Читать книгу Monsieur le Vent et Madame la Pluie - Paul de Musset - Страница 5
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A peu près dans le temps que le bon roi Robert chantait au lutrin, vivait en Bretagne un pauvre meunier appelé Jean-Pierre, qui ne possédait pour tout bien que son moulin, une méchante cabane et un jardin potager, où il plantait des choux et des carottes. Jean-Pierre avait du malheur. Souvent il voyait d’autres moulins qui tournaient sur les collines du voisinage, tandis que le vent ne soufflait pas de son côté ; la pluie tombait dans le fond de la vallée, tandis que les légumes de son jardin dépérissaient par la sécheresse, malgré la peine qu’il prenait de les arroser. Comme il n’avait pas beaucoup d’esprit, Jean-Pierre ne faisait que répéter:
«Hélas! monsieur le Vent, ne voulez-vous donc pas souffler sur mon moulin? Et vous, madame la Pluie, ne tomberez-vous pas dans mon jardin, afin que je puisse gagner ma vie?»
Mais ses lamentations ne servaient à rien; le vent ne les écoutait point, et la pluie ne s’en souciait guère. Pour se désennuyer, le meunier épousa une jolie paysanne nommée Claudine, aussi pauvre que lui, mais active et bonne ménagère. Claudine nettoya la chaumière, raccommoda le linge, remit de l’ordre dans la maison, éleva des poules et porta les œufs au marché ; enfin son ménage commençait à prospérer un peu, lorsqu’elle devint mère d’un garçon, qui reçut le nom de Pierrot. Ce que Claudine avait amassé depuis son mariage suffisait à peine pour acheter un berceau, des langes et tout ce qui est nécessaire à une mère et à son enfant; elle y dépensa jusqu’à son dernier écu. Pour comble de malheur, elle tomba malade, et il fallut appeler le médecin du village. Jean-Pierre négligea son travail pour donner des soins à Claudine, car il n’avait pas de quoi payer une garde, et ces pauvres gens se trouvèrent tout à coup dans une misère affreuse.
Un soir qu’il veillait près de sa femme et de son enfant, qui dormaient tous deux, Jean-Pierre se mit à réfléchir sur sa triste position:
«Si tous mes maux, pensait-il, n’accablaient que moi seul, je ne me plaindrais pas; je suis assez robuste pour endurer le froid et la faim; mais ma femme aurait besoin de feu, de bons aliments, de médicaments pour se guérir, et je n’ai point de bois à mettre dans la cheminée, ni de viande pour faire du bouillon, ni l’argent nécessaire pour aller chez le pharmacien. J’aime mieux ma Claudine et son enfant que tous les trésors de la terre, ainsi je ne regrette point d’avoir épousé une fille aussi pauvre que moi; mais, au moins, si le vent voulait donc souffler sur mon moulin, je me tirerais d’embarras.»
Comme il disait ces mots, Jean-Pierre vit la flamme de la chandelle qui vacillait, et il entendit la girouette rouillée qui tournait sur le toit de la chaumière. Le vent commençait à souffler. Le meunier courut bien vite à son moulin. Il donna du grain à la meule pour toute la nuit; il délia le frein qui retenait les ailes, et aussitôt le moulin tourna et se mit à moudre le blé, et à le changer en son et en farine. Jean-Pierre revint ensuite auprès de sa femme qui continuait à dormir, et il se frotta les mains en songeant à l’heureuse nouvelle qu’il aurait à lui apprendre à son réveil.
Cependant la girouette rouillée gémissait avec plus de force; la chandelle faillit s’éteindre, et il fallut la mettre derrière un rideau, car il y avait tant de trous et de crevasses à la chaumière, que des courants d’air y entraient de tous côtés. La fenêtre était ébranlée, la porte remuait sur ses gonds, et la cendre de la cheminée volait à travers la chambre. Au milieu du tapage de la tempête, Jean-Pierre crut entendre les voix des esprits du Vent chuchoter des paroles à ses oreilles:
«Sifflons, disaient ces esprits, sifflons par ce carreau cassé. Tâchons d’arracher le papier qui le bouche. — Gémissons, gémissons par ce trou. — Accrochons-nous au chaume de cette masure. — Poussons, poussons cette porte mal attachée. — Bourdonnons, bourdonnons dans cette cheminée.»
Malgré l’étonnement que lui causaient ces voix mystérieuses, le meunier ne s’effraya point, et il leur répondait:
«Sifflez, gémissez, bourdonnez tant qu’il vous plaira, pourvu que mon moulin tourne.»
Au même instant, le loquet, qui ne tenait à rien, sauta, la porte s’ouvrit toute grande, et Jean-Pierre vit entrer une figure extraordinaire. C’était un personnage qui ressemblait plus à un génie qu’à un homme. Son corps pouvait se ployer dans tous les sens, tant il avait de souplesse et d’élasticité. Ses yeux brillaient comme du phosphore. Tantôt ses joues paraissaient maigres et plissées, tantôt elles s’enflaient comme des ballons. Sa large poitrine faisait le bruit d’un soufflet de forge. Les deux grandes ailes qu’il avait aux épaules n’auraient pas pu se déployer dans la chambre. Un manteau rouge d’une étoffe légère flottait autour de lui en faisant tant de plis, qu’on ne distinguait pas précisément les formes de son corps. Ses pieds rasaient la terre sans qu’il se donnât la peine de marcher; cependant, comme il venait de fort loin, il paraissait un peu fatigué :
«Donne-moi une chaise, dit-il à Jean-Pierre, que je me repose un moment chez toi, avant de poursuivre ma route.»
Le meunier offrit avec empressement sa meilleure chaise de paille.
«Asseyez-vous, monseigneur, dit-il, et reposez-vous chez moi aussi longtemps que vous voudrez. Ayez seulement la bonté de parler plus bas pour ne point réveiller ma femme qui est malade, et mon enfant nouveau-né.
— Ne crains rien, répondit l’étranger, le murmure de mes paroles les endormira, au contraire, plus profondément, Je suis M. le Vent, à qui tu as plusieurs fois adressé des prières. Tu ne t’étonneras pas de me voir un peu essoufflé quand tu sauras qu’en moins d’une heure je viens de visiter les côtes de la Bretagne entière, et de parcourir un grand espace sur l’Océan. Ton seigneur, dont le château est voisin, n’a pas voulu me recevoir. Ses gens ont fermé les portes avec de gros verrous, les fenêtres avec des volets solides, recouverts de tentures épaisses; c’est à peine si j’ai pu pénétrer dans ses escaliers par la lucarne d’une tour, et dans ses cuisines par un petit soupirail. Je me suis vengé sur les sentinelles qui montent la garde dans les cours du château, en renversant leurs guérites. Chez toi, au contraire, je trouve les murs percés à jour, le toit ouvert, les vitres brisées, le loquet mal attaché. Je n’ai eu qu’à pousser la porte pour entrer dans ta chaumière. Voilà une maison comme je les aime. Tu ne possèdes qu’une mauvaise chaise de paille, et tu me l’as présentée de bonne grâce: je te sais gré de cet accueil hospitalier. Demande-moi quelque service, Jean-Pierre, et je te le rendrai volontiers.
— Monsieur le Vent, dit le meunier, tout ce que je vous demande, c’est de souffler trois ou quatre heures par jour sur mon moulin.
— Mon pauvre Jean-Pierre, répondit M. le Vent, il ne m’est pas permis de sortir tous les jours. Madame la Pluie occupe le ciel pendant le tiers de l’année, et me chasse, comme une ingrate, aussitôt que j’ai amené ses nuages. Le soleil s’arrange encore plus mal avec moi. Je vis enfermé dans ma caverne pendant des mois entiers; mais j’aurai soin de t’envoyer les zéphyrs et les petits esprits qui vont, par mon ordre, examiner le pays matin et soir, et je leur commanderai de ne pas oublier ton moulin. Quand tu seras embarrassé, malheureux ou persécuté, viens me trouver dans ma caverne, et je te donnerai du secours. Je demeure là-haut, tout au faîte de la montagne du Midi.
— Eh! monsieur le Vent, s’écria Jean-Pierre, je suis malheureux et embarrassé à présent même. Venez tout de suite à mon secours.
— Il est trop tard pour aujourd’hui, répondit M. le Vent. Il faut que je parte à l’instant pour Paris, où j’ai une douzaine de cheminées à jeter par terre; et, dans une demi heure, je dois être rentré chez moi, car voici madame la Pluie qui me marche sur les talons. Adieu, Jean-Pierre.»
En parlant ainsi, M. le Vent s’élança d’un bond par la porte, déploya ses grandes ailes, et disparut. Au bout d’une demi-heure, les sifflements, gémissements et bourdonnements diminuèrent et finirent par se taire tout à fait. Le meunier reconnut que le vent était revenu de son voyage et rentré dans sa caverne sur la montagne du Midi; mais les petits esprits qu’il avait laissés derrière lui suffirent à faire tourner le moulin.