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PRÉFACE

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Table des matières

Sainte-Beuve a écrit:

«Lamartine est de tous les poètes célèbres celui qui se prête le moins à une biographie exacte, à une chronologie minutieuse, aux petits faits et aux anecdotes choisies. Son existence, large, simple, négligemment tracée, s'idéalise à distance et se compose en massifs lointains à la façon des vastes paysages qu'il nous a prodigués... Il est permis, en parlant d'un tel homme, de s'attacher à l'esprit du temps plutôt qu'aux détails vulgaires qui chez d'autres pourraient être caractéristiques... Qu'importent donc quelques détails de sa vie[1]

Il paraît difficile d'admettre aujourd'hui sans discussion qu'un critique aussi pénétrant ait commis une telle erreur; sans doute avait-il ses raisons de parler ainsi, et peut-être ne faut-il voir dans cette opinion exagérée que l'excuse honorable pour les romantiques d'un éloignement dont ils furent tous secrètement blessés; écartés de l'existence du poète, ils déclaraient que le détail en était sans importance, et n'ajoutait rien à la compréhension de son œuvre.

Malheureusement, il semble que les biographes de Lamartine aient pris jusqu'ici le jugement de Sainte-Beuve pour base de leurs travaux, dont la plupart ne sont que des fragments plus ou moins commentés de ses innombrables souvenirs de jeunesse, source dangereuse et dont il importe de se méfier, surtout pour la période antérieure à 1820. Écrits à une époque où pour oublier le présent il se retrempa dans son passé, ils composent plus exactement l'image de celui qu'il se crut ou aurait voulu être plutôt que celui qu'il fut réellement. Aussi, doivent-ils être utilisés avec une extrême précaution.

Depuis quelques années déjà, la méthode historique a été introduite dans le domaine littéraire et, si elle a ses inconvénients, elle a surtout d'excellents côtés. Les études lamartiniennes en ont profité; divers travaux ont été publiés qui soumettent les récits du poète à un contrôle sévère en même temps qu'ils mettent en lumière des faits nouveaux. La légende de Lamartine adolescent tend à disparaître pour faire place à une réalité autrement vivante et l'on commence à comprendre que son œuvre nécessite une biographie minutieuse et presque quotidienne.

Mais s'il importe de rechercher les causes des états d'âme multiples et contradictoires que reflète sa poésie, les Méditations, surtout, écrites sans souci de la postérité et de la gloire à une époque indécise et tourmentée de sa vie, réclament un commentaire infiniment plus précis que celui qu'il nous a laissé; replacées dans leur véritable cadre, éclairées par les circonstances qui déterminèrent, retardèrent ou hâtèrent leur éclosion, elles deviennent plus humaines encore, parce que plus sincères, et singulièrement émouvantes: en elles, aucun artifice littéraire, nul désir d'introduire un mode nouveau de pensée: ce livre qui devait révéler la jeunesse romantique à elle-même et marquer le début d'un mouvement unique dans l'histoire des lettres françaises, fut écrit sans ambition et presque négligemment. À comparer le manuscrit de Saül, médiocre tragédie en cinq actes, amoureusement calligraphié sur beau vélin, et les ébauches crayonnées hâtivement qui sont le premier jet des Méditations, on se rend compte que Lamartine ne les considérait que comme des notations intimes de ses états d'âme et sans intérêt pour le public. Ce sont là des conditions de sincérité qui font d'elles un précieux document psychologique pour l'étude de la jeune génération romantique, et c'est ce que nous avons tenté d'établir ici.

Ce volume n'a d'autres prétentions que d'être la mise au point et l'utilisation de récentes publications dont on trouvera le détail au cours des chapitres qui suivent; nous y avons pourtant ajouté bon nombre de sources jusqu'ici demeurées inédites et sur lesquelles nous devons ajouter quelques mots. De l'œuvre publiée de Lamartine nous n'avons conservé que la Correspondance, dont il nous faut ici déplorer les lacunes et le classement souvent défectueux; volontairement, nous avons écarté tous les souvenirs rédigés sur ou par Lamartine postérieurement à 1820, sauf lorsqu'il nous a été possible de les vérifier, pour ne retenir que les lettres et témoignages contemporains de la période qui nous occupait; écrits à une époque où son avenir était impossible à prévoir, ils le montrent sans aucun ménagement sous son jour véritable et tel qu'il apparaissait alors aux yeux de sa famille et de ses relations.

En premier lieu, nous avons eu à notre disposition un important manuscrit, le Journal intime de sa mère; on sait que quelques fragments très écourtés et très remaniés en ont été publiés par le poète sous le titre, le Manuscrit de ma mère[2], ouvrage dont la valeur documentaire est tout à fait négligeable tant les suppressions et les additions qu'il y fit sont considérables; elles s'expliquent, il est vrai, aisément, soit qu'il ait souvent hésité à apporter des démentis trop nombreux à ses Confidences, soit qu'il ait jugé délicat d'en reproduire le texte intégral. C'est grâce au Journal intime, toujours soigneusement daté, qu'il nous a été possible d'entreprendre cet ouvrage, car il nous a permis de mettre en lumière certains faits demeurés encore obscurs ou ignorés, en même temps qu'il nous fournissait un tableau chronologique minutieusement détaillé des quarante premières années du poète. Ces pages écrites au courant de la plume, sans aucune préoccupation de composition ni de publicité, présentent naturellement des négligences et des répétitions, mais les pensées et les sentiments n'y ont d'autre souci que la sincérité[3].

De plus, grâce à l'obligeance de M. Charles de Montherot, petit-neveu de Lamartine, nous avons pu prendre connaissance des riches archives de Saint-Point, et le baron Carra de Vaux a bien voulu mettre à notre disposition les papiers et titres de la famille maternelle du poète, qu'il représente actuellement. Nous devons également nos remerciements à plusieurs familles de Mâcon qui nous ont aimablement ouvert leurs archives domestiques; à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de l'Académie de Mâcon, qui nous a fait à mainte reprise profiter de son érudition et de ses recherches personnelles; à M. Lex, archiviste de Saône-et-Loire, dont les travaux nous ont été d'un grand secours. Enfin, nous tenons à exprimer notre reconnaissance à M. Gustave Lanson qui, préparant lui-même une étude sur les Méditations, nous a permis de prendre connaissance de plusieurs documents inédits qu'il avait réunis.

C'est grâce à tant d'obligeances que ce volume a pu voir le jour. Nous avons essayé d'en faire une biographie exacte et critique; exacte, car nous n'avons voulu laisser dans l'ombre le moindre fait capable d'apporter un éclaircissement nouveau à la genèse des Méditations; critique, puisque les documents utilisés n'ont été acceptés qu'après un contrôle aussi sévère qu'il est possible en pareille matière.

Pierre De Lacretelle.

Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812

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