Читать книгу La Main Sur Le Cœur - Shanae Johnson - Страница 6

CHAPITRE 2

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Éva inspira profondément pour se calmer. Pourtant, ses doigts tremblaient toujours. Elle leva le stylo du bout de papier, secoua la main et réessaya.

Elle refit les calculs mentalement. Elle n’avait pas le droit à l’erreur au moment d’écrire les chiffres et le montant équivalent en mots. C’était un gros chèque. Le plus gros qu’elle ait écrit de toute sa vie.

Après avoir vérifié trois fois, puis trois fois de plus, elle reposa le stylo. Il s’éloigna d’elle en roulant, mais elle le laissa faire. Elle n’avait plus besoin de son encre. L’argent était dépensé, et son compte en banque était désormais vide. Mais cela en valait la peine.

Elle détacha le chèque du carnet avec précaution. Il portait le numéro un. C’était la première fois qu’elle en écrivait un. Elle avait toujours payé en liquide. C’était le premier compte-chèques avec lequel elle allait écrire des chèques et pas simplement les encaisser. Et elle venait d’écrire le premier.

Éva le tendit à la femme au regard doux et au sourire patient assise derrière le comptoir. Celle-ci vérifia le chèque.

Éva retint sa respiration. Elle ne pouvait pas se permettre la moindre erreur. Elle n’avait pas les moyens de mettre un centime de plus dans ce chèque.

« Tout a l’air en ordre, ma grande. »

Les épaules d’Éva se détendirent visiblement en entendant cette confirmation.

« Voilà votre emploi du temps. »

La responsable des admissions tendit à Éva une feuille A5 sur laquelle le numéro des salles, l’intitulé des cours et le nom des professeurs étaient imprimés en lignes claires.

« Vous êtes attendue en cours lundi, madame Lopez.

 Oui, répondit Éva dans un souffle. Oui, je serai là.

 Profite bien de tes cours, ma puce.

 Vous aussi. Enfin, merci. Passez une bonne journée. »

Éva s’éloigna du guichet des inscriptions, son emploi du temps serré contre sa poitrine. Derrière elle, une longue file d’étudiants patientait pour s’inscrire. Ils avaient l’air ennuyés et fatigués. Aucun d’entre eux ne semblait empli du même enthousiasme qu’elle. Probablement parce que la plupart bénéficiaient de bourses ou d’aides financières, ou avaient des parents qui pouvaient payer leur scolarité.

Mais pas Éva. Elle avait mérité jusqu’au moindre centime qu’elle venait de verser. Cela lui avait pris trois ans, mais elle avait réussi. Elle avait assez économisé pour payer son premier semestre à l’université. Pas à distance : elle aurait cours sur un véritable campus. Et pas seulement quelques cours du soir. Elle était inscrite à une université d’état.

Elle ne pensait pas ça par snobisme. Enfin, si, un peu. Pour la première fois de sa vie, elle faisait partie de l’élite. Elle aurait juste aimé que ses parents puissent la voir. Sans savoir comment, elle sentait qu’ils l’observaient de là-haut, leurs regards emplis de fierté.

Elle y était arrivée. Elle avait réalisé son rêve. Ses parents le lui avaient dit dès son premier jour de maternelle : l’éducation était la clef de ses rêves, la clef de tous les possibles.

Éva ne savait pas exactement ce qu’elle voulait faire de ses études ; elle savait juste qu’elle voulait en faire. Elle adorait suivre des cours, assise derrière une table pendant qu’un professeur faisait des miracles au tableau.

Les trois années qui s’étaient écoulées depuis sa sortie du lycée avaient été lugubres. Mais, bientôt, elle serait de retour dans une salle de classe, là où était sa place. À ce moment-là, tout deviendrait possible.

Éva grimpa dans un autobus et commença le long trajet qui la ramènerait chez elle. Chez elle, c’était plus loin que les quartiers sympas qui entouraient l’université. Plus loin que les résidences chics du quartier des affaires. Chez elle, c’était une cité délabrée dans un quartier tout sauf chic dont les habitants gagnaient souvent moins par heure que le minimum légal.

Le bus n’allait pas jusqu’à sa cité. Il déposa Éva devant l’église. Elle s’y était rendue plusieurs fois ces derniers mois, depuis qu’elle avait emménagé ici. Quel que soit l’endroit où elle vivait, Éva se débrouillait toujours pour trouver une église. Même si elle ne connaissait personne, elle se sentait toujours chez elle là-bas.

« Bonjour, mademoiselle Lopez. »

Éva se retourna en entendant la voix du vieil homme. Un sourire éclaira son visage.

« Bonjour, pasteur Patel. »

Éva s’approcha en tendant la main au pasteur, qui repoussa son geste pour la serrer dans ses bras. Éva accepta son étreinte avec gratitude. Les câlins du pasteur Patel lui rappelaient ceux de son père.

« Cela fait quelques semaines que je ne t’avais pas vue, lui reprocha le pasteur.

— J’ai fait des heures supplémentaires pour mettre de l’argent de côté. Mais vous me verrez plus souvent maintenant. J’aurais plus de temps libre le week-end. J’ai réussi. Je suis inscrite à l’université.

— Oh ! C’est une excellente nouvelle, mon enfant. »

Il lui frotta les épaules affectueusement, comme sa mère avait l’habitude de le faire.

« J’aurais tout de même préféré que tu acceptes la bourse de l’église. »

Éva secoua la tête. Outre la nécessité d’une bonne éducation, le père d’Éva lui avait également appris qu’ils n’acceptaient pas la charité. Tout ce qu’ils obtenaient, c’était à la sueur de leur front. Ils faisaient des dons à l’Église et aux moins fortunés. Pour le reste, il y avait la famille. C’était comme ça que les Lopez fonctionnaient.

« Bien, maintenant que tu es étudiante à l’université, dit le pasteur Patel, tu viendras bien témoigner auprès des autres jeunes demain ? »

Éva hésita. Elle n’était pas sûre d’avoir quoi que ce soit à enseigner à qui que ce soit pour l’instant. Elle avait déjà du mal à convaincre son frère et sa sœur d’écouter les conseils qu’elle avait à leur donner. Elle savait que le pasteur Patel ne la laisserait pas refuser. Alors elle accepta. Après une dernière étreinte, il la laissa repartir.

Éva descendit la rue à vive allure. Il était facile de deviner pourquoi le bus n’allait pas jusqu’à son quartier. Le bitume était jonché de morceaux de verre. Une puanteur émanait de certaines allées. Des hommes traînaient au coin des rues l’après-midi, bien avant la fin de la journée de travail. L’un d’entre eux était d’ailleurs un peu trop petit pour être considéré comme un homme.

« Carlos ! » appela Éva.

Le garçon ne réagit pas, mais elle savait qu’il l’avait entendue.

Éva se dirigea vers son frère d’un pas décidé. Elle se retint de justesse de remonter le pantalon qui lui tombait sur les fesses. Où était la ceinture qu’elle lui avait achetée le mois précédent ? Il se retourna avec un regard méfiant. Les types autour de lui commencèrent à ricaner.

« Je suis avec des potes, dit-il.

— Eh bien, c’est l’heure de rentrer faire tes devoirs. »

Les autres garçons ricanèrent de plus belle.

« Allez, écoute donc ta jolie sœur, gamin. Et quand tu auras fini de bosser pour l’école, j’aurai du vrai boulot pour toi. »

Éva interrompit le voyou d’un seul regard. Mais le mauvais œil ne fonctionnait que sur la famille.

Carlos suivit sa sœur. Elle savait qu’elle lui avait mis la honte. Mais il valait mieux que ces types le voient comme un fils à maman, ou plutôt comme un frère à sa sœur. Elle était prête à ruiner sa réputation si cela le protégeait de la rue.

« Tu n’iras nulle part en traînant dans la rue, dit-elle après avoir traversé.

— Parce que l’école m’amènera quelque part ? Regarde où ça t’a menée. »

Carlos désigna le quartier d’un geste. Tout autour d’elle ne se trouvaient que différentes nuances de brun, des immeubles à la poussière dans les rues, en passant par la crasse sur le visage des enfants.

« Tout ça changera bientôt, dit Éva. Un diplôme, c’est une porte de sortie. Tu verras. »

Le problème, c’est qu’il faudrait au moins deux ans pour qu’il voie le résultat de cette logique. Elle espérait simplement qu’il lui laisserait le temps de lui montrer qu’elle avait raison. Et en attendant, elle ne laisserait pas la rue s’emparer de son petit frère.

La Main Sur Le Cœur

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