Читать книгу Comme il vous plaira - Уильям Шекспир, William Szekspir, the Simon Studio - Страница 4
ACTE PREMIER
SCÈNE III
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Entrent CÉLIE et ROSALINDE
CÉLIE. – Quoi, cousine! quoi, Rosalinde! – Amour, un peu de pitié! Quoi, pas un mot!
ROSALINDE. – Pas un mot à jeter à un chien12.
CÉLIE. – Non; tes paroles sont trop précieuses pour être jetées aux roquets, mais jettes-en ici quelques-unes; allons, estropie-moi avec de bonnes raisons.
ROSALINDE. – Alors il y aurait deux cousines d'enfermées, l'une serait estropiée par des raisons13, et l'autre folle sans aucune raison.
CÉLIE. – Mais tout ceci regarde-t-il votre père?
ROSALINDE. – Non; il y en a une partie pour le père de mon enfant14. – Oh! que le monde de tous les jours est rempli de ronces!
CÉLIE. – Ce ne sont que des chardons, cousine, jetés sur toi par jeu dans la folie d'un jour de fête: mais si nous ne marchons pas dans les sentiers battus, ils s'attacheront à nos jupons.
ROSALINDE. – Je les secouais bien de ma robe; mais ces chardons sont dans mon coeur.
CÉLIE. – Chasse-les en faisant: hem! hem!
ROSALINDE. – J'essayerais, s'il ne fallait que dire hem et l'obtenir.
CÉLIE. – Allons, allons, il faut lutter contre tes affections.
ROSALINDE. – Oh! elles prennent le parti d'un meilleur lutteur que moi!
CÉLIE. – Que le ciel te protége! Tu essayeras, avec le temps, en dépit d'une chute. – Mais laissons là toutes ces plaisanteries, et parlons sérieusement: est-il possible que tu tombes aussi subitement et aussi éperdument amoureuse du plus jeune des fils du vieux chevalier Rowland?
ROSALINDE. – Le duc mon père aimait tendrement son père.
CÉLIE. – S'ensuit-il de là que tu doives aimer tendrement son fils? D'après cette logique, je devrais le haïr; car mon père haïssait son père: cependant je ne hais point Orlando.
ROSALINDE. – Non, je t'en prie, pour l'amour de moi, ne le hais pas.
CÉLIE. – Pourquoi le haïrai-je? N'est-il pas rempli de mérite?
ROSALINDE. – Permets donc que je l'aime pour cette raison; et toi, aime-le parce que je l'aime. – Mais regarde, voilà le duc qui vient.
CÉLIE. – Avec des yeux pleins de courroux.
(Frédéric entre avec des seigneurs de la cour.)
FRÉDÉRIC – Hâtez-vous, madame, de partir et de vous retirer de notre cour.
ROSALINDE. – Moi, mon oncle?
FRÉDÉRIC. – Vous, ma nièce; et si dans dix jours vous vous trouvez à vingt milles de notre cour, vous mourrez.
ROSALINDE. – Je supplie Votre Altesse de permettre que j'emporte avec moi la connaissance de ma faute. Si je me comprends moi-même, si mes propres désirs me sont connus, si je ne rêve pas ou si je ne suis pas folle, comme je ne crois pas l'être, alors, cher oncle, je vous proteste que jamais je n'offensai Votre Altesse, pas même par une pensée à demi conçue.
FRÉDÉRIC – Tel est le langage de tous les traîtres; si leur justification dépendait de leurs paroles, ils seraient aussi innocents que la grâce même: qu'il vous suffise de savoir que je me méfie de vous.
ROSALINDE. – Votre méfiance ne suffit pas pour faire de moi une perfide. Dites-moi quels sont les indices de ma trahison?
FRÉDÉRIC. – Tu es fille de ton père, et c'est assez.
ROSALINDE. – Je l'étais aussi lorsque Votre Altesse s'est emparée de son duché; je l'étais, lorsque Votre Altesse l'a banni. La trahison ne se transmet pas comme un héritage, monseigneur; ou si elle passait de nos parents à nous, qu'en résulterait-il encore contre moi? Mon père ne fut jamais un traître: ainsi, mon bon seigneur, ne me faites pas l'injustice de croire que ma pauvreté soit de la perfidie.
CÉLIE. – Cher souverain, daignez m'entendre.
FRÉDÉRIC. – Oui, Célie, c'est pour l'amour de vous que nous l'avons retenue ici; autrement, elle aurait été rôder avec son père.
CÉLIE. – Je ne vous priai pas alors de la retenir ici; vous suivîtes votre bon plaisir et votre propre pitié: j'étais trop jeune dans ce temps-là pour apprécier tout ce qu'elle valait; mais maintenant je la connais; si elle est une traîtresse, j'en suis donc une aussi, nous avons toujours dormi dans le même lit, nous nous sommes levées au même instant, nous avons étudié, joué, mangé ensemble, et partout où nous sommes allées, nous marchions toujours comme les cygnes de Junon, formant un couple inséparable.
FRÉDÉRIC. – Elle est trop rusée pour toi; sa douceur, son silence même, et sa patience, parlent au peuple qui la plaint. Tu es une folle, elle te vole ton nom; tu auras plus d'éclat, et tes vertus brilleront davantage lorsqu'elle sera partie; n'ouvre plus la bouche; l'arrêt que j'ai prononcé contre elle est ferme et irrévocable; elle est bannie.
CÉLIE. – Prononcez donc aussi, monseigneur, la même sentence contre moi; car je ne saurais vivre séparée d'elle.
FRÉDÉRIC. – Vous êtes une folle. – Vous, ma nièce, faites vos préparatifs; si vous passez le temps fixé, je vous jure, sur mon honneur et sur ma parole solennelle, que vous mourrez.
(Frédéric sort avec sa suite.)
CÉLIE. – O ma pauvre Rosalinde, où iras-tu? Veux-tu que nous changions de pères? Je te donnerai le mien. Je t'en conjure, ne sois pas plus affligée que je ne le suis.
ROSALINDE. – J'ai bien plus sujet de l'être.
CÉLIE. – Tu n'en as pas davantage, cousine; console-toi, je t'en prie: ne sais-tu pas que le duc m'a bannie, moi, sa fille?
ROSALINDE. – C'est ce qu'il n'a point fait.
CÉLIE. – Non, dis-tu? Rosalinde n'éprouve donc pas cet amour qui me dit que toi et moi sommes une? Quoi! on nous séparera? Quoi! nous nous quitterions, douce amie? non, que mon père cherche une autre héritière. Allons, concertons ensemble le moyen de nous enfuir; voyons où nous irons et ce que nous emporterons avec nous; ne prétends pas te charger seule du fardeau, ni supporter seule tes chagrins, et me laisser à l'écart: car, tu peux dire tout ce que tu voudras, mais je te jure, par ce ciel qui paraît triste de notre douleur, que j'irai partout avec toi.
ROSALINDE. – Mais où irons-nous?
CÉLIE. – Chercher mon oncle.
ROSALINDE. – Hélas! de jeunes filles comme nous! quel danger ne courrons-nous pas en voyageant si loin? La beauté tente les voleurs, encore plus que l'or.
CÉLIE. – Je m'habillerai avec des vêtements pauvres et grossiers et je me teindrai le visage avec une espèce de terre d'ombre; fais-en autant, nous passerons sans être remarquées, et sans exciter personne à nous attaquer.
ROSALINDE. – Ne vaudrait-il pas mieux, étant d'une taille plus qu'ordinaire, que je m'habillasse tout à fait en homme? Avec une belle et large épée à mon côté, et un épieu à la main (qu'il reste cachée dans mon coeur toute la peur de femme qui voudra!) j'aurai un extérieur fanfaron et martial, aussi bien que tant de lâches qui cachent leur poltronnerie sous les apparences de la bravoure.
CÉLIE. – Comment t'appellerai-je, lorsque tu seras un homme?
ROSALINDE. – Je ne veux pas porter un nom moindre que celui du page de Jupiter, ainsi, songe bien à m'appeler Ganymède, et toi, quel nom veux-tu avoir?
CÉLIE. – Un nom qui ait quelque rapport avec ma situation: plus de Célie; je suis Aliéna15.
ROSALINDE. – Mais, cousine, si nous essayions de voler le fou de la cour de ton père, ne servirait-il pas à nous distraire dans le voyage?
CÉLIE. – Il me suivra, j'en réponds, au bout du monde. Laisse-moi le soin de le gagner: allons ramasser nos bijoux et nos richesses; concertons le moment le plus propice, et les moyens les plus sûrs pour nous soustraire aux poursuites que l'on ne manquera pas de faire après mon évasion: allons, marchons avec joie… vers la liberté, et non vers le bannissement!
(Elles sortent.)
FIN DU PREMIER ACTE.
12
Expression proverbiale.
13
Lame me with reasons, rends-moi boiteuse par de bonnes raisons.
On a dernièrement voulu prouver par ces mots que Shakspeare était boiteux en traduisant: Prouvez-moi que je suis boiteux. On a compté combien de fois le mot lame était dans ses oeuvres; et chaque fois a été une preuve.
14
Mon futur époux.
15
Aliéna, mot latin; étrangère bannie.