argent. Il faisait la fortune du tsar Varfolomeiev.

Le second voisin était surnommé le Crabe. Il était petit et gros. En revanche, il avait de longues mains qui ressemblaient vraiment à des pinces. De plus, comme un vrai crabe, il s'efforçait toujours d'attrapper avec ses pinces le plus de biens possibles pour les amener dans son palais. Ce roi accablait ses habitants d'impôts élevés et de pillages. Les gens vivaient très pauvrement dans ce pays.

Le troisième voisin était le roi Metchiar. Ce voisin-là adorait les armes. Tous les murs de son palais étaient couverts d'épées et de lances. Il avait fait construire une forteresse autour du château. Métchiar, qui était très grand, rêvait avec sa force de chevalier de conquérir tous ses voisins. Dans ce but, il rassembla une armée très puissante. Il faisait venir en effet sous sa bannière les preux de tous les pays. L'affaire demandait encore du temps et des efforts. C'est pourquoi, en attendant, il n'avait jusque là attaqué personne.

L'été, dans ces contrées, la mer était chaude et la brise caressante. Les garçons aimaient s'y baigner et venir y pêcher. L'hiver en revanche amenait sur les côtes de terribles tempêtes où bien des navires sombraient.

De mémoire d'homme, les voleurs et les brigands n'existaient pas dans le royaume de Primorskoié Tsarstvo. Les habitants ne verrouillaient pas leurs maisons et les hôtes étaient toujours bienvenus.

Le tsar avait une fille unique, il n'avait pas eu d'autres enfants. Quand elle était petite, on l'appelait Alionouchka, mais en grandissant, elle était devenue d'une si prodigieuse beauté qu'on l'avait appelée désormais Elena Prékrasnaia, qui signifie Elena la très belle. Tout aurait été le mieux du monde si Elena avait été une enfant docile. Mais [au grand malheur de son père], elle n'aimait ni la couture ni la cuisine, elle adorait en revanche prendre son cheval et galoper à travers champs, ou monter en bâteau et naviguer en mer. Et le plus gros souci d'Agaphon était qu'il n'y avait rien à faire pour la marier. Elle ne voulait donner son consentement à aucun prince des parages. De nombreux prétendants se présentaient pour l'épouser, mais elle les chassait tous. Pas un n'était à son goût. L'un était bête, l'autre avare, le troisième était gringalet, quant au quatrième, il ne pouvait pas naviguer en mer. Tout tsar qu'il était, le malheureux père désespérait. Un beau jour, il finit par dire à sa fille avec un geste de lassitude: "Cherche-toi un mari toi-même. Celui que tu trouveras, je lui donnerai ta main".

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