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CHAPITRE PREMIER

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Table des matières

SUR la route de Normandie, à peu prés à égale distance d’Évreux et de Pont-Audemer, Vieumesnil étage ses vingt-cinq maisonnettes dans un petit vallon verdoyant au fond duquel coule la Surgette.

Les ruines d’un vieux château fort le dominent, et il dévale doucement vers le ruisseau, baignant ses dernières maisons dans l’eau chantante qu’ombragent de vieux saules, et où grouillent d’énormes et succulentes écrevisses qui font la célébrité du pays.

Après avoir sauté la Surgette sur un vieux pont de briques rouges, la route de Normandie traverse Vieumesnil dans toute sa longueur, et va se perdre là-bas, derrière un épais rideau de peupliers barrant l’horizon.

Le villageot est construit tout au long de cette route poudreuse, ce qui fait qu’il ne possède qu’une unique rue.

Mais devant l’auberge de l’Écu-d’Or, une placette se creuse, plantée d’ormeaux, et au fond, s’élève l’église, une de ces vieilles églises normandes, dont le clocher est coiffé comme d’un bonnet de police.

Tandis que tout change et se transforme dans le monde, seul Vieumesnil ne bouge point, et il y a un peu moins de deux cents ans, au moment où commence cette histoire, Vieumesnil était exactement ce qu’il est aujourd’hui. Peut-être le clocher de l’église portait-il son bonnet de police un peu moins sur l’oreille, sans doute les chaumes des toits étaient-ils moins moussus, l’auberge de l’Écu-d’Or moins branlante et son enseigne moins rouillée. Mais le château ruiné là-haut n’avait certainement pas plus de pierres et de hiboux qu’en ce temps-ci, et la Surgette chantait aussi doucement qu’elle fait aujourd’hui, en passant sous son vieux pont de briques rouges. Or, ce jour-là, qui était le seizième du mois de septembre de l’an du Seigneur mil sept cent seize, Vieumesnil était tout secoué comme par une joie inusitée.

Des échoppes de toile se dressaient tout le long de la route et tout autour de la placette, et au beau milieu de celle-ci, sous des arceaux de verdure, une salle de bal était installée, dont l’orchestre était déjà tout prêt, formé de planches supportées par quatre tonneaux.

Mais plus que partout ailleurs, c’était dans l’auberge de l’Écu-d’Or que l’animation semblait considérable. La cuisine rougeoyait d’un feu d’enfer, où tournaient lentement des chapelets d’oisons et de grasses volailles; dans la cour, dans le jardin, jusque dans le verger, des tables étaient dressées, déjà encombrées de buveurs, et le cidre coulait de partout, car c’était justement sa fête, à ce doux jus des pommes normandes, et chaque année Vieumesnil fêtait par des réjouissances publiques la première coulée du cidre nouveau.

MAITRE POTON


Un monde de valets, de marmitons, de filles de salle, s’agitait dans l’auberge de l’Écu-d’Or, sous la direction de maître Poton, qui dirigeait toute cette armée avec l’habileté d’un vieux tacticien.

Vêtu de blanc de la tête aux pieds, un large tablier ceignant son ventre majestueux, portant à son côté, comme un gentilhomme son épée, son large couteau de cuisine dans sa gaine de cuir, son bonnet de coton sur l’oreille, avec sa figure poupine et rasée, maître Daniel Poton avait réellement grand air!

Et, comme il avait l’œil partout, gourmandant les servantes, jetant un ordre aux sommeliers, un conseil aux marmitons, une parole aimable aux clients, se démenant, s’agitant, mais sans rien perdre de sa dignité, on sentait que ç’était le maître.

Mais voici que tout à coup, comme maître Poton venait de jeter un coup d’œil aux broches où se doraient poulardes et oisons, il fronça son sourcil majestueux, et se dirigeant vers la porte de l’auberge, où un jeune homme semblait bayer aux corneilles:

— Voyons, Blaise, fit-il, tu ne pourrais pas nous donner un coup de main, un jour comme aujourd’hui?

— Un jour de fête!... dit l’autre, que je mette la main à la pâte!...

— Si encore tu t’amusais!... Mais te voilà, les bras ballants, l’air maussade, comme si tu portais tel diable en terre!

Le jeune homme eut un geste d’impatience:

— Chacun s’amuse à sa façon!

Maître Poton allait répliquer, mais il n’en eut pas le temps. Voici qu’on l’appelait là-bas, et il rentra dans l’auberge, non sans avoir levé les bras au ciel, comme pour en appeler aux dieux, qui lui avaient donné un tel fils.

Ce n’était pas que Blaise Poton fût un mauvais garçon. Non, certes!

A peine âgé de vingt ans, c’était un beau gars, et ce jour-là, il était des plus farauds, avec ses souliers à boucles d’argent, ses bas chinés, sa culotte de nankin et son bel habit à fleurs. Les cheveux serrés sur la nuque par un large ruban ponceau, il portait fièrement son tricorne galonné.

— VOYONS, BLAISE, FIT-IL, TU NE POURRAIS PAS NOUS DONNER UN COUP DE MAIN UN JOUR COMME AUJOURD’HUI!... (P. 6.)


Mais quel air d’ennui sur toute sa figure! Comme ses lèvres tombaient en un rictus dédaigneux, comme ses jolis yeux gris clignaient, dégoûtés, et comme toute sa physionomie paraissait méprisante devant la grosse joie qui animait tout le village!

Il était là, accoté au chambranle de la porte, pareil à quelque âme en peine, hésitant à se jeter dans la foule des croquants qui s’agitait sur la place, autour du bal où déjà trois violons commençaient à grincer.

— Tout de même, v’la que vous avez fait de la peine à not’maître, m’sieu Blaise! fit une voix, à ses pieds.

Blaise abaissa les yeux vers un petit garçon, tout affairé à plumer des volailles.

— Tu dis?

— Je dis que si j’étais à votre place, moi, ah! vous me verriez gambader et sauter!... Et je n’aurais pas la mine longue d’une aune, que vous portez, un jour comme aujourd’hui, où tout le monde est en joie!

— Mon petit Framboisy, mêle-toi de tes affaires et non des miennes, n’est-ce pas!

— Oh! Je le sais bien ce que vous avez!... Vous voudriez aller à Paris, avec cette grande flamberge de Jérôme, qui vous a traboulé la tête, depuis qu’il est venu dans le pays, Dieu sait pourquoi!... Car c’est depuis qu’il est ici, que vous avez changé, m’sieu Blaise!

Le jeune homme s’impatienta:

— En voilà assez, n’est-ce pas!

Et il sortit, tandis que le pauvre petit Framboisy, tout en plumant ses volailles dont les duvets hérissaient ses cheveux, murmurait:

— Ah oui! Si j’étais à sa place!

Il était un fait que Blaise avait tout ce qu’il fallait pour être heureux, et qu’il ne savait pas profiter de son bonheur. Fils unique de maître Daniel Poton, propriétaire de l’Ecu-d’Or, c’est-à-dire de l’auberge la plus achalandée d’Evreux à Pont-Audemer, il avait été jusqu’à cette heure gâté, choyé par ce brave homme de père dont il était toute la joie. Dans quelque temps, à son tour, il deviendrait le patron de l’Ecu-d’Or, et il allait épouser Babette...

Ah! Babette!... Jolie comme un cœur, menue comme un saxe, blonde comme une fleur de colza, avec ses clairs yeux couleur de violette, et si bien élevée avec ça, si bonne ménagère, femme de tête, d’ordre et d’économie, bien qu’elle n’eût pas encore dix-sept ans sonnés!

Ah! C’est que maître Lacoudre, le terrible magister de Vieumesnil, son digne père, l’avait dressée, comme il disait, au doigt et à l’œil.

Car elle était pauvre, Babette, et, en dot, elle n’apporterait à son mari que sa beauté, son courage, et ses deux bras qui, pour être menus et délicats, n’avaient jamais boudé à l’ouvrage.

Quand maître Poton avait su que Blaise et Babette s’aimaient, tout d’abord il avait sévèrement froncé ses majestueux sourcils. Mais il n’avait point osé contrarier son fils, puis il avait songé qu’une pareille fille, c’était un trésor! Vertu vaut mieux qu’argent!

Et les deux jeunes gens avaient été fiancés!

Franchement, ce petit plumeur de volailles de Framboisy n’avait-il pas raison, et avait-on le droit d’être triste et mélancolique, quand on avait le double bonheur d’être le fils de maître Poton, et le fiancé de la douce Babette!

Tout cela, d’ailleurs, c’était la faute à Jérôme Loupillard.

Avant l’arrivée au village de ce grand escogriffe, Blaise avait été content de son sort, heureux de vivre, participant à toutes les fêtes, véritable boute-en-train du pays.

L’arrivée de Jérôme Loupillard avait changé tout cela!

D’où venait-il? Nul n’aurait su le dire, pas plus que ce qu’il était venu faire à Vieumesnil.

Un beau soir, il était descendu du coche de Paris, en faisant tinter les écus dans sa poche, il s’était installé à l’Ecu-d’Or, passant son temps à boire et fumer, étonnant les villageois par ses habits à la mode parisienne, plus encore par ses allures de casse-assiettes, et cette longue pipe qu’il portait accrochée au revers de son tricorne, assurant que c’était ainsi que l’on faisait aux Porcherons, à Paris!

Blaise avait été émerveillé par le bagout du personnage et tout de suite il s’était lié avec lui d’une étroite amitié. Et c’est bien ce qui l’avait perdu!

Car, à force d’entendre vanter par son nouvel ami les charmes, les plaisirs de Paris, Blaise avait fini par trouver fastidieuse la vie calme et paisible qu’il menait dans son tranquille Vieumesnil. Et il n’avait plus rêvé que d’aller à Paris! Mais son père n’y consentirait jamais, et Babette en serait malade, sans compter le vieux magister Lacoudre, dont il avait reçu jadis tant de coups de férule, qu’il en gardait encore comme une sourde peur.

Un jour il avait essayé d’en parler à son père: maître Poton l’avait reçu de si belle façon qu’il n’avait encore osé reprendre cette conversation.

Rongé par l’envie d’aller à Paris, dégoûté des calmes joies de son village, mais n’osant partir, voilà pourquoi Blaise était si triste, si mélancolique, en ce jour où tout le village était en fête.

BABETTE


Tout à coup, il entendit qu’on l’appelait, et, s’étant retourné, il se trouva face à face avec Jérôme Loupillard en personne.

C’était une façon de géant que Jérôme Loupillard, grand, bien découplé, le teint de brique et le nez déjà trognonnant. Mais il avait un drôle de regard, et tout autre que Blaise se fut immédiatement méfié d’un garçon qui regardait les gens de cette façon-là.

Blaise s’étonna de la rencontre:

— Hé quoi, tu es ici?... Tu m’avais pourtant bien dit, hier au soir, que ces fêtes campagnardes te déplaisaient souverainement, et que, pour éviter ces gaîtés stupides, tu t’en irais bien loin, jusqu’à Pont-Audemer ou Evreux!

— Oui! sourit Jérôme, l’homme propose et les circonstances en disposent autrement!... Je viens de retrouver des amis!

— A Vieumesnil?

— Ici même!... Et quels amis!... Je veux te présenter à eux, d’autant plus...

Il s’arrêta, jeta un coup d’œil autour de lui, comme s’il avait peur de quelque oreille indiscrète, puis, point sûr pour l’étonnant secret qu’il allait confier à Blaise, il l’entraîna dans un coin solitaire, et, baissant la voix, pour que nul n’entendit:

— Es-tu toujours décidé à partir pour Paris!

— Certes! répliqua Blaise. Mais tu le sais, la chose est plus que difficile car mon père d’une part, maître Lacoudre...

— Ta, ta, ta... interrompit Jérôme, il ne s’agit point de cela. Si tu veux partir, sans que ni ton père, ni ta fiancée, ni l’aimable magister n’y trouvent à redire...

— Ce serait là un véritable miracle!

— Je puis l’accomplir!... Avec l’aide de mes amis! Le principal est que tu consentes à les aider un peu! Ma combinaison est infaillible. Non seulement ton vénérable père et les autres personnes qui te retiennent en ces lieux ne te disputeront pas, mais encore ils t’accompagneront jusqu’à la voiture, remplissant tes poches et ta bourse, à qui mieux mieux!

— Je voudrais bien voir cela! fit Blaise sceptique.

— Aies confiance en moi et en mes amis, et fais ce qu’ils te diront!... Tiens, allons les voir!

C’était au bout du village, une immense grange à battre le grain, que pour la circonstance on avait débarrassée de tout ce qui l’encombrait.

Sur la porte charretière, une immense affiche annonçait que c’était céans que l’illustre troupe du non moins illustre Sidoine Mirandor donnait ses séances de comédie moyennant un prix uniforme de cinq sols: on pouvait même payer en nature.

La porte franchie, ils se trouvèrent dans la salle que des bancs garnissaient, et dans le fond, s’élevait une façon de tréteau, que cachait, en guise de rideau, un lambeau de tapisserie.

— Mais tu me mènes à la comédie? demanda Blaise.

— Parce que mes amis sont des comédiens!

Et enjambant les bancs, il écarta le rideau, et poussa Blaise dans ce que l’on pouvait appeler les coulisses du théâtre. Blaise se dirigea vers un comédien, vêtu de la souquenille bariolée des Crispin, et, familièrement:

— Sidoine, je te présente l’ami dont je t’ai parlé !

Sidoine Mirandor, car c’était le directeur de la troupe en personne, s’inclina avec une grâce vraiment régence, et saisissant immédiatement la main de Blaise:

— Très flatté, monsieur, en vérité, très flatté !

Puis se tournant vers Jérôme:

— Alors, c’est entendu pour ce soir?

— C’est entendu!

— Parfait!.. Monsieur est au courant de son rôle?

— Je l’y mettrai!

— De mon côté j’ai averti Verdure et Larancune!... Ah! l’on va rire un peu!

Blaise ouvrait de grands yeux. Sidoine Mirandor s’inquiétait s’il savait son rôle! Allait-on lui faire jouer la comédie? Il allait demander les explications, mais un formidable roulement de caisse, appuyé par un tonitruant éclat de trombone l’interrompit. C’était à la porte de la grange, un des acteurs de l’illustre troupe qui annonçait le spectacle aux badauds assemblés par cette harmonieuse musique.

D’OU VENAIT-IL CE JÉROME LOUPILLART? NUL N’AURAIT SU LE DIRE, PAS PLUS QUE CE QU’IL ETAIT VENU FAIRE A VIEUMESNIL (P. 9.)


— Entrrrez seigneurs et dames, profitez de l’occasion, car il a fallu véritablement un miracle pour que l’illustre troupe du célèbre Mirandor, habituée à ne donner ses représentations que devant des têtes couronnées s’arrête dans vos murs! Vous allez voir...

Pendant ce temps, en un coin de la salle, Jérôme parlait bas à son ami Blaise et lui faisait part de la fameuse combinaison, laquelle avec l’aide du célèbre Mirandor et de ses acteurs, allait lui permettre de réaliser son rêve.

Elle devait être du goût de Blaise car, lorsque son ami eut fini, il s’écria:

— Bravo! Voilà, ma foi, qui est merveilleusement combiné. Tu es un fameux maître en expédients, et je ne connaissais pas jusqu’au fond ton sac à malices! Celle-ci est des mieux ourdies, pardieu! Je ne sais comment je pourrais jamais te remercier.

— Ne parlons pas de cela! interrompit Jérôme. Je n’ai voulu que te venir en aide, et je suis assez payé par la joie que je te cause!

Cependant, tandis qu’ils parlaient, la salle s’était remplie, et déjà, écartant le rideau, un valet de comédie venait annoncer que l’illustre troupe allait avoir l’honneur de jouer la Forêt de Dodolle, pièce mêlée de chants de MM. Fuzelier, Lesage et Dorneval. Jérôme se leva, et entraînant Blaise:

— Ne restons pas là ! A Paris, nous aurons le temps et le loisir d’assister à de plus piquants spectacles. Et tous les deux se perdirent dans le champ| de foire.

Blaise se sentait heureux comme il ne l’avait été depuis bien longtemps. Et voici que, comme il s’approchait du bal, une main s’appesantit sur son épaule, tandis qu’une rude voix disait:

— Enfin l’on te trouve! Ce n’est point malheureux!

— Il y a au moins une heure que nous te cherchons, Blaise! ajouta une petite voix si douce, qu’on eût cru entendre chanter les anges.

C’était maître Lacoudre et sa fille Babette. En les reconnaissant Jérôme |fronça le sourcil. Mais déjà Blaise avait enlacé sa fiancée, et comme les violons préludaient à un rigodon endiablé, tous deux se lancèrent parmi les danseurs.

Ah! qu’elle était jolie cette petite Babette, avec son cotillon court, son corsage de linon à fleurs, et ce petit bonnet de dentelles, posé si gentiment sur la mousse d’or de ses fins cheveux! Ah! Idiot de Blaise, de vouloir courir loin de Vieumesnil où il possédait une si jolie fiancée! Légère comme un oiseau, elle sautait au bras de Blaise, s’étonnant de sa mine si réjouie:

— Enfin, je te retrouve, Blaise, je te revois, heureux comme autrefois!... J’espère que c’en est fini de tous ces papillons noirs qui s’en étaient venus s’abattre sur toi!

— Oui! c’est fini, bien fini, Babette!

— Alors, nous allons pouvoir bientôt faire accorder les violons de] notre noce?

— Bientôt, Babette! Dans trois ou quatre mois tout au plus!

Elle eut une jolie petite moue:

— Si tard!

— Mais non!.. Seulement avant...

Il allait lui dire, qu’avant de se marier, il voulait| aller passer deux ou |trois mois à Paris, voir cette belle ville dont Jérôme lui disait merveille, goûter à toutes ses joies, à tous ses plaisirs... Mais il se retint. |Il avait promis le secret à son ami et dans la crainte de faire échouer le stratagème imaginé par Jérôme, il se tut.

Pendant ce temps, Jérôme causait avec Lacoudre, et faisait l’aimable avec le vieillard qui ne lui répondait guère que par monosyllabes, car le magister ne |portait point Jérôme dans son cœur.

Tout vêtu d’une grande houppelande d’un vert bouteille fané, le tricorne sur les yeux qu’abritaient de grandes lunettes rondes, ses cheveux enroulés dans un large |ruban de soie noire, le magister était détenteur d’une de ces physionomies rébarbatives, qui dès l’abord font reculer les plus braves, et l’on comprenait, rien qu’en le voyant, la terreur qu’il inspirait à ce pauvre Blaise, bien qu’il dût devenir son beau-fils.

Mais si la figure de maître Lacoudre était à l’ordinaire des moins gracieuses, il semblait qu’elle devînt plus farouche encore, quand il se trouvait en face de M. Jérôme, en qui, dès le premier jour, le magister avait flairé, comme il le disait, un bien vilain merle.

Jérôme ne paraissait pas remarquer cette animosité du père de Babette. Au contraire plus le vieux maître d’école se hérissait dans sa mauvaise humeur, plus Jérôme se montrait aimable et affectueux: c’était à n’y rien comprendre.

Enfin Babette et Blaise revinrent, et mirent fin à un entretien dont Jérôme avait fait les seuls frais.

Alors on fit un tour de foire. Babette rayonnait de joie, jamais elle n’avait vu son Blaise de si galante humeur. Ah! pauvre Babette, si tu avais pu prévoir!

Mais déjà la nuit tombait. Des lampions s’allumaient aux échoppes, la place se vidait, chacun se dirigeant vers son logis pour le repas du soir.

— Tu viens souper avec nous, Blaise? demanda gentiment Babette à son fiancé.

— Pardieu! ajouta le vieux maître. Il ferait beau voir qu’un jour de fête il ne dînât pas avec nous!

Blaise allait accepter. Mais un coup d’œil de Jérôme le retint:

— Ma foi, ce soir... je ne sais pas... hésita-t-il.

— Tu sais bien, déclara Jérôme, que nous avons promis à nos amis! Mademoiselle, vous lui pardonnerez, pour cette fois, vous aurez si souvent l’occasion de dîner ensemble, quand vous serez mariés!

Babette esquissa une moue:

— Ce n’est vraiment pas gentil, Blaise!... Je me faisais tant de plaisir...

— Tant pis pour lui! grogna le vieux magister.

Et, très raide, il tourna les talons, entraînant Babette toute désolée.

— Ils sont fâchés! fit Blaise.

— Bah! tu te raccommoderas plus tard. Qui veut la fin, veut les moyens!


Blaise et Babette, ou les Fiancés de la rue Quincampoix

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