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CHAPITRE II.
ОглавлениеBonaparte officier d’artillerie. — 13 et 14 vendémiaire.
Bonaparte était à Valence, lorsque s’ouvrirent les états généraux (5 mai 1789): il se trouva, dès le commencement, mêlé aux passions du temps dans cette province du Dauphiné qui en fut si violemment agitée. Il était loin de prévoir encore jusqu’où le mèneraient ces événements.
Nommé par droit d’ancienneté capitaine au 4e régiment d’artillerie à pied, le 6 février 1791, il obtint peu après un congé. Etant alors allé en Corse, il trouva cette île profondément divisée entre le parti de l’indépendance, que soutenait l’Angleterre, et le parti français, que défendait faiblement Paoli. Pour lui, il se montra ce qu’il devait être toute sa vie, énergique et résolu; et ayant fait contre la garde nationale d’Ajaccio une vigoureuse sortie, il se vit accusé à Paris, par les mécontents, comme complice des troubles qu’il venait de réprimer. Cette accusation eut pour lui l’heureux résultat de le ramener à Paris; là, témoin des journées du 20 juin et du 10 août, il assista à ces premières tempêtes populaires après lesquelles lui seul, un jour, devait ramener le calme et la sérénité. Ayant vu, le 20 juin, le roi Louis XVI forcé de paraître à une des fenêtres des Tuileries, le bonnet rouge sur la tête: «Che coglione, s’écria-t-il à la vue de cette populace se ruant dans la demeure de ses rois, comment a-t-on pu laisser entrer cette canaille? Il fallait en balayer quatre ou cinq cents avec le canon, et le reste courrait encore .»
Le 10 août, il put être témoin des mêmes excès d’un côté, et de la même faiblesse de l’autre; il souffrait comme homme et comme soldat de voir victorieuses ces masses indisciplinées du peuple qu’il eût voulu faire rentrer dans l’ordre.
Son heure n’était pas encore venue. Vivant obscur à Paris, obligé, de mettre sa montre en gage , il eut alors à supporter avec courage et résignation ces épreuves difficiles qui attendent tout homme au commencement de sa carrière, fût-il un homme de génie.
Forcé de retourner en Corse, où il lui était plus facile de vivre au milieu de sa famille, il continua de s’y montrer défenseur zélé du parti français. Il attaqua Paoli, qui venait de faire défection, gagné par l’or et par les agents de l’Angleterre; mais il échoua deux fois contre Ajaccio, qu’il ne put reprendre. Pendant que sa famille, frappée d’un décret de bannissement, s’embarquait pour Nice, et peu après allait se fixer à Marseille, il se rendait à Paris, où le rappelait sans cesse son activité dévorante. Cette activité allait trouver enfin l’occasion de se satisfaire: c’était le moment où les Girondins, vaincus à Paris, soulevaient les départements, et Toulon venait d’être livré aux Anglais par les fédérés. L’armée de la Convention assiégeait la ville; Bonaparte fut envoyé par le comité de salut public pour diriger l’artillerie du siége, en qualité de commandant en second.
Arrivé au quartier général, le 12 septembre, il fut frappé tout d’abord de l’imperfection et de l’insuffisance des mesures déjà prises. Le 15 octobre, dans un conseil de guerre présidé par un représentant du peuple, il osa combattre un plan d’attaque envoyé par le comité de salut public, et en proposer un nouveau, qui consistait avant tout à s’emparer du Petit-Gibraltar. «Toulon est là, disait-il; soixante-douze heures après la prise de ce fort, nous serons maîtres de la ville.» Habile dans le conseil, il n’était pas moins brave dans l’action; après avoir commandé en général, il marchait en soldat, sachant bien que, pour dominer et entraîner les hommes, rien n’égale l’autorité de l’exemple. Un jour, un artilleur ayant été tué devant lui, il lui prit des mains le refouloir et chargea lui-même la pièce plusieurs fois; il y gagna une violente maladie de peau dont ce soldat avait été affecta; sa santé en fut altérée, mais son courage n’en fut pas diminué. Peu de temps après, dans une action très-vive où le général anglais O’Hara fut fait prisonnier, il recevait à la cuisse un coup de baïonnette qui fit craindre un instant la nécessité d’une amputation.
Chose peut-être plus merveilleuse encore, il savait communiquer aux autres ce courage dont il était rempli. Les canonniers ayant hésité un instant à servir une batterie exposée au feu de l’ennemi, il fit placer en avant un écriteau portant ces mots en gros caractères: «Batterie des hommes sans peur.» Le courage étant toujours, dans le soldat français, mêlé d’un grain de vanité, on s’envia aussitôt ce poste tout à l’heure tant redouté et que refusaient les plus braves. Lui-même, debout sur un parapet, resta exposé pendant trois jours à tous les dangers, du 14 décembre au 17; mais le Petit-Gibraltar fut pris, et il put alors dire à son vieux général accablé de fatigue: «Allez vous reposer maintenant; nous venons de prendre Toulon, vous y coucherez demain.» Ses prévisions étaient justes: le 19 décembre, péndant que la flotte anglaise, humiliée et vaincue, brûlait en vain nos vaisseaux et croyait détruire notre marine, l’armée républicaine faisait son entrée. La nouvelle de ce succès inespéré arriva à Paris, qui ne s’y attendait guère, au moment même où une lettre des représentants à l’armée d’Italie, datée du 15 décembre, conseillait de lever le siége et d’attendre jusqu’au printemps. Ce fut une acclamation générale et un applaudissement universel; le 25 décembre, la Convention elle-même, ordonnait une fête nationale.
En vain on eût voulu oublier le jeune commandant d’artillerie auquel était due une si grande victoire. «Récompensez et avancez ce jeune homme,» écrivait son général, capable de l’apprécier, sinon de commander mieux que lui; il aurait même ajouté, si l’on en croit les Mémoires de Napoléon, publiés par MM. de Montholon et Gourgaud: «Car si on était ingrat envers lui, il s’avancerait tout seul.»
Le grade de général de brigade fut donné à Bonaparte six semaines après, le 6 février 1794; et il fut chargé de diriger l’armement des côtes de la Méditerranée, puis de se rendre à l’armée d’Italie, pour y commander l’artillerie. Accusé de fédéralisme et dénoncé à la Convention, il échappa à ces dangers intérieurs, et s’acquitta glorieusement au dehors de la mission difficile qui lui avait été confiée. Les armées françaises, grâce à lui, occupèrent tous les ports de Marseille à Gênes, et elles se virent à l’entrée de l’Italie, dont les barrières étaient déjà même franchies. Lui-même, un matin, après une nuit passée sur le col de Tende, put voir au soleil levant ces belles plaines de la Péninsule, où peut-être déjà il brûlait de descendre.
De nouveaux dangers faillirent l’arrêter alors dans ses rêves de gloire. La révolution du 9 thermidor venait de renverser Robespierre, et tout homme soupçonné d’avoir été partisan du dictateur était accusé et condamné ; il se vit, comme tel, mis en état d’arrestation par les nouveaux représentants auprès de l’armée d’Italie, parmi lesquels était Salicetti, son jeune compatriote. Arrêté, il refusa les offres de Junot, son aide de camp, qui lui proposait de l’enlever de vive force aux gendarmes qui le gardaient; il aima mieux réclamer par les voies légales, en adressant aux représentants une note dans laquelle il lui était aisé de se justifier. Du reste, cette poursuite fut aussi promptement abandonnée qu’elle avait été légèrement entreprise.
Rendu à la liberté, Bonaparte fit, pendant les premiers mois de 1795, plusieurs voyages à Toulon et à Marseille, pour inspecter les arsenaux et les batteries; c’est alors qu’à Toulon il se distingua par un trait de générosité, comme il s’y était distingué autrefois par des traits de bravoure et des actions d’éclat. Un corsaire français avait pris un navire espagnol et trouvé à bord plusieurs émigrés, qui furent provisoirement conduits à la prison. Alors se forment dans les rues des rassemblements tumultueux, demandant la mort de ces infortunés; vainement les représentants eux-mêmes cherchent à calmer cette multitude ignorante et passionnée comme toujours. «A la lanterne, s’écrie-t-on, à la lanterne les protecteurs des émigrés!» Heureusement Bonaparte a reconnu parmi les chefs de l’émeute plusieurs canonniers qui avaient autrefois servi sous lui; il reprend sur eux tout son ascendant. La foule se retire, dans l’espérance que le lendemain, au point du jour, ceux qu’elle considère comme ses ennemis seront traduits devant une commission extraordinaire; mais, la nuit à peine venue, leur généreux libérateur les enferme dans des caissons et les fait sortir comme un convoi d’artillerie: la générosité et la clémence conviennent aux grands courages et aux nobles cœurs.
Celui qui sauvait ainsi les autres allait se voir lui-même persécuté et poursuivi de nouveau. La réaction girondine continuait depuis le 9 thermidor; Bonaparte fut destitué de son commandement et porté sur le tableau des généraux d’infanterie. Comme le ministre girondin Aubry, auquel il était venu adresser ses réclamations et ses plaintes, lui opposait sa jeunesse: «On vieillit vite, dit-il, sur le champ de bataille, et j’en arrive.» C’était une vive épigramme à l’adresse du ministre, qui, bien que n’ayant jamais vu le feu, venait de se créer de sa propre autorité général de division et inspecteur d’artillerie. Mais une pareille réponse n’était pas faite pour lui obtenir justice; aussi, n’ayant pas voulu se mettre en Vendée à la tête d’une guerre civile, ni surtout passer de l’artillerie dans l’infanterie, ce qu’il regardait comme une disgrâce et presque comme un déshonneur, il se trouva de nouveau refoulé dans l’obscurité et dans l’inaction.
Rentré à Paris, lui, le vainqueur de Toulon, l’organisateur de l’armée d’Italie, il vivait avec son aide de camp Junot dans un modeste hôtel garni, où les deux amis avaient une bourse commune et de communes privations. Il se trouva forcé de vendre, pour vivre, une collection précieuse d’ouvrages militaires qu’il avait rapportés de Marseille, malgré les faibles secours qui leur arrivaient parfois de leur famille. «Souvent, dit un historien, le général et son aide de camp, entièrement dénués de ressources, attendaient avec anxiété des nouvelles de la Bourgogne, séjour de la famille de Junot, pour savoir s’ils pourraient dîner.»
Accablé et fatigué de son oisiveté, comme d’autres l’eussent été du travail, Bonaparte se tourna alors un instant vers l’Orient, le pays des merveilles et des rêves; il voulait aller en Turquie former au service de l’artillerie les troupes du sultan, et il adressa à ce sujet une note au comité de la guerre. Nécessairement ces brillantes fantaisies d’un esprit amoureux des prodiges furent peu goûtées de ceux qui naguère avaient fermé l’oreille à de justes réclamations. Il fut donc obligé de rester à Paris, spectateur silencieux des luttes et des déchirements de la Convention, dont les membres se décimaient eux-mêmes et s’envoyaient à la mort les uns après les autres. Ces révolutions tumultueuses et souvent sanglantes devaient lui laisser l’espoir d’un changement prochain et d’un retour de fortune.
Parfois cependant il semblait oublier ces rêves d’une ambition contenue, pour s’abandonner tout entier à des émotions plus douces et presque pastorales. Junot connaissait Daubenton, qui, avec quelques savants non moins modestes et non moins heureux que lui, vivait au jardin des Plantes, monument de paix et de gloire au milieu des ruines de toute sorte. Bonaparte allait souvent entendre la parole du tranquille vieillard, parcourir les serres et goûter un instant, lui aussi, les consolantes douceurs de la retraite et de l’étude; c’est surtout vers le soir qu’il aimait à s’enfoncer sous de frais ombrages, jusqu’à ce que la nuit, le chassant de cette paisible retraite, vînt le rappeler malgré lui au sentiment d’une triste réalité.
Du reste, même au sein de déplorables événements, il avait le secret de demeurer grand et généreux. Salicetti, qui l’avait accusé autrefois malgré son innocence, compromis à son tour dans la conspiration de prairial, avait été décrété d’accusation; il aurait pu se venger de lui, il ne le fit pas; il lui reprocha seulement de s’être retiré chez Mme de Permon, au risque de faire tomber la tête de sa généreuse et imprudente protectrice. Il alla même chez cette dame, et accusa en termes violents la lâcheté de son compatriote. Mme de Permon nia qu’il fût venu lui demander un asile; cependant, quelques jours après, elle partait avec sa famille pour Bordeaux, emmenant Salicetti déguisé en domestique. A la première poste après Paris, au moment où l’on changeait de chevaux, une lettre lui fut remise. Voici ce qu’elle contenait:
«Je n’ai jamais voulu être pris pour dupe; je le serais à vos yeux, si je ne vous disais que je. sais, depuis plus de vingt jours, que Salicetti est caché chez vous. Rappelez-vous mes paroles, madame de Permon, le jour même du 1er prairial. J’en avais la certitude presque morale. Maintenant je le sais positivement. Salicetti, tu le vois, j’aurais pu te rendre le mal que tu m’as fait, et, en agissant ainsi, je me serais vengé, tandis que toi tu m’as fait du mal sans que je t’eusse offensé. Quel est le plus beau rôle en ce moment, du mien ou du tien? Oui, j’ai pu me venger, et je ne l’ai pas fait. Peut-être diras-tu que ta bienfaitrice te sert de sauvegarde. Il est vrai que cette considération est puissante. Mais seul, désarmé et proscrit, ta tête eût été sacrée pour moi. Va, cherche en paix un asile où tu puisses revenir à de meilleurs sentiments pour ta patrie. Ma bouche sera fermée sur ton nom et ne s’ouvrira jamais. Repens-toi, et surtout apprécie mes motifs. Je le mérite, car ils sont nobles et généreux.
«Madame de Permon, mes vœux vous suivent ainsi que votre enfant. Vous êtes deux êtres faibles, sans nulle défense. Que la Providence et les prières d’un ami soient avec vous. Soyez surtout-prudente, et ne vous reposez jamais dans les grandes villes. Adieu, recevez mes amitiés.»
«Cette lettre était sans signature, dit l’historien auquel nous empruntons ces détails, mais on en devina l’auteur. La générosité de Bonaparte fut d’autant plus admirée, que l’on connaissait toute la violence de son ressentiment.»
Malgré tant de véritable héroïsme, de dures épreuves lui étaient encore réservées; attaché un instant au comité topographique, il avait pu par une note réparer les fautes de Kellermann, et diriger de loin, une fois encore, cette armée d’Italie à laquelle on l’avait arraché. Mais au moment même où il semblait reprendre son ancienne position, un coup inattendu vint le frapper: un arrêté du comité de salut public le raya de la liste des officiers généraux. Il était donc victime d’hommes médiocres et impuissants qui l’outrageaient, qui le réduisaient même à la misère. Aussi déclamait-il avec autant de violence contre les élégants du jour qu’on appelait muscadins que contre les fautes répétées de la Convention; c’est alors qu’il s’écriait, en se frappant le front: «Et je n’ai pas vingt-six ans !»
Le moment approchait cependant où il allait paraître et pour ainsi dire éclater au sein de la tempête, le 13 et le 14 vendémiaire. Bien que, dans ces célèbres journées, la Convention, aux prises avec la population de Paris, eût nommé Barras commandant en premier, ce fut Bonaparte, commandant en second, qui gagna la victoire; ce fut lui qui, dans la rue Saint-Honoré, près de Saint-Roch, commanda le feu et dispersa les sections. Barras lui-même en convenait: «C’est à ses dispositions savantes et promptes, avait-il dit, qu’on doit la défense de cette enceinte, autour de laquelle il avait distribué les postes avec beaucoup d’habileté.» Quant à lui, Bonaparte, laissant ainsi à d’autres le soin de célébrer son triomphe, il s’occupait alors de faire absoudre le général Menou, voulant bien s’être montré plus habile que lui, mais sans pour cela le faire condamner à mort.
Il était désormais l’homme du nouveau gouvernement, le Directoire, qui venait de remplacer la Convention. Nommé général de division le 22 vendémiaire, il fut peu après appelé au commandement en chef de l’armée de l’intérieur. La position était difficile, car la famine régnait à Paris, et la faim ne s’apaise ni par la persuasion ni par la force; souvent cependant il fit plus par une repartie heureuse qu’un autre n’eût pu faire par le canon. Un jour, une femme du peuple, monstrueusement grasse, s’écriait, en apostrophant un groupe d’officiers: «Tout ce tas d’épauletiers se moquent de nous; pourvu qu’ils mangent et qu’ils s’engraissent bien, il leur est fort égal que le pauvre peuple meure de faim.» Bonaparte, qui était d’une maigreur extrême, l’interpelle: «Bonne femme, regarde-moi bien; quel est le plus gras de nous deux?» Lé peuple a ri et il est désarmé.
A cette époque, un matin, se présenta chez le général en chef un jeune garçon de douze ans; il venait redemander l’épée de son père, mort général de la république, et le lendemain, sa mère, Joséphine Beauharnais, venait elle-même remercier Bonaparte. Ce fut un grand moment dans la vie de ce dernier; car il aima dès lors celle qui devait être regardée comme son bon génie. Joséphine avait alors trente ans; fille d’un riche planteur de Saint-Domingue, elle était amie de Mme Tallien; par sa naissance, par ses relations, elle était donc digne de celui dont elle devait faire le bonheur. Le mariage fut célébré le 9 mars; douze jours après, Bonaparte quittait la capitale. Nommé général en chef de l’armée d’Italie, il allait enfin retourner dans ce beau pays, qu’il n’avait jamais perdu de vue dans ses projets et dans ses rêves. Il voulait un triomphe complet ou une complète disgrâce, et, en prenant congé d’un ami, il lui adressait ces mots, qui renfermaient toute sa pensée: «Dans trois mois je serai à Milan ou à Paris.» Avant de tenter cette grande entreprise, il voulut aller à Marseille visiter sa famille et embrasser sa mère: simplicité héroïque et touchante, qui fait aimer celui qu’on admire. Enfin, le 27 mars, il arriva au quartier général de Nice.
L’état-major, composé d’officiers en général plus âgés que lui, était peu favorablement disposé à son égard; dès la première entrevue, il sut se faire accorder le respect qu’on semblait prêt à lui refuser. «Au moment où les généraux se présentèrent chez lui pour le saluer, dit un historien à qui cette anecdote a été souvent racontée par le baron Desgenettes, il était occupé à consulter ses cartes, debout dans la chambre et tête nue; plongé dans ses méditations, il ne les avait pas entendus entrer. Dès qu’il les aperçut auprès de lui, il courut vers son chapeau qui était resté sur une chaise, le plaça vivement sur sa tête, et se retourna vers eux pour leur donner audience. La rapidité de son mouvement, la fierté de son regard, la hauteur de ses manières, produisirent sur eux une stupéfaction profonde; ils comprirent que ce jeune homme avait la conscience de son rang. Aucun ne fut tenté de mettre son autorité à l’épreuve.»
Peu de jours auparavant, la même chose était arrivée à Toulon. Decrès s’y trouvait alors, et, ayant beaucoup connu Bonaparte à Paris, il se croyait tout à fait libre avec lui. «Aussi, quand nous apprenons, raconte-t-il lui-même, que le nouveau général est sur le point d’arriver, je m’offre aussitôt à tous les camarades pour les présenter, en me faisant valoir de mes liaisons. Je cours plein d’empressement, de joie; le salon s’ouvre; je vais m’élancer, quand l’attitude, le regard, le son de voix suffisent pour m’arrêter; il n’y avait pourtant en lui rien d’injurieux, mais c’en fut assez; à partir de là, je n’ai jamais été tenté de franchir la distance qui m’avait été imposée .»