Читать книгу Psychopathia Sexualis avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle - R. von Krafft-Ebing - Страница 3
1895 PRÉFACE
ОглавлениеPeu de personnes se rendent un compte exact de la puissante influence que la vie sexuelle exerce sur les sentiments, les pensées et les actes de la vie intellectuelle et sociale.
Schiller, dans sa poésie: Les Sages, reconnaît ce fait et dit: «Pendant que la philosophie soutient l'édifice du monde, la faim et l'amour en forment les rouages.»
Il est cependant bien surprenant que les philosophes n'aient prêté qu'une attention toute secondaire à la vie sexuelle.
Schopenhauer, dans son ouvrage: Le monde comme volonté et imagination1, trouve très étrange ce fait que l'amour n'ait servi jusqu'ici de thème qu'aux poètes et ait été dédaigné par les philosophes, si l'on excepte toutefois quelques études superficielles de Platon, Rousseau et Kant.
Note 1: (retour)
T. II, p. 586 et suiv.
Ce que Schopenhauer et, après lui, Hartmann, le philosophe de l'Inconscient, disent de l'amour, est tellement erroné, les conclusions qu'ils tirent sont si peu sérieuses que, en faisant abstraction des ouvrages de Michelet2 et de Mantegazza3, qui sont des causeries spirituelles plutôt que des recherches scientifiques, on peut considérer la psychologie expérimentale et la métaphysique de la vie sexuelle comme un terrain qui n'a pas encore été exploré par la science.
Note 2: (retour)
L'Amour.
Note 3: (retour)
Physiologie de l'amour.
Pour le moment, on pourrait admettre que les poètes sont meilleurs psychologues que les philosophes et les psychologues de métier; mais ils sont gens de sentiment et non pas de raisonnement; du moins, on pourrait leur reprocher de ne voir qu'un côté de leur objet. À force de ne contempler que la lumière et les chauds rayons de l'objet dont ils se nourrissent, ils ne distinguent plus les parties ombrées. Les productions de l'art poétique de tous les pays et de toutes les époques peuvent fournir une matière inépuisable à qui voudrait écrire une monographie de la psychologie de l'amour, mais le grand problème ne saurait être résolu qu'à l'aide des sciences naturelles et particulièrement de la médecine qui étudie la question psychologique à sa source anatomique et physiologique et l'envisage à tous les points de vue.
Peut-être la science exacte réussira-t-elle à trouver le terme moyen entre la conception désespérante des philosophes tels que Schopenhauer et Hartmann4 et la conception naïve et sereine des poètes.
Note 4: (retour)
Voici l'opinion philosophique de Hartmann sur l'amour: «L'amour, dit-il dans son volume La Philosophie de l'Inconscient (Berlin, 1869, p. 583), nous cause plus de douleurs que de plaisirs. La jouissance n'en est qu'illusoire. La raison nous ordonnerait d'éviter l'amour, si nous n'étions pas poussés par notre fatal instinct sexuel. Le meilleur parti à prendre serait donc de se faire châtrer.» La même opinion, moins la conclusion, se trouve aussi exprimée dans l'ouvrage de Schopenhauer: Le Monde comme Volonté et Imagination, t. II, p. 586.
L'auteur n'a nullement l'intention d'apporter des matériaux pour élever l'édifice d'une psychologie de la vie sexuelle, bien que la psycho-pathologie puisse à la vérité être une source de renseignements importants pour la psychologie.
Le but de ce traité est de faire connaître les symptômes psycho-pathologiques de la vie sexuelle, de les ramener à leur origine et de déduire les lois de leur développement et de leurs causes. Cette tâche est bien difficile et, malgré ma longue expérience d'aliéniste et de médecin légiste, je comprends que je ne pourrai donner qu'un travail incomplet.
Cette question a une haute importance: elle est d'utilité publique et intéresse particulièrement la magistrature. Il est donc nécessaire de la soumettre à un examen scientifique.
Seul le médecin légiste qui a été souvent appelé à donner son avis sur des êtres humains dont la vie, la liberté et l'honneur étaient en jeu, et qui, dans ces circonstances, a dû, avec un vif regret, se rendre compte de l'insuffisance de nos connaissances pathologiques, pourra apprécier le mérite et l'importance d'un essai dont le but est simplement de servir de guide pour les cas incertains.
Chaque fois qu'il s'agit de délits sexuels, on se trouve en présence des opinions les plus erronées et l'on prononce des verdicts déplorables; les lois pénales et l'opinion publique elles-mêmes portent l'empreinte de ces erreurs.
Quand on fait de la psycho-pathologie de la vie sexuelle l'objet d'une étude scientifique, on se trouve en présence d'un des côtés sombres de la vie et de la misère humaine; et, dans ces ténèbres, l'image divine créée par l'imagination des poètes, se change en un horrible masque. À cette vue on serait tenté de désespérer de la moralité et de la beauté de la créature faite «à l'image de Dieu».
C'est là le triste privilège de la médecine et surtout de la psychiatrie d'être obligée de ne voir que le revers de la vie: la faiblesse et la misère humaines.
Dans sa lourde tâche elle trouve cependant une consolation: elle montre que des dispositions maladives ont donné naissance à tous les faits qui pourraient offenser le sens moral et esthétique; et il y a là de quoi rassurer les moralistes. De plus, elle sauve l'honneur de l'humanité devant le jugement de la morale et l'honneur des individus traduits devant la justice et l'opinion publique. Enfin, en s'adonnant à ces recherches, elle n'accomplit qu'un devoir: rechercher la vérité, but suprême de toutes les sciences humaines.
L'auteur se rallie entièrement aux paroles de Tardieu (Des attentats aux mœurs): «Aucune misère physique ou morale, aucune plaie, quelque corrompue qu'elle soit, ne doit effrayer celui qui s'est voué à la science de l'homme, et le ministère sacré du médecin, en l'obligeant à tout voir, lui permet aussi de tout dire.»
Les pages qui vont suivre, s'adressent aux hommes qui tiennent à faire des études approfondies sur les sciences naturelles ou la jurisprudence. Afin de ne pas inciter les profanes à la lecture de cet ouvrage, l'auteur lui a donné un titre compréhensible seulement des savants, et il a cru devoir se servir autant que possible de termes techniques. En outre, il a trouvé bon de n'exprimer qu'en latin certains passages qui auraient été trop choquants si on les avait écrits en langue vulgaire.
Puisse cet essai éclairer le médecin et les hommes de loi sur une fonction importante de la vie. Puisse-t-il trouver un accueil bienveillant et combler une lacune dans la littérature scientifique où, sauf quelques articles et quelques discussions casuistiques, on ne possède jusqu'ici que les ouvrages incomplets de Moreau et de Tarnowsky.