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ALLY

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Tic-tac, tic-tac.

Ils sont cinq; cinq petits enfants dont les dix yeux sont braqués sur la pendule et qui se demandent avec anxiété si leur bonne viendra jamais.

Une demi-heure se passe encore, — tic-tac, tic-tac, — et cependant leur bonne ne vient pas.

«L’heure du goûter doit être passée,» dit Éthel avec un profond soupir.

C’est la première fois qu’on leur fait attendre ainsi leur thé ; et les cinq petits, désespérés, abandonnés dans la salle d’étude, pensent qu’il doit être arrivé quelque chose d’épouvantable.

Il y a si longtemps qu’ils sont là sans bouger; il y a si longtemps que leur bonne est venue, tout en larmes, leur dire d’être bien sages, bien tranquilles et de ne pas faire de bruit parce que M. Ally est bien malade.

Puis, leur mère est entrée à son tour. Elle ne pleurait pas, elle, mais son visage était pâle et triste. — Elle ne leur avait rien dit, elle les avait tous embrassés et était repartie précipitamment.

Voilà bien des jours qu’Ally est malade, et tous les jours, matin et soir, les enfants ont été conduits les uns après les autres auprès d’Ally pour lui dire bonjour et bonne nuit. Mais on ne leur a jamais permis de s’arrêter dans la chambre du malade, et aujourd’hui, aucun d’eux n’est entré auprès d’Ally, — pas même Phil, son frère jumeau. Les enfants craignent qu’Ally ne soit bien malade, puisqu’il n’est pas en état de voir Phil.

Phil est assis dans un coin de la chambre et serre fortement contre sa poitrine un petit chien qui appartient à Ally et à lui. Il tient à la main un portrait qu’il est allé décrocher d’un clou au-dessus de la vieille pendule, sa place d’habitude, au milieu des photographies de tous les membres de la famille, y compris père et mère et même leur bonne.

Phil a les yeux baissés sur le portrait du pauvre Ally et s’efforce de ne pas pleurer, car il dit toujours: «Pleurer, c’est bon pour les filles et pour les enfants.»

Philip et Alick sont jumeaux. Ils ont neuf ans et demi, et on les appelle ordinairement Phil et Ally. Tous deux ont des yeux et des cheveux bruns et se ressemblent tellement qu’on n’arriverait pas à les reconnaître l’un de l’autre sans leurs cheveux: ceux de Phil frisent naturellement, tandis que ceux d’Ally ne frisent pas. C’est à deux milles de chez eux, à Silverford, qu’ils vont à l’école. Ils y vont sur leurs poneys et partent à neuf heures chaque matin. Ils prennent un repas à Silverford et reviennent à la maison entre quatre et cinq heures. C’est l’époque des vacances et on s’amuserait tant si le pauvre Ally n’était pas malade!

Bertie a juste un an de moins que les jumeaux. Il est si souvent au grand air et au soleil, qu’il est devenu brun comme du pain d’épice. Ses cheveux noirs et brillants frisent comme ceux de Phil et ses yeux sont de la même couleur que ses cheveux. Il est assis dans l’embrasure d’une fenêtre, où il essaie, avec son canif, de découper la silhouette d’un poney dans une vieille peau d’orange trouvée au fond de sa boîte de joujoux. La peau d’orange est trop sèche; elle se brise en petits morceaux, de sorte que la seule portion du poney projeté que Bertie ait pu réussir est une longue queue mince. Et il se dit avec un soupir: «Qu’est-ce qu’une queue sans le cheval?»

Éthel n’a que sept ans. Elle a des yeux bleus et des cheveux blonds et bouclés qui retombent sur son dos. Elle est assise en face de Bertie, dans l’embrasure de la fenêtre, et fait une robe pour sa poupée.

BOULOTTE EST ASSISE PAR TERRE ET TIENT SA POUPÉE


Édouard a deux ans de moins qu’Éthel. Il a, comme elle, les yeux bleus et les cheveux blonds. Assis sur un tabouret, la tête appuyée contre le mur, il paraît sur le point de s’endormir.

Enfin, voici Boulotte; c’est la plus jeune. Elle a quatre ans depuis deux jours et on continue à l’appeler Boulotte, quoique son vrai nom soit Cicely. Elle est si potelée qu’on lui voit des fossettes partout, de petits creux partout; aux joues, au menton, dans son cou, à ses bras, à ses jambes, à ses pieds, partout enfin. Ses cheveux d’un blond pâle, fins comme de la soie, couvrent sa petite tête ronde de boucles courtes et serrées. Bertie prétend qu’à la place de la tête de Boulotte il n’y a qu’une masse de cheveux frisés. Ses yeux sont bruns et très grands. Quoiqu’elle ait quatre ans, elle ne peut pas prononcer les mots correctement et cela l’humilie beaucoup. En ce moment Boulotte a tout l’air de se disposer à pleurer.

Elle est assise par terre et tient sa poupée la tête en bas; le son s’échappe comme d’un sablier du corps de la pauvre poupée et s’amoncelle sur le plancher, mais Boulotte ne s’en aperçoit pas; elle est trop préoccupée de savoir pourquoi personne ne veut s’amuser avec elle, et pourquoi sa bonne reste si longtemps sans revenir, et pourquoi personne ne parle ni ne rit, pas même Bertie, qui, d’habitude, est toujours parlant, riant ou chantant. Boulotte trouve que c’est bien mal de la part de sa bonne de les laisser si longtemps sans leur donner à manger. Boulotte a bien envie d’aller chercher sa bonne, mais elle a peur qu’Éthel ne se fâche. — Que peut donc faire cette bonne? — Boulotte a si, si faim! — Peut-être que leur bonne veut les punir de toutes leurs sottises en les laissant sans boire ni manger, comme ces pauvres enfants dont Phil lisait l’histoire l’autre jour; ils s’étaient égarés dans un bois et ils avaient vécu pendant tonte une semaine de petits fruits qu’ils avaient cueillis sur les buissons... Mais, dans la salle d’étude, rien ne pousse; pas même ces petits fruits-là !... et les yeux de Boulotte deviennent de plus en plus ronds, de plus en plus fixes, de plus en plus désolés!... on n’aurait pas même des mûres pour manger!... que cette bonne est méchante! Plus de lait avec du pain, plus de tartines grillées, plus de marmelade, plus de bons petits morceaux de pain beurré et recouvert de sucre pilé, plus de plum-cake. Plus de confiture! — oh! plus de confitures de fraises! Jamais... plus... de... confitures... de... fraises!... Ja... mais... plus... de con... fi... tu... res... de... frai... ses!...

Or, il n’y a rien au monde que Boulotte aime autant que la confiture de fraises. Le chemin qui conduit au cœur de Boulotte est pavé de confiture de fraises. Quand Boulotte rêve, elle rêve à de belles grosses fraises nageant dans un bon jus.

Les larmes montent aux yeux de Boulotte et les remplissent.

Elles débordent bientôt et descendent les unes après les autres; elles se pressent comme si elles avaient fait le pari de voir laquelle arriverait le plus vite au bas du menton de Boulotte. Une de ces larmes est arrêtée dans une des petites fossettes et est obligée d’abandonner la lutte; mais les autres arrivent eu grand nombre, plus vice, toujours plus vite, jusqu’à ce qu’elles aient délogé la première larme du petit creux qui la tenait prisonnière. Et, malgré ce succès, les larmes continuent à couler vite, vite, toujours plus vite.

Personne ne fait attention à Boulotte et personne ne voit son chagrin. N’avoir pas de confiture de fraises est chose bien triste; mais n’avoir personne pour s’informer si elle a de la confiture de fraises ou si elle n’en a pas est encore plus triste. Et Boulotte pense, au milieu de ses larmes, qu’il faut que quelqu’un soit averti de son chagrin et que quelqu’un y compatisse. Boulotte se met à sangloter et même à crier!

La chambre avait été si tranquille; — ni mouvement ni bruit, à part le tic-tac de la pendule et le toc-toc des gouttes de pluie qui, rivales des larmes de Boulotte, plus rapides encore pourtant, luttaient de vitesse pour arriver premières sur le sol ou sur l’appui de la fenêtre; — la chambre avait été si tranquille que les cris de Boulotte font tressaillir tout le monde.

Éthel fait un bond sur sa chaise et se pique les doigts.

Phil laisse tomber le petit chien, qui reste étendu par terre tout haletant, car, en pensant à Ally, Phil l’a serré si fortement qu’il l’aurait peut-être étouffé sans les cris de Boulotte. En effrayant Phil, ils ont rendu la liberté au pauvre animal.

Bertie dégringole de son siège dans l’embrasure de la fenêtre et crie: «Veux-tu bien te taire, Boulotte.»

Eddy, qu’on appelle quelquefois «Eddy le lambin», parce qu’il lui faut un temps prodigieux avant de trouver des mots pour exprimer sa pensée, Eddy, réveillé en sursaut, s’assied tout droit sur son tabouret, et les yeux grands ouverts, la bouche grande ouverte aussi, il regarde Boulotte d’un air ahuri en essayant de trouver quelques bonnes paroles pour la consoler; mais, comme les mots ne veulent pas venir, il reste immobile, et son ahurissement n’en paraît que plus profond.

Éthel plie son ouvrage et le range, pendant que Phil, qui n’est préoccupé que d’Ally, remet le petit chien sur ses pattes et le tapote sur le dos pour rétablir sa respiration.

Il n’y a donc que Bertie qui fasse attention à Boulotte; et Boulotte, trouvant qu’on se conduit plus mal que jamais envers elle, se couvre la tête de son tablier et se balance en avant et en arrière avec un redoublement de sanglots désespérés. «Pauvre Boulotte! dit Bertie en cherchant à la calmer, est-ce qu’elle est fatiguée d’être restée tranquille et d’avoir attendu son thé si longtemps? Pauvre petite Boulotte chérie! ne pleure plus; Bertie va te raconter une jolie histoire.»

Mais Boulotte trouve qu’on s’est trop mal conduit à son égard pour qu’elle puisse céder si facilement. Alors Bertie essaye de lui ôter son tablier de devant sa figure; mais Boulotte le tient si serré qu’il est obligé d’y renoncer. Alors il la prend dans ses bras et lui parle tendrement, quoiqu’elle se soit si bien roulée dans son tablier qu’il n’y ait pas moyen d’apercevoir le petit bout de sa figure; de plus, Boulotte se débat si vigoureusement que Bertie est obligé de la remettre par terre.

«Laisse-la tranquille, Bertie, dit Éthel en s’approchant d’eux; elle sera beaucoup moins sotte si on ne lui dit rien.

— Mais, Boulotte, reprend Bertie en ramassant la pauvre poupée restée étendue sur le tas de son, je ne m’étonne plus de ton désespoir! Tu as tant fait que tu as tué la pauvre Chin-Chan.»

Le tablier s’abaisse, Boulotte se tourne et se remet sur ses pieds aussi vite qu’il lui est possible.

Quel lamentable spectacle! Chin-Chan est pliée en deux sur les bras de Bertie. Qu’elle est flasque et qu’elle a l’air misérable! Sa jolie robe rose, qui lui allait si bien, ressemble maintenant à un sac et flotte de tous côtés; et le tas de son, amoncelé sur le plancher, trahit le secret de cette triste métamorphose.

Le malheur est à son comble.

Des sept poupées de Boulotte, Chin-Chan est la préférée. Chin-Chan est si sage et obéissante! Chin-Chan s’endort aussitôt qu’on lui dit de dormir, et elle se réveille dès qu’on lui dit de se réveiller. Chin-Chan a de jolis yeux bleus et de vrais cils. Chin-Chan a aussi de vrais cheveux, de jolis cheveux jaunes que l’on peut peigner et que l’on fait friser en les tournant autour du doigt. Chin-Chan a de si jolies mains et de si jolis pieds en cire; elle a un si petit nez que Bertie prétend qu’il est camus; et son teint est de lis et de roses. Chin-Chan a six costumes complets pour elle toute seule, tandis que chacune des autres poupées de Boulotte ne possède pas plus d’un costume. Et puis, enfin, c’est l’oncle Tony qui a baptisé la poupée Chin-Chan, et ce que Boulotte aime le mieux, après la confiture de fraises, c’est l’oncle Tony. Bertie prétend que Chin-Chan veut dire: «nez camard;» mais l’oncle Tony, qui, bien sûr, sait mieux, affirme que cela veut dire: «Chinoise.»

Et à présent, la chère Chin-Chan est morte, et Boulotte ne peut plus l’aimer. Comment Boulotte pourrait-elle aimer et serrer tendrement Chin-Chan sur son cœur, puisque Chin-Chan n’a plus de corps?

Boulotte explique cela de son mieux à Bertie, mais il ne voit pas les choses sous le même jour qu’elle.

«Console-toi, Boulotte, dit-il. Ta bonne remettra du son dans le corps de la poupée, elle le recoudra et elle ressuscitera ta poupée.

— Elle pourra pas, sanglote l’infortunée Boulotte. —Elle le pourra, je t’assure qu’elle le pourra, continue Bertie. — Mais certainement, dit Éthel à son tour. Allons, Boulotte, viens ici, que je t’arrange un peu. Tu as l’air d’une sorcière.

— Moi veux pas venir; moi veux pas être arrangée... et Boulotte se jette par terre de nouveau et recommence à se rouler de colère et de chagrin.

— Je voudrais bien que ma bonne vînt,» soupire Éthel.

Philip leur crie avec humeur du bout de la chambre: «Taisez-vous donc, vous autres; aucun de vous ne pense au pauvre Ally, sans cela vous ne feriez pas un tel vacarme!»

Éthel retourne dans l’embrasure de la fenêtre; Bertie et Eddy s’asseyent par terre, à côté de Boulotte, et essayent de la calmer en la caressant et en lui faisant toutes sortes d’offres séduisantes. Mais ils n’y réussissent pas.

«Tic-tac, tic-tac,» fait la pendule.

«Toc, toc, toc,» fait la pluie.

«Moi veux pas être saze, moi veux pas être saze, moi veux pas être saze,» crie Boulotte.

Cela continue ainsi pendant un quart d’heure; puis les enfants entendent des pas pressés dans le corridor, la porte s’ouvre et leur bonne paraît enfin.

«M. Ally va mieux, dit-elle; le docteur pense maintenant qu’il guérira! Il dort d’un sommeil si calme et si profond!»

Les enfants entourent leur bonne: ils parlent, ils rient, ils font mille questions. Elle paraît très heureuse et leur demande de ne pas parler tous ensemble, parce qu’elle ne peut pas entendre ce qu’ils disent; puis elle se met à rire et à pleurer tout à la fois, et les enfants trouvent cela bien drôle. Elle remarque enfin la figure bouleversée de Boulotte sur laquelle les larmes ont laissé tant de traces; elle prend l’enfant sur ses genoux, lui fait raconter tous ses malheurs et réussit à la consoler en lui promettant solennellement de guérir Chin-Chan et de la rendre à la vie.

Leur mère entre à son tour, bien différente de ce qu’elle était quand les enfants l’ont vue pour la dernière fois; son visage est radieux; elle les couvre de tant de caresses et de tant de baisers que ces petits êtres se sentent tout fiers de leur importance. Puis se souvenant tout à coup qu’ils n’ont pas eu à goûter:

«Mes pauvres chéris, dit-elle, comme vous devez avoir faim!»

Aussi veut-elle rester pour prendre le thé avec eux. Elle fait signe à Éthel de sonner, et, quand Suzanne entre, elle lui dit de préparer le service rouge et or.

Le thé ronge et or a été donné aux enfants, un jour de Noël, par leur tante Bee, et on ne s’en sert que dans ce qu’ils appellent «les grands jours» ; aussi sont-ils convaincus qu’ils vont avoir aujourd’hui quelque agréable surprise, et ils dansent de joie en l’attendant.

Quand le thé est prêt, maman se met à table: les enfants et leur bonne s’asseyent, et quand tout le monde est placé, les enfants déclarent qu’ils sont tous comme Phil, qui vient de faire connaître qu’il est «affamé comme un chasseur ». Bertie, qui est toujours prêt à discuter, demande «pourquoi les chasseurs seraient plus affamés que les petits garçons?» Mais personne ne lui répond. Maman a fait préparer un thé délicieux, et chaque enfant l’embrasse bien fort avant de se mettre à table.

Je parie que vous voudriez bien savoir ce que l’on a servi avec le thé ? Eh bien, je vais vous le dire. Il y a des tartines de pain blanc et de pain bis bien beurrées, des biscuits tout chauds et si croustillants qu’ils se cassent presque avant d’être touchés; le plum-cake qu’Eddy appelle «le gâteau qui dit des secrets», parce que les fruits sont tout près les uns des autres et ont l’air de se raconter quelque chose à l’oreille;— des groseilles blanches et des groseilles rouges, de bons petits gâteaux, de la marmelade; et, en face de Boulotte, un grand compotier en cristal, plein de confiture de fraises.

Boulotte, qui était tout à l’heure la plus malheureuse de la famille, est à présent la plus heureuse. Elle est à table, dans un grand fauteuil; sa figure a été si bien lavée que ses boucles dorées, ordinairement si bien frisées, ne frisent plus du tout et se tiennent toutes droites; ses épaules potelées ont un frémissement de satisfaction, et ses beaux yeux bruns sont baissés sur son assiette que Bertie vient de remplir de belles fraises et de bon jus. La voyez-vous, Boulotte, enfonçant dans sa bouche cette fraise si rouge et si grosse?

La pluie a cessé ; le soleil reparaît et ses chauds et brillants rayons donnent encore aux enfants plus d’animation et de gaieté. Et Bertie dit: «Le temps lui-même se réjouit de ce qu’Ally va mieux, et il envoie le soleil pour nous dire qu’il est bien content.»

Après le thé, les enfants vont jouer au jardin; ensuite on les mène, les uns après les autres, dans la chambre d’Ally. Il ne peut pas les voir, car il est endormi, et on ne leur permet pas de l’embrasser de crainte de le réveiller; ils ne peuvent le regarder qu’un instant; il est pâle et immobile sur son lit, et les petits disent bien bas: «Bonne nuit, Ally.» Puis ils s’en vont.

Et chacun d’eux, depuis Boulotte jusqu’à Philip, ajoute une prière à celle qu’il dit le soir en se mettant au lit; et cette prière est: «Merci, mon Dieu, d’avoir guéri Ally.»

Boulotte

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