Читать книгу Troïlus et Cressida - Уильям Шекспир, William Szekspir, the Simon Studio - Страница 5
ACTE PREMIER
SCÈNE III
ОглавлениеLe camp grec devant la tente d'Agamemnon. Les trompettes sonnent
Paraissent AGAMEMNON, NESTOR, ULYSSE MÉNÉLAS et autres chefs
AGAMEMNON. – Princes, quel chagrin jaunit ainsi vos visages? Dans toutes les entreprises commencées sur la terre, les vastes promesses que fait l'espérance ne sont jamais complétement remplies; les obstacles et les revers naissent du sein même des actions les plus élevées: comme les noeuds formés par la rencontre de la séve déforment le pin robuste, et détournent du cours naturel de sa croissance sa veine errante et tortueuse. Il n'est pas nouveau, à nos yeux, princes, de nous être si fort trompés dans nos conjectures, qu'après sept années de siége, les murs de Troie sont encore debout. Dans toutes les entreprises qui nous ont devancé, dont nous avons la tradition, l'exécution a toujours rencontré des obstacles et des traverses, et n'a point répondu au but qu'on se proposait, ni à cette vague figure imaginaire à laquelle la pensée avait donné une forme imaginaire. Pourquoi donc, princes, contemplez-vous notre ouvrage d'un front si consterné? Pourquoi voyez-vous autant d'affronts dans ce qui n'est en effet qu'une épreuve prolongée par le grand Jupiter, pour trouver la constante persévérance chez les hommes? Ce n'est point dans les faveurs de la fortune que la trempe de cette vertu se reconnaît; car alors le lâche et le brave, le sage et l'insensé, le savant et l'ignorant, l'homme dur et l'homme sensible, paraissent tous se ressembler et être de la même famille. C'est dans les vents d'orage qu'excite son courroux que la Gloire, armée d'un large van, sépare et rejette toute la balle; mais ce qui a de la consistance et du corps reste seul riche en vertu et sans mélange.
NESTOR. – Avec le respect qui est dû à votre place suprême, illustre Agamemnon, Nestor fera l'application de vos dernières paroles. Les vicissitudes de la fortune sont la véritable épreuve des hommes. Lorsque la mer est calme, combien de légers esquifs osent se hasarder sur son sein patient, et faire route à côté des vaisseaux de haut bord10. Mais que l'impétueux Borée vienne à courroucer la paisible Thétis, voyez alors les vaisseaux aux robustes flancs fendre les montagnes liquides, et, comme le coursier de Persée11, bondir entre les deux humides éléments. Où est alors la présomptueuse nacelle dont la faible structure osait, il n'y a qu'un moment, rivaliser avec la grandeur? Elle a fui dans le port, ou bien elle est déjà engloutie par Neptune. De même, c'est dans les orages de l'adversité que la valeur apparente et la valeur réelle se distinguent. Sous l'éclat brillant de ses rayons, le troupeau est plus tourmenté par le taon que par le tigre; mais, lorsque le vent destructeur fait ployer le genou au chêne noueux et que l'insecte se met à l'abri, l'animal courageux12, excité par la fureur de la tempête, s'irrite avec elle, et répond sur le même ton à la fortune ennemie.
Sic ubi magna novum Phario de littore puppis
Solvit iter jamque innumeros utrinque rudentes
Lataque veliferi porrexit brachia mali,
Invasitque vias, it eodem angusta Phalesus
Æquore, immensi partem sibi vindicat Austri.
ULYSSE. – Agamemnon, illustre général, toi qui es les os et les nerfs de la Grèce, le coeur de nos soldats, l'âme et l'esprit dans lesquels doivent se concentrer tous les caractères et toutes les volontés, écoute ce que dit Ulysse. – D'abord je dois donner l'approbation et les applaudissements qui sont dus à vos harangues, à la tienne, ô toi le plus puissant par ton rang et ton autorité, et à la tienne, Nestor, vénérable par tes longues années. Il faudrait les graver sur une table de bronze que montreraient Agamemnon et la main de la Grèce. Nestor aussi mériterait d'être représenté sur l'argent, enchaînant toutes les oreilles des Grecs à sa langue éloquente par un lien d'air aussi fort que le pivot sur lequel tourne le ciel13. Cependant, sous votre bon plaisir à tous deux, toi, puissant roi, et toi, sage vieillard, daignez écouter Ulysse.
AGAMEMNON. – Parle, prince d'Ithaque; nous sommes bien plus certains que tu ne prends pas la parole pour traiter des sujets inutiles et sans importance, que nous ne le sommes de n'entendre aucun trait d'ingénieuse éloquence, ni aucun oracle de sagesse, quand le grossier Thersite ouvre sa mâchoire de dogue.
ULYSSE. – Troie, debout encore sur ses fondements, serait en ruines, et l'épée du grand Hector n'aurait plus de maître, sans les obstacles que je vais nommer. La règle et les droits de l'autorité ont été méprisés: voyez combien de tentes grecques s'élèvent sur cette plaine; eh bien, comptez autant de factions. Lorsque celle du général ne ressemble pas à la ruche, où doivent revenir toutes les abeilles dispersées dans les champs, quel miel peut-on espérer? Quand la distinction des rangs est méconnue, le plus indigne paraît beau sous le masque. Les cieux mêmes, les planètes et ce globe, centre de l'univers14, observent les degrés, les prééminences et les distances respectives; régularité dans leurs cours divers, marche constante, proportions, saisons, formes, tout suit un ordre invariable. Et c'est pourquoi le soleil, cette glorieuse planète, sur son trône, brille en roi au milieu des autres qui l'environnent: son oeil réparateur corrige les malins aspects des planètes malfaisantes, et son influence souveraine, telle que l'ordre d'un monarque, agit et gouverne, sans obstacle ni contradiction, les bonnes et les mauvaises étoiles. – Mais lorsque les planètes, troublées et confondues, sont errantes et en désordre, alors que de pestes, que de prestiges, que de séditions! La mer est furieuse, la terre tremblante et les vents déchaînés; les terreurs, les changements, les horreurs brisent l'unité, déchirent et déracinent de fond en comble la paix des États arrachés à leur repos. De même, quand la subordination est troublée, elle qui est l'échelle de tous les grands projets, alors l'entreprise languit. Par quel autre moyen, que par la subordination, les degrés dans les écoles, les communautés et les corporations dans les villes, le commerce paisible entre des rivages séparés, les droits de la naissance et de la primogéniture, les prérogatives de l'âge, des couronnes, des sceptres et des lauriers peuvent-ils être maintenus à leur rang légitime? Otez la subordination, mettez cette corde hors de l'unisson, et écoutez quelle dissonance va suivre. Toutes choses se rencontrent pour se combattre: les eaux renfermées dans leur lit enflent leur sein plus haut que leurs bords et trempent la masse solide de ce globe: la force devient la maîtresse de la faiblesse, et le fils brutal va étendre son père mort à ses pieds. La violence s'érige en droit, ou plutôt le juste et l'injuste, que sépare la justice assise au milieu de leur choc éternel, perdent leurs noms, et la justice anéantie périt aussi; alors chacun se revêt du pouvoir, le pouvoir de la volonté, la volonté de la passion, et la passion, ce loup insatiable, ainsi secondée du pouvoir et de la volonté, doit nécessairement faire sa proie de toutes choses et finir par se dévorer elle-même. Grand Agamemnon, voilà le chaos qui est inévitable, lorsque la subordination est étouffée; c'est ce mépris de la subordination qui fait reculer d'un pas, lorsqu'on a le projet de monter. Le général est méprisé par l'officier qui est à un pas au-dessous de lui, celui-ci par le suivant, le suivant par celui qui est au-dessous de lui, ainsi chacun suivant l'exemple du premier, qui s'est dégoûté de son supérieur, est pris d'une fièvre d'envie et d'une émulation pâle et sans énergie: c'est cette fièvre qui maintient Troie sur sa base, et non pas sa propre puissance. Pour conclure ce discours déjà trop long, Troie subsiste par notre faiblesse et non par sa force.
NESTOR. – Ulysse a parlé avec sagesse, il a découvert le mal dont toute notre armée est infectée.
AGAMEMNON. – La nature du mal étant connue, Ulysse, quel en est le remède?
ULYSSE. – Le grand Achille, que l'opinion couronne, comme la force et le bras droit de notre armée, ayant l'oreille remplie du bruit de sa renommée, devient délicat sur son propre mérite, et reste étendu dans sa tente à se moquer de nos desseins. A ses côtés, nonchalamment couché sur un lit, Patrocle, tout le long du jour, fait assaut avec lui de propos bouffons; et ce calomniateur appelle imitation les traits ridicules et gauches sous lesquels il prétend nous contrefaire. Tantôt, illustre Agamemnon, il se met à jouer ta mission souveraine; semblable à un acteur affecté, dont tout le mérite est dans son jarret, et qui croit que c'est une merveille d'entendre les planches retentir et répondre à l'impulsion de son pied tendu; c'est par cette farce chargée et déplorable qu'il contrefait ta majesté. – Lorsqu'il parle, c'est comme un carillon qu'on raccommode; et il exhale des termes si outrés que, dans la bouche mugissante de Typhon même, ils paraîtraient encore des hyperboles. A ces mauvaises plaisanteries, le vaste Achille, étendu sur son lit gémissant, applaudit en tirant de sa poitrine profonde un bruyant éclat de rire, et s'écrie: «Excellent! c'est Agamemnon au naturel. – Allons, joue-moi Nestor à présent; fais hem! hem! et caresse ta barbe15 comme le vieillard, lorsqu'il se prépare à nous débiter sa harangue.» Patrocle obéit, et se rapproche de Nestor comme les extrémités de deux lignes parallèles16, il lui ressemble comme Vulcain à sa femme. Cependant le bon Achille s'écrie toujours: «Excellent! c'est Nestor en personne! allons, représente-le-moi, Patrocle, lorsqu'il s'arme pour répondre à une alarme nocturne.» Et alors, les infirmités mêmes de la vieillesse deviennent un objet de risée; Patrocle de tousser, de cracher, de tâtonner d'une main paralytique son gorgerin17, sans pouvoir en ajuster l'agrafe; et à ce jeu, notre chevalier La Valeur de mourir de rire et de s'écrier: «Oh! assez, Patrocle, ou donne-moi des côtes d'acier: je briserai les miennes en me dilatant la rate18.» C'est de cette manière que tous nos talents, nos facultés, nos caractères, nos personnes, toutes nos qualités les plus estimables, nos exploits, nos inventions, nos ordres, nos défenses, nos défis au combat, ou nos négociations pour les trêves, nos succès ou nos pertes, ce qui est et ce qui n'est pas sert de matière aux bouffonneries de ces deux personnages.
NESTOR. – Et l'exemple de ce couple, que l'opinion, comme l'a dit Ulysse, proclame de sa voix souveraine, infecte beaucoup de gens. Ajax est devenu volontaire; il porte la tête tout aussi haut que le grand Achille: comme lui, il garde sa tente, il y donne des festins séditieux, il raille nos plans de guerre avec la hardiesse d'un oracle, et il excite Thersite, ce vil esclave, dont le fiel forge sans cesse des calomnies comme une monnaie, à nous comparer à la fange, à rabaisser et discréditer notre conduite et nos actions, de quelque imminent péril que nous soyons environnés.
ULYSSE. – Ils blâment notre prudence et la taxent de poltronnerie; ils tiennent la sagesse comme inutile à la guerre, ils dédaignent la prévoyance et n'estiment d'autres actes que ceux de la main. Les calmes facultés intellectuelles qui règlent le nombre de ceux qui doivent frapper, quand une occasion favorable les appelle, qui savent, par les travaux de l'observation et de la pensée, peser les forces de l'ennemi, tout cela ne vaut pas un seul doigt de la main: ils appellent tout cela des ouvrages de lit, fatras géographique, guerre de cabinet: en sorte que le bélier qui renverse les murailles par le grand élan et la force de ses coups passe à leurs yeux avant la main qui a créé cette machine et avant l'âme intelligente qui en guide à propos le mouvement.
NESTOR. – Si on accorde cela, bientôt le cheval d'Achille vaudra plusieurs fils de Thétis.
(On entend une trompette.)
AGAMEMNON. – Quelle est cette trompette? Voyez, Ménélas.
MÉNÉLAS. – Elle vient de Troie.
(Entre Énée.)
AGAMEMNON. – Qui vous amène devant notre tente?
ÉNÉE. – Est-ce ici la tente du grand Agamemnon, je vous prie?
AGAMEMNON. – Ici même.
ÉNÉE. – Un guerrier, prince et héraut à la fois, peut-il faire entendre un message loyal à son oreille royale?
AGAMEMNON. – Il le peut avec plus de sûreté que n'en pourrait garantir le bras d'Achille à la tête de tous les Grecs, qui, d'une voix unanime, nomment Agamemnon leur chef et leur général.
ÉNÉE. – Noble permission et sécurité étendue. Mais comment un étranger pourra-t-il reconnaître les regards souverains de cet illustre chef et le distinguer des yeux des autres mortels?
AGAMEMNON. – Comment?
ÉNÉE. – Oui, je le demande pour éveiller mon respect et tenir mes joues prêtes à se colorer d'une rougeur modeste, comme celle de l'Aurore quand elle regarde d'un oeil chaste le jeune Phoebus, qui est ce dieu en dignité qui guide ici les hommes? qui est le grand et puissant Agamemnon?
AGAMEMNON. – Ce Troyen se rit de nous, ou les guerriers de Troie sont de cérémonieux courtisans.
ÉNÉE. – Désarmés, ils sont des courtisans aussi francs et aussi doux que des anges qui s'inclinent; telle est leur renommée dans la paix; mais dès qu'ils prennent le maintien des guerriers, ils sont pleins de fiel, ils ont des bras robustes, des jarrets fermes et des épées fidèles; et Jupiter sait que nul n'a plus de coeur. Mais silence, Énée; silence, Troyen: pose ton doigt sur tes lèvres. L'éloge perd son lustre et son mérite, lorsqu'il sort de la bouche même de l'homme qui en est l'objet: la seule louange que la renommée publie est celle que l'ennemi accorde avec peine: voilà la seule louange pure et transcendante.
AGAMEMNON. – Seigneur, qui êtes de Troie, vous vous appelez Énée?
ÉNÉE. – Oui, Grec; tel est mon nom.
AGAMEMNON. – Quelle affaire vous amène, je vous prie?
ÉNÉE. – Pardonnez: mon message est pour les oreilles d'Agamemnon.
AGAMEMNON. – Agamemnon ne donne point d'audience particulière à ceux qui viennent de Troie.
ÉNÉE. – Et je ne viens pas non plus de Troie pour murmurer à son oreille. J'apporte avec moi une trompette pour le réveiller, pour exciter ses sens à une attention profonde, et alors je parlerai.
AGAMEMNON. – Parle aussi librement que les vents. Ce n'est pas ici l'heure où Agamemnon est endormi: et pour te convaincre, Troyen, qu'il est éveillé, c'est lui-même qui te le déclare.
ÉNÉE. – Trompette, retentis: que ta voix d'airain résonne dans toutes ces tentes oisives, et que tout Grec courageux sache que les loyales propositions offertes par Troie seront offertes tout haut. (La trompette sonne.) Illustre Agamemnon, nous avons à Troie un prince nommé Hector, fils de Priam, qui se rouille dans l'inaction d'une trêve trop prolongée. Il m'a ordonné d'amener avec moi un trompette, et de vous parler ainsi: – Rois, princes et chefs! si parmi les premiers de la Grèce, il en est un qui estime son honneur plus que son repos, qui soit plus jaloux de gloire qu'alarmé des dangers, qui connaisse sa valeur et ne connaisse pas la peur, qui aime sa maîtresse d'un amour plus vrai que de simples protestations faites avec de vains serments aux lèvres de celle qu'il aime, et qui ose soutenir sa beauté et sa vertu dans d'autres bras que les siens, à lui ce défi: Hector, à la vue des Troyens et des Grecs, prouvera (ou du moins il fera tous ses efforts pour le faire) que sa dame est plus sage, plus belle, plus fidèle, que jamais Grec n'en ait enlacée de ses bras; et demain matin, s'avançant à mi-chemin des murs de Troie, il provoquera à son de trompe un Grec fidèle en amour. – Si quelqu'un se présente, Hector l'honorera: s'il ne vient personne, rentré dans Troie, il y publiera que les dames grecques sont toutes brûlées par le soleil, et que pas une ne vaut la peine qu'on brise une lance pour elle. J'ai dit.
AGAMEMNON. – Énée, on annoncera ce défi à nos amants. Si aucun d'eux n'a le courage d'y répondre, nous les aurons laissés tous dans notre patrie. Mais nous sommes soldats, et qu'il ne soit jamais qu'un lâche, le soldat qui n'a pas été, qui n'est pas, ou qui ne se promet pas d'être amoureux. S'il s'en trouve un seul qui soit, qui ait été ou qui se promette d'être amoureux, c'est lui qui se mesurera avec Hector: s'il n'y en a aucun, ce sera moi.
NESTOR. – Parle-lui aussi de Nestor, d'un vieillard qui était déjà homme, lorsque l'aïeul d'Hector tétait encore. Il est vieux à présent; mais s'il ne se trouvait pas dans notre armée un noble Grec qui eût une étincelle de courage pour répondre pour sa dame, dis à Hector, de ma part, que je cacherai ma barbe argentée sous un casque d'or, que j'enfermerai ce bras décharné dans mon armure, et qu'acceptant son défi, je lui déclarerai que ma dame était plus belle que son aïeule, et aussi chaste que qui que ce soit au monde. C'est ce que je prouverai à sa jeunesse bouillante, avec les trois gouttes de sang qui me restent dans les veines.
ÉNÉE. – Que le ciel ne permette pas une si grande disette de jeunes guerriers!
ULYSSE. – Ainsi soit-il.
AGAMEMNON. – Noble seigneur, laissez-moi vous toucher la main: je veux vous conduire à notre tente. Achille sera informé de ce message, ainsi que tous les chefs de la Grèce, de tente en tente. Il faut que vous soyez de nos festins avant votre départ, et vous recevrez de nous l'accueil d'un noble ennemi.
(Ils sortent tous, excepté Ulysse et Nestor.)
ULYSSE. – Nestor?
NESTOR. – Que dit Ulysse?
ULYSSE. – Mon cerveau vient de concevoir un germe d'idée: soyez pour moi ce qu'est le temps pour les projets, aidez-moi à la faire éclore.
NESTOR. – Quelle est-elle?
ULYSSE. – La voici: les coins épais fendent les noeuds les plus durs. L'orgueil a atteint toute sa maturité dans le vain coeur d'Achille, il est monté en graine: il faut l'abattre maintenant, ou bien il va répandre sa semence et enfanter une pépinière de maux semblables dont nous serons tous accablés.
NESTOR. – Sans doute; mais comment?
ULYSSE. – Ce défi qu'envoie le brave Hector, quoique offert en général à tous les Grecs, s'adresse pourtant en intention au seul Achille.
NESTOR. – L'intention est aussi claire que l'est aux yeux l'état d'une fortune dont un petit nombre de chiffres expose le total. Et ne doutez pas qu'à la publication de ce défi, Achille, son cerveau fût-il aussi aride que les sables de la Libye (quoique, Apollon le sait, il soit peu fertile), ne manquera pas de concevoir, d'un jugement rapide et très-vite, qu'il est le but auquel vise Hector.
ULYSSE. – Et cela l'excitera-t-il à lui répondre, croyez-vous?
NESTOR. – Oui, et il le faut; car quel autre guerrier, capable d'enlever à Hector l'honneur de ce défi, pourriez-vous lui opposer, si ce n'est Achille? Quoique ce combat ne soit qu'un jeu, cependant cette épreuve est fort importante: par là, les Troyens veulent apprécier notre mérite le plus renommé par celui d'entre eux qui peut le mieux en juger; et croyez-moi, Ulysse, notre valeur sera étrangement pesée d'après la fortune de ce combat isolé. Car le succès, bien qu'appartenant à un individu, servira de mesure au bon ou au mauvais succès général. Quoique de semblables index ne soient qu'un point en comparaison des volumes qui vont suivre, on y découvre pourtant le tableau abrégé de la masse des choses qui vont être développées. On supposera que celui qui lutte avec Hector est le champion de choix, et ce choix, étant l'acte unanime de tous les Grecs, tombe sur le mérite d'un homme qui semble extrait de chacun de nous et composé de toutes nos vertus. S'il échoue, quel coeur en recevra un pressentiment de victoire, pour affermir son opinion avantageuse de lui-même? Et c'est cette opinion de soi, dont les membres ne sont que les instruments; ils agissent sous son impulsion, comme l'arc et l'épée sont dirigés par le bras.
10
Stace a la même comparaison.
11
Allusion à la fable des ailes prêtées à Persée par Minerve.
12
On dit que le tigre redouble de fureur dans les tempêtes; cette opinion n'est nullement fondée.
13
Le bronze est le symbole de la force et de la durée, l'argent celui de la douceur; on dit en anglais une bouche d'argent, comme en grec, en latin et en français une bouche d'or; Chrysostôme: il y a dans le texte le verbe to hatch (hacher), ancienne expression de graveur. Les commentateurs ont pris ce passage pour texte de leurs dissertations, et ont fini par n'être plus d'accord.
14
Le système de Ptolémée était alors en vogue.
15
Tange manu inentum, tangunt quo more precantes. Optabis merito cum mala multa viro. (OVIDE.)
16
«Les parallèles dont il s'agit semblent être les lignes parallèles des cartes géographiques.» (JOHNSON.)
17
Pièce d'armure pour défendre la gorge.
18
La rate est, disait-on, l'organe du rire.