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II

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Le soir de ce même jour d'arrivée, au coucher du soleil, je vais faire ma première visite à notre campement de route, qui se prépare là-bas, en dehors des murs, sur une hauteur assez solitaire dominant Tanger.

C'est tout une petite ville nomade, déjà montée, déjà habitée par nos Arabes d'escorte; alentour, nos chevaux, nos chameaux, nos mules de charge, entravés par des cordes, paissent une herbe rase, très odorante; on dirait une tribu quelconque, un douar; l'ensemble exhale une forte odeur de Bédouin, et des chants tristes en voix de fausset, des sons grêles de guitare, sortent de la tente des chameliers.

C'est le sultan qui a envoyé tout cela au ministre, matériel, bêtes et gens. Je regarde longuement ces personnages et ces choses, avec lesquels il va falloir se familiariser et vivre, qui vont bientôt s'enfoncer avec nous dans ce pays inconnu.

La nuit qui vient, le vent froid qui se lève au crépuscule, accentuent—comme il arrive toujours—l'impression de dépaysement que ce Maroc m'a causée dès l'abord.

Le ciel du couchant est d'une limpidité profonde, dans des jaunes pâles extrêmement froids; Tanger, qui paraît dans le lointain, sous mes pieds, semble à cette heure un éboulement de cubes de pierres sur une pente de montagne; ses blancheurs, en s'obscurcissant, tournent au bleuâtre glacé; au delà s'étend la mer d'un bleu sombre;—au delà encore, en silhouette d'un gris d'ardoise, se dessine l'Espagne, l'Europe, une proche voisine avec laquelle ce pays, paraît-il, fraye le moins possible. Et cette pointe de notre monde à nous, que j'ai quittée il y a quelques heures à peine, vue d'ici me fait l'effet tout à coup de s'être effroyablement reculée.

Je reviens à Tanger par la place du Grand-Marché, qui est un peu au-dessus de la ville, à l'extérieur des vieux murs crénelés et des vieilles portes ogivales. Il y fait presque nuit. Par terre, sur une étendue d'une centaine de mètres carrés, il y a une couche de choses brunes qui grouillent faiblement: chameaux agenouillés, prêts à s'endormir, pêle-mêle avec des Bédouins et des ballots de marchandises; caravanes qui sont parties peut-être des confins du désert, par les routes dangereuses et non tracées, pour venir jusqu'ici où finit la vieille Afrique; jusqu'ici, en face de la pointe d'Europe, au seuil de notre civilisation moderne. Des bruits de voix humaines très rauques et des grognements de bêtes s'élèvent de ces masses confuses qui couvrent le sol de la place. Devant un petit feu, qui flambe jaune, au milieu d'un cercle de gens accroupis, un sorcier nègre chante doucement et bat du tambour. L'air de la nuit, de plus en plus frais, promène des exhalaisons fauves. Le ciel s'étoile partout, dans une limpidité profonde. Et voici qu'une grande musette arabe commence à gémir, dominant tous les autres bruits de sa voix aigre et glapissante... Oh! j'avais oublié ce son-là, qui, depuis pas mal d'années, n'avait plus glacé mes oreilles!... Il me fait frissonner, et j'éprouve alors une très vive, très saisissante impression d'Afrique; une de ces impressions des jours d'arrivée, comme on n'en a déjà plus les lendemains quand la faculté de comparer s'est émoussée au contact des choses nouvelles.

Elle continue, la musette, avec une sorte d'exaltation croissante, son air monotone qui déchire; je m'arrête pour mieux l'entendre; il me semble que ce qu'elle me chante là, c'est l'hymne des temps anciens, l'hymne des passés morts... Et j'ai un instant de plaisir étrange à songer que je ne suis encore ici qu'au seuil, qu'à l'entrée profanée par tout le monde, de cet empire du Moghreb où je pénétrerai bientôt; que Fez, but de notre voyage, est loin, sous le dévorant soleil, au fond de ce pays immobile et fermé où la vie demeure la même aujourd'hui qu'il y a mille ans.

Au Maroc

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