Читать книгу La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits - Rosette - Страница 9
Chapitre cinquième
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Je semblais un esprit presque spectral dans ma chemise de nuit volant au vent invisible. Sébastian Mc Laine me tendait la main, gentil. “Veux-tu danser avec moi, Mélisande Bruno?”
Il était à l’arrêt, immobile au pied du lit. Aucun fauteuil roulant. Sa figure était tremblante, déteinte, de la même consistance des rêves. Je remplis la distance que nous séparait, rapide comme une étoile comète. Il fit un sourire ravissant, comme celui qui ne doute pas de ton bonheur, puisqu’il reflète le sien.
“Monsieur Mc Laine... Vous pouvez marcher...” Ma voix était naïve, elle évoquait celle d’une petite fille.
Il me rendit mon sourire, les yeux tristes et sombres. “Au moins dans les rêves, oui. Tu ne veux pas m’appeler Sébastian, Mélisande? Au moins dans le rêve?”
J’étais gênée, récalcitrante à abandonner les formalités, même dans ce frangent fantastique et irréel.
“D'accord... Sébastian”.
Il entoura ma taille avec ses bras, une étreinte ferme et ludique. “Sais-tu danser, Mélisande?”
“Non”.
“Donc laisse-moi te conduire. Tu penses de le pouvoir faire?” Maintenant il me regardait prudent.
“je ne crois pas d’y réussir” admis-je sincère.
Il hoca sa tête, pas du tout dérangé par ma sincérité. “Néanmoins en rêve?”
“Je ne rêve jamais” répondis-je stupéfaite. Et pourtant j’étais en train de le faire. C’était un fait irréfutable, non? Il ne pouvait pas être réel. Moi en nuisette entre ses bras, la douceur de son regard, l’absence du fauteuil roulant.
“J’espère que tu ne te réveilleras pas déçue” dit-il pensif.
“Pourquoi je devrais?” objectai-je.
“Je serai l’objet du premier rêve de ta vie. Es-tu déçue?” Il me regarda sérieux, douteux.
Il s’écarta maintenant, et je lui plantai les doigts dans les bras, féroces comme des griffes. “Non, reste avec moi. S’il te plaît”.
“Tu me veux vraiment dans ton rêve?”
“Je ne voudrais personne d’autre” dis-je effrontée. J’étais en train de rêver, me répétai-je. Je pouvais dire tout ce qui me passait par la tête, sans aucun crante des conséquences.
Il me sourit encore, plus beau que jamais. Il me fit tournoyer, en accélérant le rythme peu à peu que j’apprenais les pas. C’était un rêve affreusement réel. Mes doigts percevaient, sous les pulpes, la douceur du cachemire de son pull-over, et encore plus en bas, la fermeté de ses muscles. A un moment donnée j’entendis un bruit, comme une pendule qui sonnait les heures. Cela me fit rire. “Même ici!”
Le bruit de la pendule ne m’était guère agréable, il était un son strident, angoissant, vieux.
Sébastian se détacha de moi, le front plissé. “Je dois aller”.
Je sursautai, comme si j’avais été touchée par une balle. “Tu dois vraiment?”
“Je dois, Mélisande. Même les rêves ont une fin”. Dans ses mots soumis il y avait tristesse, à la saveur de l’adieu.
“Tu reviendras?” Je ne pouvais pas le laisser aller de cette façon, sans lutter.
Il m’étudia attentivement, comme il faisait toujours pendant le jour, dans la réalité. “Comme pourrai-je ne pas retourner, maintenant que tu as appris à rêver?”
Celle promesse poétique apaisa le battement du cœur, déjà irrégulier à l’idée de ne le voir plus. Pas comme ça, au moins.
Le rêve s’éteint, comme la petite flamme d’une bougie. Et ainsi la nuit.
La première chose que je vis, en ouvrant les yeux, fut le plafond aux poutres apparentes. Ensuite la fenêtre entrouverte pour le chaud.
J’avais rêvé pour la première fois.
Millicent Mc Millian me fit un sourire gentil, quand elle me vit apparaitre dans la cuisine. “Bonjour chérie. Tu as bien dormi?”
“Comme jamais dans ma vie” répondis-je laconique. Le cœur risquait d’exploser dans ma poitrine, au souvenir du protagoniste de mon rêve.
“J’en suis heureux” dit la gouvernante, sans savoir à quoi je faisais référence. Elle se lança dans une histoire détaillée de la journée passée au village. De la Messe, à la rencontre avec des gens dont les noms ne me disaient rien. Je la laissai parler comme toujours, l’esprit occupé en rêveries décidément plus agréables, les yeux toujours fixés sur l’horloge, dans l’attente fébrile de le revoir.
Il était enfantin de penser qu’il aurait été une journée différente, qu’il aurait eu un autre comportement. Il avait été un rêve, rien d’autre. Mais j’étais si inexperte sur l’argument, que j’avais l’illusion qu’il aurait pu avoir une suite dans la réalité.
Quand j’arrivais dans le bureau, il était en train d’ouvrir des lettres avec un coupe-papier en argent. Il souleva à peine son regard, à mon apparition.
“Une autre lettre de mon éditeur. J’ai éteint le portable justement pour ne devoir pas le supporter! Je déteste les gens sans fantaisie... Ils n’ont pas l’idée du monde d’un artiste, de ses temps, de ses espaces...” Son ton rude me reporta avec les pieds par terre. Aucun salut, aucune reconnaissance spéciale, aucun regard doux. Bon retour à la réalité, je me saluai moi-même. Quelle idiote à penser le contraire! Voilà parce que je n’étais jamais réussie à rêver avant. Parce que je ne croyais pas, je n’espérais pas, je n’osais pas. Je dois être de nouveau la Mélisande d’avant de celle maison, d’avant de celle rencontre, d’avant de l’illusion.
Mais peut-être je le rêverai encore. Ma pensée me réchauffa plus que le thé de Madame Mc Millian, ou du soleil aveuglant au-delà de la fenêtre.
“Eh bien? Qu’est-ce que vous faites, ne restez pas comme ça telle qu’une statue? Asseyez-vous, mince alors”.
Je m’assis face de lui, docilement, le reproche brulant sur la peau.
Il me passa la lettre avec un air sérieuse. “Ecrivez-lui. Dites-lui qu’il aura son manuscrit à la date prévue”.
“Vous êtes sûr d’y réussir? Je veux dire... Vous êtes en train de réécrire tout...”
Il réagit tout froissé à celle qu’il jugea une critique. “Ce sont mes jambes à être paralysées, pas le cerveau. J’ai eu un moment de crise. Finie. Définitivement”.
Je maintins un silence prudent pendant tout le matin, tandis que je le voyais appuyer sur le clavier de l’ordinateur avec une énergie insolite. Sébastian Mc Laine était si susceptible, lunatique et difficile. Facile même à détester, considérai-je, en l’étudiant en cachette. Il est même beau. Trop, et conscient de l’être. Cela le rendait doublement détestable. Dans mon rêve il avait apparu un être inexistant, la projection de mes désirs, et non pas un homme réel, en chair et en os. Le rêve avait été menteur, merveilleusement mensonger.
A un moment donné il m’indiqua les roses. “Change-les, s’il te plait. Je déteste de les voir se flétrir. Je les veux toujours fraiches”.
Je retrouvai la voix. “Je le fais tout de suite”.
“Et fais attention à ne pas te piquer cette fois”. La dureté de son ton m’abasourdit. Je n’étais jamais adéquatement préparée à ses éclats de colère fréquents, chargés de destruction.
Pour ne pas prendre des risques je pris le vase entier, et je descendis dessous. A moitié de l’escalier je rencontrai la gouvernante qui se dépêcha à m’aider. «Qu’est-ce qu’il s’est passé?”
“Il veut de roses nouvelles” expliquai-je avec le souffle court. “Il dit qu’il déteste les voir flétrir”.
La femme leva les yeux au ciel. “Chaque jour il invente une nouvelle requête”.
Nous portâmes le vase dans la cuisine, et ensuite elle alla à prendre des roses fraiches, rigoureusement rouges. Je me laissai tomber sur une chaise, comme si j’avais été contaminée par l’atmosphère lugubre de la maison. Je ne pouvais oublier le rêve de celle nuit, en partie parce qu’il était le premier de ma vie, et j’avais encore le frisson de la découverte, en partie parce qu’il avait été si vivide, douloureusement vivide. Le son de la pendule mi fit sursauter. Il était si terrorisant que je l’avais senti même dans mon rêve. Peut-être qu’il avait été ce détail à le rendre si réel.
Les larmes m’inondèrent les yeux, irréfrénables et impuissantes. Un sanglot m’échappa de la gueule, plus fort que mon fameux autocontrôle. La gouvernante me trouva juste dans cet état, quand elle rentra dans la cuisine. “Voilà les roses fraiches pour notre monsieur et patron” dit-elle heureusement. Donc elle s’aperçut de mes larmes, et porta les mains à la poitrine. “Mademoiselle Bruno! Qu’est-ce qu’il s’est passé? Etes-vous malade? Il est pour l’engueulade de Monsieur Mc Laine? Il est un farceur, ombrageux comme un ours, et adorable quand il se souvient de l’être…Ne vous préoccupez pas, quoi qu’il vous ait dit, il l’aura déjà oublié ”.
“C’est ça le problème” dis-je avec la voix larmoyante, mais elle n’entendit pas, telle qu’elle était déjà lancée dans ses discours.
“Je vous prépare du thé, vous fera bien. Je me souviens qu’une fois, dans la maison où je travaillais avant...”
Je supportai en silence son lourd baratin, en appréciant la tentative manquée de me distraire. Je sirotai la boisson chaude, faisant semblant de me sentir mieux, et refusai son offre d’aide. J’aurais porté moi-même les roses. La femme insista pour m’accompagner au moins jusqu’au palier, et face à sa prise de position gentille, je n’osai pas de refuser. Quand je revins dans le bureau, j’étais la même Mélisande, les yeux secs, le cœur en hibernation, l’esprit résigné.
Les heures passèrent, lourdes comme le béton armé, dans un silence noir comme mon humeur. Mc Laine m’ignora pendant tout le temps, en m’adressant la parole seulement quand il ne pouvait pas l’éviter. Le désir spasmodique que le coucher du soleil arrivât était égal seulement à celui du matin de le revoir. Comme il était possible qu’ils fussent passés seulement quelques d’heures?
“Vous pouvez aller Mademoiselle Bruno” me congédia-t-il, sans me regarder dans les yeux.
Je lui souhaitai seulement la bonne soirée, respectueuse et froide comme lui.
J’étais en train de chercher Kyle, sur sa requête, quand je sentis un sanglot provenir du dessous d’escalier. J’écarquillai les yeux, incertaine sur quoi faire. Après beaucoup de titubances, j’atteignit la source de ce bruit, et ce que je vis fut stupéfiant.
Le visage dans l’ombre, la silhouette indistincte, occupé à renifler, il y avait Kyle. L’homme avait un mouchoir de papier en boule dans sa main, et il semblait seulement la pale copie du séducteur de quatre sous de jours avant. Je le regardai seulement, rendue muette par la stupeur.
Il s’aperçoit de ma présence, et il fit un pas en avant. “C’est par pitié? Ou puisque tu as l’envie de t’amuser un peu?”
Il me semblait d’avoir été surprise dans l’acte de l’espionner, telle qu’une voyeuse indiscrète. Je repoussai la tentation urgente de me justifier.
“ Monsieur Mc Laine te cherche. Il voudrait se retirer dans sa chambre pour le diner. Mais... Tu es bien? Puis-je faire quelque chose?”
Ses joues se remplirent de taches sombres, et je réalisai qu’il avait rougi par la gêne.
Je fis un pas en arrière, même métaphoriquement. “Non, excuse-moi, oublie ce que j’ai dit. Je ne fais que fourrer mon nez dans les affaires des autres”.
Il hoca la tête, inhabituellement galant. “Tu es trop délicieuse pour être une curieuse convaincante, Mélisande. Non, je... suis seulement bouleversé pour le divorce”. Seulement dans ce moment-là je me fus aperçu que dans la main il n’avait pas le mouchoir, mais un papier chiffonné. “C’est tout fini. Toutes mes tentatives d’assainir la rupture sont échoués”.
Pendant un instant cela me fit rire. Tentatives? Et de quelle façon il avait tenté? En faisant avances oscènes à la seule jeune femme dans les parages?
“Je le regrette” dis-je mal à l’aise.
“Moi aussi”. Il fit un autre pas en avant, en sortant de l’ombre. Son visage était rayé par les larmes, à démentir la mauvaise opinion que j’étais faite de lui.
Je restai incertaine à le regarder, très gênée. Qu’est-ce qu’il disait l’étiquette à propos des personnes venant de passer un divorce? Comment le consoler? Quoi dire sans courir le risque de les blesser? Oui, mais quand l’étiquette avait été rédigée, le divorce n’avait néanmoins admis.
“Je dirai à Monsieur Mc Laine que vous êtes malade” dis-je.
Il sembla paniqué. “Non, non. Je ne suis pas prêt à retourner dans le monde civil et je crains que Monsieur Mc Laine cherche seulement une excuse pour me chasser définitivement de Midgnight rose. Non, le temps de reprendre mes esprits et j’arrive”.
“Le temps de reprendre tes esprits, bien sûr” je lui fis écho, peu convaincue. Kyle avait vraiment un aspect terrible, les cheveux ébouriffés, le visage rougi par les larmes, l’uniforme blanche sale, comme s’il y avait dormi sur.
“D'accord, donc. Bonne nuit” je le saluai, aspirant seulement au refuge de ma chambre. Il avait été une longue journée, terriblement longue, et je n’étais pas d’humeur de consoler personne, qu’à moi-même.
Il me fit un signe avec la tête, comme s’il n’avait pas confiance en sa voix.
Je fis un petit tour dans la cuisine, avant de monter à l’étage supérieur. Je n’avais pas envie de diner, et il était mon devoir de renseigner la gentille Madame Mc Millian. Elle m’adressa un sourire radieux, et elle indiqua une casserole sur le feu. “Je suis en train de préparer une soupe. Je sais qu’il est chaud, toutefois on ne peut pas nous nourrir de salades jusqu’à Septembre ”.
Le remord me prit au col. Je changeai lâchement ma réponse, quand elle était déjà en train de pousser pour me sortir de la bouche. “J’adore la soupe, chaud ou non chaud”.
Avant qu’elle commençât à jacasser je lui racontai de Kyle, en laissant de côté les détails les plus sinistres.
“Il semblait vraiment bouleversé pour le divorce” considérai-je en m’asseyant à la table.
Elle hoca avec la tête, en continuant à remuer la soupe. “C’était un rapport destiné à finir. Sa femme s’est installée à Edimbourg il y a quelques mois, et la rumeur dit qu’elle ait déjà un autre homme. Vous savez comme elles sont les mauvaises langues... Il n’est pas un petit saint, toutefois il est attaché à ces lieux et il ne se sentait pas de quitter le village”.
Je me versai un verre d’eau de la carafe. “C’est pour cette raison qu’il ne se décide pas à s’en aller?”
La gouvernante servit la soupe dans les assiettes, et en un rien de temps je commençai à manger affamée. J’avais plus faim que ce que je pensais.
“Kyle ne s’arrête pas de dire qu’il en a assez de ce lieu, de la maison, de Monsieur Mc Laine, toutefois il se garde bien de s’en aller. Qui d’autre l’embaucherait?”
Je la regardai au-dessus de l’assiette, curieuse. “Il n’est pas un infirmier diplômé?”
Madame Mc Millian coupa en deux un petit pain, scrupuleusement. “Il l’est, bien sûr, toutefois il est médiocre et fainéant. Sans doute on ne peut pas dire qui se tue au travail. Et de souvent son haleine sent d’alcool. Je ne veux pas dire qu’il est un ivrogne, toutefois...” Sa voix laissait filtrer désapprobation.
“J’aime cette maison” dis-je, sans réfléchir.
La femme était surprise. “Vraiment, Mademoiselle Bruno?”
Je baissai les yeux sur l’assiette, les joues enflammées. “Je me sent chez moi ici” expliquai-je. Et elle comprit que j’étais en train de dire la vérité. Malgré les changements d’humeur de mon fascinant écrivain, j’étais à l’aise entre ces murs, loin des souffrances de mon passé écrasant.
Madame Mc Millian reprit à jacasser, et soulagée je finis mon plat. Mon esprit courait sur les voies déviées et irrégulières, et la destination était toujours, inéluctablement, Sébastian Mc Laine. J’étais déchirée entre le besoin irrépressible de le rêver encore, et le désir de me débarrasser de toutes les illusions.
Kyle apparut dans la cuisine quelques minutes après, plus sinistre que jamais. “Je déteste cordialement Mc Laine” commença-t-il.
La gouvernante s’interrompit à moitié d’une phrase pour le reprocher. “Il est honteux, parler à tort et à travers ainsi de celui qui te nourrit”.
“Il est mieux de mourir de faim que s’occuper de lui ” il fut la réplique énervée de l’autre. La rancœur dans sa voix me fit frémir. Il n’était pas un serveur dévot, cela je l’avais déjà deviné, mais sa haine était presque palpitante.
Kyle ouvrit le frigo et sortit deux canettes de bière. “Bonne nuit chères mesdames. Je vais dans ma chambre à fêter le divorce”. Un tic nerveux lui faisait trembler le coin droit de l’œil.
Moi et la gouvernante nous regardâmes en silence, jusqu’à ce qu’il fût sorti.
“Il a été vraiment indélicat à parler ainsi du pauvre Monsieur Mc Laine” furent ses premiers mots. Donc elle me regarda renfrognée. “Vous pensez qu’il veuille se suicider?”
Je ris, avant de réussir à me contrôler. “Il ne me semble pas ” je la tranquillisai.
“C’est vrai. Il est trop superficiel pour nourrir des sentiments profonds pour qui que ce soit” dit-elle avec dégout. La préoccupation pour Kyle éventa comme rosée au soleil, et passa à lister les avantages, à son avis, de vivre à la campagne, plutôt que dans la ville.
Je l’aidai à faire la vaisselle, et nous nous retirâmes. Moi au premier étage, elle dans une chambre peu loin de la cuisine, au rez de chaussé.
Je me retournai sans cesse pendant longtemps avant de m’endormir, donc je tombai dans un sommeil agité. Au matin j’avais les joues dures pour les larmes nocturnes que je ne me rappelai pas d’avoir versé.
Je ne rêvai pas Sébastian celle nuit.
Le jour après était mardi, et Mc Laine était déjà plissé de bonne heure.
“Aujourd’hui, ponctuel comme un exacteur des taxes, Mc Intosh viendra” dit-il sombre. “je ne réussis pas à le persuader de ne pas se présenter. Je les ai essayées toutes. Des menaces aux suppliques. Il semble qu’il est imperméable à toute ma tentative. Il est pire qu’un vautour”.
“Peut-être qu’il veut seulement s’assurer que vous êtes bien” observai-je, tant pour dire quelque chose.
Il colla son regard au mien, donc il éclata en un grand rire. “Mélisande Bruno, tu es un personnage... Le cher Mc Intosh vient puisqu’il le considère son devoir, non puisqu’il épreuve un attachement particulier à mon égard”.
“Devoir? Je ne comprends pas... A mon avis, son seul but est celui de faire une visite. Il doit avoir aussi des intérêts” dis-je têtue.
Mc Laine fit une grimace. “Ma chérie... Tu ne seras si ingénue à croire que tout est comme il apparait? Ce n’est pas tout blanc ou noir, il existe même le gris, tant pour en dire une”.
Je ne répondis pas, qu’est-ce que je pouvais lui dire? Qu’il était arrivé à la vérité sur moi? Que pour moi n’existe rien d’autre que le blanc et le noir, au point d’en avoir la nausée.
“Mc Intosh a des remords concernant l’accident, et il pense d’expier en venant me visiter régulièrement, même si cela ne me plait pas” ajouta-t-il malicieusement.
“Remords?” répétai-je. “Dans quel sens?”
Un éclair illumina la fenêtre à ses épaules, et ensuite il y eut le tonnerre, retentissant. Il ne se tourna pas, comme s’il ne fût pas capable de détacher ses yeux des miens.
“S’annonce un déluge torrentiel. Peut-être que cela détournera Mc Intosh du venir ici aujourd’hui”.
“J’en doute. C’est seulement un orage estival. Une heure et il sera tout fini” dis-je toute pratique.
Il me regardait avec une telle intensité à me provoquer des frissons subtils le long de ma colonne vertébrale. C’était un homme bizarre, mais si charismatique à effacer tout autre défaut.
“Voulez-vous que je mette en ordre les étagères restantes?” demandai-je nerveuse, en échappant la fixité de son regard.
“Vous avez bien dormi cette nuit, Mélisande?”
La question me pris de surprise. Le ton était léger, mais il sous entendit une pressante urgence qui me poussa à la sincérité.
“Pas beaucoup”.
“Pas de rêves?” Sa voix était légère et limpide comme l’eau du torrent calme, et je me fis transporter par ce courant rafraichissant.
“Non, cette nuit non”.
“Voulais-tu rêver?”
“Oui” répondis-je avec élan. Notre dialogue était surréel, et pourtant j’étais prête à le poursuivre à l’infini.
“Peut-être que tu rêveras encore. Le silence de cet endroit est l’idéal pour bercer les rêves” dit-il glacial. Il retourna à l’ordinateur, déjà oublieux de moi.
Fantastique, je me suis dit humiliée. Il m’avait jeté un os comme on fait avec un chien, et j’avais été si idiote à le prendre comme si j’étais en train de mourir de faim. Et affamée je l’étais vraiment. De nos regards, de notre intense complicité, de ses sourires inattendus.
Je courbai les épaules, et je repris à travailler. Dans ce moment je pensai à Monique. Voici une femme experte à donner les vertiges aux hommes, à les séduire dans des tissus des mensonges et de rêve. A conquérir leur attention avec une grande habilité. Une fois je lui avais demandé comme elle avait appris l’art de la séduction. D’abord elle avait répondu. “on ne l’apprend pas, Mélisande. Ou tu la possède de toujours, ou tu dois seulement la rêver ”. Donc elle s’était tournée vers moi, et son expression s’était adoucie. “Quand tu auras mon âge, tu sauras quoi faire, tu verras”.
Maintenant je l’avais cet âge, et j’étais mise pire qu’avant. Mes connaissances masculines avaient été toujours sporadiques et de courte durée. Tous les hommes me refilaient la même séquelle de questions: Comment t’appelles-tu? Que fais-tu dans la vie? Quelle voiture tu conduis? A la nouvelle que j’étais sans permis de conduire ils me regardaient comme une bête curieuse, comme si j’avais été contagiée par une terrible maladie. Et moi je ne partageais pas du tout les confidences.
Je passai la main sur la couverture reliée d’un livre. C’était une édition luxueuse, en cuivre marocain, d’Orgueil et Préjugés, de Jane Austen.
“Je parie que c’est ton préféré”.
Je soulevai brusquement la tête. Mc Laine m’étudia de sous les paupières entrouvertes, un scintillement dans ce manteau noir.
“Non” répondis-je, en mettant le livre sur l’étagère. “Je l’aime, toutefois il n’est pas mon préféré”.
“Alors il sera Les Hauts de Hurlevent”. Il me donna un sourire à couper le souffle, inattendu.
Mon cœur fit un bond, et de justesse il ne précipita dans le néant. “Néanmoins” répondis-je, en remarquant avec plaisir la fermeté de ma voix.
“Il ne finit pas exactement très bien. Comme je t’ai déjà dit, j’ai un penchant marqué pour l’heureux dénouement ”.
Il tourna le fauteuil roulant, et il se porta à quelques pas de moi, l’expression absorbée. “Persuasion, toujours de la Austen. Il finit très bien, tu ne peux pas le nier ”. Il ne cherchait néanmoins à cacher combien il était en train de s’amuser, et moi aussi je m’étais passionnée à ce jeu.
“Il est beau, je l’admis, tu es encore loin. C’est un livre centré sur l’attente, et je ne suis pas bonne à attendre. Trop impatiente. Je finirai pour me résigner, ou à changer désir”.
Maintenant ma voix était frivole. Sans m’en rendre compte j’étais en train de flirter avec lui.
“Jane Eyre”.
Il ne s’attendait pas mon rire, et il resta à me regarder, interdit.
Ils passèrent plusieurs minutes avant que je pusse lui répondre. “A la bonne heure! Je pensais que vous faudrait des siècles...”
Une ébauche de sourire faisait sa route dans son froncement de sourcils. “Je devais le comprendre tout de suite, en effet. Une héroïne avec une histoire triste et solitaire derrière elle, un homme du passé souffert, une fin heureuse après beaucoup de malheurs. Romantique. Passionné. Réaliste”. Maintenant même ses lèvres souriaient, à l’instar de ses yeux. “Mélisande Bruno, est tu consciente que tu pourrais tomber amoureuse de moi de même que Jane Eyre du Monsieur Rochester que comme par hasard c’est son employeur?”
“Vous n’êtes pas Monsieur Rochester” dis-je tranquille.
“Je suis autant lunatique que lui” objecta avec un soupçon de sourire que je ne pus m’empêcher de retourner.
“Je suis d’accord. Toutefois je ne suis pas Jane Eyre”.
“C’est vrai aussi. Elle était terne, moche, insignifiante” dit-il, en parlant d’une voix traînante. “Personne sain d’esprit, et d’yeux, pourrait dire cela de toi. Tes cheveux rouges pourraient être remarqués même à milles de distance ”.
“On ne dirait pas que c’est un compliment...” dis-je en plaisantant pleurnichards.
“Ceux qui se font remarquer, par un moyen ou un autre, ne sont jamais laids, Mélisande” répondit-il doucement.
“Donc merci”.
Il grimaça. “De qui tiens-toi ces cheveux, Mademoiselle Bruno? De tes parents d’origine italienne?”
La mention à ma famille contribua à assombrir le bonheur de ce moment. Je détournai le regard, et je repris à ranger les livres sur les étagères.
“Ma grand-mère était rouge, à ce qu’on dit. Mes parents non, et néanmoins ma sœur”.
Il approcha le fauteuil roulant à mes jambes, tendues dans l’effort de ranger les livres. A celle distance infinitésimale je pouvais apercevoir son parfum délicat. Un mélange mystérieux et séduisant de fleurs et épices.
“Et qu’est-ce qu’il fait une gracieuse secrétaire aux cheveux rouges et les ancêtres italiens dans un village écossais perdu?”
“Mon père émigra pour maintenir sa femme et sa fille. Je suis né eau Belgique”. Je cherchai une façon pour changer discours, mais il était difficile. Son voisinage confondait mes pensées, en les embrouillant dans un écheveau difficile à démêler.
“De la Belgique à Londres, et ensuite à l’Ecosse. A seuls vingt-deux ans. Admettras-tu qu’il est pour le moins curieux”.
“Envie de connaitre le monde” répondis-je réticente.
Je jetais un œil vers lui. Son foncement de sourcils rude était disparu comme neige au sol, remplacé par une saine curiosité. Il n’était possible du tout de le distraire. A l’externe la tempête faisait rage, avec toute sa violente intensité. Une bataille pareille était en train de se dérouler dans moi. Communiquer avec lui était naturel, spontané, libératoire, toutefois je ne pouvais, je ne devais, parler à bride abattue, ou je m’en serai regrettée.
“Envie de connaitre le monde pour aboutir à ce coin du monde éloigné?” Son ton était ouvertement sceptique. “Tu n’as pas besoin de me mentir, Mélisande Bruno. Je ne te juge pas, en dépit des apparences”.
Quelque chose se brisa dans moi, en libérant des souvenirs que je croyais être oubliés pour toujours. J’avais eu confiance en quelqu’un, et c’était mal fini, ma vie presque détruite. Seulement le destin avait empêché une tragédie. La mienne.
“Je ne suis pas en train de mentir. Même dans cet endroit on peut connaitre le monde” dis-je en souriant. “Je n’avais jamais été aux Highlands, intéressant. Et puis je suis jeune, je peux encore voyager, voir, découvrir de nouveaux lieux”.
“Et donc tu proposes de partir”. Sa voix était rauque maintenant.
Je me tournai vers lui. Une ombre lui était descendue sur le visage. Il y avait quelque chose de désespéré, de furieux, de rapace en lui dans ce moment.
Je le regardai seulement en proie de mes mots.
Il tourna rapidement le fauteuil roulant, dirigé vers son bureau. “Ne pas te préoccuper. Si tu continues à être si indolente je te chasserai moi-même, et ainsi tu pourras reprendre ton voyage au tour du monde”.
Ses mots brusques étaient presque un seau d’eau glacée catapulté sur moi. Il s’arrêta devant la fenêtre, ancré au fauteuil roulant avec les deux mains, les épaules rigides.
“Vous aviez raison. La tempête est déjà finie. On ne peut pas de toute façon éviter Mc Intosh aujourd’hui. Il semble que je ne fasse d’autre que mal agir”.
“Toh, regarde, un arc-en-ciel”. Il m’appela, sans se tourner. “Venez à voir, Mademoiselle Bruno. Spectacle fascinant, ne trouvez pas? Je doute que vous n’avez déjà vu un pareil”.
“Au contraire je l’ai vu” répondis-je, sans me déplacer. L’arc-en-ciel était le symbole cruel de ce qui m’était éternellement nié. La perception des couleurs, leur merveille, leur archaïque mystère.
Ma voix était fragile comme une plaque de glace, mes épaules plus rigides que les siennes.
Il avait mis des briques dans le mur entre nous, haut et infranchissable. Une défense inviolable.
Ou peut-être c’était moi à l’avoir fait d’abord.