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CHAPITRE PREMIER

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Table des matières

La Bulgarie. — Son histoire. — La guerre balkanoturque

de 1912. — Le traité de Londres.

Pour comprendre la vie, les aspirations et la valeur de la Bulgarie moderne, son rôle et sa politique dans la péninsule, il est, je crois, nécessaire de connaître son passé !

Je n’ai pas la prétention de faire ici une histoire complète de la Bulgarie; ceux qui voudraient l’étudier en détail liront avec intérêt le remarquable ouvrage du P. Guérin-Songeon, qui traite admirablement la question; je me contenterai donc de l’esquisser rapidement en m’efforçant d’être aussi clair et aussi explicite que possible.

Les Pélages furent, dit-on, les premiers occupants des régions balkaniques; puis, vers 1700 avant Jésus-Christ, les Thraco-Illyriens vinrent s’établir sur ces terres qui ont gardé des vestiges de leur passage. En 35g, Philippe, qui organisait son royaume de Macédoine, fonda Philippopoli et soumit toutes les populations qui subirent plus nettement encore le joug de son fils Alexandre. A sa mort, son empire démembré devint la proie des invasions celtes (en 280 avant Jésus-Christ) et fut occupé par les troupes romaines. Celles-ci furent elles-mêmes balayées parles hordes d’Attila. Mais la première invasion qui s’enracina dans les Balkans, après les Thraco-Illyriens, fut celle des Slaves, qui suivaient généralement les tribus guerrières venues d’Orient et profitaient des combats que livraient celles-ci.

Enfin, en 499, la lutte qui mettait continuellement Byzance aux prises avec les peuples du nord-ouest ayant recommencé, les Bulgares apparurent en Dacie. Venus des régions environnant le Don et la Volga, ils étaient d’origine finnoturque, et, ayant quitté l’Oural, s’avançaient vers le Danube. Subjugués d’abord par les Byzantins, ils se rendirent un moment indépendants avec leur roi Koubrat qui traita honorablement avec le «basileus» de Constantinople. En mourant, Koubrat laissait cinq fils, dont l’un s’établit sur la Volga, l’autre sur le Don, le troisième, Asparouch, en Bessarabie, le quatrième sur la Theiss et le cinquième gagna l’Italie où il se fixa (à Bénévent).

Le royaume de la Volga fut absorbé par les Russes en 1552; celui de Pannonie (Hongrie), vaincu par les Avares, vit ceux-ci écrasés par Charlemagne en 794 et disparut complètement lors de l’arrivée des Magyars en 893. La principauté de Bénévent devint italienne; seule, la monarchie d’Asparouch, venue aux Rhodopes, devait avoir un avenir glorieux.

Un de ses successeurs, Terbel, poursuivit son œuvre, secourut Justinien II détrôné par un usurpateur et reçut, en prix de ses services, la province de Zagorie. Effrayé de sa puissance, le «basileus» lui déclara la guerre en 708; battu, il s’en fit définitivement un allié et, quand les Arabes vinrent bloquer Constantinople, il l’appela à son aide.

Terbel défit les Musulmans et Justinien le combla d’honneurs. A sa mort, la monarchie, rendue élective, fut l’occasion d’une série de troubles qui, ajoutés aux attaques perpétuelles des Byzantins, affaiblit considérablement le jeune État.

Kroum, chef des Bulgares de Pannonie du sud, y vint, décidé à rétablir l’ordre.

Il reconstitua en effet le royaume d’Asparouch, créa une législation rudimentaire et prit Sofia aux Byzantins qui en avaient fait une ville importante où ils eurent un moment l’idée de transporter la capitale de leur empire.

Puis, le «basileus» Nicéphore ayant tenté de prendre sa revanche, il le battit et, en 8i3, apparut devant Constantinople. Léon l’Arménien, qui avait succédé à Michel 1er qui, lui-même, avait pris la couronne à la mort de Nicéphore, tenta de le faire assassiner. Ce fut en vain, mais Kroum, voyant l’impossibilité pour lui de s’emparer de Byzance, se rabattit sur Andrinople et sur toute la Thrace qu’il pilla et incendia. Kroum périt le 8 avril 815. Son frère Omortag assura complètement sa domination sur les peuples balkaniques.

Un peu plus tard, vers 860, saint Cyrille et saint Méthode évangélisèrent les Slaves et les Bulgares et leur créèrent une langue propre; au même moment et après la mort des deux apôtres, Boris, souverain sincèrement religieux, intelligent, tenace et hardi, contribua fortement à l’établissement de la première église bulgare et consolida son royaume.

Mais c’était à Siméon, son fils cadet, qu’il était donné de faire atteindre à la monarchie bulgare son apogée.

Élevé à Byzance, lettré, volontaire et audacieux, il fut vraiment un grand souverain. Attaqué par les Hongrois alliés de Constantinople, il dut d’abord demander la paix au «basileus», puis, ayant réparé ses forces, il s’unit aux Petchenèques, tribu sauvage du Dnièpr et fondit sur les Hongrois qu’il écrasa; puis, se retournant contre les Byzantins, il les battit à Eski-Baba. Vingt ans de repos et de calme lui permirent de se créer à Preslav une somptueuse capitale et de commencer à civiliser ses sujets. Il fut arrêté dans ses projets par la guerre qui reprit contre Constantinople et dura avec, pour les Bulgares, des alternatives de victoires et de reculs jusqu’en 926. Siméon se réconcilia avec le «basileus» et mourut le 27 mai 927. Son empire s’étendait alors, au sud, à Andrinople, puis englobait le reste de la Thrace, la Macédoine, l’Epire, l’Albanie et la vieille Serbie; au nord, il atteignait la Moravie et la Pologne.

Après Siméon, tout s’écroula; le byzantinisme pénétra en Bulgarie, les Bogomiles (nouvelle secte religieuse) y semèrent la discorde, et le malheureux pays, déchiré par les dissensions intestines, servit de théâtre aux luttes entre les Russes et les Byzantins et finit par se courber sous le joug de ces derniers.

L’indépendance bulgare se réfugia alors dans un petit royaume fondé à Okrida par Chichman Mokr qui fonda une dynastie. Samuel, son fils, tenta de relever le sceptre des Bulgares; victorieux tout d’abord, il fut défait à Sperchios, par Basile II; ayant continué la lutte, il fut encore battu à Bélacita, en 1014, et, après cette dernière bataille, le «basileus» lui renvoya 15.000 de ses soldats faits prisonniers, les yeux crevés et conduits par des officiers mutilés aussi. Samuel en éprouva un tel saisissement qu’il mourut deux jours plus tard. Basile II fut surnommé par les Grecs le «Bulgaroctone» ou «tueur de Bulgares». La Bulgarie fut annexée à l’empire byzantin; c’était la vieille force romaine, dont Constantinople était héritière, qui l’avait vaincue.

En 1186, Jean Assen, patriote bulgare, se fit proclamer tsar à Tirnovo, et, ayant réuni une petite armée, marcha sur Preslav; battu, il s’enfuit en Valachie. Revenu en 1187, il mit en déroute Jean Cantacuzène, général byzantin. Après divers succès, il périt assassiné en 1196. Kaloïan, qui lui succéda, se rapprocha de Rome, s’empara de Varna, puis de Nich, de Belgrade, d’Uskub, de Prizrend et de Kustendil, et poussa les limites de son empire de Belgrade à la Maritza inférieure et du Vardar aux bouches du Danube.

Le roi fut sacré solennellement par un légat du pape, le 7 novembre 1204. Le grand empire bulgare était reconstitué.

En 1205, il battit les Latins de Constantinople et fit tuer Beaudouin Ier, mais le frère de ce dernier, Henri de Flandre, le fit reculer à son tour. Kaloïan mourut assassiné le 8 octobre 1207.

Un de ses successeurs, Jean Assen, réforma l’administration du royaume et fit faire des progrès constants à la civilisation. Insulté par les barons français de Constantinople qui refusèrent de faire épouser à sa fille, Beaudouin II , il s’unit à Vatatzès, empereur grec de Nicée, mariant sa fille au fils de celui-ci. Repoussés devant Constantinople par Jean de Brienne, les alliés se séparèrent et Assen s’unit à l’empereur Beaudouin II. Assen mourut en 1241. Vint alors Constantin Assen, de race serbe. A ce moment, les Grecs, ayant à leur tête Michel Paléologue, attaquèrent la monarchie latine de Byzance; Beaudouin combattit à peine et se réfugia chez Charles d’Anjou, en Sicile. L’empire byzantin redevint grec et, de suite, montra son hostilité pour la Bulgarie: à Constantin succédèrent une série de monarques dont l’action fut néfaste aux Bulgares jusqu’à Svétoslav qui fut, avant la dislocation. leur dernier grand tsar. En 1331, la puissance bulgare s’effondra et la domination des Balkans passa au roi de Serbie, Etienne Douchan. Celui-ci fut couronné empereur des Serbes et Grecs en 1346; puis les hordes ottomanes commençant à faire trembler Byzance, il se prépara à marcher contre elles, mais la mort l’arrêta le 18 décembre 1355.

En 1356, Suleyman ayant franchi de nuit l’Hellespont à la tête de soixante Turcs, s’emparait de Djemenlik; puis, quelque temps après, de Gallipoli. Mourad, son frère, prit Tchorlou et, n’ayant devant lui aucun obstacle, entra sans coup férir à Andrinople. Devant ce fléau, Jean Paléologue appela le Pape à son secours; celui-ci envoya Amédée de Savoie qui reprit Gallipoli. De leur côté, Ougliacha et Voukachine, souverains serbes, réunirent une armée et marchèrent sur Andrinople, mais, surpris à Tchernomen par les Turcs, ils furent tués et leurs troupes anéanties. Une coalition comprenant la Serbie, la Bosnie, le Monténégro et la Valachie, se forma contre les envahisseurs et fut victorieuse à Plotchnik en 1387. Devant cette victoire, Jean Chichman III, tsar de Bulgarie, vassal des Osmanlis, les quitta et se joignit aux alliés. Ali-Pacha, grand vizir de Turquie, franchit alors les Balkans et défit Chichman qui fut de nouveau réduit à reconnaître la suzeraineté du Sultan.

Restaient les coalisés. D’abord incertaine, la bataille se décida contre eux à Kossovo et, Mourad ayant été assassiné, son fils Bajazet imposa son autorité au roi de Serbie, Lazarevitch, en lui enlevant sa sœur qu’il prenait pour son harem. Tirnovo résistait encore. Elle tomba en 1393 malgré l’héroïque résistance du patriarche Euthyme.

«Avec Euthyme disparaissait le patriarcat de Tirnovo. L’État bulgare passait aux mains des Turcs et l’Église bulgare à celles des Grecs .»

En 1396, une croisade s’organisa. La fleur de la noblesse française accourut avec le comte d’Eu, les ducs de Bar, les sires de la Trémoïlle, de Coucy, etc... ainsi que de nombreux chevaliers allemands, autrichiens et hongrois. Leur vaillante armée fut battue à Nicopolis, le 25 septembre. De ce jour, la Bulgarie devint province turque. Elle fut divisée en sandjaks administrés par des beys qui n’avaient sur leurs domaines qu’une autorité relative soumise au Sultan. A cette époque, les Bulgares n’eurent pas trop à en souffrir, mais, à partir du XVIe siècle, la puissance du Sultan s’affaiblissant, les beys se créèrent de petites principautés dans lesquelles ils exerçaient la plus affreuse tyrannie, accablant d’impôts les raïas (chrétiens) et les torturant continuellement. Quelques hommes hardis et vaillants tentèrent des soulèvements. Michel le Brave, après une alliance avec les princes de Transylvanie et de Moldavie, fit proclamer un tsar à Tirnovo, mais bientôt, accablé par les Turcs, il dut s’enfuir avec ses partisans.

En 1674 et 1688, deux nouvelles révoltes n’aboutirent qu’à un redoublement d’oppression, de cruautés et de crimes. Au XVIIe siècle, un premier symptôme de renaissance apparut sous la forme d’un livre: Histoire slave-bulgare des tsars, du peuple et des saints de Bulgarie, composé par le P. Païsi. Son élève, Stüko Vladislavof, reprit de 1790 à 1807 la propagande patriote en Bulgarie. Mais, à cette époque, un terrible adversaire allait se dresser devant le Sultan: la Russie. Dès ce moment, commença l’émancipation balkanique: Kara-Georges, voïvode de Serbie, s’empara de Belgrade en 1804. Obligé de reculer devant 200.000 Turcs, il s’enfuit en Hongrie. Un de ses lieutenants, M. Obrénovitch, battit alors plusieurs fois les Turcs et obtint, avec l’aide de la Russie et de l’Angleterre, l’érection de la Serbie en principauté vassale de la Porte. (Convention d’Akermann, 1824.)

On connaît l’histoire de l’indépendance grecque.

D’abord vaincus et contraints de voir les Ottomans à Athènes, les Grecs furent secourus par les flottes alliées de la France, de l’Angleterre et de la Russie; l’escadre ottomane anéantie à Navarin en 1827, la Grèce fut proclamée indépendante en 1830.

Les troupes russes du général Diébitch, comme les insurgés serbes, avaient été soutenues par les Bulgares qui tentèrent sans succès un soulèvement en i83o. Cette insurrection fut durement réprimée, mais la Bulgarie se relevait lentement et manifestait une renaissance intellectuelle qui commença avec Veneline en 1829. En 1860, les Bulgares essayèrent de s’unir avec Rome espérant, par là, aider à leur délivrance et s’assurer le secours de la France. La Russie fit échouer ce projet, mais obtint de la Porte la création de l’Exarchat .

Deux comités se fondèrent à Odessa et à Bucarest pour défendre la cause bulgare, mais deux échecs, en 1867, séparèrent les membres de ces comités, les uns trouvant un changement dangereux et inutile, les autres voulant à tout prix reconquérir pour leur pays la liberté perdue. Plusieurs complots éclatèrent de 1873 à 1875, et le dernier surtout fut suivi de représailles terribles, les Turcs ayant envoyé en Bulgarie des Tcherkesses, des Pomaks et des bachi-bouzouks qui mirent la contrée à feu et à sang. L’Europe s’émut et décida des réformes; la Turquie traînait encore les choses en longueur, mais un événement important allait se produire. Partout le joug turc fut ébranlé ; la Roumanie s’était constituée en 1856, la Serbie avait obtenu de nouvelles libertés en 1868, quant au Monténégro, il subit une invasion ottomane que l’Europe honteusement laissa se produire malgré la protestation du pape Pie IX. Enfin, après la guerre serbo-turque de 1876 , la Russie ayant déclaré à la Turquie qu’elle n’interviendrait pas plus avant dans les Balkans si la paix n’était pas faite avec le Monténégro, et le Parlement turc ayant voté la continuation des hostilités, le tsar n’hésita pas et, le 24 avril, déclara la guerre au Sultan.

L’armée russe, forte de 250.000 hommes, et commandée par Vannosski, Zimmerman, Krüdener, Radetzki, avec le grand-duc Nicolas comme généralissime, franchit le Pruth; cinq jours après elle passait le Danube à Svichtov, chassant devant elle les Turcs qui évacuèrent immédiatement Tirnovo. Le 29 avril, une légion bulgare comprenant six bataillons d’infanterie et six escadrons de cavalerie avait été formée sous les ordres du général Stoliétof et armée avec les munitions envoyées par le comité slave de Moscou. A mesure que les troupes avançaient, les Russes, et en particulier le prince Tcherkasky, réorganisaient l’administration bulgare avec des fonctionnaires russes et bulgares.

Les corps russes, disséminés sur un front de 200 kilomètres, descendirent dès les premiers jours de juin vers le sud; à l’aile gauche se trouvait le tsarévitch; au centre, le grand-duc Nicolas et, à l’aile droite, le général Krüdener. Le succès couronna tout d’abord l’offensive slave; le généralissime entra à Tirnovo et Krüdener à Nicopolis. Le 17 juillet, Gourko occupa Schipka, mais ne put s’emparer de la batterie du mont Saint-Nicolas; les Turcs battirent en retraite le lendemain et, le 19, la marche en avant reprenait.

Mais la Turquie affolée avait rappelé du Monténégro Suleyman Pacha qui vint s’établir avec 50.000 hommes près de Stara-Zagora; de son côté, Réouf Pacha occupait Roustchouk avec 40.000 hommes, Méhémet Ali était à Choumen avec 65.000 hommes et Osman Pacha à Plevna avec 60.000 soldats

Osman Pacha s’empressa de se fortifier à Plevna, prévoyant l’attaque russe sur ce point. Elle se produisit le 20 juillet et fut repoussée, de même que celle du 30 juillet.

Au sud, Gourko avec 3.000 Bulgares et Russes défendit avec héroïsme le défilé de Schipka et il allait être écrasé par Suleyman Pacha lorsque Radetzki, arrivant de Gabrovo, infligea aux Turcs une sanglante défaite. Le 7 septembre, Plevna fut investie; le siège dirigé par le célèbre Totleben dura jusqu’en décembre et, le 10 de ce mois, Osman Pacha se rendait aux Russes.

Le 4 janvier 1878, Gourko entrait à Sofia, le 15 à Philippopoli et, bientôt, les cosaques du général Stroukof, coupant la retraite de Suleyman Pacha, arrivaient en vue de Constantinople.

Le Sultan demanda la paix. Les préliminaires en furent signés le 31 janvier à Andrinople et le traité définitif conclu le 3 mars à San Stefano. Le Monténégro augmentait considérablement son territoire, la Serbie indépendante annexait les sandjaks de Nich, de Lescovetz et de Novi-Bazar; la Roumanie donnait la Bessarabie à la Russie et recevait la Dobroudja en compensation; enfin, la Bulgarie, érigée en principauté vassale de la Porte, voyait ses anciennes frontières rétablies; elle s’étendait, en effet, du Danube à l’Egée et du lac d’Okrida à la mer Noire.

Mais les puissances s’émurent de la reconstitution balkanique et des progrès de là Russie; Bismarck réunit un congrès européen à Berlin et, le 13 juillet 1878, un nouveau traité était signé qui transformait celui de San-Stefano.

La Russie gardait bien la Bessarabie et une partie de l’Arménie, mais l’Autriche avait la surveillance de la Bosnie et Herzégovine et du sandjak de Novi-Bazar, et la Bulgarie était réduite au territoire compris entre le Balkan et le Danube.

Le 10 février 1879, une assemblée des notables se réunit à Tirnovo pour donner une constitution à la Bulgarie, mais elle se divisa immédiatement en deux groupes, dont l’un voulait le maintien de l’état actuel et dont l’autre voulait une indépendance complète et la réunion à la Bulgarie, de la Roumélie orientale; aussi votèrent-ils une constitution extrêmement libérale destinée à faciliter considérablement une politique intérieure active: Pouvoir législatif confié à une assemblée (Sobranié) élue pour cinq ans au suffrage universel direct, inviolabilité parlementaire, responsabilité ministérielle, électorat à vingt et un ans, éligibilité à trente ans; pouvoir exécutif confié à un prince dont l’initiative était très minime...

Cela fait, on chercha pour la Bulgarie un souverain apparenté aux familles royales d’Europe et l’on hésita devant trois noms:

Le prince Valdemar de Danemark, le prince de Reuss et le prince Alexandre de Battenberg. Ce dernier, neveu de l’impératrice de Russie, fut élu sans discussion dès que l’on sut qu’il était protégé par le tsar.

Alexandre (né en 1857) avait combattu à Plevna pendant la guerre de 1877, et servait comme lieutenant aux Gardes du corps de Prusse quand il apprit la proposition qu’allaient lui faire les délégués bulgares. Il l’accepta, mais, avant d’entrer dans sa principauté, il tint à s’assurer de l’agrément des puissances et de celui du Sultan, son suzerain, ce que la Russie ne vit pas avec satisfaction, puis le 10 juin, il débarquait à Varna. Avec les meilleures qualités de bravoure, de droiture et d’intelligence, il ne sut pas se maintenir entre les partisans de l’influence moscovite et ceux du pur nationalisme. Ayant d’abord renvoyé sèchement le prince Dondoukof, commissaire du tsar, puis deux Russes, le banquier Gunsbourg et l’entrepreneur Poliakoff, il prit un ministère russophile qui fut battu aux élections de 1879. Le Sobranié dissous, il appela devant la nouvelle Chambre de 1880 un cabinet libéral avec Zankof et Karavélof. Puis, au mois de mai 1880, il se rendit à Saint-Pétersbourg et obtint du tsar un assentiment complet à ses plans. Cela fait, le 21 avril 1881, il publiait une proclamation dans laquelle il annonçait son intention de quitter la Bulgarie si on ne donnait pas satisfaction aux demandes suivantes:

Blanc-seing de l’Assemblée Nationale lui donnant pour sept ans le droit de modifier comme il l’entendrait les institutions établies et de prendre les mesures qu’il jugerait nécessaires.

L’Assemblée Nationale élue avec une forte pression du gouvernement se réunit à Svichtov et ratifia ses propositions.

Mais les Russes, qui s’étaient répandus en plus grand nombre dans tous les ministères, s’étant vu refuser une concession de chemin de fer, s’allièrent aux radicaux et mirent le prince en demeure de rétablir la constitution de Tirnovo. Alexandre s’entendit avec les libéraux et accorda le retour au régime parlementaire que lui demandait le Sobranié. Les Russes lâchèrent pied et, après une crise ministérielle de courte durée, un cabinet libéral Karavélof-Tzankof fut constitué. La question rouméliote apparut alors plus aiguë et devait séparer définitivement Alexandre, de la Russie.

La Roumélie orientale, placée sous l’autorité du Sultan, était directement gouvernée par un prince chrétien nommé par la Porte et n’attendait qu’une occasion de proclamer son union à la Bulgarie. Tant qu’elle fut administrée par Aleko Pacha, homme intelligent et probe, rien ne se produisit; mais il fut remplacé par un Bulgare, Gavril Krestowich; une conjuration se forma aussitôt et, le 18 septembre 1885, une troupe de paysans entra à Philippopoli, fit prisonnier l’envoyé du sultan et déclara l’annexion de la Roumélie orientale à la Bulgarie. Alexandre approuva le mouvement et le 21, entrait à Plovdiv au milieu des acclamations de la population. Le tsar lui exprima immédiatement son mécontentement et rappela la mission militaire russe. Le prince s’écria que «le jour du départ de la mission des officiers russes était le plus beau jour de sa vie»...

C’était la rupture.

L’Autriche et la Russie s’entendirent alors avec le roi de Serbie, Milan Obrenovitch qui, voyant Alexandre occupé en Roumélie, jugea le moment opportun de s’agrandir aux dépens de la Bulgarie et lui déclara la guerre le 13 novembre 1885. Le 14, il passait la frontière. Le prince de Battenberg accourut à sa rencontre et, à force d’énergie et d’habileté, réunit 33.000 hommes en trois jours à Slivnitza. Le 18, il repoussait les Serbes et prenait l’offensive. Le 25, il s’avança jusqu’à Pirot. L’Autriche lui imposa aussitôt la paix, mais sans lui donner aucune indemnité d’argent ou de territoire.

Devenu très populaire, Alexandre laissa son armée se diviser en russophiles et battenbergistes! Les premiers organisèrent un complot et, le 21 août 1884, Sloïanof, Benderef et Grouef ayant fait cerner son palais par leurs soldats, exigèrent son abdication et l’entraînèrent immédiatement à Etropol, puis, sur son propre yacht, lui firent descendre le Danube et le remirent prisonnier aux Russes. Ceux-ci le relâchèrent aussitôt, mais l’obligèrent à gagner le territoire autrichien.

Mais, tandis qu’Alexandre s’éloignait de la Bulgarie, la population, loin d’approuver le coup d’État, manifestait ouvertement son mécontement et Stamboulof, président du Sobranié, demanda au prince de réintégrer sa capitale. Battenberg accepta et, le 3 septembre, il rentrait triomphalement à Sofia.

Mais ce n’était qu’un succès éphémère, car le tsar lui ayant déclaré qu’il désapprouvait formellement son retour dans les Balkans et lui ayant adressé des paroles de menace, il ne pouvait se maintenir dans sa principauté. Alexandre le comprit et, après avoir expliqué publiquement sa situation à ses officiers et nommé un conseil de régence, composé de Stamboulof, Moutkourof et Karavelof, il quitta la Bulgarie pour n’y plus revenir, et s’en alla finir ses jours en Autriche où il mourut le 17 septembre 1893.

Alors commença la célèbre dictature de Stamboulof. Cet homme, qui allait jouer un rôle si considérable dans l’histoire de son pays, était né en 1854 à Tirnovo. Fils d’aubergiste, il fut d’abord tailleur, puis entra au séminaire d’Odessa, fut expulsé à cause de sa propagande nihiliste, devint agent secret du comité de Bucarest, combattit en 1877; enfin, étant entré dans la vie politique, s’acquit comme lieutenant de Karavélof une grande popularité et fut élu président du Sobranié. Volontaire, hardi et fier, il ne reculait devant aucun moyen pour réprimer l’anarchie et repousser l’influence dominatrice de la Russie.

Stamboulof fit subir à l’armée et à toutes les administrations une épuration complète de tous les russophiles pour les remplacer par des battenbergistes, puis il établit l’état de siège, traita dédaigneusement l’envoyé du tsar, le général Kaulbars, et, exerçant une pression terrible sur la population, obtint le 10 octobre aux élections de l’Assemblée Nationale une écrasante majorité pour ses partisans. Le 10 novembre, cette assemblée élut le prince Valdemar de Danemark, mais celui-ci, devant l’attitude du tsar, refusa la couronne.

Stamboulof rompit alors définitivement avec la Russie et sa dictature se fit de jour en jour plus dure en face des complots qui éclataient à chaque instant et qu’il réprimait avec une indicible violence.

Mais la Régence ne pouvait durer indéfiniment et, sur les instances de Stoïlof, le prince Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha ayant laissé poser sa candidature au trône de Bulgarie, le Sobranié l’élut à l’unanimité le 7 juillet 1887. Le prince Ferdinand déclara n’accepter cette offre qu’assuré de l’assentiment du Sultan; celui-ci, flatté de ce procédé, adressa une note consultative aux chancelleries européennes qui hésitaient à prendre parti. Mais le prince n’attendit rien: le 10 juillet, il était à Roustchouk, le 13 à Tirnovo où il prêtait serment à la Constitution et d’où il adressait au peuple une éloquente proclamation.

Mais sa situation n’était guère brillante, car aucune puissance ne voulut le reconnaître à cause de la Russie qui déclarait son élection illégale, aussi force lui fut-il de garder Stamboulof au ministère.

L’ancien dictateur ne modifia pas ses méthodes et continua son gouvernement tyrannique, mais nécessaire, à ce jeune pays déchiré aisément par les dissensions politiques; tandis qu’il agissait ainsi et usait sa popularité, le prince Ferdinand allait rendre visite à l’empereur d’Autriche, puis au roi de Bavière et à Paris et s’assurait de la sympathie des cours d’Europe.

Le Roi et ses fils à la revue militaire après la mobilisation à Sofia


Le 20 avril 1893, il épousait, près de Florence, la princesse Marie-Louise de Bourbon-Parme et, l’article 38 de la Constitution spécifiant que l’héritier du trône devait être orthodoxe, Stamboulof obtint sa modification du Sobranié. Mais l’ex-dictateur avait terminé son rôle utile et devenait néfaste pour le pays; au sujet d’un scandale privé, il offrit au prince sa démission, espérant qu’elle serait refusée, elle fut acceptée et Stamboulof fut remplacé par Stoïlof.

Ferdinand de Cobourg voulut alors se réconcilier avec la Russie et y parvint définitivement après avoir fait embrasser à son fils aîné la religion orthodoxe, le 14 février 1896. Dès lors, les relations russo-bulgares furent très amicales comme le prouvèrent la visite du grand duc Nicolas à Sofia, en 1902, et l’inauguration, en 1907, d’un monument à Alexandre II dans la capitale de la Bulgarie.

En même temps, la question macédonienne, un instant oubliée, rappela sur elle l’attention des États balkaniques. Depuis le congrès de Berlin, les Turcs, loin d’exécuter les réformes qu’ils avaient promis d’accomplir, opprimaient de plus en plus les malheureuses populations qui s’organisèrent pour hâter leur indépendance et formèrent deux comités, l’un à Sofia, l’autre à Salonique; une première insurrection éclata en 1902 et fut vaincue par les rigueurs de l’hiver. Les Turcs en profitèrent pour redoubler de brutalité, ce qui occasionna une intervention diplomatique du prince Ferdinand près de l’Autriche et de la Russie. Cette intervention n’ayant abouti à rien, la révolte reprit en mars igo3 et fut combattue par 150.000 hommes qu’Abdul-Hamid envoya pour l’écraser. Les troupes ottomanes n’y réussirent cependant pas et se contentèrent d’incendier et de dévaster les régions qu’elles traversaient. Mais, une seconde fois, le froid vint arrêter les rebelles et la Bulgarie signait, en avril 1904, avec la Porte, un accord par lequel elle s’engageait à ne pas favoriser les insurgés macédoniens et, de son côté, le Sultan promettait d’appliquer immédiatement les réformes de Müersteg. La Macédoine n’en fut pas pour cela pacifiée, car la Turquie ne se pressait pas de tenir ses promesses et les bandes bulgares tenaient tête à ses soldats tuant et brûlant de leur côté.

Vint, en juillet 1908, la Révolution jeune-turque. Le prince Ferdinand comprit aussitôt le parti qu’il pouvait en tirer et saisit le prétexte que lui fournirent deux incidents sans grande importance pour réaliser un projet qu’il caressait depuis quelque temps.

D’une part, la Porte n’invita pas à une réception qu’elle offrait au corps diplomatique M. Guéchof envoyé du prince, en déclarant qu’il ne représentait pas une puissance étrangère. M. Guéchof rentra aussitôt à Sofia.

D’autre part, le personnel de la ligne de Sarambey-Harmanli restée turque, quoique en terre bulgare, se mit en grève. Le prince fit occuper la ligne par un régiment et, en affirmant sa volonté de la garder, vu sa valeur stratégique pour son État, offrit de payer une indemnité.

Abdul-Hamid protesta, mais l’Empire ottoman était trop occupé de ses divisions politiques pour se permettre une action quelconque et, suivant le vœu de ses sujets, le prince Ferdinand proclama l’indépendance complète de la Bulgarie et son érection en royaume autonome, le 5 octobre 1908, à Tirnovo. Puis, d’accord avec le tsar Nicolas, il accorda à la Turquie une somme de 82 millions comme indemnité du rachat de la voie Sarambey Harmanli et de la redevance annuelle rouméliote.

Mais ce résultat devint bientôt insuffisant pour deux raisons: d’abord, les populations d’Epire, de Vieille-Serbie, de Macédoine et de Thrace ne pouvaient plus supporter le joug ottoman; ensuite le pangermanisme, dirigé par Berlin qui faisait agir Vienne, commençait à jeter sur Salonique et sur le centre des Balkans des regards de convoitise. Ferdinand Ier comprit le danger et vit que, pour délivrer les opprimés des Turcs et résister à la vague allemande, l’union des États de la péninsule était indispensable; il s’employa aussitôt à la réaliser et, ayant signé une première convention avec le Monténégro, lui assurant en cas de triomphe une partie du sandjak de Novi-Bazar, puis s’étant entendu avec le roi Pierre de Serbie et l’intelligent ministre grec M. Venizelos, il réussit définitivement dans son projet, et, en mai 1912, la Serbie, la Bulgarie et la Grèce formaient un bloc dont la puissance allait bientôt se manifester.

En septembre, les gouvernements de Belgrade, de Cettigné, d’Athènes et de Sofia réclamèrent de la Turquie des réformes immédiates en Macédoine. Constantinople, fidèle à son principe, tergiversa, comptant sur l’Europe pour arrêter un conflit. Le 30 septembre, les Etats balkaniques signaient une convention militaire et, le 9 octobre, le Monténégro déclarait la guerre à l’Empire ottoman.

Les puissances qui ne se rendaient pas compte de leur situation tentèrent, le 2, une démarche collective à Constantinople, demandant à la Porte l’application immédiate des réformes et déclarant qu’en aucun cas elles n’admettraient une modification quelconque au statu quo de la péninsule.

Les alliés, sachant la duplicité de leur adversaire et poursuivant leur plan, remirent aux ministres de Turquie à Belgrade, à Athènes et à Sofia, une note impérieuse réclamant la démobilisation turque, l’application des réformes avec le contrôle des royaumes balkaniques, la représentation proportionnelle de chaque nationalité au parlement, etc....

La Turquie répondit aux puissances qu’elle repoussait les demandes des coalisés, et en même temps, attaquait les Serbes; puis ayant signé, le 14, la paix avec l’Italie, elle déclarait la guerre, le 17, aux Serbes et aux Bulgares espérant encore gagner la Grèce à sa cause ou, du moins, s’assurer de sa neutralité. Mais les Hellènes suivirent les alliés dans le conflit.

Les Princes héritiers des Etats balkaniques


Nous examinerons plus loin et plus sommairement la marche glorieuse des Serbes et des Grecs. Voyons, d’abord, la campagne des Bulgares.

Si l’on regarde une carte des Balkans, on verra facilement que la seule voie de communication entre la Bulgarie et la Thrace est la vallée de la Maritza; j’entends la seule voie utilisable pour une armée; cette opinion, d’ailleurs classique, était celle des spécialistes militaires qui avaient étudié la question et celle aussi des généraux turcs. Ces derniers avaient précisément organisé en 1910, sous la direction du maréchal von der Goltz, des manœuvres sur le thème suivant: Andrinople étant investie par une armée bulgare, deux autres armées bulgares descendent à l’est et à l’ouest de la ville pour se réunir entre Dimotika et Hafsa et attaquer une armée turque concentrée autour de Lüle-Bourgas.

Or, en 1911, l’état-major bulgare, désirant se rendre compte de l’exactitude de l’opinion émise par tous au sujet de l’Istrandja Dagh, envoya plusieurs officiers examiner ces montagnes. A leur retour, ils déclarèrent que la traversée de ces chaînes abruptes serait très difficile pour une armée, mais qu’elle serait possible.

Les généraux bulgares conçurent alors un plan de campagne grandiose. Tandis qu’une fausse concentration aurait lieu à Haskove, une armée se formerait au nord de l’Istrandja Dagh et marcherait directement sur Kirk-Kilissé.

Les trois armées bulgares se constituèrent ainsi:

Première armée: général Koutintchef, Ire, 3e et 10e divisions.

Deuxième armée: général Ivanof, 8e, 9e et 11e divisions.

Troisième armée: général Radko-Dimitrief, 4e, 5e et 6e divisions.

Deux divisions, la 10e et la 11e étaient nouvelles, et les deux divisions de Philippopoli et de Doubnitza furent destinées à manœuvrer dans le Rhodope et en Macédoine.

La deuxième armée se concentra sur Harmanli et la Maritza (suivant le thème turc) et la première armée reçut l’ordre de se concentrer à Haskovo (figurant ainsi le corps de l’ouest du thème turc); puis, au moment où les troupes approchaient de cette ville, elles furent envoyées directement à Yamboli, au sud-est de la Bulgarie, et s’établirent définitivement à Kizil-Agatch, dans la vallée de la Toundja.

La concentration semblait donc pour les Turcs, dont les agents espionnaient en Bulgarie, la suivante: une armée à Haskovo, une autre à Harmanli, une troisième vers Yamboli et Kizil-Agatch. Cette conception était erronée, grâce au stratagème que nous venons de constater, et deux armées seulement étaient formées, l’une à Harmanli, l’autre à Kizil-Agatch. Que devenait la troisième? Commandée par le général Radko Dimitrief, elle se massait à l’est vers Straldja et se préparait à jouer le rôle décisif de la campagne.

Le 17 octobre, une division de cavalerie sous les ordres du général Nazlumof se déployait de la Toundja à la Mer Noire en formant rideau, tandis que le colonel Tanef faisait de même dans la vallée de la Maritza. A Haskovo se trouvait une brigade qui devait opérer dans les Rhodopes, tandis que deux autres brigades se préparaient à entrer en Macédoine au sud de Philippopoli, de même que la division de la Strouma.

L’objectif immédiat et direct de l’état-major fut donc: prendre à tout prix Kirk-Kilissé, c’est-à-dire ouvrir à l’armée bulgare un passage qui lui permît de marcher sur Lüle-Bourgas et Constantinople.

Les troupes turques d’Andrinople ayant pris l’offensive dès le lendemain de la déclaration de guerre, se virent immédiatement enlever Mustapha-Pacha, mais, tandis que Mahmoud Moukhtar occupait Kirk-Kilissé avec 25.000 hommes, Abdullah Pacha accourait entre les deux villes avec 65.000 hommes. Mais, le 19 octobre, Koutintchef l’attaquait de front, descendant par la Toundja; son avant-garde fut d’abord fortement éprouvée à Tatarlar et Seliolu, mais, décidé à passer coûte que coûte, il lança toutes ses forces sur Seliolu Guerdeli et Genidjé qu’il emportait le 23. Un coup de théâtre allait décider du succès décisif. Le 21, le général Radko Dimitrief avait franchi la frontière et s’était engagé dans les défilés de l’Istrandja Dagh entre Eski-Polos et Eri-Kléré. Ses premières colonnes rejetèrent facilement les bataillons ennemis qui se replièrent sur Petra où ils tentèrent en vain de résister aux vainqueurs; pendant ce temps, Mahmoud Mouhktar et son aide, le major allemand Hochwaechter, persuadés que le gros des forces bulgares se trouvait entre la Maritza et la Toundja, faisaient sortir de la ville de Kirk-Kilissé la majeure partie de leurs troupes. Apprenant enfin l’arrivée des Bulgares parle nord-est, il résolut une attaque de nuit; à peine l’avait-il commencée, que ses régiments, écrasés par l’impétueux élan des soldats de Radko Dimitrief tourbillonnaient et s’enfuyaient dans une effroyable panique.

La pluie seule et la fatigue de cette marche en avant empêchèrent la troisième armée de poursuivre les Turcs et Mahmoud put, avec son état-major, prendre le train pour Eski-Baba (23 octobre).

Le 24, elle occupait Kirk-Kilissé abandonné par les Ottomans.

De son côté, le général Ivanof poursuivait l’investissement d’Andrinople et, ayant déjoué le 23 une tentative de mouvement tournant des Turcs à Yourouch, les resserrait de plus en plus dans une tenaille d’acier.

Dimitrief et Koutintchef, dès la victoire de Kirk-Kilissé, avaient repris la route du sud; le 25, ils poussèrent jusqu’à Tchiflik-Moudra et Kavak-Déré, avec leur gauche à Uskubdere. Le 27, ils entrèrent de nouveau en contact avec l’ennemi.

Celui-ci, désorganisé, démoralisé par la défaite, n’ayant plus que quelques officiers de valeur, la majorité ayant reçu leur grade suivant les orientations de la politique, était toujours sous les ordres d’Abdullah Pacha qui tenta encore de relever la fortune de la Turquie. Abouk Pacha occupa Lüle-Bourgas avec le Ve corps et ce qui restait du Ier décimé à Lozengrad (Kirk-Kilissé). Chefket Torghoud Bey se tenait près du Karaagatch avec le IIe. Enfin, Mahmoud Mouktar s’était établi sur la ligne de retraite de Saraï à l’extrême gauche des Bulgares.

Les Souverins alliés: Nicolas 1er de Monténégro. Ferdinand 1er de Bulgarie, Pierre 1er de Serbie, Georges 1er de Grece.


Radko Dimitrief recommença le 28 l’attaque de la ville et le général Christof avec la 5e division, se portant entre Bunar Hissar et Tchiflik Teké, soutint seul l’effort des Turcs pour permettre à la première et à la deuxième armée d’opérer leur conversion vers le sud-est. Le général Christof, en lançant ses régiments sur les troupes ottomanes, comprit qu’il ne pourrait les culbuter vu son infériorité, mais il obtint un résultat important en les obligeant à déployer une grande partie de leurs forces, puis, se retranchant sur les mamelons de la rive droite du Karaagatch-Déré (Déré : ruisseau), il y résista durant deux jours entiers aux assauts ennemis à l’aide de son admirable artillerie du Creusot. Le soir du 29, la situation s’améliora par la présence de la 4e et de la 6e divisions de la troisième armée qui vinrent prolonger la droite de la cinquième. Mais les troupes de Dimitrief ne pouvaient plus progresser. Le 3o, Koutintchef entrait en ligne sur Varandi-Lüle-Bourgas, mais les Turcs tenaient toujours dans leurs formidables positions. Soudain, une brigade de la 6e division (troisième armée) se précipita vers onze heures du soir sur les retranchements ennemis et enleva à la baïonnette un des éperons surplombant le Karaagatch. Le lendemain matin plusieurs batteries et de nouveaux régiments accouraient dans cette brèche ouverte au milieu des lignes turques. Pendant ce temps, la 10e division entrant à Sourouj-Mouvelin s’y établit avec une forte artillerie et accabla l’aile gauche d’Abdullah Pacha qui commença à battre en retraite. Restait la droite avec Mahmoud Mouhktar; elle dut céder le même jour devant l’élan des troupes de Dimitrief qui atteignaient Topchiköj le Ier novembre et, aidée d’une brigade venue de Bunar-Hissar, culbutait les derniers contingents qui luttaient encore à Tchiflik Teké. Le 2, les Bulgares arrivaient devant Viza. Il leur aurait fallu, à ce moment, une cavalerie qui leur aurait permis de poursuivre les Ottomans et soit de leur couper la route de Tchataldja, soit de les empêcher de s’y fortifier en augmentant leur désordre. Ils ne purent pas le faire et durent attendre quelques jours pour se reposer après une aussi terrible bataille, gagnée comme ils l’ont dit eux-mêmes, avec nos méthodes, nos principes et nos canons. Puis, le 7, Koutintchef occupait Muratli, le 8, Tchorlou et un régiment s’emparait de Rodosto sur la mer de Marmara.

Le 13, la troisième armée au nord, la première au sud acculaient les Turcs dans leurs derniers retranchements. 160.000 Bulgares campaient aux portes de Constantinople.

Pendant ce temps, les divisions des Rhodopes s’emparaient de Kotchana, d’Istip, de Stroumitza, de Nevrocop, de Demir Hissar, de Serrés et de Drama. Le bombardement d’Andrinople avait commencé le 29 octobre. Les alliés de la Bulgarie n’avaient pas laissé plus qu’elle la Turquie dominer en Macédoine et en Epire.

Le Monténégro avait repoussé les Ottomans et pris Touzi, Bérana, Djakovitza, Ipek, Alessio, Saint-Jean-de-Medua et mis le siège devant Tarabosch, forteresse inexpugnable dominant Scutari.

Les Serbes, de leur côté, firent en douze jours une admirable campagne. Après avoir repoussé l’ennemi à quelques kilomètres de Vranie, le 21 octobre, ils marchaient sur Kumanovo tandis qu’une de leurs armées balayait le sandjak de Novi-Bazar. Le prince héritier Alexandre, à la tête de cinq divisions, livra bataille à Kumanovo; le 23 et le 24, les troupes turques battues s’enfuyaient en désordre sur Monastir. Le 3 novembre, les Serbes reprenaient contact avec l’ennemi et lui infligeaient de nouveau une sanglante défaite à Prilep; enfin, la victoire de Monastir (14 au 16 novembre) marquait l’écrasement complet de la Turquie en Macédoine et en Vieille-Serbie. Des détachements serbes traversaient l’Albanie et allaient occuper Durazzo sur l’Adriatique.

La Grèce, entrée en campagne le 19 octobre, mettait en ligne 100.000 combattants sous les ordres des généraux Danglis et Sapoundsakis et du Diadoque; victorieux, le 20, à Elassona, tandis que 30.000 hommes pénétraient en Epire et mettaient le siège devant Janina et que l’amiral Condouriotis s’emparait de Lemnos et bloquait les ports turcs.

Le 4 novembre, Je diadoque Constantin était encore vainqueur à Yenidjé-Vardar de Hassan Tashin Pacha et il entrait le 9 à Salonique. tandis que les colonnes bulgares du général Théodorof culbutaient au nord de la ville les dernières résistances ottomanes. Il ne restait plus que Scutari, Janina, Andrinople et Tchataldja à la Turquie. A ce dernier point, Nazim Pacha s’était admirablement fortifié sur un espace assez restreint et facilement défendable compris entre le lac de Derkos et le cap Karatouroun, sur lequel ne s’élevaient pas moins de trente-deux forts sur des collines de 150 à 200 mètres de hauteur. Cette barrière, faussement dénommée «ligne de Tchataldja» et devant s’appeler «lignes d’Hademkeuï », était encore protégée par la vallée de Karasou qui la sépare des escarpements de Tchataldja où campaient les Bulgares.

Ceux-ci ne pouvaient plus, contre cet obstacle, opérer un mouvement tournant quelconque, il fallait donc attaquer de front; mais les généraux Savof et Dimitrief, soit qu’ils savaient qu’on ne les laisserait pas entrer à Constantinople, soit trouvant inutile d’exposer leur armée aux atteintes du choléra, ne tentèrent qu’un assaut partiel soutenu par l’artillerie, les 17, 18 et 19 novembre, sur la gauche ennemie. Ayant d’abord progressé sur Lazarkoj et repoussé les Turcs, ils regagnèrent lentement le troisième jour du combat leurs positions de l’ouest; le tsar Ferdinand ne devait pas, cette fois encore, entrer victorieux à Constantinople.


Mais les troupes ottomanes de Thrace et de Macédoine n’existaient plus et, un jour ou l’autre, les Bulgares reposés et renforcés pouvaient enlever ce dernier rempart de l’Islam. Un armistice fut donc signé le 3 décembre à Tchataldja; il notifiait que:

1° Les armées belligérantes garderaient leurs positions.

2° Les forteresses de Scutari, de Janina et d’Andrinople ne seraient pas ravitaillées.

3° Les armées bulgares seraient ravitaillées par la mer Noire et la gare d’Andrinople.

4° Une conférence de la paix se réunirait à Londres le 13 décembre.

Les négociations s’ouvrirent à Londres le 14 décembre. Rechid Pacha représentait la Turquie, M. Venizelos la Grèce, M. Novakovitch la Serbie, M. Miouchkovitch le Montenegro, M. Danef la Bulgarie. Les alliés demandaient grosso modo à leur adversaire l’abandon de la Turquie d’Europe jusqu’à une ligne suivant la Maritza, l’Ergène et joignant les ports d’Enos et de Midia, puis la cession à la Grèce des îles de l’Egée et la reconnaissance de l’autonomie albanaise avec contrôle des alliés. La Turquie, soutenue par l’Allemagne et l’Autriche, montra d’abord une intransigeance étrange, puis le sage Kiamil Pacha, comprenant justement la situation, décida de conserver encore les vestiges de la puissance ottomane et de signer la paix immédiatement afin de ne pas être obligé de faire de nouvelles concessions.

Mais, le 23 janvier, une émeute éclatait à Constantinople.

Enver Bey, un des chefs du parti «Union et Progrès», se précipitait avec plusieurs officiers et révolutionnaires dans le palais du Grand Vizirat, tuait d’un coup de revolver le malheureux Nazim Pacha à qui les Turcs devaient l’organisation des défenses d’Hademkeuy, forçait Kiamil Pacha à démissionner et le remplaçait par Mahmoud Chefket, l’ami de l’Allemagne.

Devant ces événements, les Balkaniques, sentant que la paix ne serait pas conclue, rompirent les négociations et reprirent les hostilités, le 3 février, à 7 heures du soir.

La seconde phase de la guerre ne ramena pas la victoire au camp musulman. Janina tombait. Scutari se rendait au roi Nicolas et Chukri Pacha, l’héroïque défenseur d’Andrinople, remettait son épée au général Ivanof le 13/26 mars 1913.

La Turquie, à bout de forces, se décida à négocier.

Les délégués se réunirent de nouveau à Londres et conclurent, le 30 mai, le traité dont voici les principales dispositions:

LE TRAITÉ PRÉLIMINAIRE DE PAIX

ARTICLE PREMIER. — Il y aura, à dater de l’échange des ratifications du présent traité, paix et amitié entre Sa Majesté Impériale le Sultan de Turquie, d’une part, et Leurs Majestés les souverains alliés, d’autre part, ainsi qu’entre leurs héritiers et successeurs, leurs États et sujets respectifs, à perpétuité.

ART. 2. — Sa Majesté Impériale le Sultan cède à Leurs Majestés les souverains alliés tous les territoires de son Empire sur le continent européen à l’ouest d’une ligne tirée d’Enos, sur la mer Egée, à Midia, sur la mer Noire, à l’exception de l’Albanie.

Le tracé exact de la frontière d’Enos à Midia sera déterminé par une commission nommée par (l’Europe).

ART. 3. — Sa Majesté Impériale le Sultan et Leurs Majestés les souverains alliés déclarent remettre à Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne, à Sa Majesté l’Empereur d’Autriche, roi de Hongrie, à Monsieur le Président de la République Française, à Sa Majesté le Roi de Grande-Bretagne et d’Irlande, Empereur des Indes, à Sa Majesté le Roi d’Italie et à Sa Majesté l’Empereur de toutes les Russies, le soin de régler la délimitation des frontières de l’Albanie et toutes autres questions concernant l’Albanie.

ART. 4. — Sa Majesté Impériale le Sultan déclare céder à Leurs Majestés les souverains alliés l’île de Crète et renoncer en leur faveur à tous les droits de souveraineté et autres qu’il possédait sur cette île.

ART. 5. — Sa Majesté Impériale le Sultan et Leurs Majestés les souverains alliés déclarent confier à Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne, Sa Majesté l’Empereur d’Autriche, roi de Hongrie, à Monsieur le Président de la République Française, à Sa Majesté le Roi d’Italie, à Sa Majesté l’Empereur de toutes les Russies, le soin de statuer sur le sort de toutes les îles ottomanes de la mer Egée (l’île de Crète exceptée) et de la péninsule du Mont Athos.

ART. 6. — Sa Majesté Impériale le Sultan et Leurs Majestés les souverains alliés déclarent remettre le soin de régler les questions d’ordre financier résultant de l’état de guerre qui prend fin et des cessions territoriales ci-dessus mentionnées à la commission internationale convoquée à Paris à laquelle ils ont délégué leurs représentants.

ART. 7. — Les questions concernant les prisonniers de guerre, les questions de juridiction, de nationalité et de commerce seront réglées par des conventions spéciales.

La Bulgarie s’étendait donc jusqu’à Lüle-Bourgas et voyait se reconstituer, sous le sceptre du roi Ferdinand, l’empire de Kroum, de Boris et de Siméon le Grand!

Mais, ainsi que le spécifie l’article 6, les questions financières restaient encore à discuter et leur importance est évidente, étant donné les dépenses causées par la guerre aux belligérants. Je reproduis ici à ce sujet les déclarations faites au Matin par Rechid Safvet Bey, du côté ottoman, et par M. Stanciof, ministre de Bulgarie à Paris, du côté bulgare.

LE BILAN D’UNE GUERRE

L’Indemnité de Guerre

Que pense-t-on en Turquie de la demande des alliés concernant une indemnité de guerre?

J’ai déjà longuement exposé dans le Temps du 17 mars les raisons historiques, économiques et financières pour lesquelles il était oiseux de réclamer une indemnité à la Turquie. La chute d’Andrinople n’enlève rien à mon argumentation. La Turquie ne s’est pas enrichie par la reddition d’Andrinople; ses créanciers ne paraissent pas plus disposés qu’hier à la voir acculer à une banqueroute ou à la charger de nouveaux engagements destinés, non à l’aider à se relever, mais à payer les frais des ambitions balkaniques.

Les Bulgares prétendent avoir fait de nouveaux sacrifices. Comme si on leur avait demandé de les faire! Il n’est pas dit que la Turquie payera ad vitam æternam tous les coups de tête des Bulgares mus, en l’occurrence, par un sentiment d’émulation facilement explicable chez toutes les jeunes nations. Il est loisible au roi Ferdinand de juger que la simple gloire d’une entrée triomphale à Andrinople valait l’hécatombe de dix mille de ses sujets. Comment expliquer autrement cet assaut meurtrier, si réellement la cession d’Andrinople entrait dans les décisions des puissances.

La question territoriale et la dette ottomane

Comment se régleront les questions territoriales au point de vue financier et comment se répartira la dette publique ottomane sur les territoires cédés?

La dette ottomane afférente aux territoires cédés sera répartie entre les États cessionnaires en proportion des revenus fiscaux des territoires qui leur écherront. Les puissances paraissent admettre que les intéressés aient voix dans la discussion des détails de cette question, dont la base sera établie à Londres. Il est presque décidé que la commission internationale qui s’en occupera ensuite siégera à Paris, en raison de la prédominance des intérêts financiers de la France en Turquie autant que dans les Balkans.

(Paroles de Rechid Safvet Bey.)

LE BILAN D’UNE GUERRE

La Bulgarie est obligée de demander une indemnité de guerre, car les hostilités et leur prolongation n’ont point été sans lui causer de graves dommages, une perturbation économique, des dépenses d’armement et d’entretien de l’armée considérables, une détérioration de son matériel.

Sans doute, elle va faire des acquisitions territoriales appréciables, mais elle ne fait que recueillir le fruit matériel de ses victoires et réunir ses frères bulgares hier encore séparés.

Les provinces qui vont devenir siennes, dans quel état va-t-elle les trouver? Il faudra reconstruire les monuments publics, les arsenaux, quantité d’immeubles dans les aglomérations comme Andrinople où les ruines ont été accumulées.

Toute cette œuvre de reconstitution va coûter très cher à la Bulgarie. Elle l’entreprendra avec la vaillance, le courage et le sentiment patriotique qu’elle a témoignés déjà sur le terrain militaire comme sur le terrain économique.

Mais, si la Bulgarie ne veut point porter tort aux créanciers de la Turquie, elle doit également se préoccuper de la situation de ses propres créanciers.

Comment pourrait-on admettre que la situation des créanciers de la Bulgarie, pays vainqueur, fût considérée comme moins intéressante que celle des créanciers de la Turquie, pays vaincu?

Appel au Crédit public

La Bulgarie va être obligée de faire appel au crédit public. Ce serait lui interdire de contracter des emprunts à un taux raisonnable que de ne pas lui faciliter sa réorganisation financière.

Et si la Bulgarie est obligée de contracter des emprunts à des conditions onéreuses et peu en rapport d’ailleurs avec les perspectives de développement économique que l’élargissement de ses frontières lui permet d’entrevoir, n’est-ce pas porter atteinte aux porteurs anciens de la Dette Bulgare?

Ces porteurs devraient, au contraire, pouvoir espérer tirer de la victoire bulgare une plus-value de leurs titres. Comment les puissances, si soucieuses des intérêts de leurs nationaux, porteurs de fonds turcs, ne porteraient-elles pas le même intérêt aux porteurs de fonds bulgares?

La Bulgarie doit-elle supporter les conséquences de la mauvaise gestion des finances turques et de l’anarchie qui s’y est révélée?

La Bulgarie demande une indemnité de guerre. Elle n’entend point accabler la Turquie — et indirectement ses créanciers étrangers — du paiement immédiat d’une indemnité en capital. Elle est toute disposée à tenir compte des contingences et à laisser la Turquie se libérer progressivement par des annuités, de l’indemnité qu’elle lui réclame.

Pourquoi voit-on dans cette demande d’indemnité un danger tel qu’on se refuse même à en admettre le principe — et la discussion? Pourquoi ne se réunit-on point pour discuter de cette question de l’indemnité ? On se rendrait pourtant compte, si on l’examinait, qu’elle ne peut être l’épouvantail qu’on en fait.

Pourquoi seulement charger la Bulgarie et ses alliés et ne songer qu’à alléger la Turquie? Ne vivons nous donc pas dans un siècle où règnent l’égalité, la justice et la logique?

La Bulgarie — c’est un fait — n’a pas hésité à déclarer qu’elle prendrait à sa charge une quote-part raisonnable de la dette de l’empire ottoman.

La part de la Bulgarie dans la dette publique

ottomane.

Vous me demandez quel sera le mécanisme financier employé pour prendre sur nous une part contributive dans la dette publique ottomane?

Je ne saurais sur ce point m’engager, alors que les commissions étudient encore cette question. Mais, cependant, je puis vous indiquer qu’à mon sens, si nous demandons que l’indemnité nous soit payée par annuités (vous remarquerez que je tiens à la concordance du règlement des deux questions), nous demandons aussi à avoir à payer notre quote-part dans la dette par annuités en payant la rente et non en payant le capital.

Pourquoi obliger l’épargne française à souscrire en faveur de la Bulgarie un emprunt dont le montant serait immédiatement acquis à la Turquie?

Il est bien plus intéressant pour le petit capitaliste français d’avoir à souscrire à un emprunt bulgare, dont le montant sera employé au développement économique du pays, à son outillage. De cette façon, ce petit capitaliste sera intéressé à l’essor du pays et en recueillera une partie du bénéfice par la plus-value qu’acquerront ses titres.

La Bulgarie ne touchera point aux gages que la Turquie a concédés aux créanciers étrangers dans les vilayets européens.

(Paroles de M. Stanciof.)

Des événements que nous examinerons plus loin sont venus modifier les dispositions du traité de Londres, des dispositions nouvelles ont été prises, mais il m’a semblé intéressant, alors que les questions financières sont à l’ordre du jour, de rappeler les opinions émises au printemps dernier sur ce sujet.

Cependant, on le croyait du moins, le traité du 30 mai terminait l’éruption balkanique et restreignait l’empire ottoman à des territoires encore trop considérables pour les alliés et qu’il allait cependant agrandir trois mois plus tard.

La guerre balkano-turque avait coûté aux coalisés:

1° Chez les Bulgares : 320 officiers tués, 915 blessés, 32.967 soldats et sous-officiers morts, 52.780 blessés, soit en tout 86.979, dont à Andrinople, 42 officiers tués, 98 blessés, 2.081 sous-officiers et soldats morts et 7.672 blessés.

2° Chez les Serbes: 30.000 hommes tués ou blessés, 8.000 malades.

3° Chez les Grecs: 11.000 tués ou blessés, 5.000 malades.

4° Chez les Monténégrins: 8.000 hommes tués ou blessés.

La Bulgarie traquée - Les Balkans en flammes

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