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I

Table des matières

L’ANNONCIATION

(Galerie du Vatican)

L’Annonciation du musée du Vatican est le premier panneau d’un charmant petit triptyque oblong, ayant servi primitivement de prédelle ou de soubassement à une grande toile du Couronnement, commandée au Sanzio, en 1502, par donna Maddalena degli Oddi, femme du seigneur de Pérouse. Cette princesse avait entrevu le mérite du jeune élève de Pietro Vannucci, qui, âgé seulement de dix-neuf ans, semblait déjà vouloir dépasser son maître et prenait tranquillement possession de la postérité.

Les dimensions de ce tableau sont modestes, mais l’expression en est extraordinairement pure et élevée.

Presque tous les contemporains, pour briguer la faveur du public, faisaient intervenir, dans leurs compositions, des cortèges de saints, de patrons, de donateurs, tout un ensemble d’ornements charmants, mais superflus. Il en résultait que l’abondance des détails étouffait souvent l’action principale et dissimulait mal une certaine pénurie d’idée ou d’expression.

Mais, du premier coup, Raphaël a compris qu’un mystère comme celui ci ne devait pas être profané par des inventions vulgaires, ni habillé d’imagination comme la légende. Pour rester vrai, digne de Dieu, il peindra comme l’Evangile raconte, avec simplicité, sobriété, piété et majesté.

Quoi de plus ravissant que la scène biblique de Nazareth, telle qu’elle nous est racontée par saint Luc. Il faut la relire si l’on veut comprendre les œuvres d’art qu’elle a inspirées.

«En ce temps-là, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu, dans une ville de Galilée, nommée Nazareth,

«A une vierge qu’avait épousée Joseph, de la famille de David, et dont le nom était Marie.

«Or, l’ange étant arrivé, lui dit: Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est en vous, vous êtes bénie entre les femmes.

«Dès que Marie eut entendu ces paroles, elle fut troublée, se demandant que pouvait bien signifier cette salutation.

«Mais l’ange lui dit: Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu;

«Voici que vous concevrez dans votre sein et enfanterez un fils, auquel vous donnerez le nom de Jésus;

«Il deviendra grand et sera appelé le Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père.

«Mais Marie dit à l’ange: Comment cela pourra-t-il se faire?

«L’ange lui répondit: L’Esprit-Saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre; c’est pourquoi le saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu.

«Alors Marie reprit: Je suis la servante du Seigneur, qu’il soit fait selon votre parole. Et l’ange disparut.»

Quelle sûreté de vue et quelle habileté de main ne fallait-il pas pour toucher à un pareil sujet sans l’amoindrir. Un ange et une vierge, les deux formes les plus élevées et les plus pures de l’art, au ciel et sur la terre! Mais ces deux sublimes figures suffisent à Raphaël pour faire le tableau le plus harmonieux et le plus charmant que l’on puisse imaginer.

C’est la fin d’une belle journée. Le soleil s’incline sur l’horizon, et au milieu du profond recueillement de la nature, la Vierge est assise, tenant en ses mains le livre des prophéties. Saint Bernard suppose, qu’à ce moment, Marie lisait le livre d’Isaïe, et que son regard venait de s’arrêter sur ces mots: Ecce virgo concipiet; voici qu’une vierge enfantera. Avant de recevoir Dieu dans son sein, elle le conçoit dans son esprit et le porte dans son cœur. Elle est seule, dans le plus profond secret de sa demeure qui paraît silencieuse comme un cloître. L’ange s’approche et la salue. Elle, étonnée, se demande ce que cela veut dire. Tout le tableau est là. Les attitudes, les gestes, les physionomies ne sont que le commentaire de ce double sentiment.

A gauche du spectateur, l’ange arrive. Il court et vole, porté à la fois par ses pieds agiles et ses ailes déployées. Dès qu’il aperçoit la Vierge, il s’arrête soudain, à une grande distance, lui présentant, de la main gauche, un lis, emblème d’innocence, et lui offrant, de la main droite, la bénédiction divine. Sa tête, vue de profil, est ornée de longs cheveux blonds descendant sur les épaules. Ses traits sont empreints d’une douce suavité ; son regard, plein d’animation, s’arrête sur la Vierge, et de sa bouche entrouverte sortent les paroles de la salutation. Une longue tunique rose, aux plis flottants, et de grandes ailes noires déployées, donnent à cette brillante apparition une légèreté toute surnaturelle. L’esprit céleste apercevant une créature mortelle supérieure à lui, s’incline devant elle avec un religieux respect et une ardente vénération.

Ici, en effet, le peintre a parfaitement compris que la Vierge, plus admirable que l’ange dans l’ordre de la grâce, devait aussi lui être supérieure dans l’ordre de la nature. Elle l’emporte donc sur l’ange en attraits, en beauté et en splendeur. La voici, à droite du tableau, dans une attitude souverainement humble et incomparablement chaste, au moment où, se disant la servante du Seigneur, elle mérite par là les préférences de Dieu. Ce qui surprend et charme tout d’abord, c’est son inimitable reflet de jeunesse, qui, dans la plus délicate des transitions, signale le passage de l’enfance à l’adolescence. La tête, doucement penchée sur l’épaule droite, est encadrée de cheveux blonds, s’arrondissant naturellement, en simples bandeaux. Le front est haut et d’une limpidité parfaite. Les yeux baissés respirent une inaltérable candeur. La bouche est émue, sans être troublée. Le geste se trouve en harmonie parfaite avec l’expression du visage. Tandis que la main gauche tient le livre ouvert sur les genoux, la main droite se lève comme pour écarter les hommages de l’ange. La simplicité et l’ampleur du vêtement achèvent encore de faire ressortir la grande dignité de la figure. Sur une robe rose nouée à la taille et bordée de noir à la hauteur du cou est jeté un long manteau bleu qui tombe de l’épaule droite jusqu’à terre. Mais ce que rien ne saurait rendre, c’est l’atmosphère d’innocence et de vertu qui plane sur ces choses, et qui leur communique je ne sais quoi d’inaccessible à la science consommée des maîtres.

Enfin, la scène se passe dans un palais, dont la richesse contraste sans doute avec la réalité historique de l’humble demeure de Nazareth, mais qui, par cette noblesse artistique, répond bien mieux à la sublime grandeur du mystère. Trois rangées de colonnes forment un double portique, ample, majestueux, largement ouvert sur la campagne, et donnant libre accès à l’air, à la lumière, à tous les parfums de la nature, à toutes les bénédictions du ciel. Dans le lointain, la campagne est baignée de lueurs transparentes et douces. Des collines verdoyantes encadrent une vallée, au sein de laquelle, sur les bords d’une rivière, apparaissent les monuments élégants d’une cité méridionale. Derrière les clochers et les remparts, de hautes montagnes ferment l’horizon. En même temps, dans les profondeurs du ciel, apparaît Dieu le Père, bénissant la Vierge et la regardant avec complaisance, tandis que l’Esprit-Saint, sous la forme d’une colombe, se dirige, à tire d’ailes, vers elle. Les derniers rayons du soleil couchant qui dorent les sommets, et la plaine silencieuse qui se remplit des teintes mélancoliques du soir, rappellent l’heure à laquelle tous les chrétiens ont coutume de réciter, chaque jour, les paroles de l’ange.

En contemplant ce poème, l’esprit ne tarde pas à être ravi, au-dessus des formes terrestres, jusqu’à l’idéal voulu par le peintre, dans les mystérieuses profondeurs de l’éternelle vérité et de l’éternelle beauté.


Etude sur les madones de Raphael à Rome

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