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Amants.

Magistrats (juges, procureurs, notaires, etc.)5 sur 100

Médecins 10 sur 100

Universitaires { Maîtres d'étude 45 sur 100

{ Professeurs 5 sur 100

Officiers { Jusqu'à capitaine 95 sur 100

{ Au delà de capitaine 5 sur 100

Peintres 80 sur 100

Sculpteurs 50 sur 100

Musiciens 25 sur 100

Architectes 50 sur 100

Acteurs { tragiques 20 sur 100

{ ténors 60 sur 100

{ comiques 99 sur 100

Commerçants { Commis 95 sur 100

{ Chefs de rayon 25 sur 100

{ Patrons 5 sur 100

Hommes de { Journalistes 50 sur 100

lettres. { Auteurs dramatiques 20 sur 100

{ Romanciers 15 sur 100

{ Poètes 30 sur 100

{ Académiciens 1 sur 100

Agents de change 2 sur 100

Banquiers 2 sur 100

Chefs d'État (rois, présidents, ministres) 1 sur 10.000

Etc., etc., etc.

Il y aurait à dresser une liste contraire, qui serait celle des hommes ayant possédé le plus de femmes, et l'on trouverait que les professions les plus rebelles à l'amour désintéressé sont inversement les plus propices à l'autre amour. Il est probable que les banquiers et les médecins sont, par exemple, ceux qui ont eu le plus d'aventures. Mais la femme du monde qui se donne au richissime Salomon Mosé, parce qu'elle a une forte note à payer, ou la bourgeoise qui se laisse prendre par son docteur parce qu'il est audacieux, discret, habile, et qu'elle a besoin de son aide pour la direction de sa vie conjugale, ne cèdent ni l'un ni l'autre à un sentiment qui, de loin ou de près, ressemble à l'amour. J'ajouterai que la liste dressée plus haut, en l'admettant comme à demi vraie, porterait avec elle son enseignement consolateur. Elle prouve en effet que l'homme est d'autant plus aimé qu'il est moins haut dans la société. Vous, magistrat ou professeur, vous avez voulu l'honorabilité, la sécurité, le droit de censurer, de régenter, juger, condamner, vous l'avez, mais pas l'amour.—Vous, homme d'affaires, vous avez voulu la grosse fortune, la magnifique sécurité des dix millions, et le somptueux décor que comporte un luxe princier. Vous avez tout cela, mais pas l'amour.—Vous, ambitieux, vous avez voulu le pouvoir, vous l'avez, mais pas l'amour.—Vous écrivain, vous avez voulu la renommée, le chiffre: quatre-vingtième mille, sur votre dernier roman, les mots: deux centième représentation, sur les affiches, au-dessous du titre de votre pièce. Mais vous vous apercevez que votre maîtresse, en entrant dans votre lit, vient coucher avec votre réputation ou votre influence, tandis que le petit reporter anonyme qui se fait deux cents pauvres francs au Conservateur est aimé pour lui-même, ainsi que le peintre, l'officier, le jeune employé de nouveautés, tous gens qui n'ont pas la poche garnie, dont l'avenir est problématique; mais ils sont jeunes, insouciants, et pour eux l'amour est la grande affaire, comme pour l'académicien unique qui se rencontre toujours parmi les Quarante.—Cherchez celui d'aujourd'hui.—Il y a soixante-dix ans, cet académicien était tout bonnement le premier écrivain du siècle, ce mystérieux et passionné Chateaubriand, qui désertait l'Abbaye-au-Bois, sa femme, Mme Récamier, les Mémoires d'outre-tombe et les commissions, pour aller dans un petit restaurant, près du jardin des Plantes, se faire chanter du Béranger par une personne aimable, qui raconta ces déjeuners plus tard, en ajoutant: «Le reste du jour, le culte de deux vieilles femmes m'était une garantie de sa fidélité!»—Laissons de côté l'acteur comique, le triomphateur de la liste. C'est du magnétisme, un inexplicable pouvoir de sorcellerie, un envoûtement J'entends encore une jeune Anglaise, blanche comme un lis, dont elle avait la taille, une bouche idéalement triste, des yeux de songe, me dire à la première représentation du Luthier de Crémone, après avoir applaudi Coquelin à en déchirer ses gants:

—«Si vous saviez comme je souffre, quand il joue un personnage où on rit de lui....»

Par scrupule.—Si bizarre que puisse paraître ce phénomène aux yeux d'un enfant du siècle, l'homme qui reste chaste pour obéir à l'Eglise se rencontre de nos jours,—et très fréquemment en province. C'est d'ordinaire, comme tous les solides croyants, un garçon de nature forte, que le tempérament tourmente, et qui, vers la vingt-cinquième année, est devenu chauve et très rouge. Il est à la fois usé et congestionné par la tentation. On le marie. Et si par hasard sa femme devient malade ou meurt, la congestion revient à la face du pauvre mari, qui reste pourtant fidèle à cette épouse, qu'elle soit simplement alitée ou morte. Il entre dans la politique et devient un merveilleux agent électoral. Au temps jadis il eût été un héros des Croisades ou des guerres religieuses, un chevalier de Malte comme celui que le Giorgione a peint aux Uffizi, tournant son chapelet noir entre ses doigts, si mélancolique de foi profonde et de passions vaincues. Nos sensations comprimées nourrissent notre sentiment. La chair, une fois domptée, ajoute à notre âme. Mais combien savent cette grande loi de la vie morale, aujourd'hui?

Par froideur....

Par mauvais goût....

Mais le détail de ces catégories d'exclus serait infini. Si vous voulez examiner maintenant, parmi les individus de votre entourage, ceux qui doivent être rangés dans l'une ou l'autre des neuf classes que nous nous sommes contenté d'indiquer, vous apercevrez cette triste mais indiscutable vérité, que le nombre des civilisés mis en dehors de l'amour tel que je l'ai défini est incalculable. Vous vous expliquerez, par la même occasion, quelques phénomènes sociaux inintelligibles sans cette analyse: par exemple, l'extraordinaire sottise avec laquelle la plupart des hommes jugent les femmes, leur basse jalousie contre ceux qu'elles ont l'air de distinguer, l'importance ridicule qu'ils attachent au moindre semblant d'aventure, la férocité de leur mépris, ou plutôt de leur rancune, contre les amoureuses, la joie profonde qu'ils éprouvent à se mêler des intrigues galantes pour les brouiller, la félicité avec laquelle ils voient vieillir une jolie femme et leur allégresse à dire: «Ça y est; elle a reçu le coup de lapin...;» la bassesse de leurs plaisirs, qui attesterait seule par sa voracité grossière le peu de souvenirs délicats qu'ils ont au cœur; l'excès d'indignation qu'ils déploient contre l'amant coupable de s'être fait aider par une maîtresse,—ce qui, étant donnée l'opinion commune sur les beaux mariages, constitue une des plus joyeuses hypocrisies de notre honnête société;—bref, une quantité de menus faits qui découlent tous de cette loi plus générale:

V

L'homme qui n'a jamais été ou qui n'est plus aimé vit à l'état de colère permanente contre tous les amants.

Physiologie de l'amour moderne

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