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CHAPITRE II

Table des matières

UNE heure après, dans une petite salle de l’auberge de l’Écu-d’Or, Blaise et Jérôme soupaient gaillardement en compagnie de trois soldats, dont l’un portait sur sa manche les galons de sergent.

C’était, avait assuré Jérôme à maître Poton en lui recommandant de soigner son menu, trois de ses amis, un brave sergent recruteur et ses deux acolytes, qui s’en venaient en Normandie afin de remplir les cadres du Royal-Anjou, décimé par la dernière guerre.

En toute autre circonstance, maître Poton eût sans doute esquissé une fort vilaine grimace, en voyant son fils en telle compagnie.

Car on connaissait les mœurs des sergents recruteurs, et qu’ils ne se gênaient guère, après un bon dîner, alors que les fumets des alcools troublaient les cervelles, de faire signer aux jeunes gens naïfs, des engagements qu’ils regrettaient fort, quand ils avaient repris leur esprit.

Mais ce jour-là, maître Poton était bien trop occupé de tous ses clients qui emplissaient son hôtellerie et qu’il fallait servir sur l’heure!

Ah! on avait bien autre chose à faire que de voir ce qui se passait dans la petite salle, où Blaise et Jérôme soupaient en compagnie du sergent recruteur et de ses acolytes!

D’ailleurs les cinq convives, non plus, ne s’occupaient guère de ce qui se passait à l’intérieur.

Ils mangeaient à belles dents, et buvaient sec.

Néanmoins, quand on eut achevé le dessert de ce pantagruélique festin, Jérôme, clignant de l’œil:

— Et maintenant, si nous nous occupions de notre affaire?

— Quelle affaire? demanda Blaise, qui à vrai dire était un peu gris, et dont les yeux papillotaient.

On éclata de rire:

— Allons, fit le sergent, le jeune homme a tellement pris son rôle au sérieux que le voici dans les vignes du Seigneur! C’est le moment, c’est l’instant de lui faire signer le papelard!

— Signe!

Et, d’une main défaillante, Blaise signa son nom au bas du papier.

Puis, comme si cet effort eût épuisé ses forces, sa tête tomba sur la table, et il s’endormit.

— Parfait! approuva le sergent! Il a parfaitement donné la réplique! On dirait qu’il n’a fait que cela toute sa vie!

— Et maintenant, buvons! proposa Jérôme.

Et, tirant la belle pipe qui décorait son chapeau, il la bourra de tabac, et s’enveloppa d’un odorant nuage de fumée.

Cependant, l’auberge de l’Ecu-d’Or se vidait lentement de tous ses clients, qui, joyeusement, se répandaient sur le champ de fête, où les musiques recommençaient à secouer l’air de leurs accords tonitruants. Le silence se faisait peu à peu dans la maison de maître Poton, lequel, gravement, dans un coin, comptait sa recette, très fructueuse, non sans, de temps en temps, gourmander ses valets et servantes, qui, à son sens, lambinaient plus que de raison pour laver les vaisselles et remettre tout en place.

Enfin, son humeur grognonne un peu apaisée par le bénéfice que venait de lui procurer cette journée de fête, après un dernier coup d’oeil à sa valetaille et voyant que tout allait suivant ses désirs, il songea à son fils:

— Que fait à cette heure ce diable de Blaise?

Il se leva et se dirigea vers la salle où son fils festoyait avec ses amis. Dés l’abord, un épais nuage de fumée le fit reculer, manquant l’asphyxier, car le sergent recruteur et ses deux acolytes, tout en vidant les bolées de cidre, s’étaient mis à fumer à qui mieux mieux. Enfin, toussaillant, il parvint jusqu’au milieu de la salle.

— Eh bien, mes amis, cela va-t-il mieux, et êtes-vous contents de l’auberge de l’Ecu-d’Or?

A l’entrée de maître Poton, Jérôme s’était subitement abattu sur la table, le front dans ses coudes, comme s’il eut été soudain assommé par l’ivresse: c’est que l’heure sonnait des graves événements.

SIDOINE MIRANDOR, S’INCLINA AVEC UNE GRACE VRAIMENT RÉGENCE (P. 10.)


Aussi, à la demande de l’aubergiste, seul le sergent répondit:

— Parfaitement, maître! Le cidre était exquis et la chère excellente! Au regret de vous quitter, car, Dieu me damne, j’aurais volontiers pris pension dans votre hôtellerie!

— Et quoi? Partiriez-vous si tôt?

— Le métier est dur! Il faut que je sois demain, dès l’aube, à Laigle, d’où, par petites étapes, je me dirigerai vers Angers! Et le chemin est long!

Puis, se tournant vers ses deux hommes:

— Oust! En route, mauvaise troupe!

Les deux soldats se levèrent sans sourciller. Jérôme feignait toujours de dormir à poings fermés. Mais le sergent:

— Et la recrue? Est-ce qu’il dort toujours? Hop! Qu’on le réveille!

Et, sans attendre d’être obéi, lui-même vint frapper sur l’épaule de Blaise, qui dormait comme un loir.

— Quoi? Qu’y a-t-il? Qu’est-ce qu’on me veut?

— Il faut partir, jeune homme! Nous n’avons pas une minute à perdre!

Blaise s’étira, écarquilla les yeux, ne comprenant rien à ce qu’on lui voulait, et jouant l’étonnement de la meilleure foi du monde. Maître Poton, lui, s’ébahissait, et il demanda:

— Ah ça! Pourquoi réveillez-vous mon gars, et lui donnez-vous l’ordre de vous suivre?

— Mais, repartit le sergent, parce qu’il vient de signer son engagement au Royal-Anjou, dont j’ai l’honneur d’être le sergent recruteur!

— Hein!... Vous!... Quoi!... Blaise!...

Maître Poton n’en put dire davantage, tant la stupéfaction lui serrait la gorge.

— Non! Mais vous voulez rire, je pense? Blaise? Mon Blaise, mon gars, le plus riche garçon du terroir aurait signé un engagement du Royal-Anjou? Vous voulez sans doute vous gausser de moi?

— A Dieu ne plaise! J’ai trop de respect pour le maître de l’Ecu-d’Or dont la cave est si bien garnie! D’ailleurs, j’ignorais que ce jeune homme fût votre fils! Mais il n’y a pas à y revenir! Il a signé ! Voyez plutôt!

Et le bas-officier mit sous les yeux de maître Poton, foudroyé, l’acte d’engagement, dûment signé et paraphé par Blaise!

— C’est bien sa signature! déclara-t-il, comme médusé.

Puis, tout à coup, la colère empourprant son teint déjà si coloré :

— Mais c’est de la duperie! C’est de la canaillerie! Vous avez abusé de ce pauvre garçon! Il n’a pas signé de son plein gré ! Vous l’avez enivré ! Sa bonne foi a été surprise! L’acte ne vaut rien! J’en appellerai au parlement, au ministre, au roi!

Le sergent haussa les épaules:

— L’acte est-il signé, oui ou non? Quant au reste, appelez-en à messire Satan, s’il vous plaît, je m’en lave les mains. Je fais mon métier, moi, désolé qu’il vous soit désagréable! Allons, en route! Les grands mots raccourcissent les jours!

Mais maître Poton s’était planté devant la porte de la salle, et sa majestueuse carrure l’obstruait complètement.

— Je vous dis qu’il ne partira pas! criait-il. Et toi, gros benêt, double imbécile, crème d’idiot, répondras-tu? Diras-tu quelque chose! Tu restes là comme une pierre!...

A la vérité, Blaise se taisait! Qu’aurait-il pu dire? Il se contentait de baisser la tête, d’un air fort penaud, comme un qui voudrait bien être à cent lieues de là.

Alors la colère de maître Poton se tourna vers Jérôme:

— Où est-il ce sacripant, ce bandit, ce pillard, ce fainéant, ce traîne-ruisseau, ce rien qui vaille! C’est lui qui est cause de tout! Est-ce qu’il n’aurait pas dû veiller sur mon fils, l’empêcher de commettre cette bévue, m’avertir!...

Mais Jérôme n’avait garde de se réveiller! Accoudé sur la table, plus l’aubergiste déversait d’injures sur lui, plus il ronflait, capable de damer le pion à une bonne toupie de Nuremberg. Maître Poton avait beau le secouer, tel un prunier en août, l’autre ne se voulait éveiller.

Alors, ne sachant sur qui déverser sa colère, maître Poton jugea bon de crier au secours:

— A moi! A l’aide! On m’assassine

En une minute, le couloir qui conduisait à la petite salle où avait lieu cette scène fut plein de marmitons, gâte-sauces et maître queux, suivis d’un lot important de valets et servantes, accourus aux cris du maître, brandissant ce qui avait pu leur tomber sous la main, qui une lardoire, qui une lèchefrite, celui-ci une écumoire, celle-là un poêlon.

Le sergent comprit que cela pouvait se gâter, et jugea qu’il était temps de porter, un grand coup! Aussi, avec une majesté souveraine:

— Paix-là ! fit-il en s’avançant, paix-là, au nom du roi!

Et ces mots furent prononcés avec un tel accent d’autorité que, sur-le-champ, la colère de maître Poton tomba, semblable à ces soupes au lait qui montent, montent jusqu’à l’instant précis où on les mouille d’une goutte d’eau. Derrière lui, la valetaille mit bas les armes.

Maître Poton comprit qu’il n’y avait rien à faire. Il se laissa tomber sur une chaise en gémissant:

— Que la volonté de Dieu s’accomplisse, et celle de Sa Majesté également!

— Ainsi soit-il! conclut le sergent, qui une troisième fois commanda:

— En route!

Mais à ce moment une fillette bondit dans la salle, suivie par un vieux bonhomme en houppelande puce et tricorne noir. C’était Babette, la jolie Babette, qui, ayant appris ce qui se passait dans l’auberge de l’Écu-d’Or, arrivait tout essoufflée, pour tâcher d’arracher son fiancé des mains des soldats du roi.

— De grâce, monsieur, gémit-elle, en se jetant aux genoux du sergent, écoutez ma prière, ne le laissez pas partir! Je suis sa fiancée, nous allons nous marier dans un mois, au plus tard! Que deviendrai-je sans lui? Vous n’avez pas un cœur de pierre! Vous ne voudrez pas que je pleure!

Le recruteur tortillait sa moustache:

— En voilà bien d’une autre! grommela-t-il.

Mais le vieux bonhomme à houppelande puce, qui était le magister, défiant, saisit le soldat par sa manche, et:

— Il a signé ? Il a signé ? Faites voir un peu s’il a signé ?

— Voilà, brave homme!

Le vieux Lacoudre prit l’engagement, le lut, le palpa, le retourna, puis, penaud, le rendit au sergent en murmurant:

Il est en règle!... J’aurais bien parié, pourtant!... Et il n’acheva pas sa pensée.

Babette cependant s’était jetée dans les bras de Blaise, et tout éplorée:

— Pourquoi as-tu fait cela, Blaise? Pourquoi as-tu signé ce fatal papier? Tu ne m’aimes donc plus que tu veux me quitter!

Et elle était si jolie, Babette, si jolie et si désolée que Blaise ne répondit qu’en fondant en larmes, et en la serrant sur son cœur. A ce moment, Jérôme, que nul ne surveillait, releva un peu la tête, et, s’adressant à son ami:

— Méfiance! Il va s’attendrir et tout sera perdu! Coupe court et prends du large!

— Bon! répliqua le sergent.

Et, une dernière fois:

— Allons, allons! En route, sacrédieu! Oust, debout! Filons!

Et d’une bourrade, il poussa dehors Blaise, qu’encadrèrent les deux soldats.

Mais maître Poton se leva:

— Une minute! fit-il. Je ne vais pas laisser partir mon gars comme un gueux!

Et fouillant dans sa poche, il en tira les doubles, les blancs et les petits écus qui l’emplissaient, toute sa recette du jour, et la tendant à son fils:

— Tiens! Dès ton arrivée tu nous enverras ton adresse! Et, sois tranquille, j’ai des amis puissants et aurai vite fait de t’acheter un remplaçant!

— Blaise, tiens! C’est tout ce que j’ai! fit à son tour Babette.

Et arrachant de son cou sa jeannette en or, elle la donna à son fiancé.

Et au milieu des sanglots de maître Poton et de Babette, des grognements de maître Lacoudre, auquel faisaient un accompagnement les lamentations de toute la valetaille, le cortège emmenant Blaise disparut dans la nuit.


Blaise et Babette, ou les Fiancés de la rue Quincampoix

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