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II

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Table des matières

Aussitôt après le départ de M. le Vent, la pluie se mit à tomber, doucement d’abord, et puis ensuite à torrents. Les ruisseaux s’enflèrent, et quand la terre desséchée eut bien bu, il se forma de petites mares d’eau dans lesquelles les gouttes de pluie sonnaient comme des clochettes. Jean-Pierre crut encore entendre les voix des esprits de la Pluie:

«Tombons, disaient ces voix, tombons sur ce toit de chaume. — Mouillons, mouillons toute la maison. — Arrosons ces feuilles de choux. — Coulons sur ces cailloux.—Sonnons dans la gouttière. — Glissons sur cette poutre. —Sautons par ce trou. — Tombons, mouillons tout ce que nous pourrons, petites gouttes, gouttes, gouttes.»

Au lieu d’avoir peur, Jean-Pierre répétait:

«Tombez, mouillez, arrosez tant que vous pourrez; demain mon jardin sera plus vert, et mes légumes se porteront mieux.»

Comme M. le Vent avait brisé le loquet, et qu’il était sorti sans fermer la porte, le battant s’entr’ouvrit de trois ou quatre pouces. Par cet espace étroit, Jean-Pierre vit entrer une grande dame de figure singulière, qui ressemblait plutôt à une fée qu’à une femme. Son corps était un peu vaporeux, et son visage défait, comme si elle relevait de maladie. Ses cheveux ne frisaient point du tout et lui tombaient jusqu’aux talons. Ses yeux étaient voilés par deux ruisseaux de larmes, et son nez un peu enflé par le rhume de cerveau. Sa robe était entièrement grise et son manteau de même. Sur son écharpe de soie brillaient les sept couleurs de l’arc-en-ciel. Cette dame s’avançait lentement sans qu’on vît remuer ses pieds; elle bâillait en étendant ses bras, et paraissait accablée, plutôt d’ennui que de lassitude.


«Donne-moi une chaise, dit-elle à Jean-Pierre, afin que je me repose un instant, avant que je descende dans la vallée.

— Asseyez-vous, madame, dit le meunier. Veuillez seulement parler bas, car ma femme est malade et mon enfant dort.

— Ne crains rien, reprit la dame; le bruit de mes paroles les endormira d’un sommeil meilleur. Je suis madame la Pluie, à qui tu as souvent adressé des invocations. Il y a cinq minutes, j’étais encore à huit cents toises au-dessus de la terre, c’est pourquoi je suis un peu étourdie de ma chute. Le seigneur du château voisin ma fermé au nez ses portes et ses fenêtres; mais je m’en suis vengée en mouillant jusqu’aux os ses sentinelles. Chez toi je trouve des crevasses aux murailles, des vitres brisées et la porte ouverte; aussi j’aime ta chaumière, et je me souviendrai de ton bon accueil. Si je puis te servir à quelque chose, profite de l’occasion; demande-moi ce que tu voudras et je te le donnerai.

— Madame la Pluie, répondit le meunier, que pourrais-je vous demander, sinon de vouloir bien tomber deux ou trois fois par semaine sur les légumes de mon potager?

— Hélas! mon ami, dit la dame, je ne cours pas le monde comme je le voudrais. Le beau temps du déluge est passé. M. le Soleil est plus fort que moi et me repousse dans ma grotte à chaque instant. Quant à madame la Lune. depuis Adam je cherche à deviner si elle m’est favorable ou contraire, et je n’ai pas encore pu éclaircir la chose: mais avec l’aide des astronomes, j’espère bien savoir au juste, d’ici à trois ou quatre mille ans, quelles sont ses intentions à mon égard. On me fait partout mauvaise mine, excepté chez toi. Je suis enfermée pendant les deux tiers de l’année; mais je t’enverrai mes rosées du matin et les petits nuages à qui je donne la clef des champs entre deux rayons de soleil. Si ta femme ou ton enfant éprouvent quelque malheur, ne manque pas de m’en informer; je les prendrai sous ma protection.


— Ah! madame la Pluie, s’écria Jean-Pierre, protégez-les tout de suite: ma femme est malade, et si elle vient à perdre son lait, mon petit Pierrot en mourra.

— Il fallait commencer par me dire cela, répondit la dame. Tu es un maladroit, Jean-Pierre. Je suis obligée de partir bien vite pour aller mouiller les plaines de la Normandie et de la Beauce. Le soleil va bientôt venir sécher tout mon ouvrage. Adieu, honnête Jean-Pierre. Je demeure dans ma grotte de l’Ouest, sur le rivage de la mer.»

Madame la Pluie glissa par la porte entr’ouverte, et s’abattit dans le fond du vallon. Au bout d’une heure, les joues de l’Aurore commençaient à rougir. Les esprits de la Pluie parlaient plus bas. Les ruisseaux n’étaient plus que des filets d’eau qui ne disaient rien; le son des petites clochettes s’éteignit peu à peu. Un grand rayon de soleil dissipa bientôt les nuages, et le meunier comprit que madame la Pluie s’était retirée dans sa grotte de l’Ouest, au bord de la mer.

Jean-Pierre sortit alors de sa cabane, et s’en alla au moulin. Il y trouva de quoi emplir deux sacs de farine. Il courut ensuite au jardin, et il y cueillit des laitues et des choux qui avaient poussé. Il porta la farine chez un fermier, qui lui donna deux écus de six livres, et il vendit les légumes au marché. Sa femme dormait encore lorsqu’il rentra chez lui, avec un fagot de bois sur ses épaules, de l’argent dans sa poche, et de bonnes provisions dans son panier.

Monsieur le Vent et Madame la Pluie

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