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I.

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Table des matières

L’homme dont j’inscris le nom en tête de cette notice n’a trouvé jusqu’ici que des accusateurs. Le rôle actif, mais pourtant secondaire, qu’il joua dans le grand drame de la Révolution, lui a valu, depuis bientôt soixante ans, les injures unanimes des folliculaires et des biographes à la suite. On n’a pas nié seulement sa conscience politique, mais encore sa probité privée. — C’est ce que l’on appelle un acteur sacrifié, et la scène révolutionnaire n’en offre que trop d’exemples. — Les quelques écrivains de bonne foi qui ont entrepris de montrer dans leur vrai jour les fondateurs de la liberté française ne l’ont pas fait eux-mêmes avec une justice égale pour tous. En s’empressant d’écarter des plus hautes têtes les malédictions dont les partis vaincus les avaient chargées, ils ont rejeté l’anathème sur celles que le hasard ou le génie n’avaient pas élevées au premier rang. Certains noms malheureux se trouvent ainsi responsables des désastres de toute une époque, et fatalement voués à la réprobation.

Sergent devra-t-il porter un pareil nom devant la postérité ? Voici l’instant de le dire. Il vient de terminer sur une terre étrangère sa longue et aventureuse existence: c’est maintenant à l’histoire impartiale d’examiner ses actes et de les juger. — J’ai l’espoir d’apporter au procès quelques pièces justificatives. Possesseur de nombreux documents laissés par Sergent lui-même, je pourrais me borner à les publier; mais, sans prendre le temps — qui serait long peut-être — de coordonner ces mémoires et d’en relier les fragments, je veux, dès aujourd’hui, par le simple récit d’une vie toute d’abnégation et de dévouement, dissiper les préventions et forcer la calomnie au silence. Je veux et je dois le faire, d’abord par amour pour la vérité, ensuite par intérêt pour un compatriote, et par affection pour le souvenir d’un vieillard qui m’appelait son ami.

Antoine-François Sergent naquit à Chartres le 9 octobre 1751. Il était le fils unique d’Antoine Sergent et de Catherine-Madeleine Frémy. Cette origine ne lui promettait que d’obscures et laborieuses destinées, car son père, issu d’une famille d’artisans, exerçait la profession d’arquebusier1, peu lucrative à cette époque, surtout en province. — Sergent perdit sa mère avant d’avoir pu la connaître. Sa jeunesse et son éducation n’en souffrirent pourtant pas: il fut mis promptement au collége, et il eut le bonheur de retrouver dans la mère d’un de ses condisciples, Mme Vallou de la Garenchère, le soutien naturel que la mort lui avait trop tôt ravi. Cette femme généreuse guida l’enfant de ses conseils et protégea l’adolescent de son crédit. Le jeune Sergent, dont les premiers goûts s’étaient portés vers les arts, ayant acquis, dès l’âge de quatorze ans, une certaine habileté comme dessinateur, fut produit dans le monde et recommandé par sa bienfaitrice, qui lui procura des travaux et des élèves. Le novice professeur put ainsi payer les leçons de ses propres maîtres, car il était encore doublement écolier lui-même.

Quoiqu’il se distinguât de ses compagnons de classe par une gravité précoce, tous l’aimaient pour son esprit facile et conteur, pour son caractère expansif, affectueux, et même enclin, comme on dit, à la sentimentalité. — Après Vallou, qu’une maladie de poitrine enleva de bonne heure à sa mère, le plus cher camarade que le collége eût donné à Sergent, était le fils d’un notaire de la ville, nommé Foreau, qui habitait la petite rue du Chapelet. C’est là qu’il courait passer les instants de loisir que ses occupations lui laissaient. — Tout s’enchaîne dans la vie, et ce détail n’est pas aussi indifférent qu’il le semble. — De la chambre de son ami, l’artiste de quinze ans voyait souvent, assise près d’une fenêtre en face, travaillant à quelque ouvrage de couture ou lisant vers la tombée du jour, une jeune fille encore presque enfant par son âge, mais déjà femme par l’épanouissement de sa beauté. Cette jeune fille, entrevue ainsi, avait allumé dans le cœur de Sergent un amour qui ne devait s’éteindre qu’avec lui. — On l’appelait alors Mlle Marie Desgraviers 2; elle se nomma plus tard Émira Marceau. Son naïf et discret amant lui vouait toutes ses pensées, mais n’osait élever ses prétentions jusqu’à elle. Durant deux années entières, il borna son ambition à venir chaque jour contempler de loin son idole, retournant tout joyeux au travail lorsqu’il avait surpris un de ses regards ou cru entendre le son de sa voix. Éternel roman de la jeunesse! heureux temps, dont le vieux conventionnel a bien des fois évoqué le souvenir dans les tristes heures de l’exil!

Mais Sergent, par qui son père faisait buriner des fantaisies sur les crosses de fusil de sa fabrique, avait senti se révéler sa véritable vocation, et voulait étudier l’art de la gravure. Il partit pour Paris dans les premiers mois de 1768, et entra comme élève pensionnaire chez Augustin de Saint-Aubin. Après avoir reçu pendant trois ans les leçons de cet illustre maître, qui lui donna tout l’esprit et toute la finesse de sa touche, il revint à Chartres avec l’intention de s’y fixer, malgré le peu de ressources qu’une ville de province offrît à son talent. Le jeune artiste ne retrouva plus les choses comme il les avait laissées: Marie Desgraviers, l’objet de son culte fervent, était mariée depuis longtemps déjà. On avait à peine attendu qu’elle eût accompli sa quinzième année pour disposer de sa main. Son père, qui venait alors de contracter un second mariage, cause de l’empressement qu’il mettait à pourvoir sa fille, lui avait choisi pour époux, parmi tous les prétendants, M. Champion de Cernel, procureur à Chartres. — La vie d’Émira fut tellement liée à celle de Sergent, qu’il m’est impossible de ne pas les confondre ici; l’une ne s’explique réellement que par l’autre; et, quoiqu’il puisse paraître futile de mêler une intrigue amoureuse à la biographie d’un conventionnel, je suis forcé d’y mettre quelque insistance. — Mme Champion, est-il besoin de le dire? n’aimait pas son mari, imposé à sa faiblesse par l’autorité paternelle, beaucoup plus vieux qu’elle d’ailleurs, et dont le genre de caractère s’accordait mal avec la fierté du sien. Résolue néanmoins à respecter le nom qu’elle portait contre son libre choix, elle chercha, dans l’étude des sciences et dans la culture des arts, des distractions à ses ennuis domestiques. Un pressentiment secret lui disait-il que, vingt-cinq ans plus tard, attachée à la fortune d’un proscrit, elle aurait besoin pour vivre d’utiliser ses talents? — Après s’être adonnée tour à tour à la botanique, à l’horticulture, à la physique, etc., la jeune femme eut l’idée d’apprendre le dessin. Sergent, qui avait repris ses cours tout en s’occupant de gravure, dut à cette circonstance d’être admis enfin auprès d’elle. La compter au nombre de ses élèves, la voir, lui parler chaque jour, ce fut une grande joie pour son cœur, et il n’en rêva pas d’autre, avec cette imagination sentimentale qui resta jusqu’au bout le cachet de son caractère. Mme Champion avait du reste — on le verra par la suite — une conscience de ses devoirs et une noblesse d’idées qui lui donnaient la force de résister à tout entraînement. Sans doute, elle ne tarda pas à découvrir l’amour profond dont elle était l’objet; sans doute, le professeur, quand il fut devenu l’habitué de la maison, reçut plus d’une douloureuse confidence; mais ceux qui ont taxé d’immorale cette union de deux âmes ne connaissaient pas Sergent, et connaissaient encore moins la sœur de Marceau.

Dix ans s’écoulèrent sans apporter de changement dans ces relations, d’autant moins épargnées de la malignité publique, qu’elles ne prenaient aucun soin de se cacher. Les deux platoniques amants se trouvaient absous dans leur conscience. Sergent vivait calme, presque heureux; il atteignait à sa trentième année, et rien, il faut bien le dire, n’annonçait encore chez lui l’ardent révolutionnaire. Il était parvenu à se faire une position modeste en cultivant son art, cette autre passion de sa jeunesse, la seule qu’il dût trahir un jour. Avec le temps, son talent avait grandi et l’ouvrage était venu. Il gravait des médailles 3, des armoiries, des estampes pour les bréviaires et les missels. La municipalité de Chartres concourait, par une subvention de 800 livres, à la, publication qu’il avait entreprise d’un plan de cette ville et d’une vue de sa cathédrale 4. Dans le prospectus rédigé par Sergent lui-même on lisait, à propos de ce monument, la phrase suivante, qui montre combien alors ses idées étaient loin de la politique:

«.....La cérémonie du sacre de Henri IV fut faite dans cette église par M. de Thou, évêque du diocèse. La génération présente se rappelle encore avec attendrissement le voyage qu’y ont fait les augustes pères du souverain qui fait aujourd’hui le bonheur de la France.....»

Étrange destinée! l’homme qui laissait tomber avec indifférence cette banalité de sa plume allait, neuf ans après, dans sa conviction, voter la mort de Louis XVI!

C’est que les idées de liberté, de régénération Sociale agitées par la philosophie nouvelle n’avaient encore pénétré que dans certaines sphères; elles ne s’étaient pas répandues parmi le peuple et surtout parmi le peuple des provinces. Chaque jour, cependant, elles se propageaient davantage: la presse et la discussion, qu’elles-mêmes avaient créées, s’apprêtaient à leur donner l’essor, et, sous cette impulsion puissante, elles devaient bientôt tout envahir. — Comme dans la vie de la nation, les événements se précipitèrent tout d’un coup dans la vie de l’humble artiste. Le premier qui vint la troubler y jetait un découragement profond. Mme Champion avait subitement quitté Chartres. Une querelle conjugale dont je n’ai point à rechercher la cause, parce que Sergent y fut tout à fait étranger, l’avait déterminée à se séparer de son mari. D’après le conseil même de M. Desgraviers, qui se rangeait trop tard du côté de sa fille, elle était allée s’enfermer au couvent de Louie, à douze lieues de Paris. — Trois ans après, Sergent partait à son tour s’établir dans cette ville. — Outre que le séjour de Chartres lui était devenu insupportable, il songeait à donner un plus large cours à son talent, qui, fécondé par l’étude, avait atteint toute sa maturité. Aucune arrière-pensée, aucun motif inavouable ne le poussait, quoi qu’on en ait dit, à changer le cercle de sa vie. Non. Il savait que Mme Champion — cœur ardent, mais volonté ferme, invariable — malgré sa rupture formelle avec son mari, n’oublierait jamais ce que lui commandait son propre honneur. En effet, lors même que, plus tard, elle usa du bénéfice de la loi du divorce, ce fut uniquement afin de répudier son passé, mais non point dans le but de s’unir à Sergent. Si légalement sa chaîne était brisée, le lien moral subsistait toujours à ses yeux. Pour qu’elle se crût en droit de disposer d’elle-même, il fallut que le conventionnel fût accusé, proscrit, malheureux. Alors seulement elle devint sa femme ou plutôt elle resta son amie, mais elle eut le droit de le suivre dans l’exil!

Sergent savait donc qu’un rapprochement entre eux ne serait point un motif pour flatter ses espérances. Cependant il l’engagea et finit par la décider à venir prendre pension dans un couvent de Paris. Une considération influa puissamment sur la résolution de la jeune femme: il lui répugnait de rien devoir au mari qu’elle avait quitté ; elle voulut ne tenir son existence que d’elle-même, et il fut convenu que Sergent lui enseignerait la gravure, comme autrefois il lui avait enseigné le dessin. — Au bout de deux ans, l’élève était devenue assez habile pour que son maître lui confiât l’exécution de plusieurs portraits dans une galerie des Personnages célèbres de l’histoire de France, qu’il faisait alors paraître par livraisons mensuelles, mais dont il n’acheva pas la publication... Sa carrière d’artiste était finie.

Les événements de 1789 éclatèrent comme une tempête. Le peuple de Paris, altéré de gloire, de liberté, de vengeance, descendit de ses ateliers dans la rue et se jeta au milieu de l’orage qui grondait, demandant à Dieu de lui prêter sa foudre! Sergent, mêlé depuis quatre années à cette population fiévreuse, n’avait pu échapper à la contagion des idées; sa nature impressionnable s’était émue de toutes les passions de la foule. Il s’élança donc à travers la mêlée politique avec toute la ferveur de l’enthousiasme et tout le dévouement de la foi. Pourtant, lorsqu’il croyait n’obéir qu’à ses convictions intimes, une autre force le poussait à son insu dans le tourbillon révolutionnaire. Il avait près de quarante ans alors, mais il serait plus juste de dire qu’il avait deux fois vingt ans, car il n’avait pas vieilli. Son esprit et son cœur étaient restés jeunes de toute leur jeunesse; ils étaient pleins d’une ardeur et d’une activité qui n’avaient pu, jusque-là, se faire jour au dehors. Les sentiments qu’un amour chaste avait tenus si longtemps comprimés en lui, et qui n’attendaient qu’une occasion pour déborder, trouvaient enfin dans les émotions de la place publique une large voie d’expansion: voilà surtout, voilà pourquoi Sergent se précipita corps et âme en avant: — Et c’est aussi la raison qui m’a fait suivre les phases de son premier et unique amour. Il fallait d’abord lui en tenir compte, car toute sa destinée était là.

A.-F. Sergent, député de Paris à la Convention nationale

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