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II

Table des matières

L’ADORATION DES MAGES

(Galerie du Vatican)

Ce petit tableau fait suite à l’Annonciation, et appartient à la même époque, l’an 1502. Au premier coup d’œil, on ne peut s’empêcher d’admirer la grâce charmante et l’aisance merveilleuse avec lesquelles ce jeune peintre de dix-neuf ans met en mouvement tout le splendide cortège des mages. Sa manière de rendre le plus populaire et le plus romantique des récits religieux, forme un véritable commentaire du texte sacré. Écoutons d’abord saint Mathieu.

«Lors donc que Jésus fut né en Bethléem de Juda, sous le règne d’Hérode, voilà que des mages arrivèrent d’Orient à Jérusalem,

«Disant: Où est celui qui est né roi des Juifs? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l’adorer.

«Ayant appris cela, le roi Hérode en fut troublé, et tout Jérusalem comme lui...

«Les mages secrètement appelés, il s’informa près d’eux du temps précis où l’étoile leur était apparue.

«Puis, les envoyant à Bethléem, il leur dit: Allez, cherchez avec soin cet enfant, et quand vous l’aurez trouvé, revenez me le faire savoir, afin que, moi aussi, j’aille l’adorer.

«Dès que ceux-ci eurent entendu ces paroles du roi, ils s’en allèrent; et voilà que l’étoile qu’ils avaient aperçue en Orient marchait devant eux, jusqu’à ce qu’elle s’arrêta au-dessus du lieu où était l’enfant.

«Or, en voyant ce mouvement de l’étoile, ils furent transportés d’une grande joie,

«Et, étant entrés dans la maison, ils y trouvèrent le nouveau-né près de Marie, sa mère; et, se prosternant, ils l’adorèrent; puis, sortant leurs trésors, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

«Mais, ayant été avertis en songe de ne point retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.»

C’est à Jésus que s’adressent ces hommages des princes orientaux. Mais le Sauveur n’est encore qu’un simple enfant, et, en cette qualité, il ne peut se passer de sa mère ni être séparé d’elle un seul instant. Elle sera donc manifestée en quelque sorte avec lui à ses nobles visiteurs, et c’est dans ses bras que le Christ recevra le culte le plus solennel qui lui ait été rendu pendant sa vie mortelle. Il en rejaillira une gloire incomparable sur la Vierge Marie. Par elle, Jésus est le véritable fils de l’homme; c’est d’elle qu’il tire le témoignage de ses abaissements; c’est sur elle, en retour, qu’il reflètera, avec le plus d’éclat, sa divinité. Elle grandit en proportion des humiliations de son fils. Etroitement liée à la hiérarchie de l’Incarnation, elle y occupe une place d’honneur. Telle est la doctrine profonde que l’art doit interpréter dans l’Adoration des Mages.

L’aurore blanchit au loin l’horizon; ses lueurs naissantes éclairent un gracieux paysage; une lumière douce et suave pénètre la nature et semble vouloir célébrer les splendeurs d’un monde nouveau.

Magnus ah integro saelorum nascitur ordo,

Jam nova progenies cœlo demittitur alto .

Une pauvre cabane en ruines représente l’étable, au-dessus de laquelle s’est arrêtée l’étoile miraculeuse, que la ligne supérieure du cadre dérobe aux regards du spectateur. Les mages arrivent avec leur brillante cavalcade et un nombreux cortège. Ils ont mis pied à terre et offrent au divin enfant leurs mystiques présents.

Sur la droite du tableau, la Vierge assise à l’entrée de l’étable, présente l’Enfant Jésus à l’adoration des rois. Elle offre le même type que précédemment, et, dans cette première manifestation de sa maternité, elle est toujours jeune, belle, infiniment touchante. Son ajustement est aussi modeste que sa figure est humble. Autour de ses cheveux simplement disposés sur le front, flotte un voile délicat qui, de la tête, retombe en avant sur la poitrine, et vient rompre la monotonie du corsage, visible du côté gauche. La robe est rouge, et sans aucun autre ornement que la petite bordure noire qui environne le cou. Un vaste manteau bleu, jeté sur l’épaule droite, enveloppe tout le bas du corps et descend jusqu’à terre. Mais ce qui importe beaucoup plus que l’extérieur et mérite toute l’attention, c’est l’expression de cette vierge. La physionomie est douce, grave, mélancolique, résignée plutôt qu’heureuse. Silencieuse et recueillie, elle regarde tendrement son fils, et sous ses paupières abaissées, on sent la nature brisée, l’émotion contenue, les larmes prêtes à couler. Une âme profondément sainte et toute céleste respire dans ce visage. C’est merveille de voir avec quelle perfection le peintre a su rendre des choses si élevées et si délicates.

L’Enfant Jésus est assis sur les genoux de sa mère, dont il reproduit les traits et reflète les sentiments. Dans cette attitude, il apparaît à la fois Fils de l’homme et Fils de Dieu. C’est sous cette double qualité qu’il se présente au monde, et qu’il en reçoit les adorations. Il regarde gravement les mages, et de ses deux petites mains tournées vers sa mère, il la désigne lui-même à leur vénération.

Près de Marie se tient Joseph. N’était-il pas juste, qu’associé aux premiers mystères de l’humanité du Christ, le saint patriarche fut aussi l’heureux témoin de ce premier triomphe? D’ailleurs, il forme, aux yeux des hommes, le complément naturel de la Sainte Famille, et pour des esprits encore fermés aux miracles de l’Incarnation, il a sa place marquée près de la mère et de l’enfant. Ces adorateurs étrangers et païens ignorent le mystère de la virginité de Marie. Pour eux, Joseph remplit le rôle d’une paternité indispensable. A ce titre, il est de leur part l’objet, non seulement d’une pieuse curiosité, mais encore d’un grand respect et d’une profonde reconnaissance.

Selon la tradition, les mages sont représentés au nombre de trois, et à des âges différents. Le premier, noble et beau vieillard, à barbe blanche, a déjà déposé son offrande aux pieds du Sauveur, et, ayant laissé la place au second prosterné à son tour, il désigne, d’un geste, le troisième mage à saint Joseph, qui ne peut retenir un mouvement d’admiration. Les autres personnages cherchent à se rendre compte d’un spectacle nouveau pour eux. Cette ingénieuse disposition forme un lieu commun entre tous. Par là, la scène est une et véritablement vivante.

Ces riches émirs orientaux, arrivés du fond de l’Arabie, se distinguent pas des types caractéristiques et des costumes spéciaux. Ils appartiennent à un peuple merveilleux et légendaire; ils réunissent sur leur front la triple couronne de la religion, de la science et de la souveraineté. Adorateurs de la nature, ils professent le culte des astres, et c’est en suivant un météore qu’ils accourent se prosterner devant le Christ. Cette situation permet des contrastes frappants et demande évidemment quelques traits de couleur locale. Certains peintres en ont profité, pour créer des types étranges, souvent forcés et antipittoresques, transformant en nègre l’un des mages, affublant les autres d’habillements fantastiques, plus ou moins grotesques, presque toujours faux et éloignés de la vérité. Mais Raphaël qui joint à l’élévation de la conception le goût le plus exquis, s’est bien gardé de tomber dans cet excès de réalisme. En fait d’art, la bizarrerie ne vaut rien, les oppositions trop heurtées sont dangereuses. Le meilleur dessin sera celui qui, en charmant les yeux, conservera au mystère, sa grandeur, son effet historique et sa signification morale. Le jeune Sanzio, sans faire de ses mages des seigneurs de l’Ombrie, leur donne cependant à peu près les dehors et l’ajustement de son temps. Il se contente d’orner d’une sorte de turban la tête du premier mage; c’est tout ce qu’il accorde aux exigences traditionnelles. Le second mage, à genoux aux pieds de l’Enfant Jésus, ayant déposé sa couronne à terre, montre un charmant profil italien, ombragé de longs cheveux blonds. Le troisième, très jeune, a les traits d’un ange plutôt que d’un homme; sa couronne est posée sur son bonnet; et avec sa chevelure flottante, ses chausses étroites, son justaucorps, son ample manteau gracieusement drapé, il rappelle Raphaël lui-même. Touchante allégorie d’un artiste chrétien qui affirme la naïveté de son âme et l’élan de sa foi.

La suite des mages offre un très brillant cortège de pages, de soldats, de cavaliers, qui remplit plus de la moitié du tableau. Les attitudes, les costumes, sont aussi variés que charmants; mais ce qui intéresse le plus dans ces personnages, ce sont les âmes, et toutes sont admirablement belles, sincères, ferventes. On voit qu’en approchant de Dieu l’humanité se sent profondément touchée et renaît à l’amour. Voilà le véritable esprit nouveau qui se lève sur le monde. Autour du berceau de l’Enfant divin, les grands et les petits, les riches et les pauvres, les rois et les bergers se trouvent confondus, et, oubliant la distance qui les sépare, ils adorent le même Dieu, et, en l’aimant, s’aiment les uns les autres. Au milieu de cette foule si harmonieusement groupée autour de la Vierge et du Christ, les différences sociales, les oppositions naturelles, disparaissent pour ne laisser voir que des frères. Dans un coin, derrière la Sainte Famille, trois pauvres bergers sont là, appelés par les anges à venir rendre leurs hommages au Sauveur naissant. Quelles bonnes figures ont ces adorateurs à l’esprit simple et au cœur pur! Ils sont véritablement lumineux, transfigurés, dans le divin éclat du Verbe incarné. L’un est à genoux, et ses mains tendues vers Jésus, expriment l’admiration la plus naïve. Un amour ardent transporte le plus âgé. Le troisième, pareil à un jeune lévite, semble s’offrir lui-même avec l’agneau qu’il présente. L’intelligence à la fois enfantine et céleste de ces visages en fait des disciples convaincus qui ne sont pas inférieurs aux rois. En vérité, il n’y a que la religion pour éclairer et élever à ce point les âmes.

De cette onction si pénétrante, s’exhale, comme un pur encens, toute l’âme de la peinture chrétienne. Ces dix-sept figures de la scène évangélique se tiennent par le cœur autant que par les physionomies et la beauté. Toutes sont baignées dans l’amour divin, et il semble qu’une délicieuse mélodie va sortir de leur groupe pour se répandre au milieu des airs.


Etude sur les madones de Raphael à Rome

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