Читать книгу Alsace, Lorraine et France rhénane - Stéphen Coubé - Страница 18

#INTRODUCTION#

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La montagne de Sainte-Odile.

Par un beau jour ensoleillé du mois de juillet 1908, je me trouvais sur la montagne de Sainte-Odile et, de ce magnifique belvédère, je contemplais l'immense plaine alsacienne qui s'étend à ses pieds à perte de vue. Il était midi, lorsque, soudain, de tous les clochers, de toutes les houblonnières, de tous les bois de sapins, de tous les pieux villages blottis dans la verdure, j'entendis monter la voix des cloches, égrenant joyeusement les notes de l'Angélus. Et je me dis: «Quand donc l'Angélus de la délivrance sonnera-t-il pour l'Alsace? Quand donc l'Ange lui annoncera-t-il que le Sauveur est venu?»

Il est venu aujourd'hui le Sauveur. Il est apparu, le drapeau tricolore à la main, sur la crête des Vosges. Il est descendu dans la plaine, un peu trop vite peut-être tout d'abord, au mois d'août 1914. Que voulez-vous? Il était emporté par son cœur qui ne mesure jamais le danger. Lorsqu'on apprit que nos soldats avaient arraché les poteaux-frontières, qu'ils s'avançaient vers le Rhin, que leur drapeau avait flotté sur Mulhouse, une explosion de joie souleva toute la France. Elle dut bientôt, il est vrai, s'avouer qu'on ne vient pas à bout en quelques jours, à coups d'enthousiasme, d'une organisation militaire minutieusement préparée pendant quarante-quatre ans. Mais l'espérance et la certitude de la victoire, loin d'avoir diminué, n'ont cessé de croître depuis un an.

Le Sauveur est là, attendant son heure, l'heure de l'Angélus libérateur. Il a dit aux habitants de Thann: «Notre retour est définitif. Vous êtes français pour toujours. Je suis la France, vous êtes l'Alsace. Je vous apporte le baiser de la France!» Et les vieux Alsaciens pleuraient en entendant Joffre parler ainsi, en voyant le drapeau français claquer sur leur mairie et leur église, comme au temps de leur enfance.

L'Alsace et la Lorraine nous sont restées tendrement attachées. La cigogne n'a cessé de maudire le vautour prussien, paré des plumes de l'aigle, et elle a hâte d'entendre de nouveau son ami Chantecler jeter le nom de France du haut des clochers. Le vieux maréchal Fabert nous fait signe à Metz, Ney à Sarrelouis, Kellermann et Kléber à Strasbourg, Rapp à Colmar, Lefebvre à Rouffach. La Lorraine est toujours la patrie de Jeanne d'Arc et toujours française comme elle. L'Alsace est toujours la terre que Michelet appelait dans une phrase douce et caressante: «Alsace, petite France, plus France que la France!» La patrie de sainte Odile nous est restée fidèle, comme ses grands oiseaux blancs le sont à leurs nids broussailleux.

Du haut de sa montagne, entourée des hauts sapins qui se dressent à ses pieds comme des cierges embaumés, sainte Odile bénit nos soldats; car elle est bien Française la petite sainte Odile! De son vivant elle repoussait la main gantée de fer des princes allemands qui la voulaient épouser, comme l'Alsace repousse aujourd'hui la main gantée de sang du Kaiser. Et Jeanne d'Arc accourt vers elle avec nos drapeaux, et elles tombent dans les bras l'une de l'autre, en se disant: «Jeanne et Odile, France, Alsace et Lorraine, restons unies pour toujours!»

C'est bien entendu! Lorsque sonnera l'heure solennelle de la paix, le premier droit comme le premier devoir de la France victorieuse sera de reprendre les deux chères provinces qui lui furent arrachées par un rapt odieux. Mais là ne devront pas s'arrêter ses revendications.

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Les provinces cisrhénanes.

On trouve en descendant le Rhin, sur la rive gauche du grand fleuve, trois belles provinces, la Bavière rhénane, la Hesse rhénane, la Prusse rhénane. Or, ces provinces nous reviennent en vertu d'un droit historique certain.

D'abord, elles nous ont longtemps appartenu aux époques celtique, gallo-romaine, mérovingienne et carolingienne. Germanique à la surface, leur population, surtout dans les campagnes, est au fond gauloise d'âme et de sang. Elle ne ressemble pas à celle de l'autre côté du Rhin. «Loin des villes, dit le commandant Espérandieu dans sa remarquable brochure sur le Rhin français, le type qu'on rencontre communément est celui des agriculteurs de l'Alsace et de la Lorraine. Les grandes agglomérations, où le flot des immigrants s'est porté de préférence, sont plus allemandes; cependant, sauf à Cologne peut-être, dont la population a augmenté de façon prodigieuse en moins de cent ans, un Français n'éprouve nulle part la sensation d'être dépaysé[1].»

Au IXe et au Xe siècle, ces provinces nous ont été enlevées par une grande injustice diplomatique, mais elles ont gardé l'indélébile empreinte celtique. Les laisser à l'Allemagne serait consacrer une injustice et perpétuer une usurpation: usurpation, c'est le mot dont se servait Richelieu en parlant de la création du royaume de Lotharingie qui nous ravit pour la première fois la rive gauche du Rhin.

Sans remonter à Clovis et à Charlemagne, nous retrouvons dans notre histoire des titres plus récents que nous étudierons plus loin. Rappelons ici seulement que ce pays s'est donné à nous et s'est glorifié d'être français de 1795 à 1815. Il formait quatre départements, la Sarre, le Mont-Tonnerre, le Rhin-et-Moselle et la Roer. Sarrelouis, la ville de Louis XIV et la patrie de Ney, Trèves, la plus latine des cités du Nord dans les premiers siècles, Mayence, Coblentz, Cologne, Aix-la-Chapelle, anciens castella gallo-romains, toutes ces villes s'étaient reprises à nous aimer et elles arboraient fièrement nos couleurs, comme une parure. Elles nous aimeront encore, si tant est qu'elles nous aient oubliés, quand elles auront réappris à nous connaître, et nous verrons plus loin que l'amitié sera vite renouée, quand aura disparu la crainte de la schlague allemande et que la douceur de la civilisation française aura de nouveau enchanté leurs yeux et leurs cœurs.

Ces riches contrées ont d'ailleurs une importance capitale au point de vue militaire; elles sont nécessaires à notre défense nationale. Ce serait une suprême imprudence, une folie de les abandonner à l'ennemi, quand l'occasion propice s'offre à nous de les lui reprendre.

Foin des doctrines antimilitaristes qui ne cessent de nous crier: Pas d'annexion! Eh oui! il ne faut pas s'annexer le bien d'autrui, mais on peut, mais on doit s'annexer son propre bien, quand on en a été dépouillé par un vol odieux. Loin d'être une violence, c'est la réparation d'une injustice.

La France doit donc reprendre ainsi au moins la plus grande partie de la région cisrhénane, par exemple jusqu'à la ligne de l'Eifel, au nord de la Moselle. Elle pourrait offrir à la Belgique la partie située au delà de cette ligne et qui comprend Aix-la-Chapelle et Cologne. Mais si la Belgique, pour des raisons que je discuterai plus loin, n'en voulait pas, ce serait à la France d'y établir sa domination absolue ou du moins son protectorat. À aucun titre, l'Allemagne ne doit garder la moindre parcelle de territoire ou de puissance sur la rive gauche du Rhin.

[Note 1: Le Rhin français, Paris, Attinger: fr. 60.]

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L'irrédentisme français.

Il existe en Italie un parti des Irrédentistes. Ce sont les patriotes qui luttent pour la reconquête des terres italiennes, telles que Trieste et Trente, qui ne sont pas encore rachetées ou délivrées du joug de l'étranger: irredente. Sans doute ce mouvement est allé trop loin et a même été dirigé contre la France au temps de la défunte Triplice, alors que quelques agités parlaient de reprendre Nice à la France. Mais, en soi, il est naturel et légitime, car il est fondé sur le principe des nationalités bien compris.

Une nation a le droit de revendiquer un pays où elle retrouve ses frères, sa race, ses mœurs et où l'appellent une frontière naturelle, un droit historique découlant d'une possession antérieure, enfin et surtout le vœu des habitants.

Eh bien, il doit y avoir un irrédentisme français, appliqué à la rive gauche du Rhin, parce que cette rive est pour nous un patrimoine sacré. Elle nous a appartenu pendant plus de mille ans, avant d'être accaparée par la Germanie. Elle est enchaînée aujourd'hui; nous devons briser ses fers. Lorsque le Syndic de Chambéry présenta, en 1792, les clefs de sa ville au général de Montesquiou, il lui dit: «Nous ne sommes pas un peuple conquis, nous sommes un peuple délivré.» Voilà ce que devront nous dire bientôt tous les habitants de la rive gauche du Rhin.

Charles VII était un irrédentiste, quand il disait, en 1444: «_Le royaume de France a été, depuis beaucoup d'années, dépouillé de ses limites naturelles qui allaient jusqu'au Rhin; il est temps d'y rétablir sa souveraineté.»

Turenne était un irrédentiste, lorsqu'il disait au chevalier de la Fare, en 1674: «Il ne faut pas qu'il y ait un homme de guerre au repos en France tant qu'il y aura un Allemand en Alsace

Lazare Carnot était un irrédentiste, quand il écrivait: «Les limites anciennes et naturelles de la France sont le Rhin, les Alpes et les Pyrénées

Danton était un irrédentiste, quand il s'écriait à la Convention, le 31

janvier 1793: «Les limites de la France sont marquées par la Nature. Nous les atteindrons à leurs quatre points: à l'Océan, aux bords du Rhin, aux Alpes, aux Pyrénées

Merlin de Douai était un irrédentiste, quand il disait à la même tribune, le 24 septembre 1795: «Certes, ce n'est pas pour rentrer honteusement dans nos anciennes limites que les armées républicaines vont aujourd'hui, avec tant d'audace et de bravoure, chercher et anéantir au delà de ce fleuve redoutable (le Rhin) les derniers ennemis de la liberté

Cette phrase de Merlin s'applique avec une précision émouvante à notre temps. Si nos soldats luttent et meurent depuis un an avec tant d'héroïsme, c'est pour que la France soit à jamais délivrée du péril teuton. Or la possession des provinces cisrhénanes est indispensable pour cela: c'est la condition absolue de notre sécurité à l'avenir. Ce serait tromper et trahir le sang de nos morts que de ne pas aller jusqu'au bout de nos droits.

Napoléon était un irrédentiste, lorsqu'il écrivait cette phrase magnifique, où l'on retrouve la netteté, la majesté et la profondeur d'une pensée de Bossuet: «La France reprendra tôt ou tard… ses limites naturelles, celles du Rhin, qui sont un décret de Dieu, comme les Alpes et les Pyrénées

Victor Hugo était un irrédentiste, le jour où il disait: «Il faut rendre à la France ce que Dieu lui a donné, la rive gauche du Rhin

Oui, le Rhin nous attend. Nos drapeaux devront bientôt flotter joyeusement sur ses rives, de Bâle jusqu'à Cologne. La voix du sang français qu'il a bu, les ossements de nos pères qui dorment dans sa longue vallée, notre passé, notre avenir, le décret de Dieu nous y appellent. Les Allemands aiment à chanter la Wacht am Rhein: c'est à la France maintenant de chanter et surtout de monter, face à l'Est, la «garde du Rhin».

* * * * *

Le nom de «France rhénane».

Supposons un instant le problème résolu de la manière la plus complète.

Les drapeaux français flottent à Trèves, à Mayence, à Coblentz, à

Cologne, à Aix-la-Chapelle. Une question préalable se pose. Comment

appellerons-nous le pays qui s'étend au nord de l'Alsace et de la

Lorraine?

Il ne peut plus être question des dénominations actuelles, puisqu'elles

ne répondent plus à la réalité. Ces terres n'appartenant plus à la

Bavière, à la Hesse et à la Prusse, ne peuvent plus s'appeler Bavière,

Hesse ou Prusse rhénanes.

Nous avons rappelé plus haut que cette contrée, réunie à la France de 1795 à 1815, formait les départements de la Sarre, du Mont-Tonnerre, du Rhin-et-Moselle et de la Roer. On voudra sans doute revenir à cette ancienne division administrative et ressusciter ces noms: ce sera logique et patriotique. Mais pour la commodité et la nécessité du langage, il faudra en plus un vocable général, un nom précis et distinct englobant ces quatre départements.

Je propose de les appeler la France rhénane. Ce vocable s'inspire du même principe que les vocables allemands usités jusqu'ici, mais en tenant compte des conditions nouvelles où se trouveront ces provinces. Par le mot «rhénane», il désignera, comme toujours, leur position géographique; par le mot «France», il exprimera leur attribution politique actuelle, en même temps que leur vraie et ancienne nationalité. En effet les autochtones de la rive gauche n'ont jamais été ni bavarois, ni hessois, ni prussiens; ils sont de vieille souche gauloise, et leur race n'a pas été noyée sous le flot des immigrés, quel qu'ait été le nombre de ces tard-venus depuis un demi-siècle.

Nous aurons ainsi trois belles provinces aux noms clairs, sonores, populaires, aussi doux à nos oreilles qu'à nos cœurs: l'Alsace, la Lorraine et la France rhénane; trois provinces qui monteront la garde sur le Rhin.

J'avais aussi songé à un autre nom, celui d'Austrasie. C'était celui qui, à l'époque mérovingienne, désignait la France de l'Est et la région rhénane en particulier: il aurait l'avantage d'affirmer notre vieux droit historique. Lorsque Henri II fit, en 1552, la campagne rhénane où il reprit Metz, Toul et Verdun, son intention était de reconquérir non seulement l'Alsace et la Lorraine, mais les autres provinces cisrhénanes. Ce projet, nous le verrons, fut très populaire en France. Or le nom que l'on se proposait de donner à la région conquise était justement celui d'Austrasie.

Cependant ce nom aurait peut-être des inconvénients: les savants pourraient lui reprocher de restreindre à une portion de son territoire l'antique Austrasie qui était plus vaste; le public le trouverait sans doute trop archaïque, trop mérovingien, pas assez populaire. Aussi je ne le suggère que pour mémoire.

Également pour mémoire, je signale l'appellation de France ripuaire, qui serait très justifiée historiquement, car il s'agit de la contrée qu'habitaient les Francs Ripuaires ou riverains du Rhin: mais ce nom paraîtrait sans doute aussi un peu archaïque.

Je ne tiens d'ailleurs pas plus que de raison à celui de France rhénane: et j'applaudirai à toute autre dénomination plus juste que l'on pourra proposer.

Quoi qu'il en soit des noms, et bien qu'ils aient leur importance, l'essentiel est que la France enlève la rive gauche du Rhin à l'Allemagne et qu'elle y établisse son influence. Nous allons voir qu'elle y a un intérêt vital et un droit incontestable.

Alsace, Lorraine et France rhénane

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