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1699-1704

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Le Louvre au siècle dernier. — Les salles de l’Académie de peinture. — Compte rendu in-extenso de dix-huit séances de l’Académie royale de Danse. — La galerie d’Apollon. — Exposition de 1699. — L’opinion du Mercure. — Exposition de 1704.

LE vieux Louvre, ce livre de pierres, sur lequel dix rois ont signé leur nom, n’était pas encore achevé à la fin du siècle dernier. — Les façades de la cour carrée, entreprises ou réparées sous Louis XIII, Louis XIV et Louis XV ne furent jamais terminées. Les bâtiments qu’elles représentaient étaient abandonnés avant d’être achevés. La plupart manquaient de toitures ou n’en avaient que de provisoires, établies à la hâte, ne s’élevant pas même à la hauteur des murs de face. Et comme le Roi n’habitait plus Paris depuis les troubles de la Fronde, un monde de locataires de toute sorte s’était taillé dans cet immense palais des petits logements bourgeois. — Des gens de lettres, des artistes avaient obtenu la permission de s’y loger et d’y établir leur atelier. Les grandes antichambres désertes se trouvèrent divisées en une série de petites chambres. Telle pièce destinée au logement du Roi devint un appartement complet. «On en construisit même, dit Dulaure, dans des corps de logis qui n’avaient que des façades et qui manquaient de toits.»

Vers 1740, Boucher habitait la partie du premier étage où sont exposés aujourd’hui les dessins des vitraux de la chapelle de Dreux. Son atelier, comme la plupart de ceux de ses collègues de l’Académie, était ouvert au public à certains jours de la semaine.

«Plusieurs peintres, dit Mercier, ont dans ce palais leur atelier, et une multitude de rats leur domicile. C’est le cortège ordinaire des talents. — Celui qui vient à décéder dans les logements du Louvre, ajoute-t-il, ne peut se faire attacher à sa porte une aune de drap noir. Il faut qu’il déloge sans cérémonie; on enlève le corps sans qu’il soit exposé, et il est interdit aux murailles de porter les marques lugubres de la douleur de sa famille ()

On sait, en effet, qu’à moins d’être prince du sang de France, il était, de par les lois de l’étiquette, défendu de mourir officiellement dans une résidence royale. — La marquise de Pompadour, décédée au château de Versailles, le 14 avril 1764, fut une des rares exceptions à cette règle.

La superbe cour carrée, si sévère aujourd’hui dans sa richesse, était encombrée de gravois qui s’élevaient à la hauteur du premier étage, et, dans les endroits où l’on pouvait passer, on avait établi, au moment de la construction de la colonnade, des baraques hideuses qui peu à peu tombaient en ruines, et dont les débris ne furent enlevés qu’au bout d’un siècle, en 1772. On partagea alors la cour en quatre grands carrés de gazon, protégés par des barrières.

Devant la colonnade elle-même, une multitude de petits fripiers étalaient en plein air, sur la place, des guenilles et des haillons.

L’Académie-royale de peinture et de sculpture occupait la salle du palais où l’on a placé de nos jours le Radeau de la Méduse; puis le salon voisin où sont les médailles antiques, le salon octogone qui précède la galerie d’Apollon, la galerie elle-même, et deux autres petites salles, détruites aujourd’hui, et remplacées par ce gigantesque escalier qui conduit aux salles de l’école française.

Ces divers appartements contenaient quelques œuvres d’art qui sont restées la propriété du Musée. On y parvenait par un petit escalier en vis, dont l’entrée se trouvait sur la place du Louvre, à l’extrémité de la rue Froidmanteau.

Dans la première pièce, servant d’antichambre, la statue colossale de l’Hercule Farnèse, moulée sur l’antique, quelques tableaux, dont un de Chardin, et le portrait de Bon Boullongue peint par lui-même. Un escalier placé au fond de cette pièce conduit à la salle. des modèles pratiquée dans le comble. — Dans le second salon de l’Académie se trouve, outre le buste de Louis XIV par le chevalier Bernin, les portraits des directeurs et des protecteurs de l’Académie: Colbert, Mazarin, le marquis de Louvois, M. de Villacerf, le président de Lamoignon, le chancelier Séguier, Mansart et le duc d’Antin. Dans l’enfoncement, au fond de la pièce, sur un socle de marbre, le buste de Le Brun et celui de Mignard. Les armoires à hauteur d’appui qui règnent sur la gauche contiennent la bibliothèque de l’Académie et ses portefeuilles de dessins et d’estampes. — La quatrième salle, de forme circulaire, a son plafond en coupole, enrichi de sculptures par compartiments. Sur la porte d’entrée est placé le tableau de réception du chevalier Servandoni, représentant des ruines; sur la porte qui est en face, servant d’entrée à la salle d’assemblée, se voit le magnifique tableau de la descente de croix, peint par Jouvenet..... La cinquième pièce sert à MM. les Académiciens pour leurs assemblées. Au fond, le Buste en marbre de Louis XV, soutenu sur un piédestal de marbre, orné d’un bas-relief représentant ce prince prenant l’Académie sous sa protection. Ce morceau est de M. Ber-ruer. Les portières de cette pièce ont été travaillées aux Gobelins. On y voit aussi une belle pendule donnée à cette Académie par feu M. de Toulouse. — MM. les officiers de l’Académie y ont chacun un fauteuil, et MM. les Académiciens se tiennent derrière, sur des tabourets . Certes, le décor est imposant, et nous ne voudrions nuire en rien à la majesté du souvenir que doit éveiller dans l’esprit du lecteur l’idée de ces solennelles séances académiques; mais nous ne pouvons manquer de rapporter ici une anecdote qui courut jadis sur l’Académie royale de danse, fondée par Louis XIV, et dont le conseil siégeait dans la rue Basse, près de la porte Saint-Denis. — «Lorsque D... y fut reçu, Vestris, le grand Vestris, le diou de la danze, qui présidait l’assemblée, ouvrit la séance par la question: Messieurs, où irons-nous dîner? Après cette délibération intéressante et l’admission du nouveau membre, il proposa de faire graver un cachet pour sceller les expéditions. On prétend que la discussion sur les supports occupa dix-huit séances. Ceux qui étaient pour la force demandaient un hercule, les autres soutenaient qu’il fallait des anges pour exprimer la légèreté..... .»

Il faut rentrer dans le salon octogone pour aller à la galerie d’Apollon. Vous connaissez cette superbe salle aujourd’hui complètement restaurée. A cette époque, elle était, comme le reste du Louvre, un mélange de splendeur et de ruine. Un incendie l’avait détruite en partie et l’on se contentait de l’entretenir assez pour en empêcher la destruction complète. Seul, le chef-d’œuvre de Le Brun, qui orne encore le dernier compartiment du plafond, du côté de la rivière, avait résisté aux ravages du temps. Le peintre y a représenté le triomphe de Neptune et de Thélis. Ces divinités y paraissent sur un char tiré par des chevaux marins, les tritons et les néréides forment leur cour. Tout autour est un grand rideau qui semble n’avoir été levé que pour découvrir aux yeux cette magnifique peinture. Sur le devant de la corniche est une figure de fleuve en stuc, accoudé sur son urne .

C’est dans cette salle que se tint l’exposition de 1699. L’essai de 1673, renouvelé le 14 août 1675, avait occasionné à l’Académie naissante un tel surcroît de dépenses, qu’on avait rejeté l’exposition suivante à 1681. Mais les peintres ne répondirent pas à l’appel que leur fit Lemoyne, chargé de l’arrangement du Salon. Puis vint la mort de la Reine, qui retarda l’exposition de 1683. Enfin, après trente et un ans de séjour à l’hôtel de Brion, l’Académie s’installait au Louvre, et c’est alors qu’elle résolut d’inaugurer solennellement ce nouveau local par une exposition qui eut lieu du 20 août au 16 septembre 1699.

«M. Mansart, ex-intendant et ordonnateur général des bâtiments du Roi et protecteur de l’Académie, ayant représenté à Sa Majesté que les peintres et sculpteurs de son Académie royale auraient bien souhaité renouveler l’ancienne coutume d’exposer leurs ouvrages au public pour en avoir son jugement, et pour entretenir entre eux cette louable émulation si nécessaire à l’avancement des beaux-arts, Sa Majesté a non seulement approuvé ce dessein, mais leur a permis de faire l’exposition de leurs ouvrages dans la grande galerie de son palais du Louvre, et a voulu qu’on leur fournît du garde-meuble de la couronne toutes les tapisseries dont ils auraient besoin pour orner et décorer cette superbe galerie. Mais comme elle est d’une étendue immense, ayant deux cent vingt-sept toises de longueur, ils ont cru n’en devoir occuper que l’espace de cent quinze toises en faisant deux cloisons aux deux extrémités de cet espace.

«Sur la cloison de l’extrémité à gauche en entrant, il il y a un grand dais de velours vert, avec de grands galons et de grandes crépines d’or et d’argent, une estrade et un tapis de pied au-dessous, avec deux portraits, l’un de Sa Majesté, et l’autre de Monseigneur, par M. Perron. — Ensuite, et sur les deux côtés de la galerie, sont les tapisseries des actes des apôtres, faites sur les dessins de Raphaël; et, comme ces tapisseries sont d’une beauté extraordinaire, il n’y a aucun tableau dessus, mais seulement des ouvrages de sculpture.

«Savoir: au trumeau 2 à droite et du côté du Carrousel, sont les portraits du Roi, de la feue Reine et de Monseigneur.

«De ces trois portraits, celui du Roi est de bronze; les deux autres de marbre blanc, sur leurs scabellons aussi de marbre blanc, sont de M. Coysevox.

«...Au trumeau 5 est un buste d’Alexandre, dont la tête est de porphyre et faite de son temps. Le buste est d’un marbre très précieux sur lequel est une draperie de bronze, doré d’or moulu.

«Le scabellon est enrichi d’ornements de bronze doré. Ces buste et scabellon sont de M. Girardon.

«Aux deux côtés de ce buste sont deux vases de bronze de deux pieds de haut; sur l’un est le Triomphe de Vénus, et sur l’autre, celui de Galathée. Ils sont sur deux scabellons de marbre blanc, et ont servi de modèles aux grands vases qui sont dans le parc de Versailles, — faits par M. Girardon.

«Dans les croisées des trumeaux 1, 2 et 3, sont disposés en rang les portraits du premier et du second ambassadeur de Siam et du chancelier des dits ambassadeurs, peints par M. Benoist.

«...Au milieu de la galerie est la statue équestre du Roi, faite de bronze, de trois pieds deux pouces de haut. Elle est montée sur un piédestal soutenu de quatre termes, orné de plusieurs trophées.

«Dans le même endroit, et près de la dite statue équestre est un groupe de bronze du Ravissement de Proserpine, de trois pieds trois pouces de haut, lequel a servi de modèle pour le grand groupe de marbre qui est placé à Versailles, dans la colonnade, — fait par M. Girardon .»

Telle était la disposition du Salon de 1699, dont une petite gravure fort rare nous a conservé l’aspect général. Cette exposition qui inaugure d’une façon grandiose la longue série des Salons du Louvre, est peut-être la plus riche en chefs-d’œuvre de toutes celles que nous allons parcourir: Versailles, alors à l’apogée de sa splendeur, était devenu le plus magnifique palais du monde. Tous les artistes de l’Europe, aux gages du grand Roi, le peuplaient de merveilleux objets d’art. C’est à cette débauche de talents, à cette émulation excitée entre tous les membres de l’Académie que le Salon de 1699 dut une partie de sa splendeur.

Coypel le père, outre son portrait qui figura en 1874 à l’exposition faite dans la galerie du palais Bourbon au profit des émigrants alsaciens-lorrains, et qui appartient aujourd’hui à M. Dumont de l’Institut, avait exposé quatre grands tableaux:

Ptolémée Philadelphe qui donne la liberté aux Juifs; — Trajan empereur, donnant une audience; — Solon soutenant ses lois contre les objections des Athéniens; — Alexandre Sévère qui fait distribuer du blé au peuple de Rome par un temps de disette.

Ces quatre tableaux, destinés aux appartements du Roi à Versailles sont aujourd’hui au Musée du Louvre.

... En l’autre trumeau sont quatre tableaux de M. Jouvenet: Le sacrifice d’Iphigénie, — Le mariage de la Vierge, — La Madeleine aux pieds de notre Seigneur chez le Pharisien, — Marthe et Madeleine aux pieds du Sauveur.

Ces tableaux appartiennent également au Musée du Louvre.

Citons encore:

Le portrait de M. Desportes, peint par lui-même avec du gibier mort à ses pieds (Musée du Louvre), — ceux de M. le comte de Gassion et du Rd Père Bertin, minime par M. de Troy, — Le portrait de M. Coypel, en attitude de peindre par M. Coypel le fils, — La savante Mme Dacier, par Mlle Cheron, et M. Despréaux Boileau, célèbre poëte, par M. Bonis.

Cette remarquable exposition de 1699 fit grand bruit. Le Mercure de France lui-même qui se contentait alors de publier chaque semaine, avec un soin minutieux, le moindre détail des fêtes de la cour, daigna, pour la première fois depuis vingt-sept ans, descendre des hauteurs où il se tenait d’ordinaire et lui consacrer queques lignes:

«Messieurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture, dit-il, célébraient autrefois la fête de Saint-Louis par l’exposition de leurs plus beaux ouvrages qu’il était permis au public de venir admirer; mais comme ils étaient dans une cour ou ils avaient à craindre les injures du temps qui obligeait souvent de les retirer avant que la curiosité du public fût satisfaite, l’usage de cette fête avait été insensiblement aboli. Mais M. Mansart, ex-intendant et ordonnateur des bâtiments du Roi et protecteur de l’Académie, voulant renouveler tout ce qui peut contribuer à l’avancement des beaux-arts, et ayant, pour cet effet, obtenu du Roi que les ouvrages des peintres et sculpteurs seraient exposés dans les grandes galeries de son palais du Louvre, le peuple a marqué par son concours le plaisir que lui donne l’exposition de tant de chefs-d’œuvre. Les étrangers les ont admirés et tous sont demeurés d’accord qu’il n’y a que la France capable de produire tant de merveilles, et qu’elle est bien redevable au Roi, qui, par sa protection et ses libéralités, donne lieu aux beaux-arts de parvenir à un si haut degré de perfection, qu’il n’y a point aujourd’hui de nation qui peut oser prétendre y parvenir. Il y a une liste des ouvrages exposés .»

On le voit, c’était un succès, — un succès qui, à la vérité, ne devait pas de longtemps se renouveler. La mode, ce code civil des Parisiens, n’existait pas encore à cette époque, et les Salons de peinture ne devaient atteindre l’apogée de leur vogue que vers la fin du XVIIIe siècle. — Pour cette raison, ou pour d’autres que nous ignorons, l’exposition suivante n’eut lieu qu’en 1704, et avec elle commença cette affluence de portraits qui devait plus tard mettre si fort en colère l’auteur du Tableau de Paris.

M. Coysevox, directeur et l’un des quatre recteurs de l’Académie, a exposé les bustes de Mgr le Prince de Condé, de M. le Maréchal de Turenne, de M. le Maréchal de Vauban et de M. le chevalier de la Vallière.

M. Rigaud, adjoint et professeur: M. de la Fontaine, M. Mignard, M. de Santeuil et M. Coysevox.

Hyacinthe Rigaud, raconte le mémoire inédit des membres de l’Académie royale de peinture, fit en 1695 le voyage de Roussillon pour se rendre chez sa mère. il la peignit en trois différentes attitudes. Une de face, l’autre de profil et la troisième à trois quarts, afin que M. Coysevox, son ami, et l’un des plus habiles sculpteurs de France, qui devait sculpter en marbre ce portrait, eût plus de facilité à le faire. Et, «ne s’étant pas voulu tenir à cette marque d’amour pour elle, il l’a fait graver ensuite par le sieur Drevet, un des plus habiles graveurs au burin de ce temps, afin de multiplier et de reproduire en quelque façon à la postérité celle qui l’a mis au monde.»

Ces portraits figuraient également au Salon de 1704 et sont ainsi désignés au livret: Madame Rigaud la mère en trois différentes attitudes. Ils appartiennent au Musée du Louvre.

Rigaud exposait encore un portrait du Roi d’Espagne (le duc d’Anjou) en pied, grand comme le naturel. — Une copie de ce portrait, dont l’original est au Louvre, se trouve au château de Trianon dans le salon des Malachites.

Plusieurs tableaux destinés à la chapelle royale des Invalides: une Assomption de la Vierge, accompagnée d’un groupe d’anges qui jouent des instruments, par M. Coypel le père, dont le portrait, peint par lui-même, jouit également des honneurs du Salon, ainsi que celui de Madame son épouse.

Les douze Apôtres, par M. Jouvenet, pour être exécutés en grand aux Invalides.

Antoine Coypel, le fils, avait exposé trois tableaux qui sont aujourd’hui au Musée du Louvre: Suzanne jugée et condamnée à mort par les deux vieillards qui avaient essayé de la séduire, — Athalie qui déchire ses vêtements dans la surprise où elle est de voir Joas reconnu roy de Juda, — Esther en présence d’Assuérus.

Nous n’avons point l’ambition d’écrire une histoire de l’Académie royale de peinture et de sculpture, et moins encore celle d’énumérer les milliers de tableaux des maîtres français qui se sont succédé aux Salons du Louvre depuis 1704. Si nous nous sommes arrêtés avec plus de complaisance à ces premières expositions, c’est que, en raison de leur éloignement même, elles nous ont semblé présenter un intérêt particulier. — Si le lecteur veut bien nous suivre, nous allons parcourir ensemble cette longue série des Salons du siècle dernier, feuilletant le livret, nous arrêtant parfois devant un chef-d’œuvre, écoutant ce qu’en dit la foule, prenant notre part des appréciations et des on-dit du public. — Nous jetterons un coup d’œil aux critiques, écouterons chanter les couplets de vaudevilles, et, sans y mettre beaucoup du nôtre, grâce aux mémoires et aux pamphlets de l’époque, nous pourrons tracer un croquis, fort peu savant, à coup sûr, mais intéressant peut-être pour quelques-uns, de cette institution si parisienne, le Salon, qui, malgré les révolutions et les mœurs nouvelles, tient encore aujourd’hui le sceptre de la mode.

Histoire anecdotique des Salons de peinture depuis 1673

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