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CHAPITRE V

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Table des matières

Toute cette aventure n’avait pas duré une minute; les blessures de Fabrice n’étaient rien; on lui serra le bras avec des bandes taillées dans la chemise du colonel. On voulait lui arranger un lit au premier étage de l’auberge:

—Mais pendant que je serai ici bien choyé au premier étage, dit Fabrice au maréchal des logis, mon cheval, qui est à l’écurie, s’ennuiera tout seul et s’en ira avec un autre maître.

—Pas mal pour un conscrit! dit le maréchal des logis.

Et l’on établit Fabrice sur de la paille bien fraîche, dans la mangeoire même à laquelle son cheval était attaché.

Puis, comme Fabrice se sentait très faible, le maréchal des logis lui apporta une écuelle de vin chaud et fit un peu la conversation avec lui. Quelques compliments inclus dans cette conversation mirent notre héros au troisième ciel.

Fabrice ne s’éveilla que le lendemain au point du jour; les chevaux poussaient de longs hennissements et faisaient un tapage affreux; l’écurie se remplissait de fumée. D’abord Fabrice ne comprenait rien à tout ce bruit, et ne savait même où il était; enfin à demi étouffé par la fumée, il eut l’idée que la maison brûlait; en un clin d’œil il fut hors de l’écurie et à cheval. Il leva la tête; la fumée sortait avec violence par les deux fenêtres au-dessus de l’écurie et le toit était couvert d’une fumée noire qui tourbillonnait. Une centaine de fuyards étaient arrivés dans la nuit à l’auberge du Cheval-Blanc; tous criaient et juraient. Les cinq ou six que Fabrice put voir de près lui semblèrent complètement ivres; l’un d’eux voulait l’arrêter et lui criait:

—Où emmènes-tu mon cheval?

Quand Fabrice fut à un quart de lieue, il tourna la tête; personne ne le suivait, la maison était en flammes. Fabrice reconnut le pont, il pensa à sa blessure et sentit son bras serré par des bandes et fort chaud. «Et le vieux colonel, que sera-t-il devenu? Il a donné sa chemise pour panser mon bras.» Notre héros était ce matin-là du plus beau sang-froid du monde; la quantité de sang qu’il avait perdue l’avait délivré de toute la partie romanesque de son caractère.

«A droite! se dit-il, et filons.» Il se mit tranquillement à suivre le cours de la rivière qui, après avoir passé sous le pont, coulait vers la droite de la route. Il se rappelait les conseils de la bonne cantinière. «Quelle amitié! se disait-il, quel caractère ouvert!»

Après une heure de marche, il se trouva très faible. «Ah çà! vais-je m’évanouir? se dit-il: si je m’évanouis, on me vole mon cheval, et peut-être mes habits, et avec les habits le trésor.» Il n’avait plus la force de conduire son cheval, et il cherchait à se tenir en équilibre, lorsqu’un paysan, qui bêchait dans un champ à côté de la grande route, vit sa pâleur et vint lui offrir un verre de bière et du pain.

—A vous voir si pâle, j’ai pensé que vous étiez un des blessés de la grande bataille! lui dit le paysan.

Jamais secours ne vint plus à propos. Au moment où Fabrice mâchait le morceau de pain noir, les yeux commençaient à lui faire mal quand il regardait devant lui. Quand il fut un peu remis, il remercia.

—Et où suis-je? demanda-t-il.

Le paysan lui apprit qu’à trois quarts de lieue plus loin se trouvait le bourg de Zonders, où il serait très bien soigné. Fabrice arriva dans ce bourg, ne sachant pas trop ce qu’il faisait, et ne songeant à chaque pas qu’à ne pas tomber de cheval. Il vit une grande porte ouverte, il entra: c’était l’auberge de l’Etrille. Aussitôt accourut la bonne maîtresse de la maison, femme énorme; elle appela du secours d’une voix altérée par la pitié. Deux jeunes filles aidèrent Fabrice à mettre pied à terre; à peine descendu de cheval, il s’évanouit complètement. Un chirurgien fut appelé, on le saigna. Ce jour-là et ceux qui suivirent, Fabrice ne savait pas trop ce qu’on lui faisait, il dormait presque sans cesse.

Le coup de pointe à la cuisse menaçait d’un dépôt considérable. Quand il avait sa tête à lui, il recommandait qu’on prît soin de son cheval, et répétait souvent qu’il paierait bien, ce qui offensait la bonne maîtresse de l’auberge et ses filles. Il y avait quinze jours qu’il était admirablement soigné, et il commençait à reprendre un peu ses idées, lorsqu’il s’aperçut un soir que ses hôtesses avaient l’air fort troublé. Bientôt un officier allemand entra dans sa chambre: on se servait pour lui répondre d’une langue qu’il n’entendait pas; mais il vit bien qu’on parlait de lui; il feignit de dormir. Quelque temps après, quand il pensa que l’officier pouvait être sorti, il appela ses hôtesses:

—Cet officier ne vient-il pas m’écrire sur une liste et me faire prisonnier?

L’hôtesse en convint les larmes aux yeux.

—Eh bien! il y a de l’argent dans mon dolman! s’écria-t-il en se relevant sur son lit, achetez-moi des habits bourgeois, et, cette nuit, je pars sur mon cheval. Vous m’avez déjà sauvé la vie une fois en me recevant au moment où j’allais tomber mourant dans la rue; sauvez-la-moi encore en me donnant les moyens de rejoindre ma mère.

En ce moment, les filles de l’hôtesse se mirent à fondre en larmes; elles tremblaient pour Fabrice; et comme elles comprenaient à peine le français, elles s’approchèrent de son lit pour lui faire des questions. Elles discutèrent en flamand avec leur mère; mais, à chaque instant, des yeux attendris se tournaient vers notre héros; il crut comprendre que sa fuite pouvait les compromettre gravement, mais qu’elles voulaient bien en courir la chance. Il les remercia avec effusion et en joignant les mains. Un juif du pays fournit un habillement complet; mais, quand il l’apporta vers les dix heures du soir, ces demoiselles reconnurent, en comparant l’habit avec le dolman de Fabrice, qu’il fallait le rétrécir infiniment. Aussitôt elles se mirent à l’ouvrage; il n’y avait pas de temps à perdre. Fabrice indiqua quelques napoléons cachés dans ses habits, et pria ses hôtesses de les coudre dans les vêtements qu’on venait d’acheter. On avait apporté avec les habits une belle paire de bottes neuves. Fabrice n’hésita point à prier ces bonnes filles de couper les bottes à la hussarde à l’endroit qu’il leur indiqua, et l’on cacha ses petits diamants dans la doublure des nouvelles bottes.

Par un effet singulier de la perte du sang et de la faiblesse qui en était la suite, Fabrice avait presque tout à fait oublié le français; il s’adressait en italien à ses hôtesses, qui parlaient un patois flamand, de façon que l’on s’entendait presque uniquement par signes. Quand les jeunes filles, d’ailleurs parfaitement désintéressées, virent les diamants, leur enthousiasme pour lui n’eut plus de bornes; elles le crurent un prince déguisé. Aniken, la cadette et la plus naïve, l’embrassa sans autre façon. Fabrice, de son côté, les trouvait charmantes; et vers minuit, lorsque le chirurgien lui eut permis un peu de vin, à cause de la route qu’il allait entreprendre, il avait presque envie de ne pas partir. «Où pourrais-je être mieux qu’ici?» disait-il. Toutefois, sur les deux heures du matin, il s’habilla. Au moment de sortir de sa chambre, la bonne hôtesse lui apprit que son cheval avait été emmené par l’officier qui, quelques heures auparavant, était venu faire la visite de la maison.

—Ah! canaille! s’écriait Fabrice en jurant, à un blessé!

Il n’était pas assez philosophe, ce jeune Italien, pour se rappeler à quel prix lui-même avait acheté ce cheval.

Aniken lui apprit en pleurant qu’on avait loué un cheval pour lui; elle eût voulu qu’il ne partît pas; les adieux furent tendres. Deux grands jeunes gens, parents de la bonne hôtesse, portèrent Fabrice sur la selle; pendant la route ils le soutenaient à cheval, tandis qu’un troisième, qui précédait le petit convoi de quelques centaines de pas, examinait s’il n’y avait point de patrouille suspecte sur les chemins. Après deux heures de marche, on s’arrêta chez une cousine de l’hôtesse de l’Etrille. Quoi que Fabrice pût leur dire, les jeunes gens qui l’accompagnaient ne voulurent jamais le quitter; ils prétendaient qu’ils connaissaient mieux que personne les passages dans les bois.

—Mais demain matin, quand on saura ma fuite, et qu’on ne vous verra pas dans le pays, votre absence vous compromettra, disait Fabrice.

On se remit en marche. Par bonheur, quand le jour vint à paraître, la plaine était couverte d’un brouillard épais. Vers les huit heures du matin, l’on arriva près d’une petite ville. L’un des jeunes gens se détacha pour voir si les chevaux de la poste avaient été volés. Le maître de poste avait eu le temps de les faire disparaître, et de recruter des rosses infâmes dont il avait garni ses écuries. On alla chercher deux chevaux dans les marécages où ils étaient cachés, et, trois heures après, Fabrice monta dans un petit cabriolet tout délabré, mais attelé de deux bons chevaux de poste. Il avait repris des forces. Le moment de la séparation avec les jeunes gens, parents de l’hôtesse, fut du dernier pathétique; jamais, quelque prétexte aimable que Fabrice pût trouver, ils ne voulurent accepter d’argent.

—Dans votre état, monsieur, vous en avez plus de besoin que nous, répondaient toujours ces braves jeunes gens.

Enfin ils partirent avec des lettres où Fabrice, un peu fortifié par l’agitation de la route, avait essayé de faire connaître à ses hôtesses tout ce qu’il sentait pour elles. Fabrice écrivait les larmes aux yeux, et il y avait certainement de l’amour dans la lettre adressée à la petite Aniken.

Le reste du voyage n’eut rien que d’ordinaire. En arrivant à Amiens il souffrait beaucoup du coup de pointe qu’il avait reçu à la cuisse; le chirurgien de campagne n’avait pas songé à débrider la plaie, et malgré les saignées, il s’y était formé un dépôt. Pendant les quinze jours que Fabrice passa dans l’auberge d’Amiens, tenue par une famille complimenteuse et avide, les alliés envahissaient la France, et Fabrice devint comme un autre homme, tant il fit de réflexions profondes sur les choses qui venaient de lui arriver. Il n’était resté enfant que sur un point: ce qu’il avait vu était-ce une bataille, et en second lieu, cette bataille était-elle Waterloo? Pour la première fois de sa vie il trouva du plaisir à lire; il espérait toujours trouver dans les journaux, ou dans les récits de la bataille, quelque description qui lui permettrait de reconnaître les lieux qu’il avait parcourus à la suite du maréchal Ney, et plus tard avec l’autre général. Pendant son séjour à Amiens, il écrivit presque tous les jours à ses bonnes amies de l’Etrille. Dès qu’il fut guéri, il vint à Paris; il trouva à son ancien hôtel vingt lettres de sa mère et de sa tante qui le suppliaient de revenir au plus vite. Une dernière lettre de la comtesse Pietranera avait un certain tour énigmatique qui l’inquiéta fort, cette lettre lui enleva toutes ses rêveries tendres. C’était un caractère auquel il ne fallait qu’un mot pour prévoir facilement les plus grands malheurs; son imagination se chargeait ensuite de lui peindre ces malheurs avec les détails les plus horribles.

«Garde-toi bien de signer les lettres que tu écris pour donner de tes nouvelles, lui disait la comtesse. A ton retour tu ne dois point venir d’emblée sur le lac de Côme: arrête-toi à Lugano, sur le territoire suisse.» Il devait arriver dans cette petite ville sous le nom de Cavi; il trouverait à la principale auberge le valet de chambre de la comtesse, qui lui indiquerait ce qu’il fallait faire. Sa tante finissait par ces mots: «Cache par tous les moyens possibles la folie que tu as faite, et surtout ne conserve sur toi aucun papier imprimé ou écrit; en Suisse tu seras environné des amis de Sainte-Marguerite 4. Si j’ai assez d’argent, lui disait la comtesse, j’enverrai quelqu’un à Genève, à l’hôtel des Balances, et tu auras des détails que je ne puis écrire et qu’il faut pourtant que tu saches avant d’arriver. Mais, au nom de Dieu, pas un jour de plus à Paris; tu y serais reconnu par nos espions.» L’imagination de Fabrice se mit à se figurer les choses les plus étranges, et il fut incapable de tout autre plaisir que celui de chercher à deviner ce que sa tante pouvait avoir à lui apprendre de si étrange. Deux fois, en traversant la France, il fut arrêté; mais il sut se dégager; il dut ces désagréments à son passeport italien et à cette étrange qualité de marchand de baromètres, qui n’était guère d’accord avec sa figure jeune et son bras en écharpe.

Enfin, dans Genève, il trouva un homme appartenant à la comtesse qui lui raconta de sa part, que lui, Fabrice, avait été dénoncé à la police de Milan comme étant allé porter à Napoléon des propositions arrêtées par une vaste conspiration organisée dans le ci-devant royaume d’Italie. Si tel n’eût pas été le but de son voyage, disait la dénonciation, à quoi bon prendre un nom supposé? Sa mère chercherait à prouver ce qui était vrai; c’est-à-dire:

1º Qu’il n’était jamais sorti de la Suisse;

2º Qu’il avait quitté le château à l’improviste à la suite d’une querelle avec son frère aîné.

A ce récit, Fabrice eut un sentiment d’orgueil. «J’aurais été une sorte d’ambassadeur auprès de Napoléon! se dit-il; j’aurais eu l’honneur de parler à ce grand homme, plût à Dieu!» Il se souvint que son septième aïeul, le petit-fils de celui qui arriva à Milan à la suite de Sforce, eut l’honneur d’avoir la tête tranchée par les ennemis du duc, qui le surprirent comme il allait en Suisse porter des propositions aux louables cantons et recruter des soldats. Il voyait des yeux de l’âme l’estampe relative à ce fait, placée dans la généalogie de la famille. Fabrice, en interrogeant ce valet de chambre, le trouva outré d’un détail qui enfin lui échappa, malgré l’ordre exprès de le lui taire, plusieurs fois répété par la comtesse. C’était Ascagne, son frère aîné, qui l’avait dénoncé à la police de Milan. Ce mot cruel donna comme un accès de folie à notre héros. De Genève pour aller en Italie on passe par Lausanne; il voulut partir à pied et sur-le-champ, et faire ainsi dix ou douze lieues, quoique la diligence de Genève à Lausanne dût partir deux heures plus tard. Avant de sortir de Genève, il se prit de querelle dans un des tristes cafés du pays, avec un jeune homme qui le regardait, disait-il, d’une façon singulière. Rien de plus vrai, le jeune Genevois flegmatique, raisonnable et ne songeant qu’à l’argent, le croyait fou; Fabrice en entrant avait jeté des regards furibonds de tous les côtés, puis renversé sur son pantalon la tasse de café qu’on lui servait. Dans cette querelle, le premier mouvement de Fabrice fut tout à fait du XVIe siècle: au lieu de parler du duel au jeune Genevois, il tira son poignard et se jeta sur lui pour l’en percer. En ce moment de passion, Fabrice oubliait tout ce qu’il avait appris sur les règles de l’honneur, et revenait à l’instinct, ou, pour mieux dire, aux souvenirs de la première enfance.

L’homme de confiance intime qu’il trouva dans Lugano augmenta sa fureur en lui donnant de nouveaux détails. Comme Fabrice était aimé à Grianta, personne n’eût prononcé son nom, et sans l’aimable procédé de son frère, tout le monde eût feint de croire qu’il était à Milan, et jamais l’attention de la police de cette ville n’eût été appelée sur son absence.

—Sans doute les douaniers ont votre signalement, lui dit l’envoyé de sa tante, et si nous suivons la grande route, à la frontière du royaume lombardo-vénitien, vous serez arrêté.

Fabrice et ses gens connaissaient les moindres sentiers de la montagne qui sépare Lugano du lac de Côme: ils se déguisèrent en chasseurs, c’est-à-dire en contrebandiers, et comme ils étaient trois et porteurs de mines assez résolues, les douaniers qu’ils rencontrèrent ne songèrent qu’à les saluer. Fabrice s’arrangea de façon à n’arriver au château que vers minuit; à cette heure, son père et tous les valets de chambre portant de la poudre étaient couchés depuis longtemps. Il descendit sans peine dans le fossé profond et pénétra dans le château par la petite fenêtre d’une cave: c’est là qu’il était attendu par sa mère et sa tante, bientôt ses sœurs accoururent. Les transports de tendresse et les larmes se succédèrent pendant longtemps, et l’on commençait à peine à parler raison lorsque les premières lueurs de l’aube vinrent avertir ces êtres qui se croyaient malheureux, que le temps volait.

—J’espère que ton frère ne se sera pas douté de ton arrivée, lui dit Mme Pietranera; je ne lui parlais guère depuis sa belle équipée, ce dont son amour-propre me faisait l’honneur d’être fort piqué: ce soir à souper j’ai daigné lui adresser la parole; j’avais besoin de trouver un prétexte pour cacher la joie folle qui pouvait lui donner des soupçons. Puis, lorsque je me suis aperçue qu’il était tout fier de cette prétendue réconciliation, j’ai profité de sa joie pour le faire boire d’une façon désordonnée, et certainement il n’aura pas songé à se mettre en embuscade pour continuer son métier d’espion.

—C’est dans ton appartement qu’il faut cacher notre hussard, dit la marquise, il ne peut partir tout de suite dans ce premier moment, nous ne sommes pas assez maîtresses de notre raison, et il s’agit de choisir la meilleure façon de mettre en défaut cette terrible police de Milan.

On suivit cette idée; mais le marquis et son fils aîné remarquèrent, le jour d’après, que la marquise était sans cesse dans la chambre de sa belle-sœur. Nous ne nous arrêterons pas à peindre les transports de tendresse et de joie qui ce jour-là encore agitèrent ces êtres si heureux. Les cœurs italiens sont, beaucoup plus que les nôtres, tourmentés par les soupçons et par les idées folles que leur présente une imagination brûlante, mais en revanche leurs joies sont bien plus intenses et durent plus longtemps. Ce jour-là la comtesse et la marquise étaient absolument privées de leur raison; Fabrice fut obligé de recommencer tous ses récits: enfin on résolut d’aller cacher la joie commune à Milan, tant il sembla difficile de se dérober plus longtemps à la police du marquis et de son fils Ascagne.

On prit la barque ordinaire de la maison pour aller à Côme; en agir autrement eût été réveiller mille soupçons; mais en arrivant au port de Côme la marquise se souvint qu’elle avait oublié à Grianta des papiers de la dernière importance: elle se hâta d’y envoyer les bateliers, et ces hommes ne purent faire aucune remarque sur la manière dont ces deux dames employaient leur temps à Côme. A peine arrivées, elles louèrent au hasard une de ces voitures qui attendent pratique près de cette haute tour du Moyen Age qui s’élève au-dessus de la porte de Milan. On partit à l’instant même sans que le cocher eût le temps de parler à personne. A un quart de lieue de la ville on trouva un jeune chasseur de la connaissance de ces dames, et qui par complaisance, comme elles n’avaient aucun homme avec elles, voulut bien leur servir de chevalier jusqu’aux portes de Milan, où il se rendait en chassant. Tout allait bien, et ces dames faisaient la conversation la plus joyeuse avec le jeune voyageur, lorsqu’à un détour que fait la route pour tourner la charmante colline et le bois de San Giovanni, trois gendarmes déguisés sautèrent à la bride des chevaux.

La Chartreuse De Parme

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