Читать книгу Le roi Lear - Уильям Шекспир, William Szekspir, the Simon Studio - Страница 5
ACTE PREMIER
SCÈNE IV
ОглавлениеUne salle du palais
Entre KENT déguisé
KENT. – Si je puis seulement réussir à emprunter des accents qui déguisent ma voix, il se peut faire que les bonnes intentions qui m'ont engagé à déguiser mes traits obtiennent leur plein effet. Maintenant, Kent le banni, si tu peux te rendre utile dans ces lieux où tu vis condamné, (et puisse-t-il en être ainsi!) ton maître chéri te retrouvera plein de zèle.
(Cors de chasse. Lear paraît avec ses chevaliers et sa suite.)
LEAR. – Qu'on ne me fasse pas attendre le dîner une seule minute: allez, servez-le. (Sort un domestique.) – Ah! ah! qui es-tu, toi?
KENT. – Un homme, seigneur.
LEAR. – Qu'est-ce que tu sais faire? Que veux-tu de nous?
KENT. – Je sais n'être pas au-dessous de ce que je parais; servir fidèlement celui qui aura confiance en moi; aimer celui qui est honnête; converser avec celui qui est sage et qui parle peu; redouter les jugements; me battre quand je ne peux pas faire autrement; et ne pas manger de poisson7.
LEAR. – Qui es-tu?
KENT. – Un très-honnête garçon, aussi pauvre que le roi.
LEAR. – Si tu es aussi pauvre pour un sujet qu'il l'est pour un roi, tu es assez pauvre. Que veux-tu?
KENT. – Du service.
LEAR. – Qui voudrais-tu servir?
KENT. – Vous.
LEAR. – Me connais-tu, maraud?
KENT. – Non, seigneur; mais vous avez dans votre physionomie quelque chose qui fait que j'aimerais à vous dire: Mon maître.
LEAR. – Qu'est-ce que c'est?
KENT. – De l'autorité.
LEAR. – De quel service es-tu capable?
KENT. – Je puis garder d'honnêtes secrets; courir à cheval, à pied; gâter une histoire intéressante en la racontant, et rendre platement un simple message. Je suis propre à tout ce que peut faire le commun des hommes. Ce que j'ai de mieux, c'est l'activité.
LEAR. – Quel âge as-tu?
KENT. – Je ne suis pas assez jeune, seigneur, pour m'amouracher d'une femme à l'entendre chanter, ni assez vieux pour en raffoler n'importe pour quelle raison. J'ai sur les épaules quelque quarante-huit ans.
LEAR. – Suis-moi, tu vas me servir: si après le dîner tu ne me déplais pas plus qu'à présent, je ne te congédierai pas de sitôt. – Le dîner, holà! le dîner. – Où est mon petit drôle, mon fou? Allez me chercher mon fou. (Entre Oswald.) – Eh! vous, l'ami, où est ma fille?
OSWALD. – Avec votre permission…
(Il sort.)
LEAR. – Qu'est-ce qu'il a dit là? Rappelez-moi ce manant. – Où est mon fou? Holà! je crois que tout dort ici. – Eh bien! où est-il donc ce métis?
UN CHEVALIER. – Il dit, seigneur, que votre fille ne se porte pas bien.
LEAR. – Pourquoi ce gredin-là n'est-il pas revenu sur ses pas quand je l'ai appelé?
LE CHEVALIER. – Seigneur, il m'a déclaré tout bonnement qu'il ne le voulait pas.
LEAR. – Qu'il ne le voulait pas!
LE CHEVALIER. – Seigneur, je ne sais pas quelle en est la raison; mais, à mon avis, Votre Grandeur n'est pas accueillie avec cette affection respectueuse qu'on avait coutume de vous montrer. J'aperçois une grande diminution de bienveillance chez tous les gens de la maison, aussi bien que chez le duc lui-même et chez votre fille.
LEAR. – Vraiment! le penses-tu?
LE CHEVALIER. – Je vous prie de me pardonner, seigneur, si je me suis trompé; mais mon devoir ne peut se taire quand je crois Votre Majesté offensée.
LEAR. – Tu ne fais que me rappeler mes propres idées. Je me suis bien aperçu depuis peu de beaucoup de négligence; mais j'étais disposé plutôt à m'accuser moi-même d'une exigence trop soupçonneuse, qu'à y voir une conduite et une intention désobligeantes. J'y regarderai de plus près. – Mais où est mon fou? Je ne l'ai pas vu depuis deux jours.
LE CHEVALIER. – Depuis que ma jeune maîtresse est partie pour la France, seigneur, votre fou a bien dépéri.
LEAR. – En voilà assez là-dessus. Je l'ai bien remarqué. Allez, et dites à ma fille que je veux lui parler. (Sort un chevalier.)– Vous, allez me chercher mon fou. (Sort un chevalier; rentre Oswald.) – Eh! vous, l'ami! l'ami! approchez. Qui suis-je, s'il vous plaît?
OSWALD. – Le père de ma maîtresse.
LEAR. – Le père de ma maîtresse! et vous le valet de votre maître. Chien de bâtard! esclave! mâtin!
OSWALD. – Je ne suis rien de tout cela: je vous demande pardon, seigneur.
LEAR. – Je crois que tu t'avises de me regarder en face, insolent!
(Il le frappe.)
OSWALD. – Je ne veux pas être battu, seigneur.
KENT. – Ni donner du nez en terre non plus, mauvais joueur de ballon8.
(Il le prend par les jambes et le renverse.)
LEAR. – Je te remercie, ami; tu me rends service, et je t'aimerai.
KENT. – Allons, relevez-vous, mon maître, et dehors. Je vous apprendrai votre place. Hors d'ici! hors d'ici! Si vous voulez prendre encore la mesure d'un lourdaud, restez ici. Mais, dehors! allons, y pensez-vous? Dehors!
(Il pousse Oswald dehors.)
LEAR. – Tu es un garçon dévoué; je te remercie. Voilà les arrhes de ton service.
(Il lui donne de l'argent.)
(Entre le fou.)
LE FOU, à Lear. – Laisse-moi le prendre aussi à mes gages. – Tiens, voici ma cape9.
(Il donne à Kent son bonnet.)
LEAR. – Eh bien! pauvre petit, comment vas-tu?
LE FOU, à Kent. – Tu ferais bien de prendre ma cape.
KENT. – Pourquoi, fou?
LE FOU. – Pourquoi? parce que tu prends le parti de celui qui est dans la disgrâce. Vraiment, si tu ne sais pas sourire du côté où le vent souffle, tu auras bientôt pris froid. Allons, mets ma cape. – Eh! oui, cet homme a éloigné de lui deux de ses filles, et a rendu la troisième heureuse bien malgré lui. Si tu t'attaches à lui, il faut de toute nécessité que tu portes ma cape. —(A Lear.) Ma foi, noncle10, je voudrais avoir deux capes et deux filles.
LEAR. – Pourquoi, mon garçon?
LE FOU. – Si je leur donnais tout mon bien, je garderais pour moi mes deux capes. Mais tiens, voilà la mienne; demandes-en une autre à tes filles.
LEAR. – Prends garde au fouet, petit drôle.
LE FOU. – La vérité est le dogue qui doit se tenir au chenil, et qu'on chasse à coups de fouet; pendant que Lady, la chienne braque, peut venir nous empester au coin du feu.
LEAR. – C'est une peste pour moi que ce coquin-là.
LE FOU. – Mon cher, je veux t'enseigner une sentence.
LEAR. – Voyons.
LE FOU. – Écoute bien, noncle.
Aie plus que tu ne montres;
Parle moins que tu ne sais;
Prête moins que tu n'as;
Va plus à cheval qu'à pied;
Apprends plus de choses que tu n'en crois;
Parie pour un point plus bas que celui qui te vient;
Quitte ton verre et ta maîtresse,
Et tiens-toi coi dans ta maison;
Et tu auras alors
Plus de deux dizaines à la vingtaine.
LEAR. – Cela ne signifie rien, fou.
LE FOU. – C'est, en ce cas, comme la harangue d'un avocat sans salaire: vous ne m'avez rien donné pour cela. Est-ce que vous ne savez pas tirer parti de rien, noncle?
LEAR. – Non, en vérité, mon enfant; on ne peut rien faire de rien.
LE FOU, à Kent. – Je t'en prie, dis-lui que c'est à cela que se monte le revenu de ses terres; il n'en voudrait pas croire un fou.
LEAR. – Tu es un fou bien mordant.
LE FOU. – Sais-tu, mon garçon, la différence qu'il y a entre un fou mordant et un fou débonnaire?
LEAR. – Non, petit; apprends-le moi.
LE FOU.
Ce lord qui t'a conseillé
De te dépouiller de tes domaines,
Viens, place-le ici près de moi;
Ou bien toi, prends sa place.
Le fou débonnaire et le fou mordant
Seront aussitôt en présence:
L'un ici en habit bigarré,
Et on trouvera l'autre là.
LEAR. – Est-ce que tu m'appelles fou, petit?
LE FOU. – Tu as cédé tous les autres titres que tu avais apportés en naissant.
KENT. – Ceci n'est pas tout à fait de la folie, seigneur.
LE FOU. – Non, en vérité; les lords et les grands personnages ne veulent rien me concéder. Si j'avais un monopole, il leur en faudrait leur part, et aux dames aussi: elles ne me laisseront pas les sottises à moi tout seul, elles en tireront leur lopin. – Donne-moi un oeuf, noncle, et je te donnerai deux couronnes.
LEAR. – Qu'est-ce que ce sera que ces deux couronnes?
LE FOU. – Voilà, quand j'aurai coupé l'oeuf par le milieu et mangé tout ce qui est dedans, je te donnerai les deux couronnes de l'oeuf11. Lorsque tu as fendu ta couronne par le milieu, et que tu as donné à droite et à gauche les deux moitiés, tu as porté ton âne sur ton dos, au milieu de la fange. Tu n'avais guère de cervelle dans la couronne chauve de ton crâne, lorsque tu as laissé aller ta couronne d'or. Si je parle ici comme un fou que je suis, que le premier qui le trouvera soit fouetté.
7
And to eat no fish. Manger du poisson était en Angleterre, du temps d'Élisabeth, un signe de catholicisme, et par conséquent réprouvé par l'opinion. La phrase populaire pour désigner un vrai patriote était: C'est un honnête homme, il ne mange pas de poisson. Il fallut, pour soutenir les pêcheries, qu'un acte du parlement ordonnât pendant quelques mois l'usage du poisson: cela s'appela le carême de Cécil (Cecil's fast). Dans l'Énéide travestie, la sibylle dit à Caron, pour l'engager à passer Énée, qu'il est Point Mazarin, fort honnête homme.
8
Base foot-ball player. Allusion aux mauvais joueurs de ballon, à qui le pied manque en courant.
9
Coxcomb, nom du bonnet que portaient les fous, parce qu'il était surmonté d'une crête de coq, cock's comb.
10
Nuncle, par contraction pour mine uncle, oncle à moi.
11
Les extrémités de la coquille de l'oeuf se nomment, en anglais, the crowns of the egg, les couronnes de l'oeuf.