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L’ÉGLISE

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Table des matières

L’église de Bordeau, — qui dépend aujourd’hui de l’archevêché de Chambéry et de l’archiprêtré de la Motte-Servolex, — a fait partie du décanat de Savoie et de l’archiprêtré d’Aix (le cinquième du décanat), puis de l’évêché de Grenoble.

Il est probable que Bordeau posséda une église, dès les premiers temps qui suivirent la construction de son manoir féodal. Celle qui existe actuellement serait, suivant l’opinion de quelques habitants, une chapelle seigneuriale, une dépendance du château; mais cela paraît une erreur, dès que l’on remarque le peu d’art qui a présidé à sa construction, et surtout dès qu’il est avéré que le château possédait une chapelle particulière dans l’enceinte de ses murailles.

Cette église n’a rien de ces voûtes hardies, caractérisant la foi catholique; rien de ces flèches gothiques, expression de l’élan de la prière et de l’amour vers Dieu; rien de ces coupoles dont la forme est l’image du ciel; — l’art y est absent; elle ne se recommande donc à l’attention des archéologues que par son cachet d’ancienneté.

On remarque tout d’abord sous le porche, au-dessus de la porte d’entrée, une pierre sur laquelle sont taillées les armes de la famille de Livron.

Immédiatement au-dessous du blason, on lit l’inscription suivante, qui a été comme lui mutilée par le marteau révolutionnaire:

D. O. M.

HIC SUIS DENARIIS

CUMQUE MANUS

SUBDITORUM ME

ÆDIFICAVIT. 1661.

Cette inscription nous fournit une date précieuse: 1661; mais ce n’est là, il n’y a pas à en douter, que la date d’une restauration. Si, en effet, on examine avec quelque soin la structure extérieure de cet édifice; si l’on considère que les murs de la nef ne sont qu’appuyés à ceux du chœur et ne sont nullement liés entre eux, on reste persuadé que la nef et le chœur n’ont pas été bâtis en même temps. Le chœur a du reste un cachet d’ancienneté, qui fait totalement défaut dans le reste de l’édifice. La litre, dont je vais parler, fournit un argument décisif sur ce point. Il est évident, en effet, que si le chœur et la nef étaient du même patron ou fondateur, cette litre envelopperait l’église tout entière, au lieu de se limiter à la nef. Après un examen attentif, j’ai pensé que le chœur date du commencement du XVe siècle, tandis que la nef ne date que de 1661. Le premier a vraisemblablement été bâti par la famille de Seyssel, et la seconde, par la famille de Livron, — avec le concours des serfs, dit l’inscription ci-dessus transcrite.

A mi-hauteur des murs, on aperçoit, tout autour de l’extérieur de la nef, un enduit de mortier uni au frottoir, formant une bande peinte en noir ayant 34 centimètres de largeur. C’est une litre ou ceinture funèbre, semblable à celle dont le savant abbé Trépier a découvert quelques vestiges à l’église de Saint-Innocent, . On sait qu’autrefois il était d’usage que les églises ou chapelles prissent le deuil, à la mort de leur patron ou fondateur. Ce deuil se traduisait par une ceinture noire, comme celle dont il s’agit ici.

La litre de l’église de Bordeau, à la différence de celle de Saint-Innocent, existe encore tout entière. Sous le porche, la couleur noire est encore toute vive; ailleurs, elle a été un peu effacée par les eaux pluviales. Mais ce qui est particulièrement digne de remarque, c’est que cette curiosité archéologique est totalement inconnue, dans le monde savant comme dans le peuple, quoiqu’elle soit à proximité d’un chemin très fréquenté dans la belle saison. Les blasons que l’on voit sous le porche et sur les piliers intérieurs, nous apprennent que ce signe de deuil s’adresse à la mémoire de la famille de Livron.

L’intérieur de cette église est d’une simplicité toute champêtre. Le dallage n’offre qu’un développement de 72 mètres carrés, dont 12 pour le chœur et 60 pour la nef.

Tout cet intérieur a été restauré, en 1820, ainsi que l’indique une date en chiffres romains, placée sur l’archivolte de l’arc qui sépare le chœur de la nef. Lors de cette restauration, faite sans art et sans goût, on a condamné une fenêtre qui donnait sur le levant et que l’on aperçoit encore de l’extérieur. Cette fenêtre m’a beaucoup aidé à fixer mon opinion sur la date de la construction du chœur; elle est d’une seule baie à style ogival, ornée de belles moulures terminées par un lobe à leur partie supérieure.

La voûte de la nef est à nervures; elle tient à la fois du style gothique et du style roman. Le chœur est voûté en ogive, mais en ogive barbare; ce n’est au fond qu’une voûte romane, à arcs brisés d’une manière très brusque.

Sur les piliers qui supportent la retombée des voûtes, l’héraldiste remarquera deux blasons ciselés sur la pierrre et appartenant à la famille de Livron. Une note puisée dans les archives du Bourget , m’ayant révélé l’existence de ces blasons, je les ai exhumés de dessous une épaisse couche de mortier, dont les avaient recouverts, en 1820, les maladroits restaurateurs de l’église.

Ces blasons sont ici l’expression d’un droit, appelé droit de litre. Le droit de litre, ou droit de faire ciseler et peindre des armoiries au dedans et au dehors des églises et des chapelles, n’appartenait qu’aux seigneurs patrons-fondateurs et aux seigneurs hauts-justiciers.

L’église de Bordeau est placée sous le vocable de saint Vincent de Saragosse, immolé à la foi dans les persécutions de Dioclétien, en 303, et dont on célèbre la fête le 22 janvier de chaque année.

Lorsque, parcourant l’histoire, on se représente ce glorieux martyr, lié sur un lit de fer garni de pointes aiguës, puis exposé sur un brasier ardent où des bourreaux lui déchirent les parties supérieures du corps avec des lames de fer rouge, tandis que d’autres bourreaux ravivent les blessures avec du sel enfoncé dans les chairs sanglantes; lorsque, dis-je, on se transporte par la pensée en face de ce tableau, on est ému jusqu’au plus profond de son âme, on est ravi d’admiration pour l’héroïsme de ce jeune martyr et pour la religion qui a fait un tel héros.

Ce saint, la gloire de l’église d’Espagne, est représenté sur une toile, appendue aux parois de la nef. Il est en habits de diacre qu’il portait lorsqu’il fut saisi et martyrisé ; il tient de la main gauche la palme du martyre, et de la main droite, un raisin et une serpette. Ce raisin et cette serpette rappellent probablement que ce saint a été choisi pour patron des vignerons. Il est à regretter que cette peinture ne soit qu’une croûte.

Sur les parois opposées, on remarque une autre toile représentant l’adoration des mages, offerte à la chapelle de Bordeau par les demoiselles Métral, en 1840, en mémoire de leur frère Antoine-Marie-Thérèse Métral. C’est une bonne peinture de l’école italienne, appréciée par les connaisseurs.

L’église de Bordeau ne fut jamais qu’une annexe ou succursale de celle du Bourget; c’est pourquoi, elle a toujours été desservie par le même prêtre qui, dans les actes de l’état civil, se qualifiait ainsi: «Curé de Saint-Laurent du Bourget et de Saint-Vincent de Bordeau». Mais avant la Révolution, le titre de curé primitif du Bourget et de son annexe, de même que les droits qui y étaient attachés, appartenaient au prieur du couvent du Bourget, de qui il recevait son traitement et sur la nomination duquel il était institué par l’évêque. C’est donc abusivement que ce prêtre s’appelait et était appelé «curé du Bourget et de Bordeau», ou «vicaire du Bourget et curé de Bordeau». Dans un procès que le prêtre Mongelas soutint, en 1772, contre les jésuites propriétaires du prieuré du Bourget, il fut établi que le desservant de ces églises ne pouvait s’arroger d’autres titres que celui de «vicaire perpétuel du Bourget et de Bordeau», conformément à ses lettres d’institution .

Ce vicaire perpétuel faisait, lui seul, toutes les fonctions curiales, dans les deux églises. Les dimanches et les jours de fête, il partait du Bourget, après avoir confessé, fait l’eau bénite, fait le prône à la première messe que disaient les prébendés, et allait à Bordeau Célébrer la messe et remplir toutes les autres fonctions du culte. Après quoi, il retournait à l’église du lieu de sa résidence, pour faire le catéchisme, la procession et bénir le pain à la dernière messe.

Tant de travail, joint à la fatigue du voyage en tout temps et en toute saison, rendait trop lourde et même insupportable la charge de ce vicaire. Aussi, le curé Mongelas s’en plaignit-il amèrement, en 1775, dans un mémoire et des lettres dont j’ai découvert les originaux , et proposa-t-il à ses supérieurs d’établir un vicaire perpétuel à Bordeau et deux vicaires au Bourget, en supprimant à cet effet les places du sacristain et des deux prébendés de la paroisse; places dont l’inutilité était évidente.

L’état de choses, dont se plaignait à bon droit le curé Mongelas, avait déjà été signalé par le cardinal le Camus, évêque de Grenoble, lors de sa visite pastorale du 21 mai 1687. Ce prélat fut tellement frappé de la nécessité d’établir une cure à Bordeau, qu’il offrit aux jésuites de payer lui-même la moitié de la somme nécessaire pour y bâtir une maison curiale .

On croit qu’il a réellement payé cette moitié, puisque le presbytère projeté s’est bâti. Ce presbytère existe encore aujourd’hui; c’est le bâtiment qui est adossé à l’église, du côté nord. — Etienne Chevalley, avocat au sénat et juge de la baronnie de Bordeau, en fit une salle pour ses assises ou audiences . Plus tard, comme je l’ai déjà dit, ce bâtiment fut converti en une fabrique de pointes.

Autrefois, on faisait à l’église de Bordeau, non-seulement, comme on l’a déjà vu, toutes les fonctions purement curiales, mais encore les autres services du culte: les évêques de Grenoble y allaient donner la confirmation .

Cet état de choses tint jusqu’aux bouleversements de 1792; bouleversements pendant lesquels les habitants de Bordeau allèrent chercher, au Bourget, les secours religieux administrés par les prêtres constitutionnels .

En 1803, époque du rétablissement du culte, de l’organisation des diocèses et succursales, — sans égard aux droits acquis et à la possession immémoriale, — la paroisse de Bordeau fut réunie à celle du Bourget.

Le 10 mai 1806, le conseil municipal de Bordeau protesta en ces termes:

«Considérant qu’il est du devoir du conseil municipal de faire observer tant à M. le préfet qu’à Mgr l’évêque que la réunion, pour l’administration spirituelle, de la paroisse de Bordeau à celle du Bourget, présente des inconvénients qu’on a peut-être ignorés lorsqu’on a proposé cette réunion;

«Que la distance entre Bordeau et le Bourget est trop grande pour que cette réunion puisse subsister, puisqu’il faut plus d’une heure pour la parcourir;

«Que les mœurs et le caractère des habitants des deux paroisses sont trop différents pour qu’ils puissent sympathiser ensemble;

«Que les chefs de famille de Bordeau voient avec regret leurs enfants obligés d’aller au Bourget, pour y recevoir les instructions et les secours spirituels, parce qu’ils ont trop de sujets de dissipation, et que les mœurs régulières et la bonne conduite qui les ont toujours distingués de ceux du Bourget ne peuvent que s’altérer considérablement par la fréquentation habituelle de cet endroit;

«Que les vieillards et ceux qui ont quelques incommodités ne peuvent, sans danger pour leur vie et sans s’exposer à de plus grands maux, se rendre au Bourget pour assister aux offices divins;

«Que l’ancien gouvernement avait bien senti la nécessité de parer à tous ces inconvénients, puisque depuis près de deux siècles, le curé du Bourget ou quelque prêtre préposé de sa part se rendait, les fêtes et dimanches à Bordeau, pour y célébrer la messe et administrer les secours de la religion;

«Que, pour cet effet, il y avait une église pourvue de tout ce qui. est nécessaire au culte; que ces mêmes moyens y sont encore;

«Qu’il convient sous tous les rapports de rétablir cet ancien ordre de choses, pour le retour duquel les habitants de Bordeau sont disposés à faire tous les sacrifices, etc., etc.»

Ces réclamations, quoique des plus légitimes, semblèrent rester sans résultat. Cependant, le 30 septembre 1807, parut un décret impérial portant, art. 8: «Dans les paroisses ou succursales trop étendues et lorsque la difficulté des communications l’exigera, il pourra être établi des chapelles.»

Le préfet pensa, avec raison, que Bordeau était appelé à profiter du bénéfice de ce décret. Aussi invita-t-il le conseil municipal de cette commune à délibérer sur les moyens à prendre, pour parvenir à faire ériger à Bordeau une chapellenie ou annexe, afin d’y faciliter l’exercice du culte.

Le 16 décembre de la même année, le conseil municipal s’empressa de porter à la connaissance de l’autorité que Bordeau possédait une église en bon état, assez bien décorée; que son clocher était pourvu d’une cloche accordée par l’administration centrale de ce département, lors de la distribution faite à l’époque du rétablissement du culte en France; que de plus Bordeau possédait un presbytère contigu à l’église, etc. Puis il conclut à ce qu’il plût à M. le préfet et à Mgr l’évêque de Chambéry de vouloir bien, en vertu du décret précité, décider que le vicaire du Bourget se rendrait à Bordeau les dimanches et les fêtes, pour y faire le service du culte; qu’il s’y rendrait encore les autres jours, chaque fois qu’il en serait requis, pour les baptêmes, les mariages, les sépultures, ainsi que tout cela s’était pratiqué avant la Révolution. On s’offrit à donner annuellement à ce vicaire 300 francs; somme qui, réunie à celle de 500 francs, fournie par le Bourget, formait un traitement de 800 francs.

L’espoir qu’avait fait naître le décret impérial s’évanouit bientôt, et ce fut en vain qu’on ne se lassa pas de protester et de réclamer encore en 1812, 1813, 1826, 1829 et 1845: Bordeau resta définitivement annexé au Bourget pour l’administration spirituelle; et depuis longtemps, les prêtres de cette paroisse ne vont plus à Bordeau que pour y faire les inhumations et pour y célébrer la messe le jour de la fête patronale.

Bordeau, son château féodal, le Mont-du-Chat et le lac du Bourget

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