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UN CADET DE FAMILLE
XCIII

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La recherche du Français avait employé une si grande partie de notre temps, que, pour en réparer la perte, nous nous hâtâmes de regagner nos vaisseaux, et ce fut avec un plaisir réel que je trouvai le schooner presque en état de reprendre sa course.

Dans les renseignements que j'avais pris à Poulo-Pinang pour les transmettre à de Ruyter, se trouvait la nouvelle que la compagnie anglaise préparait une expédition pour aller attaquer les pirates à Sambas. Les maraudeurs, très-nombreux sur cette île, avaient commis un grand dégât, aussi bien sur terre que sur mer, dans les possessions de la Compagnie.

Les Anglais avaient donc pris la résolution d'attaquer les pirates dans leur résidence même, à Sambas; de son côté, de Ruyter avait le désir de s'opposer à la tentative des Anglais; malheureusement pour moi, le schooner était si fracassé qu'il était impossible de me mettre sur-le-champ à la recherche des croiseurs français, afin de les réunir à nous pour attaquer de concert la flotte de la Compagnie.

Enfin, et à ma grande satisfaction, je mis à la voile pour Java, tandis que de Ruyter se dirigeait vers Sambas; il emportait avec lui une bonne partie de mes hommes et deux canons du schooner.

J'avais pour commission un immense achat de vivres et le soin de faire parvenir au gouverneur de Batavia les dépêches de de Ruyter. Ces deux devoirs accomplis, il fallait, sans perdre de temps, revenir vers le grab.

Rien de particulier ne m'arriva pendant ma course à Java, si ce n'est la capture ou plutôt la recapture (car il avait été déjà pris par un vaisseau anglais) d'un petit bâtiment espagnol appartenant aux marchands des îles Philippines, chargé de camphre et des célèbres nids d'oiseaux bons à manger.

Il n'y avait à bord du vaisseau, quoique sa charge fût bien précieuse, que six matelots anglais et un midshipman; naturellement, toute résistance de leur part fut impossible.

Quelques jours avant ma conquête, un brigantin anglais de haut bord s'était emparé, à la hauteur des îles Philippines, d'un vaisseau espagnol chargé de nids. Quand, après avoir abordé le prisonnier, l'officier anglais demanda la nature du chargement, les Espagnols répondirent:

– Des nids d'oiseaux.

– Des nids d'oiseaux! s'écria le capitaine; comment! coquins, me prenez-vous pour un imbécile? Des nids d'oiseaux… brutes stupides! menteurs, insolents moricauds! je vais vous en donner, des nids d'oiseaux! Ouvrez les écoutilles!

Les matelots anglais fouillèrent le fond de cale, stupéfaits de ne trouver dans le vaisseau que des sacs de toile remplis de sales et boueux nids d'hirondelles. Croyant toujours que cet engrais gluant n'était là que pour cacher un transport plus précieux, les Anglais en jetèrent une grande partie dans la mer, afin d'arriver plus vite à la découverte de la véritable possession des Espagnols. Après avoir vidé le vaisseau, après l'avoir fouillé, sondé, visité, du pont en bas, les accapareurs restèrent les mains vides: il n'y avait réellement que des nids d'oiseaux. La tristesse désespérée des Espagnols excita la gaieté des Anglais. Ils accablèrent donc leurs prisonniers des réflexions les plus moqueuses sur l'étrange chargement qu'ils avaient pris aux îles Philippines.

À son retour sur le brigantin, l'officier fit à son commandant un récit circonstancié de la visite qu'il venait de faire.

– Les Espagnols n'avaient point menti, dit-il en riant; ils étaient véritablement gardiens d'un fumier d'ordures; je les ai débarrassés de ce sale arrimage.

– Vous avez bien fait, répondit le stupide commandant, et, comme le vaisseau est espagnol, nous devons le garder; il n'a plus que du ballast, il est vrai, mais le corps a quelque valeur.

– Vraiment, s'écria encore le stupide commandant, ces pauvres Espagnols avaient perdu la tête le jour où il leur vint la sotte idée de remplir leur vaisseau de bourbe, et à plus forte raison de mettre cette puante glaise dans des sacs.

À la suite de ce beau raisonnement, le capitaine chargea un midshipman et quatre marins de prendre la direction du vaisseau et de le conduire dans le port le plus voisin.

La seule chose sensée que fit ce John Bull fut de transporter sur le brigantin les prisonniers espagnols, qui, sans cette précaution, se seraient certainement permis de reprendre leur vaisseau.

À son arrivée dans un port chinois, le commandant raconta d'un air plaisant le tour de moquerie qu'il avait joué aux Espagnols. Son récit fut accueilli par un blâme si général, que le niais personnage comprit enfin la perte considérable qu'il venait de faire.

À cette époque, les nids mangeables se vendaient au marché chinois trente-deux dollars espagnols la rattie, ce qui faisait évaluer la charge du vaisseau à quatre-vingt-dix mille livres. Le pauvre diable de capitaine, dont vingt ans de service n'avaient pas garni l'escarcelle de cent livres d'économie, se désespéra, s'arracha les cheveux et reprit la mer avec l'espoir de regagner le vaisseau.

Pour la première fois de sa vie, le commandant du brigantin se recommanda à la miséricorde de Dieu; mais le ciel ne jugea pas à propos d'écouter cette sordide prière, et le vaisseau, mal dirigé par les marins, échoua sur les côtes de la Chine. La trouvaille de quatre livres d'or n'aurait pas donné aux Chinois la satisfaction qu'ils ressentirent en voyant arriver près d'eux cette cargaison de nids d'hirondelles.

L'annonce de l'aubaine parcourut le pays comme un feu grégeois; alors les timides Chinois oublièrent leur crainte du danger, ne firent attention ni aux vents ni aux vagues, et se précipitèrent à travers le ressac écumant. Les forts foulèrent aux pieds les faibles, les frères passèrent sur leurs frères, et tous arrivèrent sur le vaisseau naufragé; le pauvre vaisseau fut si bien pillé qu'il flotta sur l'eau aussi légèrement que le ferait une boîte à thé vide; pas un morceau, pas même un fragment de la cargaison ne fut laissé sur les parois du fond de cale.

Le vainqueur de la prise dont je venais de m'emparer à mon tour appartenait à la classe savante du commandant anglais. Ce fut donc son ignorance qui fit mon succès, et, pour être bien certain de ne pas perdre ma prise, je la mis en touage derrière le grab.

Louis, le munitionnaire, qui était avec moi, me demanda la permission d'aller à bord du navire capturé pour y faire l'expérience culinaire de la soupe renommée de nids d'hirondelles. Cette soupe a, dans la Chine, une si grande réputation de saveur, qu'elle a donné naissance à ce proverbe: «Si l'esprit de la vie, si l'âme immortelle quittait le corps d'un homme, l'odeur seule de ce mets divin le ferait revenir, sachant bien que le paradis ne peut offrir de délices qui soient comparables à cette merveilleuse nourriture.»

– Capitaine, me dit Louis avant de quitter le grab, si je parviens à introduire en Europe cet excellent potage, et le non moins célèbre arrah-punch, je serai, à bon droit, aussi connu que Van Tromp ou que le prince de Galles? Hein! dites! savez-vous?

Excité par cette glorieuse ambition, Louis le Grand fit mille politesses au cuisinier chinois, et se mit si joyeusement à l'ouvrage, que vers le soir il me pria de lui envoyer un bateau, afin de m'apporter un échantillon de son triomphant succès.

Ce mets est bon, mais il est trop gluant pour un estomac habitué comme l'était le mien à une chère simple et frugale. Le nid, fondu par la cuisson, devient une gelée brune; on ajoute à cette gelée des nerfs de daim, des pieds de cochon, les nageoires d'un jeune requin, des œufs de pluvier, du macis, de la cannelle et du poivre rouge.

La fameuse soupe de tortue a le goût fade en comparaison de l'épicé potage aux nids d'hirondelles; cependant la réelle saveur du mets mérite d'être connue par les nombreux gastronomes européens, et je les engage fort à faire cette offrande à leur précieux palais.

Un Cadet de Famille, v. 3/3

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