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PREMIÈRE PARTIE

L’ESTHÉTIQUE DU FER

L’ESTHÉTIQUE DU FER

Table des matières

Réssuscitons par la pensée le printemps de l’année 1900. C’est l’année de l’Exposition universelle.

Les oiseaux migrateurs qui passent en cette saison sur Paris voient le long du fleuve qu’ils connaissent un spectacle qu’ils ne connaissaient pas. L’ensemble de la ville n’a pas changé. C’est bien toujours la même mer grise de pierres où traînent des vapeurs, où s’enfoncent des paquets d’herbes, où émergent çà et là les nefs des cathédrales et les bouées noires et dorées des dômes dans le flottement des ombres violettes qui suivent la course des nuages. Mais ce qui est nouveau, c’est l’entassement d’une multitude de toits, sur des rives ordinairement vides, et ce qui est étrange, c’est leur diversité.

La plupart de ces toits, l’oiseau migrateur les connaît et, s’il est de ceux qui y suspendent leur nid, il en sait le degré d’hospitalité. Mais il ne les a jamais vus ensemble. Il est accoutumé à trouver, après les toits pointus en bois ou en ardoises des régions pluvieuses, le toit de tuiles des climats tempérés, puis le dôme et la terrasse des pays chauds, mais non pas avant d’avoir traversé les montagnes qui partagent les bassins, ni suivi les vallées où s’étagent les vignes, ni passé la mosaïque bleue et or de la mer et des îles et vu se presser les têtes rondes des orangers et la garde montante des cyprès.

Ici, en planant, dans un coup d’ailes, il aperçoit, aussi serrés les uns contre les autres que des chapeaux dans une foule, tous les toits que séparent d’ordinaire de longues journées de voyage à travers les climats changeants: chapeaux plats, chapeaux ronds, chapeaux de paille, casques d’or, pyramides à écailles de bois disposées pour le glissement des neiges; terrasses faites pour goûter la fraîcheur des soirs, dômes d’Orient, piles d’abat-jour, toits relevés à leurs bouts comme des souliers à la poulaine, pigeonniers du moyen âge, taillis de couteaux du Soudan, tas de grosses bûches des toupas ou des isbas; tous les jets des flèches et tous les bouillonnements des coupoles, depuis la pomme byzantine jusqu’à la poire d’or moscovite. Voilà ce qu’un migrateur au printemps de l’année 1900 pouvait voir en passant.

Mais pendant l’hiver qui précéda l’Exposition, ce qu’il eût aperçu était plus étrange encore. Au premier abord, en voyant la fourmilière des ouvriers s’acharner à ces constructions hémisphériques tout au bord de l’eau et avec des matériaux qui, de haut, ressemblaient beaucoup à de fines bûches, il les eût pris pour un peuple de castors au travail. Au bout de quelques instants, à mieux considérer ces édifices, il les aurait crus construits par des oiseaux. On eût dit en effet des nids gigantesques posés sur les deux bords d’un ruisseau: nids formés d’un inextricable fouillis de baguettes entremêlées avec une incomparable adresse, que peut seule surpasser celle du loriot ou de la rousserole; nids feutrés sinon du coton des fleurs de peuplier, de toiles d’araignées ou de mousse, du moins de chanvre ou d’étoupe mêlés à du plâtre, c’est-à-dire de staff; nids tressés de tiges de fer comme ce nid qu’on peut voir à Soleure, pays d’horlogers, et que les oiseaux ont construit avec des ressorts de montres.

L’armature fine, délicate, nouvelle de tous ces monuments, l’ingéniosité de ces nids ou de ces treillis de fer, impondérables à l’œil quand ils étaient nus, insoupçonnables dès qu’ils furent revêtus, armature commune de tous ces organismes si différents, tel fut assurément le plus grand prodige de l’Exposition de 1900.

Devant cette végétation de fer de plus en plus touffue et envahissante, nous reconnaissons la marche sûre et les fortes prises de la science. Et quand, par hasard, cette armature, débarrassée de tous les matériaux qui la cachent, veut se suffire à elle-même et apparaît seule à nos regards, comme dans l’intérieur de quelques palais et dans le nouveau pont jeté sur la Seine, quand nous voyons se réaliser au seuil du siècle nouveau le vœu de ce poète du XVIe siècle:

Une maison d’archal composée en réseaux,

ce n’est plus seulement de l’admiration pour la Science, mais ce sont des inquiétudes pour l’Art.

Inquiétudes mêlées d’espérances, car, dans l’agglomération de toutes ces formules de bois, de pierre, ou reproduisant exactement les formes du bois et de la pierre, le seul rameau nouveau, qui s’ajoute au vieil arbre touffu et confus de l’architecture universelle, est un rameau de fer. Que faut-il partager de ces inquiétudes? Jusqu’où faut-il aller de ces espérances? C’est ce que les exemples mis depuis quelques années sous nos yeux nous permettent peut-être de déterminer.

Les questions esthétiques contemporaines

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