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SECTION PREMIÈRE.

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Table des matières

Les hommes donnent toujours aux dieux qu'ils adorent les passions qu'ils ont eux-mêmes.

Nous ne savons rien de clair ni de satisfaisant sur la création de l'homme1. Nous ignorons donc l'opinion première qu'il eut de son créateur et quel fut au commencement l'objet de son adoration.

[1] Les relations de tout les auteurs payens, concernant l'origine de l'homme, sont indubitablement des fables; et le récit qu'en fait le livre de la Génèse, attribué à Moïse, est regardé par plusieurs savans comme une pure allégorie; en effet, il ressemble plus à une allégorie qu'à une histoire; au moins est-il très sûr que ce récit est étranglé, obscur et peu satisfaisant.

Si nos premiers pères ont admis l'existence d'un être éternel, invisible, tout puissant, d'une bonté infinie, créateur de l'univers, il est vraisemblable que presque toute la postérité perdit bientôt et cette connaissance et tout sentiment raisonnable sur la divinité2. Selon les anciens témoignages que nous ayons de l'histoire, les hommes, dès les premiers âges du monde, ont adoré les plus étranges dieux: rien de plus ridicule que leurs différentes opinions sur cette multitude de divinités; elles sont si absurdes que, si nous n'en avions pas des preuves incontestables, il nous serait impossible de croire que l'homme, doué d'abord de quelque intelligence, eût pu se dépraver à ce point et tomber dans cet abîme de déraison; ces notions furent également absurdes et changeantes, et cela devait nécessairement arriver; en effet si la vérité est de sa nature circonscrite et toujours la même, l'erreur n'a pas plus de forme fixe que de limites.

[2] Suivant ce qu'on nous enseigne et l'opinion communément reçue, tous les hommes descendent d'un seul homme et de sa femme; mais cette opinion paraît insoutenable par plusieurs raisons, et surtout par l'impossibilité de faire sortir des mêmes parent les hommes blancs et noirs. Mais qu'il y ait eu d'abord un ou plusieurs couples d'hommes créés, cela ne fait rien à la question dont il s'agit.

Mais les hommes en s'écartant de la vérité par différentes routes se sont généralement réunis en un point sur le compte de leurs dieux; ils leur ont attribué les dispositions et les passions qu'ils éprouvaient eux-mêmes, et souvent leur ressemblance corporelle. Car qu'y a-t-il eu de plus commun dans la plupart des nations et des religions que de représenter les dieux sous la figure humaine?3

[3] Les Lacédémoniens, le peuple le plus belliqueux de la terre, représentaient toujours leurs dieux et même leurs déesses en habit de guerre. Pierre Kolbe, dans sa relation du cap de Bonne-Espérance, nous dit que quelques-uns des Hottentots, les hommes les plus malpropres qui existent, qui se barbouillent le corps avec de la suie incorporée dans de la graisse et ne se vétissent que de peaux de bêtes, soutiennent que Dieu ressemble, par sa couleur, sa figure et son habillement, aux plus beaux d'entr'eux.

Parmi les chrétiens même, et surtout parmi les moines d'Égypte, il y eut autrefois une secte qui professait l'antropomorphisme; elle fondait ce sentiment sur ce qu'il est dit que l'homme fut créé à l'image de Dieu. L'opinion de ces moines fut portée jusqu'à un tel dégré de fureur, qu'ils auraient assassiné Théophile, leur Évêque, qui avait écrit et prêché contre elle, s'il n'avait eu l'adresse de les calmer en leur disant: lorsque je vous vois je crois voir la face de Dieu4. Tertullien et Épiphane, ces deux grands antagonistes des hérésies, ont été accusés de cette erreur. En effet qu'y a-t-il de plus commun parmi ceux qu'on appelle chrétiens que de voir le tout-puissant, l'incompréhensible, l'invisible créateur de l'univers représenté sous la figure d'un faible mortel5?

[4] Voyez Sozomène de la traduction française de Cousin, ch. 11, page 472.

[5] Les tableaux de Dieu le père sous la figure d'un vieillard, sont très communs dans les pays catholiques romains. L'auteur de cet essai a vu à Lyon un Dieu le père coiffé d'un chapeau à la mode, à trois côtés, apparemment pour représenter la Trinité.

Il est évident que la plupart des hommes se prennent eux-mêmes pour modèles dans les idées qu'ils se font des dieux et même d'un seul dieu; ils agrandissent seulement leurs propres dimensions; un dieu n'est pour eux qu'un homme colossal, ou, si l'on veut, l'homme est un Dieu pigmée. Il est vraisemblable que si d'autres animaux, soit reptiles, soit insectes, étaient capables d'imaginer des dieux, ils leur donneraient aussi leur propre ressemblance; ce seraient des dieux éléphans ou fourmis, des dieux brebis ou lions.

Cette propension générale que les hommes ont de donner à leurs divinités les dispositions et les passions qui les dominent eux-mêmes, nous rend très-bien raison de la cruauté qu'ils ont toujours attribuée à leurs dieux. Elle est en même temps une preuve très forte de la cruauté naturelle du cœur humain.

Les hommes sentent, par leur propre expérience et par celle des autres, combien le pouvoir est étroitement lié avec la tyrannie et la cruauté. Ils ont là-dessus des exemples tirés de la conduite des maîtres avec leurs serviteurs, des maris avec leurs femmes, des pères avec leurs enfants, des précepteurs avec leurs pupilles, des monarques absolus avec leurs esclaves, et comme ils ont attribué à leurs dieux un pouvoir illimité, ils ne mettent aucunes bornes à leur tyrannie et à leur cruauté6.

[6] Dans l'antiquité et dans les contrées payennes, la plupart des serviteurs étaient esclaves et traités avec une extrême barbarie. Le docteur Jortin, dans son excellent Discours sur la religion chrétienne, observe que le christianisme a proscrit un grand nombre d'usages atroces et surtout relativement au traitement des serviteurs. On aurait vraiment une grande obligation au christianisme s'il eût aboli toutes les barbaries dont le docteur nous parle et spécialement de celle-là. En Europe, où les serviteurs ne sont pas esclaves, où ils servent de plein gré, et sont sous la protection des lois, il n'est pas au pouvoir des maîtres de les traiter aussi cruellement qu'ils le voudraient; cependant il faut avouer que dans nos colonies en Amérique, beaucoup de chrétiens traitent leurs esclaves avec une barbarie inconnue aux payens mêmes. Le digne et savant auteur que je viens de citer, donne dans une note un exemple de la manière dont Sénèque, qui était un payen, plaide la cause des serviteurs. Son plaidoyer est si raisonnable et si humain que je ne puis que le transcrire ici. «Ils sont esclaves, mais ils sont aussi des hommes. Ils sont esclaves, mais vos commensaux. Ils sont esclaves, mais ce sont des amis malheureux. Ils sont esclaves, mais ils sont vos confrères, si vous pensez que la fortune pouvait vous traiter tout comme eux, etc.» Sénèque, épit. 47, au commencement.

Nous devons cependant convenir qu'il y a bien peu de serviteurs assez fidèles, assez attachés, assez soigneux pour être justement regardés comme des amis malheureux. Il n'en est pas moins certain que leurs maîtres doivent toujours se souvenir qu'ils sont de la même espèce qu'eux, et par conséquent les traiter avec indulgence et humanité.

Il est évident, par des exemples sans nombre, que la plus grande partie du genre humain, dans tous les temps, dans toutes les nations, dans toutes les religions, a regardé cette cruauté comme un attribut de ses dieux. Les payens ont généralement supposé que les leurs les châtiaient par les plus grandes calamités, comme la famine ou la peste; et cela communément pour l'omission de quelque cérémonie vaine et ridicule, ou pour avoir méprisé quelque conte absurde de leurs devins ou de leurs prêtres. S'ils croyaient leurs dieux capables de s'irriter pour des sujets aussi frivoles, ils pensaient aussi pouvoir les apaiser par des expiations du même genre. On n'employait souvent pour cela que quelques chansons, quelques danses ou quelques jeux en leur honneur7. Les Romains sur-tout, lorsqu'ils étaient affligés de quelque contagion, pour expier leurs péchés et apaiser les dieux, nommaient un dictateur, dont les fonctions se bornaient à attacher un clou au temple de Jupiter; il abdiquait sa magistrature après cette belle cérémonie.

[7] Le lecteur verra sans doute que dans ces sortes d'expiations, aussi bien que dans beaucoup d'autres pratiques religieuses, les payens ont été imités de bien près par un grand nombre de chrétiens.

Que des payens qui déifiaient souvent leurs semblables et particulièrement leurs princes les plus odieux, attribuassent encore la cruauté à des dieux fauteurs de leurs vices aussi bien que de leurs vertus, il ne faut pas s'en étonner. Mais que les adorateurs d'un Dieu infiniment bon lui fassent la même injure, cela est aussi absurde qu'étonnant.

Cependant il est notoire que les juifs, les chrétiens et les mahométans, qui tous prétendent croire un pareil Dieu, le représentent comme plus cruel encore que les dieux payens. L'opinion enseignée par les juifs, adoptée et propagée par les sages chrétiens, est qu'un Dieu miséricordieux et bienfaisant, rempli de patience, riche en bonté, plein d'une compassion tendre, prêt à pardonner l'iniquité, les transgressions, les péchés, ne laisse pas de vouloir châtier cruellement les coupables, venge les iniquités des pères sur les enfans, et sur les enfant des enfans, jusqu'à la troisième et quatrième génération8.

[8] Les chrétiens ont encore porté cette opinion beaucoup plus loin que la troisième et quatrième génération. Ils ont étendu la vengeance divine depuis le premier homme jusqu'au dernier: pour le péché d'Adam toute la postérité se trouve punie.

L'ancien testament nous fournit beaucoup d'autres exemples de la croyance où étaient les juifs que Dieu punissait l'innocent pour les crimes du coupable. Un exemple inique, mais remarquable en ce genre peut suffire. On lit dans le livre des chroniques, chap. 21, que le roi David ordonna le dénombrement du peuple d'Israël. Il est vraisemblable que ce fut par un motif de vanité; néanmoins ce n'était pas un crime d'une profonde noirceur ni comparable pour l'atrocité à beaucoup d'autres qu'avait commis cet homme selon le cœur de Dieu. Cependant Dieu en fut tellement irrité qu'il frappa Israël de la peste, et fit périr soixante-dix mille hommes. Si le dénombrement était un crime, c'était celui de David et non celui du peuple: lui-même le sentit si bien que voici quelle fut sa prière à Dieu: N'est-ce pas moi qui ai ordonné le dénombrement? C'est donc moi qui ai péché, mais pour ce troupeau qu'a-t-il fait? Il est évident que le peuple ne pouvait pas plus empêcher son dénombrement que le peut un troupeau de moutons et qu'il n'était pas plus coupable. Cependant après que Dieu eût détruit par ce motif jusqu'à soixante-dix mille hommes, il se repentit du mal qu'il avait fait et dit à l'Ange exterminateur: c'est assez, que ta main s'arrête à présent. Telle est l'opinion de la cruauté avec laquelle les payens et les juifs s'imaginaient que leurs dieux les punissaient en ce monde; cependant les plus fortes punitions temporelles ne sont que des afflictions légères en comparaison des tourmens éternels réservés aux pécheurs dans l'autre monde par le Dieu de bonté, si l'on en croit ceux qui admettent le dogme de la vie future: en effet, selon le plus grand nombre des chrétiens, un malheur éternel doit être le partage non-seulement des scélérats atroces et opiniâtres, mais aussi des pécheurs qui, toutes circonstances pesées, n'ont pu s'empêcher de tomber dans quelques fautes, suites nécessaires de leur fragilité. Les mêmes peines sont décernées pour l'omission, même absolument involontaire, de certaines cérémonies qui ne peuvent assurément purifier ni le cœur ni la conscience. C'est le cas des enfans qui meurent sans baptême.

Tous les infidèles et les incrédules sont encore également menacés de la damnation éternelle; ainsi la croyance du vrai Dieu ayant été pendant un grand nombre de siècles exclusivement accordée à un peuple obscur, méprisable, méchant (comme le dépeignent ses propres historiens et ses prophètes) vu que ce peuple habitait une petite contrée qui n'avait que peu de commerce avec ses voisins, il s'ensuit que faute d'avoir la connaissance du vrai Dieu tout le reste du genre humain a dû être éternellement malheureux. Nous sommes obligés de croire que les Aristides, les Phocion, les Timoléon, les Epaminondas, les Socrates, les Platon, en un mot que les hommes les plus excellens du paganisme ont été enveloppés dans cette cruelle sentence. Depuis la venue du Christ nous devons damner et tous ceux qui n'ont point cru en lui quoiqu'ils n'en aient jamais entendu parler, et ceux aussi qui le reconnaissant pour Dieu n'ont pas admis le même genre de culte ou de doctrine enseigné par quelque secte particulière; c'est ce qu'osent soutenir les catholiques romains, et c'est au moins ce que présume un grand nombre de protestans: voilà, si vous en croyez les mahométans, la façon dont Dieu traitera tous les hommes qui n'auront point reconnu leur prophète, et qui n'auront point regardé l'Alcoran et sa doctrine comme émanés du ciel.

«Vraiment, dit ce livre prétendu céleste, nous jetterons dans le feu de l'enfer ceux qui méconnaîtront les signes de notre foi. A mesure qu'ils seront bien grillés, nous leur donnerons des peaux nouvelles en échange, afin qu'ils puissent goûter des tourmens plus aigus: car Dieu est puissant et sage». Et ailleurs: «Ceux qui ne croiront pas seront enveloppés de vêtemens de feu. Une eau bouillante tombera sur leurs têtes; leurs entrailles et leur peau seront déchirées et ils seront continuellement battus avec des masses de fer. Toutes les fois qu'ils s'efforceront de sortir de l'enfer pour se soustraire à la rigueur des tourmens, ils y seront entraînés et leurs bourreaux leur diront: savourez le tourment du feu». En un mot plusieurs chrétiens ont cru et enseigné que Dieu a condamné la plus grande partie du genre humain, des millions de millions de ses propres créatures à souffrir dans un lieu où toutes les facultés de l'âme et du corps seront tourmentées continuellement et sans relâche. «C'est là, ô pécheur! que tu vivras dans une éternelle prison de ténèbres extérieures, ou il n'y aura d'ordre que la confusion et l'horreur; où l'on n'entendra que la voix des hurlemens et des blasphèmes, d'autre bruit que le grincement des dents; on l'on n'aura d'autre société que celle du diable et de ses anges qui, tourmentés eux-mêmes, n'auront d'autre soulagement que de te faire éprouver leur fureur, St.-Mathieu, chap. 13, vs. 42, et chap. 25, vers. 36, etc. C'est là que la punition sera sans pitié, la misère sans grâce, la douleur uns consolation, la méchanceté sans mesure, le tourment sans repos. Apocalypse, chap. 14, vers. 10, 11. La colère de Dieu pénétrera l'âme et le corps comme la flamme se saisit d'un bloc de souffre ou de poix. Daniel, ch. 7, v. 10. Dans cette flamme tu seras toujours brûlé, sans jamais consumer, toujours mourant sans jamais mourir, toujours rugissant dans les angoisses de la mort sans jamais en être délivré ni sans pouvoir espérer la fin de tes peines: de sorte qu'après les avoir endurées autant de milliers d'années qu'il y a de brins d'herbes sur la terre, de sable dans la mer, de cheveux sur la tête de tous les enfans d'Adam nés ou à naître, tu ne seras pas plus près de la fin de tes tourmens que tu n'étais le jour où tu y fus précipité. Loin de finir, ils ne feront à chaque instant que commencer, car ce serait quelque soulagement que d'envisager une fin possible à ton malheur, après tant de milliers d'années; mais chaque fois que ton esprit se rappellera ce mot, jamais, et il se le rappellera à tous les instans, ton cœur sera déchiré par la rage, et par un affreux désespoir; cette idée horrible aiguisera encore tes douleurs insupportables qui excédaient déjà tout pouvoir d'exprimer ou d'imaginer. Ce sera un nouvel enfer au milieu de l'enfer même»9. Avec quelle surprise ne doit-on pas lire un récit si choquant, si terrible, et qui, par les idées qu'il donne de la manière dont Dieu traitera ses créatures, semble s'être proposé de le transformer en un Démon!

[9] C'est ainsi que s'exprime un de nos docteurs dans une sérieuse et pathétique description du ciel et de l'enfer crayonnée par le St.-Esprit selon les meilleurs interprètes, etc., qui se trouve dans le livre intitulé: Tous les devoirs du chrétien, imprimé à Londres aux dépens de l'hôpital de Christ, 1723, p. 12, 13. L'on observera que tous les renvois à l'écriture sont de mon auteur, lequel par conséquent en demeure le garant.

Je ne peux pas quitter le sujet de Dieu, condamnant ainsi les hommes à des tourmens éternels et inouïs, sans proposer une question à ceux qui sont assez malheureux pour admettre une doctrine aussi blasphématoire et aussi diabolique. Je la propose sur-tout à ceux qui, sans la croire, sont assez lâches ou assez pervers pour l'enseigner et la répandre.

Je leur demanderai donc quelle peut être la fin légitime et avantageuse de toute punition? N'est-ce pas en premier lieu de corriger les coupables? ce qui certainement est très fort à désirer: en second lieu, n'est-ce pas de détourner les hommes de commettre les crimes pour lesquels ils en voyent d'autres punis? Enfin n'est-ce pas d'éloigner ou de retrancher de la société des membres qui sont à craindre pour elle? Telles sont les notions invariables que les hommes doivent se former du but que les châtimens doivent se proposer; or des châtimens éternels ne remplissent aucune de ces vues légitimes; le coupable ne peut pas être corrigé; il le serait même inutilement, car, corrigé on non, il sera toujours tourmenté. Son exemple ne peut pas en détourner d'autres du crime; sa conduite ainsi que son destin sont irrévocablement déterminés. Enfin l'on ne peut pas imaginer que parmi les damnés quelqu'un puisse être dangereux pour la société.

Est-il possible que les hommes puissent tomber dans une contradiction aussi manifeste que de représenter Dieu comme un Être d'une bonté infinie, ou même de l'équité la plus ordinaire, et croire en même tems ou enseigner qu'il punit ainsi ses créatures? ne devraient-ils pas plutôt le représenter comme un démon barbare, comme un Être infiniment injuste et cruel? Il crée l'homme par un acte de sa volonté pure, afin de condamner ensuite l'ouvrage de ses mains à une éternelle misère! Quelle est la cause de cette rigueur? Il est puni pour des choses qui n'ont aucunement dépendu de lui! Est-il un seul homme assez féroce pour vouloir de sang froid, pour quelque raison que ce fût, condamner à des tourmens éternels ses propres enfans, ou même un ennemi déclaré? En est-il un assez impitoyable pour ne pas épargner à quelque être que ce fût des tourmens sans mesure? L'homme de bien ne voudrait-il pas au contraire répandre le bonheur aussi loin qu'il pourrait s'étendre? Tout son désir ne serait-il pas de procurer la félicité à tous les êtres créés? Quoique ces notions indignes et absurdes sur la divinité soient originairement émanées d'une disposition barbare que bien des gens portent en eux-mêmes et qui est inspirée à d'autres par différens moyens, on leur enseigne ces opinions et elles s'impriment plus ou moins profondément dans leur âme selon que, par tempérament, ils sont plus ou moins disposés à la cruauté. Mais on devrait faire attention que loin de servir la religion en inculquant la doctrine des peines éternelles, l'on fournit des armes à l'athéisme qui anéantit toute religion, et d'un autre côté l'on jette dans le désespoir un grand nombre d'âmes honnêtes, simples et timorées, sans contenir les méchans intrépides et endurcis, dont des craintes éloignées ne peuvent, comme l'expérience le prouve, réprimer les excès.

De la cruauté religieuse

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