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CHAPITRE PREMIER
Оглавлениеles données objectives du problème.
Il y a près de cinquante ans que, pour la première fois je crois, on s'est avisé de se demander si Bacon n'avait pas contracté une dette envers Montaigne. En 1862 parut en allemand, dans l'Archiv de Herrig, un article intitulé: Montaigne et Bacon. L'auteur avait été frappé de constater que tous les deux Montaigne et Bacon avaient, presque en même temps, fait usage du titre d'Essais. Il en prenait prétexte pour instituer un parallèle entre le rôle littéraire de Montaigne et celui de Bacon dans une étude d'ailleurs très générale, dépourvue de tout rapprochement précis. Aucune conclusion ferme ne s'en dégageait sur les rapports littéraires des deux écrivains.
Presque à la même époque, en 1867 probablement sans connaître cet article, un des admirateurs les plus fervents de Montaigne, un lecteur assidu des Essais, Edouard Fitzgerald, écrivait dans une lettre adressée à Wright: «Me trouvant avec Robert Groome, le mois dernier, je lui dis avoir rencontré du Bacon chez Montaigne. Robert Groome me répondit que vous aviez fait la même observation et que vous étiez effectivement en train d'en recueillir des témoignages. Il s'agit, je crois, de citations de Sénèque employées par Bacon de telle manière qu'il les devrait évidemment à Montaigne... Je n'avais pas remarqué ces rencontres de Sénèque mais j'avais observé quelques passages de Montaigne lui-même qui me semblaient être passés dans les Essais de Bacon.» Le fait avait donc frappé en même temps les deux correspondants.
L'investigation à laquelle Fitzgerald songeait à se livrer était bien différente de celle du critique allemand. Il ne l'entreprit pas, je pense, mais d'autres s'en acquittèrent. On signala des emprunts; l'impulsion une fois donnée, on n'en releva que trop. On en découvrit au-delà de toute mesure. Chaque chercheur tenait à honneur d'enchérir sur son devancier. Reynolds en indiquait un grand nombre dans son excellente édition des Essais de Bacon. Dieckow les reprit dans une dissertation inaugurale présentée à l'Université de Strasbourg en 19031, et en ajouta beaucoup auxquels Reynolds n'avait pas songé. Une nouvelle liste parut encore en 1908, dans l'ouvrage de Miss Norton intitulé: The spirit of Montaigne. Entre temps, on ne se faisait pas faute d'affirmer que les Essais de Montaigne avaient eu sur les Essais de Bacon une influence considérable2.
Devant un tel concert d'affirmations et d'enquêtes, nous sommes tenus de nous demander ce qu'elles renferment de solide. Pour ne parler que des enquêtes, constatons d'abord qu'elles ont le tort de vouloir trop prouver. Elles multiplient sans mesure les rapprochements insignifiants, ceux qui ne révèlent ni une influence de Montaigne ni même une similitude de pensée vraiment instructive. On s'amuse à relever chez Bacon jusqu'aux idées les plus banales pour les faire dériver de Montaigne. Elles ont encore le défaut, inévitable il est vrai, celui-là, de négliger quelques rapprochements qui m'ont paru importants. Il y avait donc lieu de les reviser entièrement3 pour les compléter et pour les élaguer. Plus encore, je leur reprocherai à toutes d'être de simples listes très sèches dans lesquelles aucun effort n'est tenté pour montrer la valeur ou l'insignifiance de chaque rapprochement, et pour dégager des conclusions d'ensemble. De semblables énumérations, où chaque terme est d'une appréciation si délicate parce que le lecteur est privé des contextes et du coup d'œil d'ensemble qui seul donne à chaque pensée sa vraie portée, me semblent presque stériles si l'auteur ne nous aide pas à les interpréter.
J'avertis, au reste, que nous n'aboutirons qu'à des résultats probables. Bacon est de ceux pour lesquels une étude d'influence est toujours discutable. Il y a bien des manières de subir une influence: certains reproduisent les pensées ou les anecdotes qui les out frappés presque dans les termes mêmes où elles se sont présentées à eux. En travaillant ils ont des livres ouverts sur leur table, ou bien des notes très précises, ou encore leur mémoire très verbale conserve et leur rend le texte avec le sens. C'est ainsi que Montaigne transcrit presque intégralement de nombreux passages de ses auteurs, du Plutarque d'Amyot surtout, qu'il traduit fidèlement des morceaux de son cher Séneca, qu'il cite des vers de ses poètes. Son originalité est alors dans l'écho que ces pensées éveillent en lui, dans la méditation qu'il y accroche. Ceux-là nous aident singulièrement à découvrir leurs dettes. Mais il en est d'autres, et Bacon est de ce nombre, qui se pénètrent d'une pensée étrangère la digèrent, la transforment; lorsqu'ils l'expriment elle est devenue leur, elle ne porte plus la signature de l'inventeur. Quelquefois, elle a fourni un simple chaînon dans un long raisonnement, un argument dans une démonstration; quelquefois elle s'est enrichie d'aperçus et de développements inattendus. Pour ces derniers surtout, la recherche d'influence est infiniment délicate.
Bien plus, même lorsqu'il veut citer, Bacon est très inexact et défigure ses sources. «La négligence, nous dit Reynolds4, est certainement un des traits caractéristiques des Essais de Bacon. Travaillés et policés comme ils le sont par endroits, aspirant à vivre autant que les livres, ils n'en fourmillent pas moins d'erreurs et de citations fausses.» Avec tout son désir de défendre Bacon, Spedding ne peut qu'excuser ses défauts, il lui est impossible de les méconnaître.
Aussi, pour donner une base solide à nos hypothèses, nous est-il particulièrement nécessaire de rechercher s'il existe quelques preuves incontestables de relations entre Montaigne et Bacon. Dans leur désir de faire large l'influence de Montaigne, les commentateurs ont supposé qu'il avait connu personnellement Bacon. La rencontre aurait eu lieu en France, dans l'été de 1577. Miss Grace Norton5, auteur de cette hypothèse, a relevé dans l'Histoire de la vie et de la mort6, un passage où Bacon déclare avoir rencontré à Poitiers un Français qui devint célèbre par la suite, et dans lequel elle croit reconnaître Montaigne. La chose est possible, mais rien de plus. Aucun des faits allégués par Miss Norton n'emporte la conviction. Ce «juvenis ingenuosissimus sed paululum loquax», avec lequel Bacon eut des relations familières, «qui in mores senum invehere solitus est, atque dicere: si daretur conspici animos senum, quemadmodum cernuntur corpora, non minores apparituras in iisdem deformitates: quin etiam ingenio suo indulgens, contendebat vitia animorum in senibus vitiis corporum esse quodam modo consentientia et parallela. Pro ariditate cutis, substituebat impudentiam; pro duritie viscerum, immisericordiam; pro lippitudine oculorum, oculum malum et invidiam; pro immersione oculorum et curvatione corporis versus terram, atheismum neque enim cœlum, inquit, respiciunt, ut prius; pro tremore membrorum, vacillationem decretorum, et fluxam inconstantiam; pro inflexione digitorum, tanquam ad prehensionem, rapacitatem et avaritiam; pro labascentia genuum timiditatem; pro rugis, calliditatem et obliquitatem: et alia quæ non occurunt.»
Il est vrai que Montaigne a été dur pour la vieillesse: miss Norton n'a pas eu de mal à le montrer. Mais bon nombre de ses contemporains ont pu penser comme lui sur ce sujet. Antoine de Guevara en parle avec aussi peu de ménagement dans ses Epîtres dorées, et l'on sait de quelle faveur jouissaient alors les Epîtres dorées de Guevara. Une idée aussi générale n'appartient à personne.
Ce qu'il eût fallu pour nous convaincre, ç'eût été de trouver dans les Essais de Montaigne quelques-unes de ces ingénieuses comparaisons qui avaient frappé Bacon dans la conversation de son interlocuteur. Or, miss Norton n'en signale point, et il est impossible d'en relever aucune. Nous ne pouvons pas nous fier à une conjecture plus séduisante que solide.
Si Francis Bacon n'a pas rencontré Montaigne, à tout le moins il est bien probable qu'il a entendu parler de lui par quelqu'un qui lui touchait de près. C'est par l'intermédiaire d'Antony Bacon, le frère de Francis, qu'on devait chercher un lien entre les deux écrivains. Antony a passé en France non quelques mois, mais une grande partie de sa vie, plus de douze années. Il a voyagé dans diverses provinces, s'occupant partout de nouer des relations avec les protestants. Arrivé à Bordeaux à la fin de 1583, il y resta quinze mois. Il y revint en 1590 pour y demeurer de nouveau. Il était bien probable à priori que durant ces séjours, surtout dans le premier qui se place au temps de la mairie de Montaigne, Antony Bacon avait dû rencontrer l'auteur des Essais, qui comptait des protestants dans sa famille. Le dictionnaire britannique de biographie nationale7 l'affirmait sans en donner de preuve. Une lettre de Pierre de Brach8, retrouvée dans la volumineuse correspondance du diplomate anglais, nous en fournit une incontestable; elle témoigne non seulement qu'il était lié avec des amis intimes de Montaigne, mais qu'il entretenait un commerce épistolaire avec Montaigne lui-même. La dernière lettre que reçut Montaigne lui venait d'Antony Bacon et la mort ne lui permit pas d'y répondre. Le diplomate était rentré en Angleterre depuis quelques mois (février 1592). Il est vraisemblable qu'il y apporta les Essais et qu'il les fit lire à son frère, s'il n'avait déjà pris soin de les lui envoyer. On peut encore supposer sans invraisemblance que Pierre de Brach, qui prépara avec Mlle de Gournay l'édition posthume parue en 1595, la première complète, tint à lui faire parvenir les pensées encore inédites de leur ami commun.
En tout cas, trois faits établissent que Francis Bacon a connu et pratiqué les Essais: il a fait un emprunt direct à Montaigne; il a fait une allusion à sa personne en le nommant; il a cité un passage extrait de son livre dont il a indiqué lui-même la source.
Ce qu'il emprunte, c'est le titre de son premier ouvrage, les Essais. Nous verrons tout à l'heure qu'il n'y a pas de contestation sur ce point. En 1623, lorsqu'il traduit en latin et remanie sa première partie du De augmentis, il y insère cette phrase que les confessions de Montaigne lui inspirent: «Ceux qui ont naturellement le défaut d'être trop à la chose, trop occupés de l'affaire qu'ils ont actuellement dans les mains, et qui ne pensent pas même à tout ce qui survient ce qui, de l'aveu de Montaigne, était son défaut, ces gens-là peuvent être de bons ministres, de bons administrateurs de République, mais s'il s'agit d'aller à leur propre fortune, ils ne feront que boiter9».
Enfin, dans l'édition des Essais, qui parut en 1625, tout à la fin de sa vie, Bacon cite textuellement une explication psychologique de Montaigne10.
Je ne connais aucun autre passage emprunté textuellement par Bacon à Montaigne. Plusieurs citations d'auteurs latins se retrouvent chez l'un et chez l'autre. Il est à présumer que Bacon n'est pas toujours remonté à la source antique, et qu'il a pris quelques textes chez Montaigne. Je n'ai pu m'en assurer pour aucun. Pour cela, il eût fallu trouver un texte qui, identique chez Montaigne et chez Bacon, présentât une leçon différente de celles que fournissent les éditions de l'époque. Alors seulement nous aurions su avec certitude que Montaigne est la source. Etant donné qu'il habille parfois à sa mode ses citations, on pouvait espérer que pareille enquête aboutirait. Mais je n'ai rien rencontré qui permît une affirmation. Comme témoignages objectifs, incontestables, nous sommes donc réduits aux trois que j'ai indiqués.
De ce nombre, nous ne pouvons évidemment pas conclure que Montaigne ait été l'un des auteurs préférés de Bacon, car d'autres noms sont cités beaucoup plus souvent que le sien; il ne faudrait pourtant pas en conclure non plus que son influence est négligeable, car l'influence d'un écrivain ne se mesure pas au nombre de fois que son nom se retrouve mentionné par ses successeurs. Des motifs variés peuvent appeler ces mentions. Si Bacon nomme si fréquemment beaucoup d'auteurs anciens, tout particulièrement Tacite et César, ce n'est pas seulement parce qu'il est leur disciple fervent et que sa culture classique est de premier ordre, c'est encore par coquetterie d'homme de lettres. La mode y était: c'est elle aussi qui le pousse à orner son discours de citations de poètes latins, comme elle avait conduit Montaigne à multiplier ses allégations, bien qu'il en condamnât l'abus. Parmi les modernes, Gilbert et Machiavel sont nommés chacun plus de vingt fois. Machiavel a été le maître de Bacon en politique. Bien qu'il le critique souvent, il a beaucoup admiré sa méthode et son œuvre, et il semble que Gilbert ait joué, lui aussi, un rôle important dans la formation de ses idées. D'autres écrivains ont eu une influence moindre sans doute, mais bien probable, comme Baldassare Castiglione, Guazzo, qui ne sont pas même nommés par lui. Guichardin semble avoir eu une part, lui aussi, dans l'élaboration de ses idées politiques; or, je ne trouve le nom de Guichardin qu'une seule fois. Machiavel en politique, et Gilbert en physique, étaient des novateurs audacieux qui ont frappé l'imagination de leurs contemporains par l'originalité de leurs théories; la plupart de leurs idées, étroitement liées à l'ensemble de leurs conceptions, y restent en quelque sorte attachées, évoquent le souvenir du système et conservent pour ainsi dire la marque de leur origine. Montaigne n'a pas de système: on lui en prêtera un plus tard, mais il n'en a pas. Sans ordre, il médite sur les questions que son esprit se pose et jette des vues en tous sens; et ces questions encore sont les plus courantes, celles que tout esprit réfléchi a méditées, soit en morale soit en logique. On voit plus clair et plus loin en le quittant, lorsqu'on revient aux questions qu'il a traitées, on y apporte un esprit nouveau, mais on ne sait plus qui a transformé le point de vue, on ne sait même plus que quelqu'un l'a transformé. Ses idées, très détachées les unes des autres, plus sensées que neuves, s'assimilent aisément et perdent leur étiquette de provenance. C'est peut-être une première raison qui rend croyable que, tout en étant beaucoup moins souvent nommé que Machiavel, Montaigne a pu avoir une influence comparable à la sienne. Il y en a une autre: c'est que, précisément parce qu'elles sont moins systématiques et moins inattendues, les idées de Montaigne appellent moins une contradiction formelle que celles de Machiavel et de Gilbert. Malgré les apparences, le scepticisme de Montaigne n'est que sur fort peu de points en opposition avec les gigantesques espérances que Bacon fonde sur la raison, et nous aurons lieu de voir que Bacon accepte presque en entier la critique de Montaigne. Or, la réfutation appelle volontiers le nom de l'auteur réfuté, et c'est parfois pour les réfuter que Bacon cite Machiavel et surtout Gilbert.
Sans en tirer des conclusions de fantaisie, ou pour le moins prématurées, retenons de ces trois témoignages ce qu'ils peuvent incontestablement nous apprendre. Ils nous apportent la preuve évidente que Bacon a lu les Essais de Montaigne. Par leurs dates ils nous enseignent même que les Essais n'ont pas été pour lui un de ces livres de passage qu'on lit une fois, au temps de leur publication ou bien au moment où ils vous tombent sous la main, et auxquels on ne revient plus: l'un d'eux est du début de sa carrière, les deux autres sont de la fin, probablement séparés l'un de l'autre par plusieurs années. Notons encore que Bacon appelle simplement notre auteur de son nom latinisé «Montaneus» sans y adjoindre aucun commentaire, ce qui parait signifier qu'il lui était familier. Enfin, la mention du De augmentis montre qu'il s'intéressait à sa personne et à son caractère.
Voilà tout ce que nous savons d'incontestable. Nous y pouvons ajouter toutefois (et c'est là une considération de grand poids), qu'on lisait beaucoup Montaigne autour de Bacon, qu'on faisait grand cas de ses Essais, que l'opinion publique appelait impérieusement sur eux l'attention. Quand Florio eut publié sa traduction en 1603, très vite Montaigne semble avoir été en Angleterre un écrivain d'une grande notoriété, d'une notoriété comparable à celle des Boccace et des Machiavel. De nombreux témoignages11, sur lesquels j'aurai occasion de revenir dans un autre ouvrage, en fournissent la preuve incontestable.
Montaigne est avant tout un moraliste: l'objet de son étude, il l'a répété, c'est l'homme dans sa diversité ondoyante et multiple; et dans la peinture si attachante de son moi, d'une façon générale, nous pouvons dire que c'est l'homme qu'il a toujours cherché. Mais, pour connaître l'homme, Montaigne devait nécessairement s'efforcer de connaître l'origine et le fondement des idées de l'homme; il devait encore préciser la méthode de son étude. Et ainsi, par une double voie, il s'est trouvé amené à examiner le problème de la connaissance. Comme Montaigne, Bacon, avant tout peut-être, s'est attaché à étudier le problème de la connaissance, et à faire œuvre de moraliste. Il est historien dans son récit du règne de Henri VII, il est médecin dans son Histoire de la vie et de la mort, naturaliste dans sa Silva silvarum, romancier dans sa Nouvelle Atlantide, physicien dans son Histoire des vents; la théologie exceptée, il n'est pas de science cultivée de son temps dont il ne se soit sérieusement occupé, mais la grande affaire de sa vie ç'a été de définir l'objet et la méthode de la connaissance. Avec cette tâche, peut-être aucune ne lui a paru attachante comme la composition de ses essais de morale. C'est sa distraction favorite, comme il l'écrit lui-même quelque part, il y revient avec une notable prédilection; il enrichit et il gonfle son volume d'édition en édition, à la manière même de Montaigne. Nos deux philosophes se sont donc préoccupés des mêmes questions.
On pourrait signaler un rapport étroit entre l'idée que Montaigne se fait de l'histoire et la manière dont Bacon la traite, mais il serait chimérique de chercher là une influence; en matière de sciences non plus, Montaigne, qui n'est rien moins qu'un savant, n'avait rien à enseigner à Bacon. Nous devons nous en tenir aux deux domaines que je viens d'indiquer. Nous chercherons d'abord l'influence de Montaigne sur l'œuvre de Bacon moraliste, ensuite son influence sur l'œuvre de Bacon inventeur de la méthode scientifique.
1 John Florio's englische Uebersetzung der Essais Montaigne's und lord Bacon's Ben Jonson's und Robert Burton's Verhältnis zu Montaigne—Strasbourg, 1903.
2 Voir par exemple Ueberweg-Heinze: Grundniss der Geschichte der Philosophie der Neuzeit, volume I, 8e éd. Berlin 1896, S. 68; et aussi Kuno Fischer: Francis Bacon und seine Nachtfolger; 2e éd. Leipzig 1875; S. 18.—Les jugements de ces deux critiques sont reproduits dans la brochure de Dieckow, p. 56.
3 Il ne sera peut-être pas inutile de faire remarquer que, lorsqu'elle a entrepris ses recherches, Miss Norton, ignorait celles de M. Dieckow, et que j'ai moi-même entrepris les miennes antérieurement à la publication de Miss Norton et sans connaître celle de M. Dieckow. Nos trois enquêtes ont été conduites indépendamment les unes des autres. Il y a donc quelque chances pour que peu de rapprochements essentiels nous aient échappé.
4 Voir son édition des Essais de Bacon, 1890, introduction.
5 Miss Norton: Early Writings of Montaigne: New-York, 1904, page 205.
6 Ed. Spedding, t. II, page 211.
7 Article Antony Bacon.
8 Au moment où j'ai écrit cette étude, en 1907, je devais la connaissance de cette lettre à M. Auguste Salles qui me l'avait très aimablement communiquée et auquel j'exprime ici ma sincère gratitude. Elle a depuis été publiée par M. Sidney Lee. En voici le texte tel que le donne M. Sidney Lee:
«Monsr.; Il me souvenait tant de l'estat ou vous estiez quand vostre despart vous desroba de nous, qu'aussitost que je vy le sieur, qui me rendist la vostre lettre je luy demanday comment il vous alloit, sans que je prins le loisir de l'apprendre par vous-même. Ainsi s'enquiert-on, souvent de sçavoir et de voir, ce que le plus souvent nous trouverons contre nostre desirs comme contre mon desir et avec grande desplaisir je sçeus la continuation de vostre mauvais portement. Il me souvient bien, que je me deffiois qu'en une saison si facheuse, vous peussiez supporter le travail de la mer qui vous devoit porter. Mais vous estiez si affamé de vostre air natural, que ce desin vous faisoit mespriser tout danger. Vous aviez raison de vouloir s'éloigner le nostre pour la mauvaise qualité, qu'il a prins par les evaporations de nos troubles, qui l'ont tellement infecté, qu'il n'a nous laissé rien de sain, et nous enmaladé autant de l'esprit que du corps. Quant à moy, monsieur, je me suis retiré en ce lieu, ayant tout à faict quitté Bourdeaux, pour ce que Bourdeaux ne me pouvoit rendre ce que j'y ay perdu, et je continue en ma solitude de rendre ce que je dois à la mémoire de ma perte. J'ay icy dressé un estude aussi plaisant à mon desplaisir que nouveau en ses peintures et devises, qui ne sortent point de mon subject. Je les vous descriray, si j'avois autant de liberté d'esprit que de volonté. Mais je suis touché si au vif d'un nouvel ennuy par la nouvelle de la mort de Monsr. de Montaigne, que je ne suis point à moy. J'y ay perdu le meilleur de mes amis; la France le plus entier et le plus vif esprit qu'elle eut oncques, tout le monde le patron et mirroir de la pure philosophie, qu'il a tesmoignée aux coups de sa mort comme aux escrits de sa vie, et à ce que j'ay entendu ce grand effect dernier n'a peu en luy faire dementir ces hautes parolles. La dernière lettre missive, qu'il receut, fut la vostre, que je luy envoiay, à laquelle il n'a respondu, pource-qu'il avoit à respondre à la Mort, qui a emporté sur luy ce qui seulement estoit de son gibier: mais le reste et la meilleure part, qui est son nom et sa mémoire, ne mourra qu'avec la mort de ce tout, et demeurera ferme comme sera en moy la volonté de demeurer tousjours,
Monsr., Vostre très humble et affectionné serviteur. De Brach.
9 Bacon De augmentis, livre VIII, ch. 2.
10 Bacon, Essays, édition Spedding. t. VI, page 379.
11 On en trouvera dans l'ouvrage de Miss Grace Norton, the Spirit of Montaigne.