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LES GAULOIS ET L’ÉPOQUE GALLO-ROMAINE.
ОглавлениеNOS aïeux les Gaulois n’avaient point, à proprement parler, d’architecture; ce qui nous reste en ce genre se réduit à quelques monuments informes, destinés, selon toutes probabilités, à des usages religieux, mais dans lesquels on ne reconnaît aucune trace d’art.
Les monuments celtiques ou druidiques, qui ont reçu de nos jours le nom de mégalithiques, sont des constructions en pierres, généralement brutes, élevées d’après certaines règles sur le sol de la Gaule, du pays de Galles, de l’Ecosse, de l’Irlande, le long des côtes de la Méditerranée, partout enfin où les Celtes ont fait des établissements. On rencontre des monuments analogues chez d’anciens peuples barbares, mais c’est une autre tradition qui a présidé à leur édification, et la forme d’ailleurs en est différente.
Quand les pierres sont debout et isolées, d’un seul morceau, ce qui est le plus grand nombre des cas, elles s’appellent en langue celtique menhirs ou peulvans (pierres longues ou colonnes de pierre), et, suivant les localités où elles se trouvent, elles ont reçu les dénominations de pierres levées, pierres fiches oujittes, pierres lattes, etc. La hauteur de ces monolithes varie depuis 2 jusqu’à 10 et 15 mètres; celui de Locmariaker, dans le Morbihan, en avait 20. Comme ils ne portent aucune trace d’inscription ni de sculpture, et que les témoignages historiques sont muets à leur égard, il a été impossible d’en déterminer avec certitude le caractère (fig. i et 2). Servaient-ils à indiquer un lieu de sépulture, à perpétuer la mémoire d’un homme ou le culte d’une idole, à marquer, ainsi que les Termes des anciens, les limites d’un territoire? Cette dernière hypothèse paraît jusqu’ici la plus vraisemblable. Dans les premiers temps du christianisme, on essaya de les sanctifier en leur donnant une destination religieuse; de là vinrent les croix et autres symboles dont ils sont quelquefois surmontés (fig. 3). Mais la superstition populaire continua d’y voir l’œuvre des corrigans (esprits), des fées ou du diable.
Fig. 1 à 3 — Menhirs de Plouharnel, de Trébeurden et de Saint-Tremeur (Côtes-du-Nord).
Fig. 4. — Alignements d’Erdeven (Morbihan).
Au lieu de s’élever, solitaires, les menhirs sont souvent groupés avec des intentions dont le sens nous échappe. Tantôt ils sont disposés en alignements, c’est-à-dire de manière à former de longues files en ligne droite, sur 10, 11 et 13 rangs parallèles; tantôt en cercles ou demi-cercles, en ellipses, en carrés longs. Il en est aussi qui se composent de lignes doubles, de cercles concentriques, de dolmens et de menhirs réunis, ou bien qui sont entourés soit d’un fossé soit d’un rempart de terre, et alors on nomme cromlechs ces sortes d’enceintes sacrées.
Parmi les alignements, le plus remarquable est celui de Carnac (Morbihan), près du bord de l’Océan, sur une colline dominant la baie de Quiberon. Ces avenues de pierres levées offrent la même régularité que celles d’Erdeven (fig. 4), dont elles semblent être la continuation; elles sont, comme celles-ci, composées de 11 lignes de menhirs, rangés parallèlement et se prolongeant pendant 1,500 mètres de l’est à l’ouest, avec des interruptions partielles. Le nombre de ces pierres, que le géographe breton Ogée estimait être de 4,000 en 1780, s’élève encore à 11 ou 1,200. Il y en a qui ne sont pas plus grosses que des bornes ordinaires, et d’autres, surtout à l’extrémité des rangs, qui atteignent une hauteur de 6 à 7 mètres et doivent peser au moins 40,000 kilogrammes. On ne peut concevoir de quelles machines on a pu se servir pour mettre debout ces blocs de granit, et, ce qui étonne davantage, c’est que plusieurs sont fichés en terre, comme des cônes renversés, par le bout le plus mince. Ils sont bruts, tels qu’on les a tirés du rocher, et la face plate tournée en dedans.
Fig. 5. — Cromlech découvert à la Varenne Saint-Hilaire (1858), près Paris.
Les cromlechs celtiques, rangées de pierres disposées en rond ou de façon inégale, servaient de clôture à des lieux consacrés par la coutume ou la religion (fig. 5). Ils entouraient, comme on peut le voir en beaucoup d’endroits de la Bretagne, un certain nombre de dolmens et de tombelles encore visibles; c’étaient donc des enceintes funéraires (fig. 6). Les savants veulent qu’il y en ait eu de deux sortes: les petites, presque toujours octogones, et les grandes, affectant d’habitude la forme circulaire et qui renferment parfois trois autres cercles concentriques; elles recevaient alors une destination double, temples et cimetières à la fois. On célébrait, dans ces espèces de sanctuaires, les mystères les plus élevés du druidisme, qui reposait sur la croyance en un Dieu unique et en l’immortalité de l’âme. Strabon cite, parmi les principaux temples. gaulois, celui de l’île de Sein, à l’embouchure de la Loire, desservi par des prêtresses, et celui de Toulouse, en grande vénération chez les tribus voisines, qui y déposaient, comme en un lieu inviolable, leurs plus précieux objets; ce dernier fut détruit et pillé par le consul romain Servilius Cœpio, en l’an 106 avant notre ère.
Fig. 6. — Cromlech de Lorette, près le Quillo (Côtes-du-Nord ).
Fig. 7 — Dolmen
Sous la dénomination de dolmens, il faut comprendre un grand nombre de monuments que les antiquaires avaient jusqu’ici classés en genres séparés: tumuli, gai gais, allées couvertes, tombelles, lichavens, etc.
Le dolmen, ou table-pierre (fig. 7), se compose d’une pierre horizontale, supportée par deux pierres verticales. Telle est la forme régulière; mais il en est dont la table repose par un des côtés sur le sol, ou dont les roches d’appui sont plus ou moins nombreuses, comme à l’Ile-Grande (Gôtes-du-Nord) (fig. 8). Un des plus connus est le dolmen de Locmariaker, petit port de refuge sur la baie de Quiberon; il est désigné sous le nom de table des marchands. C’est un assemblage de 44 pierres, dont 14 pour chacune des trois parois, une au fond, et une à l’intérieur, et long de 20 mètres. Près de ce dolmen, couvert de caractères et de moulures énigmatiques (fig. 9), se dresse un menhir (la Pierre de la Fée), qui avait 21 mètres de hauteur avant d’avoir été rompu par la foudre en quatre fragments; on en estime le poids total à plus de 200,000 kilos. Les témoignages druidiques abondent dans le territoire de cette commune, qui devait être un des grands centres de la religion des Gaulois; on les y apportait de fort loin, car ils sont d’un granit étranger au pays.
Fig. 8. — Dolmen de l’Ile-Grande (Côtes-du-Nord).
On voit à Donges (Loire-Inférieure) un dolmen, également accompagné d’une pierre levée (fig. 10). Celui d’Essé, dans la forêt de Rennes, formé de 42 énormes pierres, a été jugé assez remarquable pour être classé parmi les monuments historiques; il mesure 19 mètres de longueur sur 7 de largeur et se divise en plusieurs compartiments (fig. 11). En général, le dolmen était enfoui sous une butte ou tumulus, et servait, à proprement parler, de sépulcre. On en a découvert un de ce genre, en 1849, à Plouharnel (Morbihan): il offrait l’apparence d’un tertre assez bas, dont le sommet laissait voir quelques pierres qui servaient de plafond à l’une des trois grottes; elles contenaient des haches en silex, des colliers d’or, des ossements humains, des cendres et du charbon. La vue du dolmen de Kercado, près de Carnac, contribuera à mieux préciser l’aspect que présentent ces buttes funéraires (fig. 12).
Fig. 9. — Ornementation gravée sur une pierre du dolmen de Manne-er-Hroëk, près de Locmariaker.
On reporte encore à l’époque druidique l’installation des pierres dites branlantes ou tremblantes, qui dansent ou qui virent. Ces monuments consistent en deux énormes quartiers de roche superposés: celui de dessus ne touche à celui de dessous que par une pointe ou une arête, et il est équilibré de manière à pouvoir être mis en branle, soit en oscillant soit en pivotant, sans un grand effort. On rencontre en France d’assez nombreux exemples de ces pierres (fig. 13), et l’on en a conservé une en Angleterre, dans le comté de Sussex, laquelle a été probablement taillée, et d’un poids d’environ 500,000 kilogrammes (fig. 14).
«Ce qui caractérise la Gaule,» fait remarquer Jean Reynaud, «ce n’est pas d’avoir élevé des monuments de pierre brute, mais de n’avoir jamais eu d’autre système d’architecture que celui-là. De ce que ce mode, à la fois si simple et si grandiose, d’écrire des témoignages à la surface de la terre avait pris naissance dès le berceau des nations, il résultait naturellement qu’il avait dû se proper de là en tous sens par les émigrations; et ainsi il n’y aurait point à s’étonner qu’il eût été en usage chez les premiers Gaulois comme chez les premiers Israélites... Dans certains cas, les pierres devaient avoir une autre destination que celle de servir à la liturgie; et si nous avions par la voie des druides des monuments écrits, comme nous en avons par celle des Hébreux, nous y trouverions sans aucun doute les éclaircissements nécessaires sur cette diversité. Mais si la Gaule, comme ayant gardé plus longtemps qu’aucune autre nation l’usage de ces constructions primitives, en offre naturellement à nos yeux un plus grand nombre que tout autre territoire, ce n’est pourtant point elle qui peut nous fournir les données les plus propres à les faire connaître; elle nous montre de tous côtés ces pierres vénérables, mais avec un geste silencieux.»
Fig. 10. — Dolmen et menhir de Donges (Loire-Inférieure ).
Fig. 11. — Dolmen d’Essé (forêt de Rennes).
On a aussi rangé parmi les monuments gaulois de vastes enceintes, formées de remparts de terre et de pierres, désignées par les Romains sous le nom d’oppida, et dans lesquelles se rassemblaient les tribus à l’approche de l’ennemi, soit pour y chercher un abri, soit pour y prolonger la résistance. Une des enceintes les plus fameuses est celle qu’on voit aux environs de Dieppe, dite la cité de Limes. Les mardelles, mardes ou marges, qu’on trouve fréquemment dans le Berry, sont des excavations en forme de cônes renversés, dont les dimensions atteignent en quelques endroits 150 mètres de largeur sur 6 à 8 de profondeur; elles paraissent avoir servi d’habitations.
Fig. 12. — Tumulus et dolmen de Kercado (Morbihan).
D’après tout ce qui précède, il est aisé de voir que les Gaulois n’ont eu, avant la domination romaine, qu’un système d’architecture très primitif et qu’ils réservaient la pierre à ce qu’on peut appeler leurs monuments, car ils vivaient dans des maisons de bois ou sous des toits de chaume, suivant leur condition (fig. 15).
Dans le midi de la Gaule, un grand nombre de colonies phéniciennes et ioniennes avaient, en s’y établissant, répandu leur civilisation et leur architecture. Les monuments druidiques y sont fort rares, et cette rareté doit être attribuée sans doute à l’influence hellénique, qui aura substitué à ces excavations, à ces amas de rochers dont nous avons parlé, un système de constructions plus conforme aux habitudes de la mère patrie. Hâtons-nous d’ajouter qu’il ne subsiste plus aucun édifice de ce genre, à moins qu’on ne prétende donner une origine exclusivement grecque à des autels, des stèles, des colonnes funèbres qui se rencontrent assez souvent dans l’ancienne Province romaine, et notamment aux restes d’un petit temple d’ordre corinthien, situé près de Vernègues (Bouches-du-Rhône).
Fig. 13. — Pierre branlante de Perros-Guirech (Côtes-du-Nord ).
Fig. 14. — Pierre branlante du comté de Sussex.
Quand Rome eut subjugué la Gaule, l’art grec céda peu à peu à l’influence des vainqueurs, et, hormis les pierres indestructibles des Celtes, tout disparut et fut remplacé par des monuments romains. Alors s’ouvrit une troisième et brillante période, durant laquelle notre sol fut couvert d’édifices publics et privés, tels que ponts, aqueducs, thermes, fontaines, palais, temples, arcs de triomphe, théâtres, tombeaux, dont les restes imposants ou gracieux commandent encore aujourd’hui notre admiration. Et de même qu’il sortit des écoles florissantes de Lyon, d’Autun, de Marseille et de Bordeaux une pléiade de poètes et d’orateurs gaulois, il est permis de penser que plus d’un artiste indigène, distingué par son mérite naissant, eut l’honneur de participer à ces travaux d’architecture.
Fig. 15. — Habitation gauloise.
Les ponts et aqueducs, si nécessaires à la facilité des communications et à la bonne distribution des eaux, sont remarquables par la noblesse et le caractère grandiose de leurs proportions. Si la voie romaine traversait une rivière de peu de largeur, on jetait entre les deux rives un pont de pierre, d’une seule arche: témoin celui de Saint-Chamas (fig. 16), sur la Touloubre, et orné à chacune de ses extrémités d’une porte monumentale. Un autre, à Vaison, est plus hardi: l’arche unique mesure 20 mètres d’ouverture. Des ponts d’une plus grande longueur ont moins bien résisté au temps; il en subsiste des vestiges plus ou moins considérables à Lezines, Périgueux, Arles, Gallargues (deux arches sur cinq), Sommières, etc.; ce dernier, qui reliait Nîmes à Lodève, comptait 17 arches à plein cintre, lesquelles ont servi en partie d’assises au pont nouvellement construit.
Fig. 16. — Pont romain, à Saint-Chamas.
A Vienne, à Néris, à Luynes en Touraine, à Jouy près Metz, à Arcueil, à Lyon, ce qui reste des aqueducs donne une haute idée des travaux entrepris, sous la direction des architectes, par les légionnaires de Rome. Arrêtons-nous un instant à celui de Nîmes, dit le pont du Gard (fig. 17). Ce monument célèbre se compose de trois rangs d’arcades à plein cintre, élevées les unes sur les autres et jetées avec une hardiesse et une légèreté admirables à des portées énormes; sa longueur est, au niveau du second étage, de 269 mètres, et sa hauteur totale, de 49 environ. On en doit probablement ridée à Agrippa, gendre de l’empereur Auguste; mais ce fut la puissante colonie de Nîmes qui en acquitta la principale dépense. Il est bâti en quartiers de pierre sans ciment, à l’exception des parois du canal, revêtues en dedans et en dehors de moellons smillés (équarris au marteau). L’aqueduc d’Arcueil, dont il ne reste que deux arches, alimentait le palais impérial de Paris et les vastes bains ou thermes qui en dépendaient; telle est la solidité de ce dernier édifice que la voûte antique de la piscine encore existante a supporté, durant des siècles, un jardin planté de grands arbres (fig. 18).
Fig. 17. — Aqueduc romain, dit pont du Gard.
On voit également des restes de bains publics à Saintes, à Néris, à Vichy, à Nîmes, à Aix en Provence, à Jurançon, etc.
Un des premiers soins des Romains, après la conquête, avait été de construire des camps et des routes. Bien que les voies romaines soient des travaux remarquables à beaucoup d’égards, on ne peut les considérer comme des monuments d’art, pas plus que les retranchements en terre qui formaient les camps. Il en est autrement des remparts, des tours et des portes qui protégeaient les cités. «En quelques lieux,» disent MM. Bordier et Charton, «comme à Sens et Narbonne, à Nîmes, à Autun, il y a des débris de cette enceinte, dont le circuit était, à Autun, de 5 kilomètres, et à Nîmes, de 6. Dans la dernière de ces villes, la muraille avait une hauteur moyenne de 9m,50 et une épaisseur de 2 à 3 mètres. Le rempart, bâti en pierres de taille, d’une régularité parfaite et le plus souvent jointes sans ciment, était couronné de parapets à créneaux, et défendu de distance en distance par des tours crénelées, ordinairement rondes et d’une simplicité lourde et sévère.» Quelques-unes des portes principales se composaient d’une ou de plusieurs arcades cintrées, flanquées de grosses tours, comme les portes d’Auguste et de France, à Nîmes (fig. 19), et celle de Langres.
On élevait aussi, en souvenir d’une victoire ou en l’honneur d’un prince, des arcs de triomphe à l’entrée des villes. Ces édifices, inventés par les Romains de l’empire, et dans la décoration desquels ils déployaient toutes les ressources de l’art et du goût, étaient nombreux en Gaule, car il en est resté de fort beaux exemples.
Au premier rang nous citerons l’arc d’Orange (fig. 20), le mieux conservé de tous. Percé de trois arcades, un peu moins haut que large (19 mètres sur 21), il est surmonté d’un fronton et d’une corniche magnifique; quatre colonnes cannelées en décorent l’une et l’autre face, remarquables par l’élégance et la variété de leurs sculptures. Le sentiment populaire attribuait ce monument à Marius, qui aurait voulu ainsi perpétuer le souvenir de la défaite des Cimbres; mais il est plus probable qu’il fut construit sous le règne d’Auguste ou de Tibère. Au treizième siècle, Raymond des Baux, prince d’Orange, en fit une forteresse, pratiqua plusieurs salles à l’intérieur et transforma le sommet en un donjon. Mentionnons ensuite l’arc de Carpentras, moins grand et moins riche; ceux de Cavaillon, de Saint-Remy, de Reims, de Besançon et de Saintes.
Fig. 18. — Restes des thermes du palais impérial, à Paris
Fig. 19. — Porte de l’enceinte romaine à Nîmes, dite porte de France.
Le Gaulois n’avait à l’origine ni temples ni idoles; sa religion lui défendait de profaner Dieu par des images fabriquées de main d’homme; il célébrait les cérémonies sacrées dans les forêts et vénérait le chêne, attribut de la puissance créatrice. Dans la suite, les druides avaient permis qu’on rendît hommage à des divinités inférieures, telles que Camul, Belon, Teutatès, plus accessibles en quelque sorte à la foi populaire. Se contentant d’assimiler ces dieux de second ordre aux personnages de leur mythologie, les Romains couvrirent le pays d’autels et de temples, où l’on continua de les adorer sous les noms de Mars, d’Apollon, de Mercure. Rien ne fut négligé pour entourer le culte nouveau de magnificence. A Lyon, au confluent de la Saône et du Rhône, s’éleva un temple dédié à Auguste, et dans lequel figurait la déesse de la Patrie, au milieu de statues représentant soixante cités gauloises; les Arvernes avaient consacré à Mercure un temple, dont Grégoire de Tours a décrit les richesses.
Fig. 20. — Arc de triomphe d’Orange.
Les seuls monuments du culte gallo-romain qui aient échappé à une destruction complète se trouvent à Nîmes, la ville de France la plus riche en antiquités. Le premier, dit la Maison carrée, est le type le plus parfait de l’architecture romaine. Formant un carré long de 2501,65 sur 12m,45, entouré de 3o colonnes corinthiennes, il paraît avoir été, dans l’origine, le sanctuaire d’un vaste forum, sur les côtés duquel s’étendait un double portique à colonnades. Ce charmant édifice, que Colbert voulait faire transporter à Versailles pierre par pierre, est devenu aujourd’hui un musée. L’autre, hardi et léger, de forme semblable mais plus petit, était compris dans l’enceinte des thermes; désigné d’abord sous le nom de temple de Diane, il a été reconnu pour être une nymphée, c’est-à-dire un lieu d’agréable retraite pour les baigneurs, décoré de peintures et de statues de nymphes (fig. 21 et 23).
Il nous reste à parler des théâtres et amphithéâtres, et là surtout l’architecture romaine atteignit à des proportions grandioses dont les modernes n’ont jamais approché. On représentait dans ceux-là des comédies, des drames et des scènes mimiques; ceux-ci étaient réservés aux courses de chars et de chevaux, aux luttes gymnastiques, aux combats d’hommes ou d’animaux, parfois aux fêtes nautiques. Plus de cinquante localités en France ont conservé jusqu’à nos jours quelques traces des différents monuments consacrés aux jeux publics: Arles, Bavay (Nord), Bourges, Fréjus, Langres, Limoges en possédaient deux; on en comptait trois à Autun, Lyon, Orange, Périgueux, et jusqu’à quatre à Vienne en Dauphiné.
Un théâtre se divisait en deux parties bien distinctes. La première, tracée sur un plan demi-circulaire, était destinée au public; l’économie, la tacilité d’exécution faisaient établir cette portion de cercle dans le flanc d’une colline, dont la pente favorisait la pose des gradins. La seconde partie, rectangulaire, contenait la façade, l’avant-scène, la scène, les loges des acteurs, etc. C’est ainsi qu’est distribué le théâtre d’Orange; par un hasard singulier, la scène proprement dite, qui a disparu presque partout, s’est ici conservée dans toute sa hauteur. De celui d’Arles, plus vaste du double et plus richement décoré, il reste cinq portiques, deux colonnes et les premiers gradins.
Fig. 21. — Vue intérieure de la Nymphée de Nîmes (état actuel ).
Mais nous devons revenir à Nîmes pour trouver le plus beau modèle d’amphithéâtre qui ait été construit en Gaule (fig. 22). Cet édifice, qui paraît remonter à l’époque des Antonins, forme une ellipse parfaite dont le grand arc mesure 133 mètres; il se compose d’un rez-de-chaussée percé de 60 arcades, d’un premier étage et d’un attique; 33 rangs de gradins, à moitié ruinés, pouvaient donner place à 24,000 spectateurs. Les Visigoths, devenus maîtres de la Provence, en firent une forteresse, y ajoutèrent des tours, et l’appelèrent le château des Arènes, nom qu’il a conservé. Au moyen âge, il fut occupé par une milice féodale, chargée de le garder pour les comtes de Toulouse; ses membres demeuraient avec leurs familles dans des maisons bâties sur les degrés même de l’amphithéâtre, et lorsqu’en 1809 on entreprit de le restaurer, on fut obligé d’en expulser une population composée d’environ 2,000 individus.
Fig. 22. — Amphithéâtre de Nîmes.
Tel était l’ensemble des monuments splendides dont la Gaule était ornée, à l’imitation de la Grèce et de l’Italie; plus d’un historien se récria d’admiration en présence de tant de richesses, et il fallut la conquête barbare et plusieurs siècles de désastres pour mettre en oubli les traditions antiques.
Fig. 23. — Coupe transversale restaurée de la Nymphée de Nîmes