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MOBILIER.

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Table des matières

Table des matières

Simplicité des objets mobiliers chez les Gaulois et les Francs. — Le fauteuil de Dagobert. — La Table ronde du roi Artus. — Influence des croisades. — Un banquet royal sous Charles V. — Les sièges. — Les dressoirs. — Service de table. — Les hanaps. — La dinanderie. — Les tonneaux. — L’éclairage. — Les lits. — Meubles en bois sculpté. — La serrurerie. — Le verre et les miroirs. — La chambre d’un seigneur féodal. — Richesse du mobilier religieux. — Autels. — Encensoirs. — Châsses et reliquaires. — Grilles et ferrures.


ON nous croira sans peine si nous affirmons que chez nos vieux ancêtres, les Gaulois, l’ameublement était de la plus rustique simplicité. Un peuple essentiellement guerrier et chasseur, tout au plus agriculteur, qui avait les forêts pour temples, et pour demeures des huttes de terre battue et couvertes de paille ou de branchages, devait se montrer indifférent sur la forme et la nature de ses objets mobiliers. Des instruments d’agriculture et surtout des armes, tels étaient en général les meubles des Gaulois.

Les fouilles qu’on a faites, soit dans les tombeaux, soit au pied des pierres druidiques, ont procuré en abondance des objets d’un usage journalier, et qui ont démontré d’une manière évidente l’existence de ce qu’on peut appeler «l’art gaulois». En laissant de côté les trophées rapportés de leurs expéditions dans les pays plus avancés en civilisation, on trouve dans les sépultures de nos aïeux des silex, des os d’animaux, des poteries, des bronzes, du fer, des verreries, des émaux, des monnaies, etc. D’après MM. Bosc et Bonnemère, on remarque, parmi les pierres taillées, des poinçons, des aiguilles, des pointes de flèche (fig. 1), des javelots, des haches de diverses formes (fig. 2), des couteaux, des pendeloques, des grains de collier en quartz rose. Les objets en os fournissent des aiguilles, différents outils pointus, des harpons, des sifflets (fig. 3). La céramique offre des vases par centaines, décorés avec un certain goût; nous aurons l’occasion d’en parler dans un chapitre spécial.

Fig. 1. — Pointe de flèche en silex.


Fig. 2. — Hache en silex.


Le bronze, introduit à une époque postérieure, permit aux Gaulois de façonner des bijoux variés, sans compter les armes et ustensiles, et de les couvrir d’émail. On a récemment découvert des centres de fabrication, «dont les ateliers, comme dans les fouilles de Pompéi, n’auraient paru fermés que de la veille, si l’état d’altération d’un grand nombre d’objets n’eût témoigné d’un long séjour au sein de la terre. Les ustensiles gisaient pêle-mêle, les fours étaient encore remplis de charbon; à côté de spécimens complètement terminés, on en voyait d’autres ébauchés à peine, d’autres en pleine fabrication, l’un même encore enveloppé de terre cuite.» La plupart des objets trouvés au mont Beuvray (Nièvre), où était située, selon quelques savants, l’ancienne Bibracte (aujourd’hui Autun), ont été transportés au musée gallo-romain de Saint-Germain. Citons, au nombre des ornements, les colliers tantôt unis, tantôt travaillés, les bagues, bracelets, ceintures, agrafes, anneaux de pied, boutons, plaques décoratives; un grand nombre de ces objets eurent ensuite leurs similaires en fer, en argent et quelquefois en or.

Fig. 3. — Outils et instruments en corne de cerf.


Après avoir employé une monnaie tout à fait primitive, les Gaulois rapportèrent de leur invasion en Grèce un riche butin de pièces d’or frappées à l’effigie de Philippe, père d’Alexandre le Grand, et ils se contentèrent de les imiter, en les accompagnant souvent de symboles, tels que le cheval ou le bœuf, et de triangles, croissants, roues, selon la localité d’où elles provenaient (fig. 4). Malheureusement on n’a jamais établi de délimitation entre l’époque gauloise indépendante et celle qui suivit la conquête, et presque tous les anciens monuments retrouvés sur notre sol ont été qualifiés de gallo-romains.

Vint la conquête des Romains. A l’origine, et longtemps après la fondation de leur belliqueuse république, ceux-ci avaient vécu également dans le mépris du faste et même dans l’ignorance des commodités de la vie; mais lorsqu’ils subjuguèrent la Gaule, après avoir porté leurs armes victorieuses à tous les confins du monde, ils s’étaient peu à peu approprié ce que leur avaient offert de luxe raffiné, de progrès utile, d’ingénieux bien-être, les mœurs et usages des nations soumises. Les Romains importèrent donc en Gaule ce qu’ils avaient acquis çà et là. Puis, quand les hordes à demi sauvages de la Germanie et des steppes du Nord firent à leur tour irruption sur l’empire romain, ces nouveaux vainqueurs ne laissèrent pas de s’accommoder instinctivement à l’état social des vaincus. Ainsi s’explique sommairement la transition, à vrai dire un peu tourmentée, qui rattache aux choses de l’antique société les choses de la société moderne.

Le monde du moyen âge, cette époque sociale qui pourrait être comparée à la situation d’un vieillard décrépit et blasé, qui, après une longue et froide torpeur, se réveillerait enfant naïf et fort, le monde du moyen âge hérita beaucoup des temps, en quelque sorte interrompus, qui l’avaient précédé; il transforma peut-être, il perfectionna plus qu’il n’inventa, mais il manifesta dans ses œuvres un génie si particulier, qu’on s’accorde généralement à y reconnaître le mérite d’une véritable création.

D’après une ingénieuse remarque de M. Louandre, l’histoire de l’ameublement, considérée sous le point de vue de l’art, peut être divisée en cinq grandes époques, qu’il nomme époques latine, byzantine, romane, ogivale et de la Renaissance, parce que les meubles, grands ou petits, reproduisent, à toutes les périodes du moyen âge, les types de l’architecture, soit dans leur forme, soit dans leurs ornements. Ce point établi, le même auteur ajoute comme fait général: «Le luxe de la civilisation antique resta populaire jusqu’à la fin du sixième siècle; de là jusqu’au quinzième, les riches mobiliers se rencontrent exclusivement chez les rois, les princes et les personnages les plus distingués de la noblesse et de l’Église. Chez les bourgeois, et même dans les châteaux des petits feudataires disséminés à travers les campagnes, l’ameublement est d’ordinaire très simple. Cela tenait non seulement au manque d’argent, mais aux distinctions que les lois somptuaires établissaient entre les diverses classes, pour les meubles comme pour les habits. A la fin du quinzième siècle et dans le cours du seizième, en même temps que l’art se perfectionne, le confortable tend à se répandre de plus en plus, et l’on peut dire sans exagération qu’à part les objets qui sont dus aux découvertes de la science moderne, l’ameublement de cette dernière époque ne le cède en rien, pour l’élégance et la commodité, à ce que nous possédons aujourd’hui de plus élégant et de plus commode.»

Fig. 4. — Monnaies gauloises en bronze.


A l’époque mérovingienne, dans les demeures des princes ou des grands, le luxe consistait beaucoup moins dans l’élégance ou l’originalité des formes attribuées aux objets d’ameublement, que dans la profusion des matières précieuses employées à les fabriquer ou à les orner. Ce n’est plus le temps où les premiers clans des Gaulois et des hommes du Nord qui vinrent prendre possession de l’Occident avaient pour sièges et pour lits des bottes de paille, des nattes de jonc, des brassées de ramure; pour tables, des blocs de rocher, des souches à peine équarries ou des tertres de gazon. Dès le cinquième siècle de l’ère chrétienne, nous trouvons déjà les Francs et les Goths, reposant leurs muscles vigoureux sur les longs sièges moelleux que les Romains ont apportés de l’Orient, et qui sont devenus nos sofas, nos canapés, en ne changeant guère que de nom; devant eux sont dressées les tables basses et en demi-cercle, où la place du milieu était réservée au plus digne, au plus illustre des convives. ne mange plus couché, mais assis; et les trônes des rois, les sièges des grands étalent la plus opulente somptuosité.

Fig. 5. — Chaise curule, dite Fauteuil de Dagobert, en bronze doré. (Bibl. nat.)


C’est alors que nous voyons Éloi, le célèbre artiste en métaux, fabriquer et ornementer pour Clotaire II deux sièges d’or massif, et un trône du même métal pour Dagobert. Quant au siège attribué à saint Éloi, et connu sous le nom de fauteuil de Dagobert (fig. 5), c’est une chaise antique consulaire qui n’était primitivement qu’un pliant, auquel l’abbé Suger, au douzième siècle, fit ajouter des bras et un dossier. Le luxe artistique n’était pas moins grand lorsqu’on l’appliquait à la fabrication des tables: les historiens nous apprennent que saint Remi, contemporain de Clovis, avait une table d’argent, toute décorée d’images pieuses. Le poète Fortunat, qui fut évêque de Poitiers, en décrit une, de même métal, autour de laquelle s’enroulait une vigne chargée de grappes de raisin. Éginhard, en rapportant le testament de Charlemagne, mentionne l’existence de trois tables d’argent et d’une table d’or d’une dimension et d’un poids considérables. «L’une d’elles», dit-il, «de forme carrée, représentait la ville de Constantinople, et l’autre, de forme ronde, la ville de Rome. La troisième, formée de trois cercles, contient une description de l’univers entier, tracée avec autant d’art que de délicatesse.» La quatrième était d’or. Ces tables étaient-elles montées sur pied ou adossées aux murs en guise de tableaux, ou servaient-elles comme des plateaux à apporter des fruits, des épices, des parfums, c’est ce qu’on ne saurait décider.

Les sièges de l’époque romane (fig. 6) semblent affecter de reproduire, à l’intérieur des édifices qu’ils meublent, le style architectural des monuments contemporains. Larges et pesants, ils s’élèvent sur des faisceaux de colonnes, qui vont s’épanouir dans un triple étage de dossiers à plein cintre. Le moine anonyme de Saint-Gall, dans sa Chronique, écrite au neuvième siècle, fait pourtant mention d’un riche festin, où le maître de la maison était assis sur des coussins de plume. Legrand d’Aussy assure, dans son Histoire de la vie privée des Français, que, plus tard, c’est-à-dire sous le règne de Louis le Gros, au commencement du douzième siècle, quand il s’agissait d’un repas ordinaire et familier, les convives s’asseyaient sur de simples escabeaux, tandis que, si la réunion avait un caractère plus cérémonieux et moins intime, la table était entourée de bancs; d’où dériverait l’expression de banquet.

Fig. 6. — Siège du IXe ou Xe siècle. D’après une miniature d’un ms. de la Bibl. nat.


Quant à la forme de la table, ordinairement longue et droite, elle devenait demi-circulaire ou en fer à cheval, dans les festins d’apparat; elle rappelait ainsi la romanesque Table ronde du roi Artus de Bretagne.

Les croisades, en mêlant les hommes de toutes les contrées de L’Europe aux populations de l’Orient, firent connaître aux Occidentaux un luxe et des usages qu’ils ne manquèrent pas d’imiter, au retour de ces expéditions guerrières. Il est alors question de festins où l’on mange assis par terre, les jambes croisées ou allongées sur des tapis, et cette manière de s’asseoir à l’orientale se trouve représentée dans les miniatures des manuscrits de ce temps. Le sire de Joinville, l’ami et l’historien de Louis IX, nous apprend que le saint roi avait coutume de s’asseoir de la sorte, sur un tapis, entouré de ses barons, et de rendre ainsi la justice; ce qui n’empêchait pas que l’usage ne se fût conservé des grandes chaires ou fauteuils, car il nous est resté de cette époque un siège ou trône, en bois massif, dit le banc de monseigneur saint Louis, tout chargé de sculptures représentant des oiseaux et des animaux fantastiques ou légendaires. Il est probable, toutefois, que dans les résidences seigneuriales, où le nombre des invités variait souvent, les tables étaient composées de grands panneaux posés sur des tréteaux pliants, mais non fixés à demeure.

Les pauvres gens n’aspiraient pas, cela va sans dire, à tant de raffinement: dans les demeures du peuple, on s’asseyait sur des escabeaux, des sellettes, des coffres, tout au plus sur des bancs, dont les pieds étaient quelque peu ouvragés.

C’est à cette époque que l’on commence à recouvrir les sièges d’étoffes de laine ou de soie brochées au métier ou brodées à la main, portant des chiffres, des emblèmes ou des armoiries. On avait rapporté d’Orient la coutume de tendre les appartements avec des peaux vernissées, gaufrées et dorées; ces cuirs, de chèvre ou de mouton, avaient reçu le nom d’or basané, parce qu’on en faisait de la basane dorée à plat ou gaufrée en couleur d’or. L’or basané fut aussi employé pour déguiser la nudité primitive des fauteuils. Vers le quatorzième siècle, les tables en métaux précieux disparaissent, par cette raison que le luxe s’est tourné vers les étoffes sous lesquelles on les cache. Dans les festins d’apparat, la place des convives de distinction est marquée par un dais, plus ou moins riche, qui s’élève au-dessus de leur fauteuil.

Vers le commencement de 1378, l’empereur Charles IV vint en France pour accomplir un vœu qu’il avait fait à Notre-Dame de Saint-Maur, près Paris. On célébra son arrivée par des fêtes magnifiques, et le roi Charles V lui donna un banquet solennel en la grand’salle du palais de Justice. Le service se fit à la table de marbre qui en occupait presque toute la largeur. L’archevêque de Reims, qui avait officié ce jour-là, prit place le premier au banquet. L’empereur s’assit ensuite, puis le roi de France, et le roi de Bohême, fils de l’empereur. Chacun des trois princes avait au-dessus de sa place un dais distinct, en drap d’or semé de fleurs de lis; ces trois dais étaient surmontés d’un plus grand, aussi en drap d’or à images, lequel couvrait la table dans toute son étendue, et pendait derrière les convives. Après le roi de Bohême s’assirent trois évêques, mais loin de lui et presque au bout de la table. Sous le dais le plus proche était assis le dauphin, à une table séparée, avec plusieurs princes ou seigneurs de la cour de France ou de l’empereur. La salle était décorée de trois buffets ou dressoirs, très richement parés et garnis de vaisselle d’or et d’argent. Ces trois buffets, ainsi que les deux grands dais, étaient entourés de barrières destinées à en défendre l’approche aux nombreuses personnes qui avaient été autorisées à jouir de la beauté du spectacle. On remarquait enfin cinq autres dais, sous lesquels étaient réunis les princes et les barons autour de tables particulières, et un grand nombre d’autres tables.

Fig. 7. — Louis IX sur son siège royal, à tenture fleurdelisée. Miniature d’un ms, du XVe s. ( Bibl. nat.)


Notons que, dès le règne de saint Louis, ces fauteuils, ces sièges qu’on sculptait, qu’on couvrait des étoffes les plus riches, qu’on incrustait de pierres fines, sur lesquels on gravait les armoiries des grandes maisons, sortaient la plupart de l’atelier des ouvriers parisiens; ces ouvriers, menuisiers, bahutiers, coffretiers et tapissiers, avaient une telle renommée pour ces sortes de travaux, que, dans les inventaires et les prisées de mobiliers, on ne manquait pas d’y spécifier que tel ou tel des objets qui en faisaient partie était de fabrique parisienne, ex operagio parisiensi (fig. 7).

L’extrait suivant d’un compte d’Étienne La Fontaine, argentier royal, donnera, par ses termes mêmes, qui peuvent se passer de commentaire, une idée du luxe apporté à la confection d’un fauteuil (faudesteuil, disait-on alors), destiné au roi de France Jean le Bon, en 1352:

«Pour la façon d’un fauteuil d’argent et de cristal garni de pierreries, livré audit seigneur (le roi), duquel ledit seigneur fit faire audit orfèvre la charpenterie, et y mit plusieurs cristaux, pièces d’enluminure, plusieurs devises, perles et autres pièces de pierreries.

«Item, pour 217 pièces d’enluminure mises sous les cristaux dudit fauteuil, dont il y a 40 armoiries des armes de France, 61 de prophètes tenant des rouleaux, 112 demi-images de bêtes sur fond d’or, et 4 grandes histoires des jugements de Salomon.

«Item, pour 12 cristaux pour ledit fauteuil, dont il y a 5 creux pour les bâtons, 6 plats et 1 rond plat pour le milieu.»

Fig. 8. — Sièges divers. D’après les miniatures des XIVe et XVe siècle.


Dès cette époque, les fauteuils, sièges d’honneur par excellence, avaient quitté la forme traditionnelle du pliant (fig. 8); on les fit plus larges, et on les plaça sur une estrade, avec un escabeau en avant; on les accompagna de riches dossiers avec dais. «Mais, vers le quinzième siècle,» dit M. Viollet-Leduc, «les formes du fauteuil s’altèrent; ne conservant du pliant que l’apparence, il est accompagné de dossiers, de barres, qui le rendent fixe et lourd.» Il est décoré de franges, attachées au moyen de bandes de fer battu qu’on clouait dans le bois, et qui furent remplacées par des galons de passementerie.

Ce n’est guère que vers le commencement du quinzième siècle que se montrent les premières chaises garnies de paille ou de jonc, les pliants en forme d’X, et les sièges à bras rembourrés. Au seizième siècle, les chaires ou chayères à dorseret, en bois de chêne ou de châtaignier sculpté, peint et doré, furent abandonnées, même dans les châteaux royaux, comme étant trop lourdes et trop incommodes, à cause de l’énorme dimension qu’elles avaient prise (fig. 9).

Le dressoir, que nous venons de voir figurer dans le grand festin de Charles V, et qui d’ailleurs s’est conservé à peu près jusqu’à nos jours, en devenant notre buffet à étagères, était un meuble fait beaucoup moins en vue de l’utilité que de l’ostentation. C’est sur le dressoir, dont l’usage ne paraît pas remonter au delà du quatorzième siècle, et dont le nom indique assez la destination, que s’étalaient, dans les vastes salles du manoir, non seulement toute la riche vaisselle employée au service de table, mais encore maint autre objet d’orfèvrerie qui n’avait que faire dans un banquet : vases de toutes sortes, statuettes, tableaux en ronde-bosse, bijoux, vases, reliquaires même. Dans les palais et les grandes maisons, le dressoir, comme autrefois les tables, était souvent en or, en argent, en cuivre doré. Ce meuble était plus ou moins somptueux suivant le rang des personnages. D’après les Honneurs de la cour, ouvrage d’étiquette rédigé par Aliénor de Poitiers, le dressoir de la reine devait avoir cinq degrés ou gradins, celui des princesses et duchesses quatre, celui des comtesses trois, celui des femmes des chevaliers bannerets deux, et enfin celui des simples dames nobles un seul.

Ce qui distingue le dressoir du buffet, c’est que le premier n’a jamais de tiroirs ni d’armoires à portes.

Les gens d’un état inférieur n’avaient que des tables de bois, mais alors ils prenaient soin de les couvrir de tapis, de broderies, de nappes fines. A un certain moment, le luxe des dressoirs se propagea à un tel point dans les maisons ecclésiastiques, que nous rappellerons, entre autres critiques dirigées contre cette vaniteuse coutume, les reproches que Martial d’Auvergne, l’auteur du poème historique des Vigiles de Charles VII, adresse à ce sujet aux évêques. Une mention assez curieuse, que nous offrent les vieux documents, c’est la redevance d’ une demi-douzaine de petits bouquets, redevance à laquelle étaient tenus annuellement les habitants de Chaillot envers l’abbaye de Saint-Germain des Prés, pour l’ornement du dressoir de messire l’abbé.

Fig. 9. — Louise de Savoie, mère de François Ier assise sur une chaise à dorseret, en bois taillé et sculpté. D’après un ms. de la Bibl. nat. XVe s.


Après avoir désigné, au moyen âge, la chambre où l’on renfermait la vaisselle et les objets de prix, le mot buƒƒet, dans les quatorzième et quinzième siècles, s’applique spécialement à un meuble que l’on plaçait, pendant les repas de cérémonie, au milieu de l’espace réservé entre les tables; on y rangeait des pièces d’orfèvrerie, des épices et des confitures. Il se distinguait du dressoir en ce qu’au lieu d’être adossé à la muraille, il était isolé, de façon à pouvoir y aborder de tous les côtés. Plus modestes, mais plus utiles aussi, étaient l’abace et la crédence (fig. 10), autres espèces de buffet qui se trouvaient ordinairement à peu de distance de la table, pour recevoir, celui-ci les plats et les assiettes de rechange, celui-là les hanaps, les verres et les coupes. Ajoutons que la crédence, avant de passer dans les salles à manger, était, depuis des temps fort reculés, en usage dans les églises, où elle avait sa place près de l’autel, pour recevoir les burettes, linges et autres menus objets pendant le sacrifice de la messe.

Posidonius, philosophe stoïcien, qui écrivait environ cent ans avant l’ère chrétienne, nous apprend que dans les festins des Gaulois un esclave apportait sur la table une jarre de terre ou d’argent, pleine de vin, dans laquelle chaque convive puisait à son tour, suivant sa soif. Ainsi voilà l’usage des vases d’argent, aussi bien que celui des vases de terre, constaté dans les Gaules à une époque considérée comme primitive. A vrai dire, ces vases d’argent pouvaient provenir, non de l’industrie locale, mais du butin que ces peuplades guerrières avaient conquis dans leurs guerres contre les nations plus avancées en civilisation. Quant aux vases de terre cuite, le plus grand nombre de ces objets découverts chaque jour dans les sépultures nous montre combien ils étaient grossiers, bien qu’ils semblent avoir été fabriqués à l’aide du tour, comme chez les Romains. Quoi qu’il en soit, nous croyons devoir négliger ici cette question, pour la reprendre dans le chapitre consacré à la céramique.

Fig. 10. — Crédence du XVe siècle.


N’oublions pas, cependant, de signaler chez les premiers habitants de notre territoire la coutume probablement très ancienne d’offrir à boire , aux hommes les plus marquants par leur vaillance, dans une corne d’urus, dorée ou cerclée d’or ou d’argent (l’urus ou l’aurochs, sorte de bœuf dont la race a disparu, vivait à l’état sauvage dans les forêts dont la Gaule était alors en partie couverte). L’usage des cornes à boire se conserva longtemps, et l’on voit encore le duc Guillaume de Normandie s’en servir dans une cour plénière qu’il tint à Fécamp, aux fêtes de Pâques.

Nos anciens rois, qui avaient des tables fabriquées avec les métaux les plus précieux, ne pouvaient manquer de déployer aussi un luxe extraordinaire dans la vaisselle destinée à figurer sur leurs tables. Les chroniqueurs rapportent, par exemple, que Chilpéric, «sous prétexte d’honorer le peuple dont il était roi, fit faire un plat d’or massif, tout orné de pierreries, du poids de cinquante livres,» et encore que Lothaire distribua un jour, entre ses soldats, les débris d’un énorme bassin d’argent, sur lequel était représenté «l’univers avec le cours des astres et des planètes». A défaut de documents précis, il faut croire que le reste de la nation, à côté ou plutôt au-dessous de ce luxe royal, n’avait guère pour son usage que des ustensiles de terre et même de bois, sinon de fer ou de cuivre.

A mesure que nous avançons dans le cours des siècles, et jusqu’à l’époque où les progrès de la céramique permettent enfin à ses produits de prendre rang parmi les objets de luxe, nous trouvons toujours l’or et l’argent employés de préférence à la confection des services de table; mais le marbre, le cristal de roche taillé, le verre, apparaissent tour à tour, artistement travaillés, sous mille formes élégantes ou bizarres, en coupes, aiguières (fig. 11), abreuvoirs, hanaps, etc.

Fig. 11. - Aiguière en vermeil du XVe siècle.


Au hanap surtout semblent revenir de droit toutes les attributions honorifiques dans l’étiquette de table, car le hanap, sorte de large calice porté sur un pied élancé, ce qui le distinguait de la coupe ordinaire, était d’autant plus tenu pour objet de marque et de distinction entre les convives, qu’on lui supposait l’origine la plus ancienne. Ainsi l’on voit figurer, parmi les présents qui furent faits à l’abbaye de Saint-Denis par l’empereur Charles le Chauve, un hanap que l’on prétendait avoir appartenu à Salomon, «lequel hanap était si merveilleusement ouvré, que en tous les royaumes du monde ne fut oncques œuvre si subtile (délicate)». L’inventaire du roi Charles V, dressé en 1380, donne la description de 14 hanaps et d’autant d’aiguières, pesant près de 96 marcs d’or, et de 177 hanaps d’argent doré et presque tous émaillés. Ce n’était déjà plus une coupe réservée à un seul personnage, mais un vase à boire pour chacun des convives.

Les orfèvres, les ciseleurs, les fondeurs en cuivre appelaient à leur aide tous les caprices de l’art et de l’imagination, pour décorer les hanaps, les aiguières, les salières: il est fait mention, dans les récits des chroniqueurs, dans les romans de chevalerie, et surtout dans les vieux comptes et inventaires, d’aiguières représentant des hommes ou femmes, des roses, des dauphins; de hanaps chargés de figures de fleurs et d’animaux; de salières en façon de dragons, etc.

Plusieurs grandes pièces d’orfèvrerie, dont l’usage a été plus tard abandonné, brillaient alors dans les festins d’apparat. Il faut citer notamment les fontaines portatives, qui s’élevaient au milieu de la table, et qui laissaient couler diverses sortes de liqueurs pendant tout le repas. Philippe le Bon, duc de Bourgogne, en possédait une qui représentait une forteresse avec des tours, au sommet desquelles étaient placées deux statues, une de femme dont les mamelles répandaient de l’hypocras, et une d’enfant qui versait de l’eau parfumée. Le célèbre voyageur Rubruquis trouva, au treizième siècle, au fond de la Tartarie, à la cour du grand Khan, une fontaine de ce genre, exécutée par un orfèvre parisien, et qui pesait 3,ooo marcs d’argent.

Il y avait aussi les neƒs, qui, du Cange le montre bien, étaient de grands bassins en forme de vaisseaux, destinés à contenir sous clef les cuillers, fourchettes, couteaux, touailles (serviettes), coupes, salières, etc.; les drageoirs, remplacés par nos modernes bonbonnières, et qui formaient autrefois de précieux coffrets ciselés et damasquinés; enfin, les pots à aumône, sortes d’urnes en métal, richement ciselées, qu’on plaçait devant les convives, pour que, suivant une vieille et charitable coutume, chacun d’eux y déposât quelques morceaux de viande, qu’on distribuait ensuite aux pauvres (voy. la planche du Frontispice).

Si nous jetons les yeux sur les autres menus objets qui complétaient le service de table: couteaux, cuillers, fourchettes, guedousles, garde-nappes, vinaigriers, etc., nous verrons qu’ils n’accusaient pas moins de recherche et de luxe que les pièces principales. Les fourchettes, qui nous semblent aujourd’hui d’un usage indispensable, se trouvent mentionnées pour la première fois en France dans les dernières années du treizième siècle; encore sont-elles rares un assez long temps, puisque l’usage s’en introduisit en Angleterre seulement sous le règne de Jacques Ier. Ces fourchettes, grandes ou petites, n’ont que deux fourcherons et sont d’ordinaire emmanchées de cristal, de pierre ou d’ivoire.

Quant aux couteaux, qui devaient, simultanément avec les cuillers, suppléer aux fourchettes, pour aider les convives à porter les morceaux à la bouche, ils ont des titres d’antiquité incontestable. Le philosophe Posidonius, que nous citions tout à l’heure, dit, en parlant des Celtes: «Ils mangent fort malproprement et saisissent avec leurs mains, comme les lions avec leurs griffes, les quartiers de viande, qu’ils déchirent à belles dents. S’ils trouvent un morceau qui résiste, ils le coupent avec un petit couteau à gaîne, qu’ils portent toujours au côté.» De quelle matière étaient faits ces couteaux? L’auteur ne le dit pas; mais on peut présumer qu’ils étaient en silex taillé ou en pierre polie, comme les haches et les pointes de flèche qu’on retrouve fréquemment dans le sol habité par les anciens peuples, et qui rendent témoignage de leur industrie.

Dans le moyen âge, suivant Viollet-Leduc, il y avait diverses sortes de couteaux destinés à la table, par exemple les couteaux parepaires, servant à chapeler le pain et à couper les tranches de mie sur lesquelles on posait les pièces rôties; les couteaux pour le maigre et pour le gras, les couteaux à imagerie, dont les manches étaient ornés de figures; les couteaux de queux ou de cuisinier, les kenivets (d’où l’on a fait le mot Canif), couteaux de poche avec étui; des couteaux fermants ou à lame rentrante, tels que les modernes eustaches. Ces petits couteaux pour l’usage quotidien datent d’une époque très reculée. Le musée du château de Compiègne possède un couteau fermant, à manche d’os, qui est certainement d’origine gauloise.

Les cuillers, qui durent nécessairement être employées chez tous les peuples, du moment où ils adoptèrent l’usage des mets plus ou moins liquides, sont signalées presque à l’origine de notre histoire; ainsi l’on voit, dans la Vie de sainte Radegonde, cette princesse, tout occupée de pratiques charitables, se servir d’une cuiller pour donner à manger aux aveugles et aux infirmes dont elle prenait soin. Ces objets étaient alors à manche court et à capsule ronde et peu profonde. Il y en avait en argent pour les riches, mais celles des gens de moyen état et du peuple étaient de cuivre, de fer, ou d’étain. A la fin du quinzième siècle, on en fabriqua beaucoup à manches d’ivoire ou d’ébène sculptés, avec agréments d’argent.

Fig. 12. — Casse-noisette en fer du XVIe siècle.


Nous trouvons, à une époque fort éloignée, les truquoises ou casse-noisette (fig. 12); cet ustensile est désigné dans un compte de la reine Jeanne d’Évreux en 1372: «Une truquoise d’argent à casser les noisettes, pesant six onces.» Les guedousles avaient, à la forme près, la dispositions de nos huiliers à deux burettes, car on les décrit comme des espèces de bouteilles à double goulot et à compartiments, dans lesquels on pouvait mettre, sans les mêler, deux sortes de liqueurs différentes. Les garde-nappes étaient nos dessous de plat, faits d’osier, de bois, d’étain ou d’autre métal.

La fabrication du plus grand nombre de ces objets, quand ils étaient destinés aux gens de haute condition, ne laissait pas d’exercer le travail des artisans et le talent des artistes. Cuillers, fourchettes, guedousles, saucières, etc., fournissaient d’inépuisables sujets de décoration et de ciselure; les manches de certains ustensiles affectaient les formes les plus variées.

Les assiettes, jusqu’à l’époque où la céramique les rendit plus ou moins luxueuses, furent naturellement modelées sur les plats, dont elles ne sont qu’un diminutif. Mais, si ceux-ci étaient énormes, celles-là étaient toujours très petites, très plates si l’on servait des mets secs, et très creuses au contraire pour les mets liquides. Au douzième siècle, l’emploi en était assez rare; le bois, l’étain ou l’argent, suivant la condition des personnes, servit à les façonner.

Si de la salle à manger nous passons dans la cuisine, afin d’avoir quelques notions sur les ustensiles culinaires, nous sommes obligé d’avouer qu’antérieurement au treizième siècle les documents les plus circonstanciés sont à peu près muets à cet égard. Il est question pourtant, chez les vieux poètes et les vieux romanciers, d’immenses broches (hastiers), qui permettaient de faire rôtir à la fois une quantité de viandes différentes, des moutons entiers aussi bien que de longues files de volailles et de gibier; ces broches étaient tournées par des valets devant le feu, car l’usage des tournebroches mécaniques à poids ne remonte pas plus loin que la fin du quatorzième siècle. Dans les palais ou maisons seigneuriales, la batterie de cuisine en cuivre avait une véritable importance, puisque la garde et l’entretien des chaudrons étaient confiés à un homme appelé maignen (désignation que le peuple attribue encore aux chaudronniers ambulants). Dès le douzième siècle existait la corporation des dinans, qui exécutaient au marteau, en battant et en repoussant le cuivre, des pièces à relief historiées, dignes d’entrer en comparaison avec les plus remarquables ouvrages de l’orfèvrerie. Certains de ces artisans jouirent d’une telle renommée, que leurs noms sont venus jusqu’à nous: Jean d’Outremeuse, Étienne de la Mare, Gautier de Goux, Lambert Patras, furent l’honneur de la dinanderie.

Fig. 13. - Atelier de tonnelier, grav. de J. Amman. XVIe siècle.


De la cuisine à la cave il n’y a souvent que quelques pas. Grands consommateurs et fins appréciateurs, à leur manière, du jus de la vigne, nos pères s’entendaient à loger convenablement sous des voûtes profondes et spacieuses les tonneaux qui contenaient leurs vins. L’art du tonnelier (fig. 13), encore presque inconnu en Italie et en Espagne, est très ancien dans notre pays, comme l’atteste ce passage du tome XVII des Mémoires de l’Académie des Inscriptions: «On voit, par le texte de la loi Salique, que, lorsqu’il s’agissait de transférer un héritage, le nouveau possesseur donnait d’abord un repas, et il fallait que les conviés mangeassent, en présence de témoins, sur le tonneau même du nouveau propriétaire, un plat de viande hachée et bouillie. On remarque dans le Glossaire de du Cange que, chez les Saxons et les Flamands, le mot boden signifie une table ronde, parce que chez les paysans le fond d’un tonneau servit d’abord de table.»

Un capitulaire de Charlemagne parle de bons barils (bonos barridos). Ces barils étaient fabriqués par d’excellents tonneliers, qui mettaient leurs soins à confectionner, avec des douves cerclées en bois ou en fer, les vaisseaux destinés à conserver le produit de la vendange. Un usage ancien, qui subsiste toujours pour les outres dans le Midi, voulait que l’intérieur des tonneaux fût goudronné, afin de communiquer au vin un goût particulier, qui nous semblerait peut-être nauséabond, mais qui était alors en grande faveur. Dans la suite, la charge de barillier devint importante chez les grands seigneurs. «Le duc de Bourgogne,» écrit Olivier de la Marche, «a deux barilliers, lesquels doivent livrer l’eau au sommelier, pour la bouche du prince, et avoir le soin des barils que l’on porte en la salle pour la grande depense. » Ces sortes de barils ou barisiaux étaient placés sur les dressoirs et contenaient habituellement des liqueurs; on les fabriquait de bois précieux, tels qu’alisier, érable, poirier, cœur de chêne, et souvent ils étaient richement ornés et supportés par des figurines.

Fig. 14 et 15. - Lampes à suspension du XVe siècle. D’après les miniatures de la Bible de Charles le Chauve.


Nous avons nommé les outres, ou peaux cousues et enduites de poix; ajoutons qu’elles datent des premiers temps historiques. Employées encore dans les contrées où le transport des vins s’effectue à l’aide de bêtes de somme, elles furent longtemps usitées, surtout pour les voyages. Devait-on aller en quelque pays où l’on craignait de ne trouver rien à boire, on ne partait pas sans placer une outre pleine sur la croupe de sa monture, ou tout au moins sans porter en bandoulière une petite poche de cuir, remplie de vin. Les étymologistes veulent même que du nom de ces outres légères soit venu, par corruption, notre vieux mot bouteille: après avoir dit bouchiaux, boutiaux, on aurait dit bouties et boutilles. Lorsque, au treizième siècle, l’évêque d’Amiens partait pour la guerre avec l’arrière-ban de ses vassaux, les tanneurs de sa ville épiscopale devaient lui fournir en redevance «deux paires de bouchiaux de cuir, l’un tenant 1 muid, et l’autre 24 setiers». Les bouteilles de cuir faites à Londres étaient fort estimées; celles de verre ne servaient alors qu’à contenir des liqueurs précieuses. Un des principaux officiers de la couronne, le grand bouteiller, percevait un droit sur le vin qui était mis en vente dans toute l’étendue du domaine royal.

Quelques antiquaires ont prétendu que le vin, lorsque la récolte avait été très abondante, se gardait dans des citernes bâties en briques, comme celles que l’on construisait naguère pour le cidre en Normandie, ou taillées dans le roc, comme on en voit quelques-unes dans le midi de la France; mais il est plus probable que ces anciennes citernes, qui remontent peut-être au delà du moyen âge, étaient essentiellement destinées au cuvage, c’est-à-dire à la fabrication du vin, et non à sa conservation, laquelle, dans des conditions si défavorables, serait devenue à peu près impossible.

Comment s’éclairaient nos ancêtres? L’histoire nous répond qu’ils adoptèrent d’abord l’usage des lampes à pied ou suspendues, à l’imitation des Romains; ce qui ne veut pas dire que, même aux époques les plus lointaines, l’emploi du suif et de la cire fût absolument inconnu. Le fait est d’autant moins contestable que, dès l’origine des corporations de métiers, on trouve les faiseurs de chandelles et les ciriers de Paris régis par des statuts. Quant aux lampes, qui, comme aux temps antiques, se plaçaient sur des fûts, disposés à cet effet dans les habitations, ou se suspendaient en l’air au moyen d’un système de chaînettes (fig. 14 et 15), elles étaient faites, selon la condition des gens à qui elles devaient servir, de terre cuite, de fer, d’airain, d’or et d’argent, et plus ou moins ornées. Les lampes et les chandeliers d’or ou d’argent massif ne sont pas rares dans les inventaires du moyen âge.

Fig. 16. — Lit paré à baldaquin et à courtines, miniature d’un ms. du XIVe s. (Bibl. nat.)


Outre les petites lampes à suspension, on éclairait les églises et les vastes salles des châteaux avec des lampiers, appelés aussi couronnes de lumières: c’étaient de véritables lustres, munis de godets qu’on remplissait d’huile. La forme circulaire donnée aux lampiers paraît être la plus ancienne; d’où le nom de roues qu’on leur appliquait quelquefois. Plus tard, on en fit qui affectèrent la figure d’une étoile à six ou huit branches; il en existe aussi en forme de croix, d’après la mode byzantine suivie dans certaines églises. Aux quinzième et seizième siècles, les artisans fabriquaient des lampadaires, des flambeaux, des girandoles, en cuivre fondu et historié, représentant toutes sortes de sujets réels ou fantastiques ; ces œuvres d’art étaient alors très recherchées.

L’usage des lampes étant à peu près général aux premiers âges de la monarchie, et la clarté quelque peu terne et fumeuse de ce luminaire n’ayant pas semblé jeter assez d’éclat dans les fêtes ou les assemblées solennelles du soir, la coutume s’était établie d’ajouter à leur éclairage un certain nombre de torches de cire ou de résine, que des valets portaient à la main. Le tragique épisode du ballet des Ardents, qui coûta la vie dans une mascarade à plusieurs jeunes seigneurs (29 janvier 1393), prouve que cette coutume, qu’on trouve signalée dans Grégoire de Tours, s’était perpétuée jusqu’au règne de Charles VI. Les torches de cire seront dans la suite réservées aux cérémonies religieuses, et le mot cierge est tiré du latin cereus (chandelle de cire).

Les Romains, en subjuguant l’Orient, y prirent et en rapportèrent des habitudes de luxe et de mollesse exagérées. Auparavant, ils n’avaient que des couchettes en planches, garnies de paille, de mousse ou de feuilles sèches. Ils empruntèrent à l’Asie ses grands lits sculptés, dorés, plaqués d’ivoire, sur lesquels étaient entassés les coussins de laine et de plume, les plus belles fourrures et les plus riches étoffes servant de couvertures.

Fig. 17. — Bahut en forme de lit, devant une cheminée, et chaise à coussinet, en bois façonné. Miniature du XVe siècle. (Bibl. de Bourgogne, à Bruxelles.)


Ces modes passèrent, comme bien d’autres, des Romains aux peuples qu’ils avaient conquis. Excepté le linge, qui ne devait être employé que beaucoup plus tard, nous trouvons, dès la première race de nos rois, les diverses pièces du coucher à peu près telles qu’elles sont aujourd’hui: l’oreiller, le couvre-pied, la couverture, etc. Il n’est pourtant pas encore question de rideaux ou, comme on disait, de courtines.

«Ces lits,» dit Viollet-Leduc, «étaient beaucoup plus élevés du côté du chevet que vers les pieds, de manière que la personne couchée se trouvait presque sur son séant. Nous voyons cette forme persister jusqu’au treizième siècle. C’est par des amas de coussins plus nombreux et plus épais vers la tête que l’on donnait une grande déclivité à la couchette.» Au treizième siècle, on renonça au métal dans la fabrication des lits pour y substituer le bois, peint ou sculpté. «Ils se composent ordinairement d’une sorte de balustrade posée sur quatre pieds, avec un intervalle libre dans le milieu, pour permettre à la personne qui vient se coucher de se placer sans efforts entre ses draps (linceuls).» Ces lits sont bas, de la hauteur de nos canapés. Plus tard, on les recouvre de courtes-pointes flottantes, en soie, velours, drap d’or garni de fourrures ; on les surmonte de ciels avec lambrequins, courtines et dossiers.

Le quinzième siècle renchérit sur le précédent quant au luxe des matelas, coussins et couvertures. On rembourrait les sommiers de plume, et les matelas de cosses de pois ou de paille.

Enfin, ils finissent par devenir, chez les rois et les nobles, d’une telle grandeur que ce sont de véritables monuments de menuiserie, où l’on ne monte qu’à l’aide d’escabeaux ou même d’échelles (fig. 16). L’hôte d’un château ne pouvait recevoir plus grand honneur que de passer la nuit dans le même lit que le seigneur châtelain; les chiens, dont les seigneurs, tous grands chasseurs, étaient constamment entourés, avaient le droit de coucher là où couchaient leurs maîtres; c’est ainsi qu’on explique ces lits gigantesques mesurant jusqu’à douze pieds de large. Les oreillers étaient, si l’on en croit les chroniques, parfumés avec des essences, des eaux odoriférantes; ce qui pouvait bien, on le comprend, n’être pas une précaution inutile. Nous voyons encore au seizième siècle François Ier témoigner son extrême affection à l’amiral Bonnivet en l’admettant quelquefois à l’honneur de partager son lit, et le duc François de Guise donner, après la bataille de Dreux, la même preuve d’amitié au prince de Condé, qu’il avait fait prisonnier.

Fig. 18. — Petite armoire à bijoux en bois sculpté, style de Jean Goujon. XVIe s.


Après avoir achevé la revue de l’ameublement proprement dit, il nous reste encore à parler de ce que nous pourrions appeler les meubles par excellence, c’est-à-dire ceux sur lesquels s’exerçait et faisait merveille tout l’art des ouvriers en bois: les grands sièges d’honneur, les chayères et fauteuils, les bancs et les tréteaux, qui étaient ornés d’histoires ou de figures en relief finement taillées au canivet; les bahuts, sorte de coffres au couvercle plat ou bombé, montés sur des pieds et s’ouvrant à la partie supérieure, couverts de cuir rembourré de couettes, ou de coussins, pour s’asseoir dessus (fig. 17); les huches, les buffets, les armoires, les coffres, grands et petits, les échiquiers, les tables à dés, les pignières ou boîtes à peignes, qu’ont remplacées nos toilettes, etc. De nombreux échantillons de ces divers meubles nous ont été conservés, qui attestent jusqu’à quel point de perfection et de recherche somptueuse l’ébénisterie et la tabletterie avaient su parvenir au moyen âge. Élégance, originalité de formes; incrustation des métaux, du jaspe, de la nacre, de l’ivoire; sculpture, placage varié, teinture des bois, tout est réuni dans ces meubles, ornés parfois avec une extrême délicatesse, et restés inimitables, sinon par les détails de leur exécution, au moins par leur harmonieux et opulent ensemble.

A l’époque de la renaissance, on imagina des buffets à nombreux tiroirs et à cases multiples, qui prirent en allemand le nom d’armoires artistiques, et qui n’avaient d’autre objet que de réunir dans le même meuble, sous prétexte d’utilité, tous les prestiges et tous les fastueux caprices de l’art décoratif. Les Allemands, à qui revient le mérite de s’être signalés les premiers dans la fabrication de ces cabinets magnifiques ou armoires, eurent bientôt pour émules les Français (fig. 18) et les Italiens (fig. 19), qui ne se montrèrent ni moins habiles ni moins ingénieux en ce genre de travaux.

Fig. 19. — Cabinet en fer damasquiné d’or et d’argent. Travail italien du XVIe siècle.


La serrurerie, qui peut à bon droit passer pour une des industries les plus remarquables du moyen âge, n’avait point tardé à venir en aide à l’ébénisterie pour l’ornementation ou la solidité de ses chefs-d’œuvre. Les garnitures de buffets et des coffres se distinguèrent par le bon goût et le fini du travail. Le fer semble prendre, entre les mains des habiles artisans, des artistes inconnus du douzième au seizième siècle, une ductilité, on pourrait dire une obéissance inouïe. Voyez dans les grilles des cours, dans les pentures des portes, comme ces rubans s’entrelacent, comme ces tiges découpéees s’allongent, à la fois solides et légères, pour s’épanouir avec une grâce naïve en feuillages, en fruits, en figures symboliques!

Les serruriers ne font pas, d’ailleurs, qu’appliquer le fer sur un ouvrage déjà préparé et fabriqué par d’autres artisans: le soin leur revient aussi de créer, de confectionner, d’ornementer des coffrets, des reliquaires; mais surtout ils fabriquent les verrous (fig. 20), la serrure et la clef, double merveille dont les anciens spécimens seront toujours admirés. «Les serrures, dit M. Jules Labarte, étaient alors portées à un tel degré de perfection, qu’on les considérait comme de véritables objets d’art; on les emportait d’un lieu à un autre, comme on aurait pu faire de tout autre meuble précieux. Rien de plus gracieux que les figurines en ronde-bosse, les armoiries, les chiffres, les ornements et les découpures, dont était enrichie cette partie de la clef que la main saisit (fig. 21), et que nous avons remplacée par un anneau commun.»

La verrerie et la vitrerie réclament une mention particulière.

L’art de faire le verre fut connu de toute antiquité, puisque la Phénicie et la vieille Égypte étaient déjà renommées au temps de Moïse pour leurs innombrables produits en sable vitrifié. A Rome, on coulait, on taillait, on ciselait le verre; on le martelait même, si nous en croyons Suétone, qui raconte que certain artiste avait trouvé le secret de rendre le verre malléable. Cette industrie, répandue et perfectionnée sous les empereurs, passa à Byzance, où elle resta florissante pendant plusieurs siècles, jusqu’à ce que Venise, prenant largement sa place dans l’histoire des arts, importa chez elle les procédés de la verrerie byzantine pour y exceller à son tour. En France, elle a été connue de tous temps, pour ainsi dire. Les Gaulois, avant la domination romaine, fabriquaient des objets de verre, et les fouilles opérées dans un grand nombre de localités ont amené au jour beaucoup de vases à boire, de colliers et de bracelets. Le moine Théophile, qui a composé au douzième siècle un traité des plus curieux sur les arts et métiers, dit que les Français sont très habiles à façonner des vases en verre de couleur.

Fig. 20. — Verrou du XVIe siècle, au chiffre d’Henri II (château de Chenonceaux).


Fig. 21. — Clef du XIIIe siècle, avec deux figures de Chimères adossées.


Bien que les objets de verre, de cristal, peints, émaillés, gravés, figurent souvent dans les récits historiques et poétiques, ainsi que dans les énumérations mobilières du moyen âge, on sait qu’ils étaient dus principalement à l’industrie de la Grèce ou de Venise (fig. 22). Notre pays semble avoir fait assez tard le premier pas artistique dans cette carrière: les ouvrages en verre qu’on exécutait pour l’usage des gens riches ne sortaient guère des limites de l’industrie ordinaire. Il faut cependant remarquer qu’elle connaissait depuis bien longtemps la vitrerie, puisqu’au milieu du septième siècle on voit saint Benoît, dit Biscop, le grand bâtisseur d’églises et de couvents en Angleterre, venir en France chercher des ouvriers verriers, pour leur faire clore de vitres l’église et le cloître de son abbaye de Cantorbéry, et puisqu’il est dit, dans la chronique de Bède le Vénérable, que ces ouvriers français enseignèrent leur art aux ouvriers anglais.

Vers le quatorzième siècle, les fenêtres des maisons, même les plus communes, se garnissent généralement de vitres. Alors les verreries proprement dites subsistent et fonctionnent partout: peut-être ne rivalisaient-elles pas d’une manière éclatante avec leurs devancières de l’époque mérovingienne; mais elles produisaient à profusion toutes sortes d’objets usuels, ainsi qu’on peut en juger d’après les termes d’une charte de 1338, par laquelle le nommé Guionnet, pour avoir le droit d’établir une verrerie dans la forêt de Chambarant, est tenu de fournir en redevance à son seigneur, Humbert, dauphin de Viennois: 100 douzaines de verres, en forme de cloches, 12 douzaines de petits verres évasés, 20 douzaines de hanaps, 12 douzaines d’amphores, 20 douzaines de lampes, 6 douzaines de chandeliers, une douzaine de larges tasses, une grande nef, 6 douzaines de plats sans bords, 12 douzaines de pots, etc.

Fig. 22. — Hanap vénitien en verre. (Fin du XVe siècle.)


Nous venons de nommer Venise et de signaler sa célébrité dans l’art de travailler le verre. Ce fut surtout par la fabrication des miroirs et des glaces que cette industrieuse cité se fit connaître dans le monde entier. Les Romains, s’il faut en croire Pline, achetaient leurs miroirs de verre à Sidon, en Phénicie, où ils avaient été inventés à l’époque la plus reculée. Ces miroirs étaient-ils dès lors étamés? Il faudrait le croire, car une feuille de verre sans étamage ne constitua jamais qu’une glace plus ou moins transparente, laissant passer la lumière sans refléter les objets. Mais Pline n’affirme rien, et d’ailleurs, l’usage des miroirs en métal poli, qui venait des Romains, s’étant conservé fort longtemps chez les peuples modernes, on peut supposer que l’invention des miroirs de verre n’avait pas fait fortune, ou bien que le secret de leur fabrication s’était perdu. Au treizième siècle, un moine anglais a écrit un Traité d’optique, dans lequel il est question de miroirs doublés de plomb.

Toutefois, les miroirs d’argent pour les riches, de fer ou d’acier poli pour les pauvres, continuèrent à être employés, jusqu’à ce que, le verre étant tombé à bas prix et les glaces de Venise ayant été adoptées ou heureusement imitées dans tous les pays de l’Europe, on abandonna ces miroirs de métal, qui se ternissaient promptement et qui ne reflétaient pas les objets avec leurs couleurs naturelles. On garda la forme élégante des anciens miroirs à main, que les orfèvres continuèrent à entourer des plus gracieuses compositions, en remplaçant seulement la surface d’argent ou d’acier poli par une épaisse et brillante glace de Venise, ornée quelquefois de dessins à reflets, ménagés dans l’applique du vif-argent (fig. 23).

Après tous ces détails, le lecteur sera bien aise d’embrasser d’un coup d’œil l’ensemble de l’ameublement civil et d’avoir ainsi la synthèse après l’analyse. La figure 24, reproduite d’après le Dictionnaire du mobilier français de M. Viollet-Leduc, représente une chambre d’habitation du quatorzième siècle chez un riche seigneur.

La pièce que nous appelons aujourd’hui la chambre à coucher, et qui alors s’appelait simplement la cambre ou la chambre, contenait, outre le lit, qui était fort large, une grande variété de meubles destinés à l’usage ordinaire de la vie; car le temps que l’on ne consacrait pas aux affaires, aux plaisirs du dehors, aux réceptions solennelles et aux repas, se passait, pour les nobles comme pour les bourgeois, dans cette chambre. Après les premières croisades, les habitudes de bien-être s’étaient singulièrement développées en France: il suffit, pour s’en convaincre, de jeter les yeux sur les inventaires, de lire les romans et contes, d’étudier avec quelque soin les châteaux et habitations bâtis sous le règne de Charles V.

Fig. 23. - Miroir à main (revers). D’après une estampe de Delaulne, célèbre orfèvre français du XVIe siècle.


Une vaste cheminée permettait à plusieurs personnes de s’approcher du foyer. Près de l’âtre, était placée la chaire (siège d’honneur) du maître ou de la maîtresse. Le lit, placé habituellement dans un angle, entouré d’épaisses courtines, était bien abrité et formait ce qu’on appelait alors un clotet, c’est-à-dire une sorte de cabinet clos par des tapisseries. Près des fenêtres, des bancals ou bancs à dossiers drapés permettaient de causer, de lire, de travailler, en jouissant de la vue extérieure. Un dressoir s’élevait . le long d’une des parois et recevait sur ses tablettes des pièces d’orfèvrerie précieuses, des drageoirs, des vases à fleurs. De petits escabeaux, des faudesteuils, des chaises et surtout de nombreux coussins étaient disséminés dans la pièce. Des tapis de Flandre et ceux qu’on appelait sarrasinois couvraient le sol, composé de carreaux émaillés, ou, dans les provinces du nord, de larges et épaisses frises de chêne poli. Ces pièces, vastes, hautes, sous lambris, communiquaient toujours à des escaliers privés par des cabinets et garde-robes, où se tenaient les serviteurs que l’on voulait avoir près de soi.

Ajoutons quelques mots sur le mobilier religieux.

On sait que dans les premiers siècles du christianisme les cérémonies du culte étaient empreintes de la plus grande simplicité, et que les enceintes où se réunissaient les fidèles se trouvaient le plus souvent dans un état de nudité presque absolue. Peu à peu le luxe s’introduisit dans les églises, la pompe dans l’exercice du culte, surtout à l’époque où l’empereur Constantin, en fermant l’ère des persécutions, se déclara le protecteur de la religion nouvelle. On cite, parmi les riches présents que ce prince distribua aux temples chrétiens de Rome, une croix d’or pesant 200 livres, des patènes du même métal, des lampes en forme d’animaux, etc.

Fig. 24. — Restitution d’une chambre seigneuriale au XIVe siècle. D’après Viollet-Leduc.


Dans le septième siècle, saint Éloi, qui fut un orfèvre renommé avant de devenir évêque de Noyon, consacre tous ses soins, tout son talent à la confection des ornements d’église. Il recrute, parmi les moines des divers couvents soumis à son autorité canonique, tous ceux qu’il croit aptes à ces travaux d’art; il les instruit lui-même, il les dirige, il en fait d’excellents artistes; il transforme des monastères entiers en ateliers d’orfèvrerie, et nombre de pièces remarquables vont accroître la splendeur des basiliques mérovingiennes. Tels furent, par exemple, la châsse de saint Martin de Tours et le tombeau de saint Denis, que surmontait un toit de marbre, chargé d’or et de pierreries.

«Les largesses de Charlemagne,» dit M. Louandre, «ajoutèrent des richesses nouvelles aux richesses immenses qui déjà se trouvaient amassées dans les églises. Les mosaïques, les sculptures, les marbres les plus rares, furent prodigués dans les basiliques qu’affectionnait l’empereur; mais tous ces trésors furent dispersés par les invasions normandes. Du neuvième au onzième siècle, il ne paraît pas que l’ameublement ecclésiastique, à part quelques châsses et quelques croix, se soit enrichi d’objets notables, et, dans tous les cas, les monuments de cette époque et des époques antérieures, sauf quelques rares débris, ne sont point parvenus jusqu’à nous. C’est qu’en effet, outre des causes incessantes de destruction, on renouvela, vers la fin du onzième siècle, le mobilier des églises, en même temps qu’on rebâtit ces églises elles-mêmes, et ce n’est qu’à dater de cette renaissance mystique que l’on commence à trouver, dans les textes, des indications précises, et dans les musées ou les temples, des monuments intacts.»

Fig. 25. — Autel de l’ancienne cathédrale d’Arras, aujourd’hui détruite. XIIIe siècle. D’après un tableau du XVIe siècle.


L’ameublement religieux se compose de l’autel, du retable, de la chaire, des ostensoirs, des calices, des encensoirs, des flambeaux ou lampes, des châsses, reliquaires, bénitiers, et de quelques autres objets, relativement moins importants, comme croix, sonnettes, hampes de bannières, auxquels il faut ajouter les images votives, ordinairement d’or et d’argent.

A l’origine du culte, l’autel adopte deux formes distinctes, tantôt figurant une table, composée d’un plateau en pierre, en métal ou en bois, supporté par des pieds ou des colonnes; tantôt simulant un tombeau antique ou coffre allongé, rétréci par la base, et recouvert de ce même plateau, qui forme invariablement le dessus ou la table de l’autel.

Outre les autels, plus ou moins monumentaux (fig. 25), qui étaient placés à demeure dans les églises, et qui dès les premiers temps furent installés sous des ciboires, sorte de dais ou baldaquins soutenus par des colonnes, on avait imaginé, pour répondre aux nécessités du culte, de petits autels portatifs, destinés à suivre partout les évêques ou les simples prêtres qui allaient prêcher la foi dans les pays dépourvus d’églises. Bède, qui vivait au huitième siècle rapporte que les deux Ewald offraient chaque jour le sacrifice de la messe sur une table consacrée qu’ils portaient avec eux. Ces autels, dont il est question dans les temps où la religion chrétienne n’était qu’imparfaitement répandue, disparaissent aussitôt qu’elle devient générale; mais ils se montrent de nouveau à l’époque des croisades, alors que les pieux pèlerins qui prêchaient çà et là la guerre sainte étaient obligés de dire la messe dans les champs et sur les places publiques, où les fidèles se réunissaient pour écouter leur parole et pour «prendre la croix». M. Labarte en décrit un qui date du douzième siècle: il se compose d’une plaque de marbre lumachelle, incrustée dans une boîte de cuivre doré, de 36 centimètres de haut sur 27 de large et 3 d’épaisseur. Le dessus de la boîte est découpé de manière à laisser à découvert la pierre sur laquelle devait poser le calice, pendant la célébration de la messe.

Fig. 26. - Parement d’autel brodé en argent sur étoffe noire, représentant le convoi d’un religieux. XIVe siècle.


A toutes les époques du moyen âge, l’ornementation de l’autel fut partout l’objet du zèle le plus dévoué, des études artistiques les plus sérieuses. Parmi les merveilles de ce genre, il faut citer en première ligne l’autel d’or de Saint-Ambroise de Milan, qui date de 835, et ceux des cathédrales de Bâle et de Pistoie, qui appartiennent aux onzième et douzième siècles. Ces autels d’or, exécutés au marteau, ciselés et souvent émaillés, outre de remarquables sculptures figurant des scènes empruntées à la Bible, offraient ordinairement les portraits des donateurs.

Retables et tabernacles étaient travaillés avec non moins d’art et de richesse, et, aussi loin que remonte la fabrication ou l’importation des tapis, des broderies, des étoffes d’or et d’argent, on les voit constamment employés à couvrir, à orner, à rendre plus éclatants et plus majestueux l’autel et ses alentours, qu’on appelait le sanctuaire (fig. 26).

On distingua, dans le principe, plusieurs sortes de calices, entre autres ceux qui servaient d’habitude au célébrant, ceux avec lesquels on administrait aux fidèles la communion sous l’espèce du vin, et les calices du baptême, contenant le lait et le miel qu’on faisait prendre aux convertis. Il y avait, en outre, des calices destinés à l’ornement des autels, de poids et de dimensions souvent considérables. Anastase le Bibliothécaire en cite quelques-uns: dans la vie du pape Léon IV, il parle de dix grands calices suspendus en cercle et de quarante autres placés entre les colonnes d’un des autels de Rome, pesant ensemble 267 livres.

Pour la fabrication des calices, on employait des matières très diverses. Tout le monde connaît cette parole célèbre de saint Boniface, évêque de Mayence au huitième siècle: «Autrefois des prêtres d’or se servaient de calices de bois; maintenant, au contraire, des prêtres de bois se servent de calices d’or.» Mais le bois étant trop poreux, il fut défendu de l’employer, par respect pour le sacrement; aussi lui substitua-t-on pendant longtemps le verre, comme le firent saint Benoît et saint Césaire. Cependant les églises luttèrent à l’envi de richesse pour les vases sacrés: on voyait, en 871, à Laon un calice en onyx, rehaussé d’or et de diamants et, à, Saint-Denis, un autre en sardoine, don de l’abbé Suger. A l’époque même des persécutions (fig. 27), les vases de l’autel étaient d’un métal précieux. Grégoire de Tours rapporte que Chilpéric rapporta de son expédition en Espagne soixante calices, quinze patènes, vingt coffrets pour renfermer le livre des Évangiles, et que tout cela était d’or et garni de pierreries.

Plus tard, et jusqu’au jour où les artistes de la renaissance, appelés à modifier l’orfèvrerie religieuse, en font des merveilles auxquelles ils prodiguent toutes les ressources de la fonte, de la cise-lure, de la glyptique, nous voyons que les calices ne cessent d’être ouvragés avec le plus grand soin, ornés avec la plus exquise recherche et rehaussés de tout l’éclat que l’art peut leur prêter.

Fig. 27. - Calice et plateau d’autel en or émaillé du IVe et du Ve siècle, trouvés près de Châlon-sur-Saône en 1846.


Quant à la forme, les calices ont toujours plus ou moins reproduit les contours de la coupe antique, avec cette différence que, dans les premiers temps du moyen âge, ils étaient munis d’anses. A ce sujet, mentionnons un curieux passage du moine Théophile: «Si Vous voulez,» dit-il, «appliquer des oreilles à un calice, dès que vous l’aurez battu, et avant de procéder à aucun autre travail, prenez de la cire, formez-en des oreilles et modelez-y des dragons, des animaux, des oiseaux ou des feuillages, de quelque façon que vous voudrez.»

Tout ce qui a rapport au calice peut se dire des ostensoirs, des custodes, qui servaient à renfermer et à exposer les hosties consacrées, aussi bien que de l’encensoir, qui venait du culte juif et qui affecta, selon les époques du christianisme, diverses formes mystiques et symboliques (fig. 28). D’abord, il fut composé, ainsi que le décrit M. Didron, «de deux sphéroïdes à jour, en cuivre fondu et ciselé, orné de figures d’animaux et d’inscriptions». Il était, à l’origine, suspendu par trois chaînes, qui signifieraient, d’après la tradition, «l’union du corps, de l’âme et de la divinité dans le Christ». Dans un autre âge, l’encensoir représenta en raccourci les églises ou chapelles à ogives; puis, à la renaissance, il changea encore de forme, pour prendre à peu près celle qui est actuellement adoptée.

L’éclairage des églises fut en quelque sorte réglé, dès le principe, sur celui des demeures princières et des maisons fastueuses. On y employa les lampes, fixes ou mobiles, et les lastres ou couronnes de lumières, formés d’un cercle de godets qu’on remplissait d’huile; on y fit usage de chandelles de cire, soutenues par des candélabres, pour la décoration desquels donateurs et artisans, les uns salariant les autres, firent assaut de talent et de générosité. Peut-être n’est-il pas inutile de faire remarquer ici que, même aux premiers temps du christianisme, la multiplicité des flambeaux dans les offices solennels fut d’un usage général, aussi bien le jour que la nuit. Les flambeaux de l’autel représentent les apôtres entourant le Sauveur; placés autour des morts, ils signifient que le chrétien trouve la lumière au delà du tombeau.

Le culte des reliques donna lieu à la création des châsses et reliquaires, sorte de tombeaux portatifs que les disciples de l’Évangile vouaient à la mémoire et à la glorification des martyrs et des confesseurs de la foi. Dès l’origine donc, en recueillant ces saintes reliques, auxquelles les fidèles reconnaissaient toutes sortes de pou-voirs miraculeux, on fit en sorte de consacrer à cette dépouille mortelle, qui avait été, selon l’expression des écrivains ecclésiastiques, le temple du Dieu vivant, un asile splendide, digne de tant de vertus et de tant de miracles. De là est venue l’introduction des châsses dans les églises et des reliquaires dans les maisons particulières.

Fig. 28. - Encensoir du XIe siècle, rappelant la forme du temple de Jérusalem, autrefois à la cathédrale de Metz, aujourd’hui à Trèves.


Quelques-uns de ces petits monuments étaient devenus dès le septième siècle, par les soins de saint Éloi, de véritables prodiges de richesse matérielle et de travail artistique. On ignore cependant quelle était originairement la forme qui fut attribuée, par la liturgie chrétienne, aux châsses et aux reliquaires, quoique le mot latin (capsa), dont le mot châsse est dérivé, nous donne l’idée d’une espèce de boîte ou de coffre (fig. 29). Cette forme s’est maintenue longtemps par toute la chrétienté; mais la plupart des châsses d’orfèvrerie les plus anciennes, qui ne remontent pas au delà du onzième siècle, se présentent à nous, jusqu’au quatorzième, sous l’aspect de tombeaux. Il suffit de voir, pour en reconnaître le caractère particulier, les châsses des grandes reliques de Notre-Dame d’Aix-la-Chapelle, des Trois Rois à Cologne, de Saint-Taurin à Évreux, et surtout la belle châsse de Tournay.

Depuis 1400 environ, les orfèvres cherchèrent à reproduire en petit les chapelles ou églises, avec les modifications successives inspirées par le style architectural de chaque époque. Toujours est-il qu’il n’y a pas de matières précieuses ni de travaux délicats, qui n’aient été appelés à rendre plus magnifiques les châsses et les reliquaires: l’or, l’argent, les marbres rares, les pierres fines, y sont prodigués et remplacent les coffres en bois peint, revêtus de cuivre ou d’argent doré; la ciselure et l’émaillerie les décorent de figures et d’emblèmes, de scènes tirées des livres bibliques ou de la vie des bienheureux dont les restes y sont enfermés. Un des beaux modèles en ce genre était la châsse de saint Germain (1408), laquelle dépendait du trésor de l’abbaye royale de Saint-Denis.

On sait qu’à la naissance du christianisme le baptême s’administrait par immersion dans les rivières ou les fontaines. A une époque plus rapprochée de nous, on plaça pour cet usage, en dehors et à côté de chaque église, dans un petit édifice séparé, des bassins, des cuves plus ou moins vastes, où les néophytes étaient plongés pour recevoir le premier sacrement. Ces baptistères disparurent lorsque l’effusion de l’eau bénite sur le front du catéchumène fut définitivement substituée à l’immersion. Les fonts baptismaux devinrent alors ce qu’ils sont restés depuis, c’est-à-dire des espèces de petits monuments exhaussés au-dessus du sol, piscines, vasques ou bassins, appelant, dans une forme réduite, les baptistères primitifs, et furent installés dans l’intérieur même de l’église, soit à l’entrée, soit dans une des chapelles latérales (fig. 30). A toutes les époques, on les fit de pierre, de marbre, de bronze, en les ornant de sujets analogues à la cérémonie du baptême. Il en fut à peu près de même des bénitiers, qui, placés traditionnellement à la porte du temple, affectèrent le plus souvent la forme d’une coquille ou d’une large amphore, quand on ne les fit pas d’une simple pierre creusée au centre, pour rappeler la cuve baptismale ancienne.

Fig. 29. — Coffret en bois de hêtre, recouvert de métal et de peintures, et où furent enfermés les cilices de saint Louis. Travail du XIIIe siècle. (Musée du Louvre.)


Fig. 30. - Fonts baptismaux du XVIe siècle. Église de Saint-Sauveur-le-Vicomte (Manche).


Nous ne devons pas oublier les croix d’autel et de procession, qui, figurant le signe de la croyance chrétienne, ne pouvaient manquer de devenir de véritables objets d’art, et cela dès les catacombes. Ce serait tomber en des redites inutiles qu’énumérer ici les matières diverses qu’on employait à la fabrication des croix, les formes variées qu’elles affectaient selon leur destination, les sujets et les figures qu’elles représentaient. Le statuaire, le fondeur, le ciseleur, l’émailleur, et même le peintre, s’associaient à l’orfèvre pour en faire souvent des chefs-d’œuvre.

Fig. 31 et 32. — Stalle et pupitre en bois sculpté de l’église d’Aoste (Italie). XVe siècle.


La menuiserie et la ferronnerie, que nous avons vues faire Merveille pour le mobilier civil, ne pouvaient manquer de se donner carrière dans le mobilier religieux. Ce fut surtout dans l’exécution des chaires à prêcher, des jubés, des boiseries et des stalles, que se distingua l’art du menuisier, qui cessait d’être un artisan pour devenir un artiste de premier ordre. C’est dans l’ornementation des grilles de chœur ou de tombeaux, des ferrures de portes, des verrous, des serrures et des clefs, que se manifesta le prodigieux talent des serruriers du moyen âge. Notons qu’à l’origine du culte la chaire consistait simplement en une sorte d’escabeau, sur lequel montait le prédicateur pour dominer son auditoire. Peu à peu, elle s’éleva sur des colonnes, et plus tard, mais seulement vers le quinzième siècle, nous la trouvons fixée à une grande hauteur, contre un des piliers centraux de l’église, et le plus souvent alors magnifiquement sculptée, ainsi que le dais ou abat-voix, qui la surmonte.

Fig. 33. - Stalle de la cathédrale de Rouen, bas-relief en bois sculpté. XVe siècle.


Pour se faire une idée du degré de perfection que sut atteindre la sculpture en bois du treizième au seizième siècle, il faut voir les stalles de Sainte-Justine de Padoue, des cathédrales de Milan et d’Ulm, de l’église d’Aoste (fig. 31 et 32), ou celles de nos églises de Rodez, d’Albi, d’Amiens, de Toulouse, de Rouen (fig. 33); et si l’on veut admirer un spécimen ancien de l’art des ouvriers en fer, il suffit de porter son attention sur les pentures, datant du treizième siècle, qui se déploient en arabesques sur les battants de la porte occidentale de Notre-Dame de Paris.

Nous n’avons voulu tracer ici qu’une rapide esquise du mobilier des églises, sans toucher aux questions qui sont du domaine de la liturgie; quant à l’église même, considérée au point de vue monumental, c’est un sujet qui demande à être traité en détail dans un autre volume de cette collection.

Fig. 34. - Colombaire suspendu au-dessus de l’autel. XIIIe siècle.


L'ancienne France

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