Читать книгу La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits - Rosette - Страница 6

Chapitre deuxième

Оглавление

Arrivée dans l’entrée, je fus consciente de mon inévitable ignorance. Où il était le bureau? Comment j’aurais pu le trouver, si j’avais réussi à grand-peine à arriver jusqu’à là? Avant de s’affaisser dans la boue du désespoir j’avais été sauvée par l’intervention providentielle de Madame Mc Millian, un sourire ample sur le visage émacié.

“Mademoiselle Bruno, J’étais en train justement de venir à vous appeler...” Elle donna un rapide regarde à la pendule à mur. “Quelle ponctualité! Vous êtes vraiment une perle rare! Vous êtes sûr d’avoir origines italiennes, et non pas suisses?” Elle seulement riait à la boutade.

Je souris poliment, en adaptant le pas au sien, tandis que je remontais les escaliers. Nous dépassâmes la porte de ma chambre de lit, dirigées apparemment au fond du couloir, vers une porte lourde.

Sans arrêter son bavardage aigu, elle frappa légèrement à la porte, trois fois, et l’entrouvrit.

Je restais derrière ses épaules, les jambes tremblantes, tandis qu’elle passait la tête dans la chambre.

“Monsieur Mc Laine... il y a Mademoiselle Bruno”.

“Il était temps. Vous êtes en retard”. La voix sonna rude, grossière.

La gouvernante éclata en de salves de rire, habituée à la mauvaise humeur du propriétaire de la maison.

“Seulement un minute monsieur. Ne pas oubliez qu’elle ne connait pas la maison et elle est encore perdue ici. C’est moi qui l’a faite arriver en retard parce que...”

“Faites-là passer, Millicent”. L’interruption avait été brusque, presque comme un coup de cravache, et je sursautai à la place de l’autre femme que, sans perdre contenance, se tourna à me regarder.

“Monsieur Mc Laine vous attend Mademoiselle Bruno. Entrez, s’il-vous”.

La femme se déplaçait en arrière, en me faisant signe d’entrer. Je lui adressai un dernier regard préoccupé. Elle, pour m’encourager, me chuchota. “Bonne chance”.

Voilà, elle avait produit l’effet contraire. Mon cerveau s’était réduit à une bouillie liquéfiée, sans aucune logique, ou de cognition du temps et de l’espace.

J’hasardai un pas timide à l’intérieur de la chambre. Avant de voir quoi ce soit, j’entendis la voix qu’avant était en train de congédier quelqu’un.

“Tu peux y aller Kyle. A demain. Sois à l’heure s’il te plait. Je ne tolérerais pas d’autres retards”.

Un homme était debout, à quelques centimètres de moi, haut et robuste. Il me regarda et esquissa un salut de la tête, dans son regard un sursaut silencieux d’appréciation tandis qu’il me passait à côté.

“Bonsoir”.

“Bonsoir” j’ai répondu en retour, en le regardant plus longtemps que nécessaire pour procrastiner le moment dans lequel je me serais ridiculisée, j’aurais méconnu les attentes de Madame Mc Millian, de même que mes espoirs ridicules.

La porte se ferma à mes épaules, et cela me rappela la politesse.

“Bonsoir Monsieur Mc Laine. Je m’appelle Mélisande Bruno, Je viens de Londres et...”

“Epargnez-moi la kyrielle de vos compétences Mademoiselle Bruno. Par ailleurs modestes”. La voix maintenant était ennuyée.

Mes yeux se soulevèrent, prêts finalement à rencontrer ceux de mon interlocuteur. Et quand ils le firent, je remerciai le ciel de l’avoir salué d’abord. Puisque maintenant j’aurais eu de sérieuses difficultés même à me rappeler mon nom.

Il était assis au-delà du bureau, sur le fauteuil roulant, une main allongée sur le bord, à frôler le bois, l’autre qui jouait avec une stylographique, les yeux foncés fixement dans les miens, insondables. Encore une fois, la nième, j’ai regretté de ne pouvoir pas voir les couleurs. J’aurai donné volontiers une année de ma vie pour pouvoir distinguer les couleurs de son visage et de ses cheveux. Mais cette joie m’était empêchée. Sans appel. Dans une lueur de lucidité je pensais qu’il était beau comme ça: le visage d’une pâleur innaturel, yeux noirs, ombragés par de longs cils, les cheveux noirs, ondulés et touffus.

“Vous êtes muette? Ou sourde?”

Je retombai sur la terre, en précipitant d’hauteurs vertigineuses. Il me sembla presque d’entendre le fracas de mes membres sur le sol. Un grondement grand et sinistre, suivi par un craquement peureux et dévastant.

“Excusez-moi, je me suis distraite” je marmonnai, en m’enflammant à l’instant.

Il me regarda avec une attention qui me parut exagérée. Il semblait vouloir mémoriser chaque ligne de mon visage, en s’arrêtant sur ma gueule. Je rougis encore plus. Pour la première fois je désirai ardemment que mon défaut de naissance était partagé par un autre être humain. Il aurait été moins gênant penser que Monsieur Mc Laine, en sa beauté aristocratique et triomphante, ne pouvait pas remarquer la rougeur affluer violemment sur tout centimètre de peau découverte.

Je me balançais sur les pieds, mal à l’aise pour cet examen visuel impudemment à découvert. Il continua son analyse, en passant à mes cheveux.

“Vous devriez vous teindre les cheveux. Ou les gens finiront par les confondre avec le feu. Je ne voudrais pas que vous finissiez sous l’assaut de cent extincteurs ”. L’expression imperscrutable s’anima un peu, et une étincelle d’amusement brilla dans ses yeux.

“Je n’ai pas choisi cette couleur” dis-je, en collectant toute la dignité dont j’étais capable. “Mais le Seigneur”.

Il leva un sourcil. “Vous êtes religieuse, Mademoiselle Bruno?”

“Et vous, monsieur?”

Il posa le stylo sur le bureau, sans me perdre de vue . “Il n’existe aucune épreuve de l’existence de Dieu ”.

“Néanmoins qu’il n’existe pas” Je répondis d’un ton rebelle, en surprenant d’abord moi-même pour la véhémence avec laquelle je parlai.

Ses lèvres se courbèrent en un sourire moqueur, donc il m’indiqua le fauteuil rembourré. “Asseyez-vous”. Il me donna un ordre, plus qu’une invitation. Toutefois j’obéis à l’instant.

“Vous n’avez pas répondu à ma question, Mademoiselle Bruno. Vous êtes religieuse?”

“Je suis croyante, Monsieur Mc Laine” je confirmai tout bas. “Toutefois je ne suis pas beaucoup pratiquante. Au contraire, je ne le suis pas du tout”.

“L’Ecosse est une des seules nations anglo-saxonnes à pratiquer le catholicisme avec une ferveur et une dévotion incomparables”. Son ironie était sans équivoque. “Je suis l’exception qui confirme la règle... On ne dit pas ça? Disons que je crois seulement à moi-même, et à celui que je peux toucher ”.

Il s’appuya tout détendu au dossier du fauteuil roulant, en tapant sur les barreaux avec la pointe des doigts. Mais pourtant je ne pensai néanmoins pendant un millième de seconde, qu’il était vulnérable ou fragile. Son expression était celle de celui qui est échappé aux flammes, et qu’il n’a pas peur de se plonger encore en elles, si nécessaire. Ou simplement, s’il en a envie. Je détachai à grand-peine les yeux de son visage. Il était brillant, presque nacré, un blanc lustré, divers des visages qui habituellement m’entouraient. Il était épuisant le regarder, et même écouter sa voix hypnotique. Un serpent séducteur, et toute femme aurait été heureuse d’en subir le sortilège, le charme secret provenant de lui, de ce visage parfait, de son regard moquant.

“Donc vous êtes ma nouvelle secrétaire, Mademoiselle Bruno”.

“Si vous voudriez confirmer mon recrutement, Monsieur Mc Laine” je précisai, en soulevant le regard.

Il sourit, ambigu. “Pourquoi je ne devrais pas la recruter? Parce que vous n’allez pas à l’église tous les dimanches? Vous me jugez très superficiel si vous pensez que à ce point je sois capable de vous renvoyer ou…faire rester ici sur la base de quelques bavardages”.

“Moi aussi je ne vous connais assez à formuler un jugement si peu flatteur à vos égards” je convins en souriant. “Toutefois je suis conscient qu’un rapport de travail profitable nait même d’une sympathie immédiate, d’une première impression favorable”.

Son rire avait été si inattendu à me faire sursauter. Il s’éteint avec la même soudaineté qui l’avait fait naitre. Il me regarda glacialement.

“Vous croyez vraiment qu’il est facile de trouver des employées disposées à se transférer dans ce village oublié par Dieu et le monde, loin de toute occasion d’amusement, de tout centre commercial ou disco? Vous avez été la seule à répondre à l’annonce, Mademoiselle Bruno”.

L’amusement était aux aguets, derrière le gel de ses yeux. Une plaque de verglas noir, écrasée par une crevasse subtile de bonne humeur qui me réchauffa l’âme.

“Alors je ne me devrai pas préoccuper de la concurrence” dis-je, en entrelaçant nerveusement les mains sur les genoux.

Il m’étudia encore, avec la même curiosité qu’on a en regardant un animal rare.

J’avalai la salive, en faisant l’étalage d’une désinvolture fictive et dangereusement précaire. Pendant un instant, justement le temps de formuler la pensée, je me dis que je devais échapper de celle maison, de celle chambre débordant de livres, de cet homme inquiétant et beau. Je me sentais de même qu’un chaton inerme, à quelque centimètre de la gueule d’un lion. Prédateur cruel, proie impuissante. Donc la sensation s’évanouit, et je pensai que j’étais bête. Devant moi il y avait un homme de la personnalité insidieuse, arrogante et autoritaire, mais forcé il y a longtemps sur un fauteuil roulant. J’étais la proie du moment, une fille timide, peureuse et résistante aux changements. Pourquoi ne pas le laisser faire? S’il s’amusait de se moquer de moi, pourquoi lui empêcher la seule occasion d’amusement, de distraction, qu’il avait? Il était presque noble de mon côté, en quelque sorte.

“Qu’est-ce que vous pensez de moi, Mademoiselle Bruno?”

Encore une fois je lui forçai à répéter la question, et encore une fois je lui pris au dépourvu.

“Je ne pensai pas que vous soyez si jeune ”.

Il se raidit à l’instant, et devint silencieux, j’étais craintive de l’avoir blessé de quelque façon. Il se ressaisit, et il me gela avec un autre de ses sourires au chardon. “Vraiment?”

Je m’agitai sur la chaise, indécise sur comme continuer. Donc je me décidai, en battant le rappel de tout mon courage, et encouragée de son regard enchainé au mien, dans une dance muette, et non pas pour cette raison moins émotionnante, je repris à parler.

“Beh... vous avez écrit votre premier livre à vingt-cinq ans, il y a quinze ans, que je sache. Et pourtant vous semblez un peu plus vieux que moi” je considérai presque trop parti.

“Quelle est votre âge, Mademoiselle Bruno?”

“Vingt-deux, monsieur” répondis-je, enveloppée encore par la profondeur de ses yeux.

“Je suis vraiment vieux pour toi, Mademoiselle Bruno” dit-il avec un petit rire. Donc il baissa le regard, et la nuit froide retourna à l’envelopper entre ses nœuds, plus cruel qu’un serpent. Toute trace de chaleur disparait. “Dans tout cas vous pouvez rester tranquille. Vous ne devriez craindre des harcèlements sexuels tandis que vous dormez dans votre lit. Comme vous voyez, je suis condamné à l’immobilité”.

Je me tus, puisque je ne savais quoi répondre. Son ton était amer et sans espoir, le visage sculpté dans la pierre.

Ses yeux sondèrent les miens, à la recherche de quelque chose qu’il semblait ne pas trouver. Il se concéda un petit sourire. “Au moins il n’y a pas de pitié en vous. Cela me réjouis. Je ne la veux pas, j’n’en ai pas besoin. Je suis plus heureux que beaucoup d’autres personnes, Mademoiselle Bruno, parce que je suis libre, complètement, absolument”. Il plissa les sourcils. “Qu’est-ce que vous faites encore ici? Vous pouvez aller”.

Le congés brusque me troubla. Je me soulevai indécise, et il en profita pour donner libre cours à sa colère sur moi.

“Vous êtes encore ici? Qu’est-ce que vous voulez? Déjà votre salaire? Ou vous voulez parler de votre jour de liberté?” Il m’accusa en colère.

“Non, Monsieur Mc Laine”. Je me dirigeai maladroitement vers la porte. J’avais déjà la main sur la poignée quand il m’arrêta.

“A neuf heure demain matin, Mademoiselle Bruno. Je suis en train d’écrire un nouveau livre, le titre est Morts sans sépulture. Vous le trouvez affreux?” Son sourire devint plus grand.

Le saute brusque d’humeur devait être un trait dominant de son charactère. J’essayais de m’en rappeler pour l’avenir, autrefois je pouvais risquer de crises de nerfs une vingtaine de fois par jour. “Il semble intéressant, monsieur” Je répondis avec prudence.

Il renversa la tête en arrière, et il explosa dans une bonne poliade. “Intéressant! Je parie que vous n’avez jamais lu un de mes livres Mademoiselle Bruno. Vous me semblez trop sensible... Tu ne dormirais pas pendant toute la nuit, harcelée par tes cauchemars...” Il rit encore, en sautant du tu au vous avec la même rapidité de ses sautes d’humeur.

“Je ne suis pas ainsi sensible qu’il n’y paraît, monsieur” répondis-je contrite, en déclenchant une autre vague de rire.

Il manœuvra le fauteuil roulant avec ses mains et une habilité féline admirable, acquise après années et années d’habitude, et il se porta à une vitesse extraordinaire aux mes côtés. Il était si proche à rendre inutile toute ma tentative de formuler une pensée rationnelle. Je reculai instinctivement d’un pas. Il fit semblance de ne pas remarquer mon déplacement, et il indiqua la librairie à ma droite.

“Prends le quatrième livre de gauche, troisième étagère”.

Obéissante, je saisis le livre qu’il m’indiquait. Le titre m’était familier puisque j’avais fait une recherche sur lui sur Internet avant de partir, toutefois je n’avais jamais lu rien écrit par lui. L'horreur n’était pas mon genre, décidemment plus apte à palais forts, et inapte au mien, délicat et romantique.

“Zombies en chemin” je lus à haute voix.

“Il est le plus indiqué pour commencer. Il est le moins... comment dire? Moins peureux?” Il rit aux éclats, en se moquant clairement de moi, et du malaise décidemment peu voilé qui transparut par les pores de mon corps.

“Pourquoi tu ne le commences à lire ce soir? Juste pour te préparer à ton nouveau travail” suggéra-t-il, les yeux riants.

“Ok, je le ferai” répondis-je avec peu d’enthousiasme.

“A demain matin, Mademoiselle Bruno” il me congédia, l’air encore grave. “Ferme-toi dans ta chambre, je ne voudrais pas que les esprits du palais, ou quelque autre redoutable créature nocturne, viendraient te visiter cette nuit. Tu sais...” Il fit une pause, un éclair de drôle dans le noir de ses yeux. “Comme Je t’ai dit avant, il est difficile de trouver employées par ici ”.

J’essayais un sourire, peu convaincant, tout bien considéré.

“Bonne nuit Monsieur Mc Laine”. Avant de fermer la porte, la répartie me sortit des lèvres, sans que je pusse la retenir.

“Je ne crois pas aux esprits ou aux créatures nocturnes”.

“Vous êtes sûre?”

“Il n’existe aucune preuve de leur existence, monsieur” je répondis, en lui signant involontairement.

“Néanmoins du fait qu’ils n’existent pas” répliqua-t-il. Tourna le fauteuil roulant, et il reviendra derrière le bureau.

Je fermai délicatement la porte, le cœur sous les pieds. Peut-être qu’il avait raison, et les zombies existent. Parce que dans ce moment je me sentais une d’eux. Etourdie, le cerveau en tilt, suspendue dans des limbes dans lesquels je ne savais plus distinguer entre réel et irréel. Il était pire que ne savoir pas distinguer les couleurs.

Je dînai sans conviction en compagnie de Madame Mc Millian, la tête ailleurs, avec une toute autre compagnie. Je craignais que je l’eusse récupérée seulement le lendemain matin, en retournant chez celui au près duquel je l’avais laissée. Quelque chose me disait qu’ils n’étaient pas de bonnes mains celles auxquelles mon cœur confiant l’avait livrée.

Je me rappelle très peu de la conversation de ce soir avec la gouvernante. Elle parlait toute seule, incessante. Elle semblait au septième ciel pour avoir finalement quelqu’un avec lequel parler. Ou plutôt, qui l’écoutait. J’étais parfaite en ce sens. Trop polie pour l’interrompre, trop respectueuse pour montrer mon désintérêt, trop occupée pour penser à autre pour avertir la nécessité de rester seule. Dans tout cas j’aurais pensé à lui.

Dans ma chambre, une heure plus tard, assise tranquillement dans mon lit, la tête appuyée sur les coussins, j’ouvris le livre en me plongeant dans la lecture. A la deuxième page j’étais déjà terrifiée, et répréhensiblement, en considérant qu’il s’agissait simplement d’un livre.

Malgré le bon sens duquel, en théorie, j’étais bien douée, l’atmosphère dans la chambre devenait asphyxiante, et le désir de prendre l’air devint urgent.

A pieds nus je traversai la chambre dans la pénombre et j’ouvris grande la fenêtre. Je m’assis sur le rebord, en m’immergeant dans la nuit tiède de début été, le silence déchiré seulement par le striduler des grillons et le rappel d’une chouette. Il était beau d’être là, loin années-lumière de la frénésie de Londres, de ses rythmes pressants, toujours au fil de l’hystérie. Le nuit était un édredon noir, à part la blancheur de quelques étoiles ici et là. J’aimais la nuit, et je pensai oisivement que j’aurais aimé d’être une créature nocturne. L’obscurité était mon alliée. Sans lumière tout est noir, et mon incapacité génétique de distinguer les couleurs diminuait, perdait d’importance. La nuit mes yeux étaient identiques à ceux d’une autre personne. Pendant quelques heures je ne me sentais pas différente. Un soulagement momentané bien sûr, mais rafraichissant comme de l’eau sur la peau chaude.

Le matin après je me réveillait au son du réveil, et je restais pendant quelques minutes dans le lit, ahuri. Après un étourdissement initial, je me rappelai ce qu’il avait eu lieu le jour avant, et je reconnus la chambre.

Quand Je fus habillée, je descendis les escaliers, presque effrayée par le silence profond tout autour. La vue de Millicent Mc Millian, joyeuse et bavardant comme toujours, effaça le brouillard et reporta le beau temps dans mon esprit tourbillonnant.

“Vous avez bien dormi, mademoiselle Bruno?” elle commença.

“Jamais si bien” répondis-je, surprise moi-même de celle nouveauté. Il y avait des années que je ne m’abandonnais si sereinement au sommeil, les pensées négatives mises à part pendant au moins quelques heures.

“Voulez-vous du café ou du thé?”

“Du thé, s’il-vous-plait” je la priai, en m’asseyant à la table de la cuisine.

“Allez dans le salon, je vous le serve de là”.

“Je préfère de faire le petit déjeuner avec vous” dis-je, en suffocant un bâillement.

La femme me parait satisfaite et elle commença à s’affairer au tour des réchauds. Elle reprit le bavardage habituel, et je fus libre de penser à Monique. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire à cette heure? Avait-elle déjà préparé le petit déjeuner? Penser à ma sœur avait reporté le fardeau sur mes épaules minces, et j’accueillis volontiers l’arrivé de la tasse de thé.

“Merci, Madame Mc Millian”. Je sirotai avec plaisir la liquide chaude et agréablement parfumée, tandis que la gouvernant servait le pain grillé et une série de petits bols remplies avec diverses confitures invitantes.

“Prenez celle de framboises. Elle est fantastique”.

J’allongeai la main vers le plateau, le cœur déjà en fibrillation. Ma diversité retourna à m’inonder de boue, sombre et avec une mauvaise odeur. Pourquoi moi? Et dans tout le monde il y en avait d’autres comme moi? Ou j’étais une anomalie isolée, un aberrante erreur de la nature?

Je saisis un bol quelconque, en espérant que la vieille femme était trop concentrée à parler pour s’apercevoir d’une mienne erreur éventuelle. Les confitures étaient cinq, donc j’avais une possibilité sur cinq, deux sur dix, vingt sur cent de deviner la bonne à la première tentative.

Elle me corrigea rapidement, moins distraite que ce que je pensais. “Non, mademoiselle. Celle-là est d’oranges”. Elle sourit, pas du tout consciente de l’agitation qui me poussait dedans, et de mon front perlé de sueur. Elle me passa un petit bol. “Voilà, il est facile de la confondre avec celle de fraises ”.

Elle ne s’aperçoit pas de mon sourire forcé, et elle reprit l’histoire de ses aventures amoureuses avec un jeune florentin qui avait fini pour la laisser pour une sudaméricaine.

Je mangeai à contrecœur, encore nerveuse pour l’incident juste avant, et déjà repentante de n’avoir pas accepté la proposition de manger seule. Dans ce cas il n’y aurait pas été aucun problème. Eviter les situations potentiellement critiques: il était mon mantra. Depuis toujours. Je ne devais pas permettre que l’atmosphère délicieuse de celle maison me poussait à faire des actions hasardeuses, en oubliant la prudence nécessaire. Madame Mc Millian semblait une femme maline, intelligente et attentionnée, toutefois elle était excessivement bavarde. Je ne pouvais pas compter sur sa discrétion.

Elle fit une petite pause pour boire son thé, et j’en profitai pour lui poser quelques questions. “Vous travaillez il y a beaucoup d’années auprès de Monsieur Mc Laine?”

Elle s’éclaira, heureuse de pouvoir donner le prélude à de nouveaux anecdotes. “Je travaille ici il y a quinze ans. J’arrivai peu mois après l’accident survenu à Monsieur Mc Laine. Celui dans lequel... Eh bien, vous avez compris. Tous les employés de maison précédents furent éloignés. Il semble que Monsieur Mc Laine était un homme très gai, plein d’envie de vivre, toujours joyeux. Malheureusement maintenant les tout a changé ”.

“Comment s’est-t-il passé? Je veux dire... L’accident? C’est-à-dire... pardonnez ma curiosité, elle est impardonnable”. Je me mordis les lèvres, craintive d’être mal comprise.

Elle hocha la tête. “Il est normal de se poser des questions, il appartient à la nature humaine. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé précisément. Au village ils m’ont dit que Monsieur Mc Laine devait se marier justement le jour après l’accident de voiture, et évidemment rien n’en est sorti. Certains disent qu’il était ivre, mais c’étaient des rumeurs sans aucun fondement, à mon avis. Ce dont on sait pertinemment est qu’il sortit de la route pour éviter un enfant”.

Ma curiosité se raviva, alimentée par ses mots. “Enfant? J’avais lu sur internet que l’accident s’est passé le nuit ”.

Elle haussa les épaules. “Oui, il semble qu’il s’agissait du fis de l’épicier. Il avait échappé de sa maison puisqu’il s’était mis dans la tête de de se joindre à la compagnie du cirque, en tournée dans la zone”.

Je revins sur celle nouvelle. Cela expliqua les changements brusques d’humeur de Monsieur Mc Laine, sa mauvaise humeur pérenne, son malheur. Comment ne pas le comprendre? Son monde s’était effrité, brisé, par effet d’un destin scélérat. Un homme jeune, riche, beau, écrivain de succès, en train d’accomplir son rêve d’amour... Et dans peu de secondes perdre la plupart de celui qu’il possédait. Je n’aurais jamais pu éprouver une telle malchance, je pouvais seulement l’imaginer. On ne peut pas perdre ce qu’on n’a pas. Ma seule compagnie était le Néant, il y a toujours.

Un coup d’œil rapide à la montre me confirma qu’il était temps de s’en aller. Mon premier jour de travail. Mon cœur accéléra, et dans une lueur de lucidité je me demandai s’il dépendait du nouveau travail, ou du mystérieux propriétaire de celle maison.

Je montai les marches deux par deux, dans la crainte irrationnelle d’arriver en retard. Dans le couloir je rencontrai Kyle, l’infirmier factotum. “Bonjour”.

Je ralentis, en ayant honte de mon empressement. Je devais lui sembler une insécure, ou pire une exaltée.

“Bonjour”.

“Mademoiselle Bruno, n’est-ce pas? Puis-je vous tutoyer? Mais enfin nous sommes dans le même bateau, à la merci d’un fou furieux ”. La grossière et brutale vilénie de ses mots me laissa surprise.

“Je le sais, Je suis irrespectueux envers mon employeur, etcétéra etcétéra. Tu apprendras très tôt à être d’accord avec moi. Comment t’appelles-tu?”

“Mélisande”.

Il ébaucha une révérence sinistre. “Heureux de faire ta connaissance, Mélisande aux cheveux rouges. Ton nom est vraiment étrange, il n’est pas écossais... Même si tu sembles plus écossaise que moi”.

Je fis un sourire par courtoisie, et je cherchai à le dépasser, ayant encore peur d’arriver en retard. Mais il me bloquait la voie, arrêté, avec ses jambes écartées, sur le palier. Il fut l’intervention arrivée à point nommé d’une troisième personne à démêler la situation.

“Mademoiselle Bruno! Je déteste les retards!” Le cri provenait indubitablement par mon nouvel employeur, et mes cheveux se dressèrent sur la nuque.

Kyle se déplaça tout de suite, en me permettant de passer. “Bonne chance Mélisande aux cheveux rouges. Tu en aura besoin”.

Je lui donnai un regard féroce, et je courus vers la porte au fond du couloir. Elle était semi-fermée, et un anneau de fumée en sortait.

Sébastian Mc Laine était assis derrière le bureau, de même que le jour avant, un cigare entre les doigts, le visage inflexible.

“Fermez la porte, S’il vous plait. Ensuite venez à vous asseoir. Nous avons déjà perdu assez de temps, tandis que vous étiez en train de fraterniser avec le reste du personnel”. Le ton était rude, insultant.

Un mouvement de rébellion me poussa à répondre, un agneau téméraire face à une hache.

“Il était seulement une normale courtoisie. Ou peut-être que vous préfériez une secrétaire grossière? Dans ce cas je peux même plier bagage. Toute de suite”.

Ma réponse impulsive lui prit au dépourvu. Son visage s’éclaira par la surprise, le même que probablement j’étais en train de refléter. Je n’avais jamais été si audace.

“Et moi que je l’avais déjà stéréotypée comme un chien sans dents... J’ai été trop précipité... Vraiment précipité”.

Je m’assis face de lui, les jambes qui me flageolaient déjà, contrite par ma franchise impulsive. Et terrorisée par les conséquences potentielles, explosives.

Mon employeur ne semblait pas offensé, au contraire. Il souriait. “Quel est votre nom de Baptême, Mademoiselle Bruno?”

“Mélisande” Je répondis automatiquement.

“De Debussy, Je présume. Vos parents étaient passionnés de musique? Des concertistes, peut-être?”

“Mon père était mineur” je confessai à contrecœur.

“Mélisande... Un nom grandiloquent pour la fille d’un mineur” observa-t-il, la voix vibrante d’un rire retenu. Il était en train de se moquer de moi, et au mépris des intentions du jour avant, je n’étais pas sûre de le vouloir lui permettre. Ou celle-ci aurait devenu son activité préférée.

Je redressai les épaules, en cherchant de récupérer la tenue perdue. “Et Sébastian, pourquoi? De Saint Sébastien, peut-être? Une choix vraiment incohérente”.

Il recevait le coup, en faisant la moue pendant un instant infinitésimal. “Arrache les griffes, Mélisande Bruno. Je ne suis pas en guerre avec toi. Si je le fusse, tu n’aurais aucune espérance de vaincre. Jamais. Néanmoins dans tes rêves les plus hardis”.

“Je ne rêve jamais, monsieur” répondis-je de la façon la plus digne possible.

Il sembla surpris par ma réponse, grondante de sincérité. “Tu as de la chance donc. Les rêves sont toujours un piège. S’ils sont des cauchemars, ils troublent le sommeil. S’ils sont beaux, le réveil sera doublement amer. Il est mieux de ne pas rêver, après tout ”. Ses yeux ne se détachaient pas des miens, charmeurs. “Tu es un personnage intéressant Mélisande. Tu es une petite chose, mais amusante” ajouta-t-il, le ton gouailleur.

“Heureuse d’avoir les qualités requises pour ce travail, donc” commentai-je ironiquement.

Je me torturai la lèvre inférieure avec les dents, dépassée encore par le repentir. Qu’est-ce qu’il m’arrivait? Je n’avais jamais réagi avec une telle déplorable impulsivité. Je devais y mettre un terme, avant de perdre complètement le contrôle.

Son sourire maintenant allait d’une oreille à l’autre, impudemment amusé. “Tu les as vraiment. Je suis sûr qu’on s’entendra bien. Une secrétaire qui ne sait pas rêver, comme son chef. Il y a une affinité élective entre nous, Mélisande. D’âmes, en quelque sorte. S’il n’était qu’un entre nous n’en a plus une, et il y a longtemps désormais...”

Avant que je pusse donner un sens à ses mots obscurs, il devint sérieux, les yeux encore détachés, l’expression imperscrutable, loin, sans vie.

“Tu dois envoyer le fax des premiers chapitres du livre à mon éditeur. Tu sais comment faire?”

J’hochai la tête, et en souffrant j’ai réalisé que je sentais déjà la manque du notre duel verbal. J’aurais voulu qu’il était infini. J’avais été inspirée par cet échange, comme une source miraculeuse, en me remplissant de vitalité débordante, une énergie sans précédents pour moi.

Les deux heures suivantes passèrent vites. J’envoyai plusieurs fax, j’ouvris la poste, j’écris des lettres de refuse à invitations différentes et je mis en ordre le bureau. Il écrivait à l’ordinateur, en silence, le front tout plissé, les lèvres étroites, les mains blanches et élégantes qui volaient sur le clavier. Vers l’heure du déjeuner il rappela mon attention avec un geste de la main.

“Tu peux faire une pause, Mélisande. Même manger quelque chose, ou faire une promenade”.

“Merci monsieur”.

“As-tu commencé à lire mon livre, celui que je t’ai donné?” Son visage était encore loin, immobile, toutefois je vis un éclair de bonne humeur dans ces yeux noirs

“Vous aviez raison, monsieur. Ce n’est pas exactement mon genre” confiai-je en toute sincérité.

Ses lèvres se courbèrent légèrement, dans un sourire oblique, qui avait été capable de pénétrer la cuirasse de mes défenses. Cuirasse que je pensais être plus fort que l’acier.

“Je n’en doutai pas. Je parie que tu es un type qui préfère Romeo et Juliette”. Il n’y avait aucune ironie dans sa voix, il avait fait seulement une constatation.

“Non, monsieur”. Contre-battre était naturel pour moi, comme si nous nous connaissions il y a toujours, et je pouvais être moi-même, complètement, sans subterfuges ou masques. “J’aime seulement les récits au heureux dénouement. La vie est déjà trop amère, pour renchérir avec un livre. Si je n’ai pas la concession de rêver la nuit, je veux le faire au moins le jour. Si je n’ai pas le permis de rêver dans la vie, je veux le faire au moins avec un livre”.

Il songea attentivement mes mots, pendant si beaucoup de temps que je pensais qu’il ne m’aurait pas répondu. Quand j’étais en train de prendre congés, il me retenait.

“Madame Mc Millian t’as dit le nom de cette maison?”

“Elle pourrait même l’avoir fait” admis-je avec un petit sourire. “Toutefois je crains de l’avoir écouté seulement par moitié”.

“Bravo, je me perds après le dixième mot” il se complimenta sans aucune ironie. “Je n’ai jamais eu esprit de sacrifice. Je suis un égoïste adulte”.

“Parfois il faut l’être” dis-je sans réfléchir. “Ou on verra trituré par les expectatives des autres personnes. Et on finira par vivre une vie qui n’est pas la nôtre, mais celle que les autres ont décidé pour nous”.

“Très sage, Mélisande Bruno. Tu as trouvé, seulement à vingt-deux ans, le secret de la sérénité de l’esprit. Ce n’est pas tous les chefs”.

“Sérénité?” répétai-je pleine d’amertume. “Non, la sagesse de comprendre une chose n’implique nécessairement de l’accepter. La sagesse nait de la tête, le cœur suit ses parcours, indépendants et dangereux. Et il tend à faire déviations fatales”.

Il déplaça le fauteuil roulant, en se portant de mon côté du bureau, les yeux pénétrants. “Alors? Etes-vous curieuse d’apprendre la raison du nom Midnight Rose? Ou non?”

“Rose de minuit” traduis-je, en luttant avec l’émotion de l’avoir si proche. J’échappai il y a longtemps la compagnie des mâles, du jour de mon premier et unique rendez-vous. Il fut tellement désastreux qu’il m’avait marqué pour toujours.

“Exactement. Dans cette zone il existe une légende, vieille de plusieurs siècles, peut-être millénaire, d’après laquelle si on assite à la floraison d’une rose à minuit, notre plus grand secret désir sera exaucé par magie. Même s’il s’agit d’un désir obscur et maudit”.

Il serra les mains à poing, presque en me défiant avec son regard.

“Si un désir a comme but celui de nous rendre heureux, n’est jamais obscur et maudit” dis-je avec calme.

Il me regarda avec attention comme s’il ne croyait à peine à ses oreilles.

Il lui échappa un rire presque démoniaque. Un frisson me traversa le corps.

“Très sage, Mélisande Bruno. Je te le concède. Mots scandaleux pour une fille qui ne tuerait un moustique sans se mettre à pleurer”.

“Une mouche peut être. Avec un moustique je n’aurais pas de problèmes” répondis-je lapidaire.

Il devint attentif, encore, une petite flamme lointaine à tiédir le gel de ces yeux foncés. “Combien d’informations précieuses sur toi, Mademoiselle Bruno. En quelques heures j’ai découvert que tu es la fille d’un ex-mineur passionné de Debussy, tu ne peux pas rêver et tu détestes les moustiques. Pourquoi, je me demande. Que t’ont fait ces pauvres créatures?” La dérision était évidente dans sa voix.

“Pauvres des clous !” répondis-je promptement. “Ils sont parasites, ils se nourrissent du sang des autres personnes. Ils sont insectes inutiles, à différence des abeilles, et néanmoins tant sympathiques, comme les mouches”.

Il se battit une main sur sa cuisse, en éclatant de rire. “Sympathiques les mouches? Tu es un drôle de tête Mélisande, et tant, trop, amusante”.

Plus capricieux du temps de mars, son humeur changea brusquement. Le rire s’éteignit dans une toux, et il me regarda encore. “Les moustiques sucent sang puisqu’ils n’ont d’autres choix, ma chère. C’est leur seul moyen de subsistance, tu peux les blâmer? Ils ont goûts raffinés, à différence des mouches tant encensées, habituées à être à leur aise parmi les ordures humaines”.

Je regardai le comptoir du bureau encombré de papiers, mal à l’aise sous le regard de ses yeux glaciaux.

“Qu’est-ce que tu ferais à la place d’un moustique, Mélisande? Tu renoncerais à te nourrir? Tu mourrais de faim pour n’être pas stéréotypée comme un parasite?” Son ton était pressant, comme s’il exigeait une réponse.

Je lui contentai. “Probablement pas. Toutefois je ne suis pas sure. Je devrai être à la place d’un moustique, pour en avoir la certitude. J’aime de croire que je pourrais trouver une alternative”. Je maintins le regard soigneusement détourné de lui.

“Il n’y a pas toujours d’alternatives, Mélisande”. Pendant un instant sa voix tremblait, sous la charge d’une souffrance dont je n’avais aucune idée, avec laquelle passait un accord tous les jours, il y a quinze longues années. “Nous nous verrons à deux heures, Mademoiselle Bruno. Soyez ponctuelle”.

Quand je me retournai vers lui, il avait déjà tourné le fauteuil roulant, en me cachant son visage.

La conscience d’avoir fait une gaffe me broyait le cœur dans un étau, toutefois je ne pouvais pas remédier de toute façon.

Je sortis de la pièce en silence.

La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits

Подняться наверх