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Jeudi, 15 août.

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Un superbe lever du soleil sur la mer, toute proche, nous tire de nos lits de plume où nous avions dormi sans la plus petite interruption.

Nous partons à 7 heures du matin, après un délicieux déjeuner dont les vignes d'alentour firent encore les frais. On a bien raison de dire que dans le crime il n'y a que le premier pas qui coûte: hier nous hésitâmes avant de commettre notre premier vol... aujourd'hui cela nous parut tout naturel; du reste, vous voyez, j'avoue cela maintenant avec le cynisme d'un criminel endurci. Il ne nous manquait plus que cela pour être de vrais bohémiens: nous voilà complets à présent!

La route est bonne, le temps est exquis, nous filons joyeusement au milieu de vignobles immenses qui s'émaillent maintenant de rouge, de bleu, de blanc; ce sont des vendangeurs et des vendangeuses qui cueillent le raisin; ma conscience bourrelée me suggère que notre vol est connu et que tous ces gens-là se dépêchent d'enlever leurs fruits pendant qu'il en reste encore.

Un crochet de la route dans les rochers et la mer maintenant vient déferler à nos pieds. Au paysage calme de la riche campagne a succédé tout à coup un petit coin de rocs et de vagues extrêmement sauvage, puis c'est à nouveau les cultures riantes qui reprennent sans interruption.

Dans une jolie baie, au bord d'une plage de sable fin, voilà Benicassim, qui s'étale coquettement comme une baigneuse nonchalamment couchée au soleil après le bain. Benicassim, quel nom bien arabe! La ville ne dément pas son nom, car ses petites maisons carrées, resplendissantes de blancheur, qui sont groupées autour de son dôme aux azulejos brillants, lui donnent un aspect absolument mauresque.

Décidément la curiosité des populations augmente dans des proportions gigantesques; l'auto est signalé du plus loin que puissent apercevoir les habitants du pays et aussitôt tous les indigènes accourent faire la haie sur notre passage.

A Castellon de la Plana notre arrivée bouleversa littéralement la ville; nous crûmes un instant qu'il y avait une émeute et nous eûmes toutes les peines du monde à nous persuader que tout ce monde, toute cette agitation, tout ce bruit étaient le résultat de notre présence. Un café ouvert malgré l'heure encore matinale, nous permit de nous arrêter dans cette ville pour nous rafraîchir un peu et surtout pour étudier toute cette curieuse population. Un cercle compact se forma aussitôt autour de la voiture, on faillit prendre d'assaut le café où nous nous étions réfugiés; non, quand j'y repense je crois toujours avoir devant les yeux un tableau de guerre civile. Et cependant toute pensée belliqueuse était bien loin de ces gens-là, car j'ai rarement vu des populations qui nous fussent aussi sympathiques que celles de toute la côte méditerranéenne de l'Espagne; ces Espagnols sont polis à l'extrême mais sans être obséquieux, ils sont fiers mais affables, c'est un peuple agréable mais combien négligent des choses de la vie: figés dans leur contemplation éternelle, arabes ils sont restés.

Que d'enfants! que d'enfants! il ne faut pas venir me raconter que l'Espagne se dépeuple; non, la chose n'est pas possible avec une aussi prodigieuse quantité de moutards.

En sortant de Castellon nous constatons avec peine que la route est devenue subitement exécrable; les trous, les abominables trous de Barcelone ont réapparu et la poussière couvre le chemin d'une couche digne des mauvaises routes d'Italie. Allons! reprenons la première vitesse et les perpétuels débrayages! Avec un peu de philosophie et beaucoup de patience, nous finirons bien par arriver à Valence! Tout de même les cantonniers sont réellement trop négligents dans ce satané pays; je voudrais bien en tenir un en ce moment; ce que je le flanquerais avec plaisir le nez le premier dans sa poussière. Et ça n'est pas assez de la mauvaise route, voilà, que le soleil s'en mêle et qu'il nous arrose de rayons à fondre l'acier, peu à peu nous cuisons, d'imposantes cascades coulent de nos fronts, de nos nez sur les tapis de la voiture cependant que nos gosiers altérés remplacent incessamment cette eau par des appels désespérés aux alcarazas.

Pour nous distraire de notre martyre, nous examinons avec intérêt la campagne que nous parcourons; des orangers à perte de vue; nous sommes au milieu du pays des oranges, des «belles Valence» qu'en hiver les marchands ambulants clament dans nos rues de France. Le pays des oranges d'Espagne commence à Benicarlo, où nous passâmes hier, et finit à Dénia, au sud de Valence; ce jardin des orangers s'appelle la Plana au nord, la Ribera au milieu et la Marina au midi. Les oranges de la Plana sont les moins bonnes, elles ont un goût acide qui nuit à leur qualité; il s'en exporte cependant de grandes quantités, sur Marseille principalement. Celles de la Ribera sont beaucoup plus fines et plus douces; elles se vendent surtout à Liverpool. La Marina produit les meilleures; ses arbres donnent en outre d'abondantes moissons de feuilles et de fleurs dont on extrait parfum, essences, boissons.

Les files d'orangers s'alignent perpendiculairement à la route et s'en vont loin, loin, loin, parallèles, interminables. En cette saison les oranges ne sont pas mûres encore; on distingue dans le feuillage de petits fruits verts qui seront dans quelques mois les pommes d'or délicieuses. Parfois cependant nous apercevons de grosses oranges, bien jaunes, qu'on a laissées sur l'arbre pour un usage spécial sans doute; car c'est une singulière particularité de l'orange de pouvoir rester sur l'arbre plusieurs mois encore après sa complète maturité, alors que les autres fruits en général tombent ou se dessèchent.

Ces fruits si doux qui nous viennent en France enveloppés dans de délicats papiers de soie et dont nous nous régalons en hiver, c'est donc sur ces arbres-là qu'on les récolte, ces arbres qu'irrévérencieusement nous couvrons en passant d'une abondante couche de poussière!

Sagonte, surmontée de sa colline aux murailles crénelées, apparaît au bord du Palancia. Cette ville est un squelette aux maisons décharnées qui ne rappelle que par le souvenir hélas! l'antique métropole des Ibères, la Saguntum des Romains, dont la résistance acharnée aux armes d'Annibal est restée célèbre à tout jamais. C'est la Murviedro des Espagnols, nom qui descend de l'ancienne appellation mauresque signifiant «vieilles murailles». Romains de Scipion, Carthaginois d'Annibal, où êtes-vous? Y avait-il autant de poussière ici de votre temps?

Et la route continue lamentablement trouée comme une écumoire pendant que nous sautons comme des carpes dans une poêle et que les ressorts plaintivement clament leurs malheurs sur des notes tantôt graves, tantôt aiguës.

La campagne qui nous entoure est un véritable jardin dont le sol rouge, irrigué par un système de canaux intelligemment disposés, est couvert de riches cultures, d'arbres verts et de fleurs; c'est la huerta de Valence.

Enfin! voici au loin des dômes couverts d'azulejos resplendissants, c'est Valence; notre supplice touche à sa fin. De Castellon à Valence il y a 68 kilomètres de route absolument défoncée sur laquelle, tout en étant épouvantablement cahoté, on ne peut avancer à plus de 15 kilomètres à l'heure. Je vous prie de croire que c'est long, 68 kilomètres faits à cette allure et dans ces conditions.

Il est midi. Nous pénétrons dans Valence [5] en franchissant sur un pont le rio Turia, à sec, comme une rivière espagnole qui se respecte. Cela me rappelle que ce matin, parmi les gués que nous avons passés, il y avait celui du rio Secco, encore plus à sec bien entendu pour ne pas faire mentir son nom! Puis on passe sous la porte dite Torres de Serranos, colossale porte flanquée de deux énormes tours en briques qui donnent à la ville un aspect féodal.

Nous descendons au Grand-Hôtel, calle de San Vincente; nous y trouvons des chambres très propres, une cuisine tout simplement exquise. Il règne dans la salle à manger une fraîcheur délicieuse qui caresse voluptueusement nos épidermes saturés de soleil et de poussière; ces Espagnols s'entendent admirablement à disposer l'intérieur de leurs maisons pour qu'il y fasse toujours frais. Avec quelles délices, dès notre entrée à l'hôtel, malgré soif et faim, nous sommes-nous délassés dans l'agréable chose qu'est toujours mais qu'était surtout en la circonstance: un bain.

Les autos sont rares à Valence. Ce que ç'a été compliqué pour loger notre voiture! Ici pas de garages; seulement un mécanicien réparateur dont la boutique est archipleine avec une motocyclette et une de Dion de 3 chevaux. Je réussis enfin à dénicher une remise dans laquelle notre voiture ne put pénétrer qu'en lui faisant faire un rétablissement sur une grosse pierre qui obstruait l'entrée.

Valence, la Valencia del Cid, a conservé un cachet mauresque très marqué. Ville déjà prospère au temps des Ibères, puis sous les Romains et sous les Wisigoths, elle fut conquise par les Maures en 714; elle devint, en 1021, la capitale d'un royaume sarrazin indépendant, le royaume de Valence, qui comprenait toute la contrée depuis l'embouchure de l'Ebre au nord jusqu'à Alméria au sud. Les Sarrazins lui donnèrent le summum de sa grandeur; pendant cinq siècles Valence fut l'un des grands centres de la civilisation arabe et l'heure de la décadence ne sonna pour elle, comme hélas! pour la plupart des villes des Maures, que lorsqu'elle eut été définitivement conquise par les catholiques. Les Arabes furent chassés de Valence en l'an 1238 par Jacques Ier d'Aragon. Pendant la longue ère de domination mauresque à Valence il faut cependant placer un court intérim catholique, célèbre dans les fastes espagnoles, la conquête temporaire de Valence par le Cid.

Rodrigue de Bivar, le valeureux chevalier Le Cid Ruy Diaz Campeador, fut élevé à la cour du roi Don Ferdinand Ier, roi de Castille et de Léon (1017-1057). La légende rapporte à la gloire du Cid de nombreux exploits dont il aurait été le héros déjà sous le règne de ce prince; le vieux roi Ferdinand avait fini par le prendre comme unique conseiller, ce qui avait soulevé contre le Cid de redoutables haines issues des jalousies des courtisans. Ce roi don Ferdinand, au lieu de laisser ses états à l'aîné de ses fils, les partagea en trois parts qu'il attribua à chacun de ses enfants, dans la pensée louable mais maladroite de mieux pacifier l'Espagne catholique. L'aîné, don Sanche, eut la Castille, la Navarre et l'Estramadure; le second, don Alphonse, fut mis à la tête de Léon et des Asturies; enfin le troisième, don Garcie, eut pour sa part la Galice et une partie du Portugal [6].

Une pareille distribution, au lieu de pacifier les États du vieux roi, y déchaîna au contraire, dès sa mort, de terribles guerres. Les trois frères, qui voulaient chacun la totalité des États de leur père, se livrèrent maintes batailles à la suite desquelles don Sanche, l'aîné, qui avait l'appui du bras invincible du Cid, réduisit à l'état de vassalité le royaume de don Garcie et s'empara de celui de don Alphonse, qui fut obligé de s'enfuir et ne trouva un refuge qu'auprès du roi maure de Tolède, Ali Maynon.

Le roi don Sanche ayant été assassiné pendant qu'il faisait le siège de Zamora en 1077, don Alphonse quitta les Sarrazins, qui l'avaient toujours bien traité, pour monter sur le trône de Castille et de Léon. La noblesse de Castille soupçonnait don Alphonse d'avoir trempé dans le meurtre de son frère et le courageux Cid ne craignit pas d'exprimer publiquement ce soupçon au nouveau roi, de sorte que celui-ci fut contraint de jurer solennellement en l'église de Sainte-Agathe à Burgos qu'il était innocent de toute participation à ce meurtre, mais il en garda désormais une dure rancune contre le Cid, rancune qui, en maintes occasions, fut habilement exploitée par les courtisans contre le valeureux chevalier.

Le serment prêté, le Cid se rangea complètement du côté du roi et mit sa brave épée à son service. Il se signala alors par de nombreux combats glorieux que don Alphonse paya bientôt par la plus noire ingratitude. Sous prétexte que le Cid, revenant d'une expédition, avait pillé sur les territoires du roi de Tolède, l'ancien protecteur de don Alphonse, celui-ci, habilement circonvenu par ses courtisans, le bannit de son royaume.

Le Cid partit avec de nombreux chevaliers, décidés à suivre sa fortune, et une armée de plusieurs milliers d'hommes. Il laissa à Bivar sa femme dona Chimène et ses filles. C'est maintenant que s'ouvre la carrière la plus brillante du chevalier légendaire.

Le Cid exilé résolut de se tailler un royaume à la pointe de son épée et soit par les armes, soit par la trahison et la ruse qui étaient ses moyens de prédilection, il réussit, en effet, à conquérir sur les Maures un véritable empire. Il vainquit le roi maure de Saragosse qui fut contraint de se déclarer son vassal; il défit les troupes arabes du roi de Dénia; il vainquit et fit même prisonnier le comte de Barcelone don Raymond sur lequel il conquit sa fameuse épée Colada. Dans ses chevauchées, le Cid vainquit encore les troupes du roi d'Aragon, assiégea et enleva de nombreux châteaux mauresques, razzia maintes villes arabes et porta sa gloire et ses richesses à un si haut point que le roi don Alphonse ne put lui tenir rigueur plus longtemps et, soit par reconnaissance pour le Cid qui, après chaque nouvelle victoire, lui donnait une marque de vassalité, soit plutôt parce qu'il avait besoin d'une aussi redoutable épée, lui accorda pardon et honneurs.

Le Cid allait bientôt porter sa gloire à son apogée. Il vint mettre le siège devant Valence. Après dix mois de siège acharné il s'en empara... Mais j'aime mieux laisser la parole à l'historien arabe [7]:

«Il entra dans Valence l'an 488 [8], en usant de fraude selon sa coutume. Cette terrible calamité frappa comme un incendie toutes les provinces de la péninsule et couvrit toutes les classes de la société de douleur et de honte. La puissance de ce tyran alla toujours en croissant, de sorte qu'il pesa sur les contrées basses et sur les contrées élevées, et qu'il remplit de crainte les nobles et les roturiers. Quelqu'un m'a raconté l'avoir entendu dire dans un moment où ses désirs étaient très vifs et son avidité était extrême: «Sous un Rodrigue [9] cette péninsule a été conquise: mais un autre Rodrigue la délivrera.»—Parole qui remplit les cœurs d'épouvante et qui fit penser aux hommes que ce qu'ils craignaient et redoutaient arriverait bien tôt. Pourtant cet homme, le fléau de son temps, était par son amour pour la gloire, par la prudente fermeté de son caractère et par son courage héroïque, un des miracles du Seigneur.»

En véritable souverain, le Cid s'installa dans l'Alcazar et depuis lors Valence s'appela Valencia del Cid.

Pour en terminer avec notre héros, j'ajouterai qu'après son entrée dans Valence il envoya un message au roi don Alphonse pour lui annoncer que lui et sa nouvelle conquête se mettaient à sa disposition. Il fit venir auprès de lui dona Chimène, sa femme, et ses filles et s'apprêta à régner en vrai roi. Mais d'autres combats lui étaient réservés: un roi maure du Maroc, avec une armée forte de plus de deux cent mille hommes vint par mer mettre le siège devant Valence pour la reprendre aux infidèles.

Après maints combats, le roi marocain fut repoussé avec de grandes pertes et fut contraint de regagner honteusement ses vaisseaux. Ce fut au cours de ces batailles que le Cid conquit sa seconde et plus fameuse épée: Tizona. Les Maures du Maroc revinrent quelques années après en nombre plus considérable; le Cid les défit et les obligea de nouveau à regagner leurs vaisseaux.

Le légendaire héros devait remporter la victoire même après sa mort. Surpris par la maladie et sentant sa fin proche il donna ses derniers ordres à dona Chimène et à ses plus fidèles lieutenants, leur annonça que dans peu de jours il aurait cessé de vivre et qu'il voulait que son corps fût embaumé pour conserver le plus longtemps possible après sa mort l'apparence de la vie; il leur apprit qu'il avait reçu avis qu'une armée marocaine, plus puissante encore que les premières, était en route pour venir assiéger Valence, et qu'il voulait que sa présence et son nom, bien que mort, leur servissent à remporter encore une fois la victoire. Il donna minutieusement toutes ses instructions pour que sa dernière ruse réussît. Puis il mourut laissant sa femme seule devant la redoutable perspective d'une formidable invasion arabe.

La mort du Cid fut tenue absolument secrète. En effet, quelques jours après une immense flotte apparut devant Valence, il en descendit des nuées d'Arabes, commandés par trente-six rois et une reine, dit la légende, qui vinrent battre les remparts de la ville comme les flots de la mer. Suivant les ordres du héros défunt, celui-ci, armé de pied en cap, son épée Tizona à la main, ayant sur les joues de fausses couleurs de vie, fut solidement assujetti sur son cheval de bataille et les troupes castillanes furent conduites au combat par leur macabre chef. Il était écrit que le Cid, vivant ou mort, verrait toujours la victoire lui sourire: les Marocains furent dispersés et leur flotte les remporta encore plus vite qu'elle ne les avait apportés.

Mais la mort du Cid ne pouvait être tenue longtemps cachée; sans l'auréole de gloire du héros qui entraînait ses troupes à la victoire et qui épouvantait les soldats arabes, la situation devenait intenable pour sa veuve dans cette Valence que les Maures s'acharnaient à vouloir reprendre. Sans coup férir, immédiatement après la bataille, dona Chimène et tous les catholiques évacuaient la ville et se retiraient en Castille, toujours accompagnés de l'invincible chevalier porté par son cheval Babieca [10].

Qu'on me pardonne cette longue digression sur le Cid, mais le héros légendaire est si peu connu en général que j'ai cru bien faire en puisant aux vieilles chroniques espagnoles les détails les plus intéressants de sa glorieuse carrière. Peut-être la légende a-t-elle grossi ou embelli nombre de ses exploits, mais il est démontré que sa vie fut à peu près telle que je viens de la tracer à grands traits d'après des documents authentiques.

Et puisque je n'ai pas encore quitté ce sujet, je demande la permission de dire comment le Cid choisit et baptisa son fameux cheval de bataille. Le Cid demanda un jour à son parrain, un clerc du nom de Peyre Pringos, de lui faire don d'un des nombreux poulains qu'il possédait en ses prairies. Celui-ci ayant accédé à sa demande, Rodrigue entra dans le parc où se trouvaient les juments et leurs poulains; il les passait tous sans fixer son choix lorsqu'avisant un poulain galeux et fort laid, il dit à son parrain:

«Je veux celui-ci.—Son parrain s'écria: Babieca (imbécile)! vous avez mal choisi.—Mais le Cid répondit: celui-ci sera bon cheval et aura nom Babieca. Et en effet ce cheval fut bon et fortuné, et sur lui Mon Cid vainquit depuis en plusieurs batailles rangées [11].»

Après l'évacuation de la ville par les Castillans, les Maures en reprirent possession et pour deux siècles encore Valence participa au rayonnement de l'admirable civilisation arabo-espagnole.

Dans la soirée, nous nous sommes rendus à l'Alameda, où nous avons vu s'agiter tout ce que Valence compte d'élégances. Toute ville espagnole, grande ou petite, a son alameda: c'est la promenade publique, boulevard ou place, toujours copieusement ombragée, où la population oisive se donne rendez-vous un peu avant le coucher du soleil. L'Alameda de Valence est extrêmement vaste: 800 mètres de long; elle s'étend en dehors de la ville, de l'autre coté du rio Turia, qu'on traverse pour s'y rendre, sur le Pont del Real, longue construction à dix arches d'origine mauresque.

A la tombée de la nuit nous remarquâmes que tous les équipages se dirigeaient vers un endroit commun, nous fîmes prendre au nôtre la même direction et après avoir suivi une très longue avenue bordée d'ombrages, nous nous trouvâmes au Grao, le port de Valence.

C'est aujourd'hui le 15 août, il y a fête au Grao, fête religieuse, fête de la Vierge. Nous avons le plaisir d'assister à une de ces curieuses processions espagnoles pour lesquelles se déploie un luxe inouï. Ce n'est pas une file ininterrompue de prêtres et de cierges, de bannières et de clercs; non, la procession est composée de toute une série de sous-processions, de processions partielles, qui se promènent indépendamment sur des itinéraires souvent différents et qui ne se trouvent réunies qu'au départ et qu'à l'arrivée. On voit passer la Sainte Vierge, grandeur naturelle, vêtue d'habits d'une richesse fabuleuse, couchée sur des coussins de soie et d'or et portée sur un splendide palanquin. Elle est précédée, suivie, entourée de cierges et de lampions si nombreux, si grappés qu'on dirait des arbres lumineux qui déambulent. Et cependant un détachement de soldats suit, avec tambours qui battent une marche lente et triste.

Villanueva del Grao est un port tout à fait moderne, sûr et bien aménagé; c'est de là que partent pour tous les pays d'Europe mandarines, oranges, citrons et raisins.

Il y a une très jolie plage au Grao; d'élégants bains de mer y sont installés et nous vîmes la mer fourmillante de baigneurs.

De retour à Valence, après un dîner délicat à l'hôtel, nous allâmes nous installer dans un café de la calle de la Paz, la nouvelle et la plus belle rue de la ville, et nous regardâmes défiler devant nous les Valenciennes, jolies sous la mantille. Les hommes sont ici vêtus comme en France, et, ma foi, presque toutes les femmes aussi; il y a très peu de mantilles, et c'est regrettable, car une femme est toujours plus jolie sous cette gracieuse coiffure que sous le chapeau.

Le Tour de l'Espagne en Automobile

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