Читать книгу Le Jour des Rois - Уильям Шекспир, William Szekspir, the Simon Studio - Страница 5

LE JOUR DES ROIS
OU
CE QUE VOUS VOUDREZ
ACTE PREMIER
SCÈNE III

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Appartement de la maison d'Olivia

SIR TOBIE et MARIE

SIR TOBIE. – Que diable prétend ma nièce en prenant si fort à coeur la mort de son frère? Je suis sûr, moi, que le chagrin est ennemi de la vie.

MARIE. – Sur ma parole, sir Tobie, il faut que vous veniez de meilleure heure le soir. Madame votre nièce a de grandes objections5 à vos heures indues.

SIR TOBIE. – Eh bien! qu'elle excipe avant d'être excipée6.

MARIE. – Fort bien; mais il faut vous confiner dans les modestes limites de l'ordre.

SIR TOBIE. —Confiner7! je ne me tiendrai pas plus finement que je ne fais; ces habits sont assez bons pour boire et ces bottes aussi, ou sinon qu'elles se pendent à leurs propres tirants.

MARIE. – Ces grandes rasades vous tueront: j'entendais madame en parler encore hier, ainsi que de cet imbécile chevalier que vous avez amené un soir ici pour lui faire la cour.

SIR TOBIE. – Quoi? sir André Ague-cheek?

MARIE. – Oui, lui-même.

SIR TOBIE. – C'est un homme des plus braves qu'il y ait en Illyrie.

MARIE. – Et qu'importe à la chose?

SIR TOBIE. – Comment! il a trois mille ducats de rente.

MARIE. – Oui! mais il ne fera qu'une année de tous ses ducats: c'est un vrai fou, un prodigue.

SIR TOBIE. – Fi! n'avez-vous pas honte de dire cela? Il joue de la viole de Gambo8, il parle trois ou quatre langues, mot à mot, sans livre, et il possède les meilleurs dons de nature.

MARIE. – Oh! oui, certes, il les possède au naturel; car, outre que c'est un sot, c'est un grand querelleur; et si ce n'est qu'il a le don d'un lâche pour apaiser la fougue qui l'emporte dans une querelle, c'est l'opinion des gens sensés qu'on lui ferait bientôt le don d'un tombeau.

SIR TOBIE. – Par cette main, ce sont des bélîtres, des détracteurs, que ceux qui tiennent de lui ces propos. – Qui sont-ils?

MARIE. – Ce sont des gens qui ajoutent encore qu'il est ivre toutes les nuits en votre compagnie.

SIR TOBIE. – A force de porter des santés à ma nièce: je boirai à sa santé aussi longtemps qu'il y aura un passage dans mon gosier, et du vin en Illyrie. C'est un lâche et un poltron9 que celui qui ne veut pas boire à ma nièce, jusqu'à ce que la cervelle lui tourne comme un sabot de village. Allons, fille, castiliano vulgo10: voici sir André Ague-face.

(Entre sir André Ague-cheek.)

SIR ANDRÉ. – Ah! sir Tobie Belch! Comment vous va, sir Tobie Belch?

SIR TOBIE. – Ah! mon cher sir André!

SIR ANDRÉ, à Marie. – Salut, jolie grondeuse.

MARIE. – Salut, monsieur.

SIR TOBIE. – Accoste, sir André, accoste.

SIR ANDRÉ. – Qu'est-ce que c'est?

SIR TOBIE. – La femme de chambre de ma nièce.

SIR ANDRÉ. – Belle madame Accoste, je désire faire connaissance avec vous.

MARIE. – Mon nom est Marie, monsieur.

SIR ANDRÉ. – Belle madame Marie Accoste

SIR TOBIE. – Vous vous méprenez, chevalier. Quand je dis accoste, je veux dire envisagez-la, abordez-la, faites-lui votre cour, attaquez-la.

SIR ANDRÉ. – Sur ma foi, je ne voudrais pas l'attaquer ainsi en compagnie. Est-ce là le sens du mot accoste?

MARIE. – Portez-vous bien, messieurs.

SIR TOBIE. – Si tu la laisses partir ainsi, sir André, puisses-tu ne jamais tirer l'épée!

SIR ANDRÉ. – Si vous partez ainsi, mademoiselle, je ne veux jamais tirer l'épée. Belle dame, croyez-vous avoir des sots sous la main?

MARIE. – Monsieur, je ne vous ai pas sous la main.

SIR ANDRÉ. – Par ma foi, vous allez l'avoir tout à l'heure, car voici ma main.

MARIE. – Maintenant, monsieur, la pensée est libre. Je vous prie de porter votre main à la baratte au beurre, et laissez-la boire.

SIR ANDRÉ. – Pourquoi, mon cher coeur? quelle est votre métaphore?

MARIE. – Elle est sèche, monsieur11.

SIR ANDRÉ. – Comment donc! je le crois bien; je ne suis pas assez âne pour ne pas tenir ma main sèche. Mais que signifie votre plaisanterie?

MARIE. – C'est une plaisanterie toute sèche, monsieur.

SIR ANDRÉ. – En avez-vous beaucoup de semblables?

MARIE. – Oui, monsieur, je les ai au bout de mes doigts: allons, je laisse aller votre main, je suis desséchée12.

(Marie sort.)

SIR TOBIE. – Chevalier, tu as besoin d'une coupe de vin des Canaries; je ne t'ai jamais vu si bien terrassé.

SIR ANDRÉ. – Jamais de votre vie, je pense, à moins que vous ne me voyez terrassé par le canarie. Il me semble qu'il y a des jours où je n'ai pas plus d'esprit qu'un chrétien ou qu'un homme ordinaire. Mais je suis un grand mangeur de boeuf, et je crois que cela fait tort à mon esprit.

SIR TOBIE. – Il n'y a pas de doute.

SIR ANDRÉ. – Si je le croyais, je m'en abstiendrais. – Je retourne chez moi à cheval demain, sir Tobie.

SIR TOBIE. – Pourquoi, mon cher chevalier?

SIR ANDRÉ. – Que signifie pourquoi13? Le faire ou ne le pas faire? Je voudrais avoir employé à apprendre les langues le temps que j'ai mis à l'escrime, à la danse, à la chasse à l'ours. – Oh! si j'avais suivi les beaux-arts!

SIR TOBIE. – Oh! vous auriez eu une superbe chevelure.

SIR ANDRÉ. – Quoi, cela aurait-il amendé mes cheveux?

SIR TOBIE. – Sans contredit, car vous voyez qu'ils ne frisent pas naturellement.

SIR ANDRÉ. – Mais cela me sied assez bien, n'est-il pas vrai?

SIR TOBIE. – A merveille. Ils pendent droit comme le lin sur une quenouille, et j'espère un jour voir une ménagère vous prendre entre ses jambes et vous filer.

SIR ANDRÉ. – Ma foi, je retourne chez moi demain, sir Tobie. Votre nièce ne veut pas se laisser voir, ou, si elle voit quelqu'un, il y a quatre à parier contre un qu'elle ne voudra pas de moi. Le comte lui-même, qui est ici tout près, lui fait la cour.

SIR TOBIE. – Elle ne veut point du comte. Elle ne veut point de mari au-dessus d'elle, ni en fortune, ni en âge, ni en esprit. Je lui en ai entendu faire le serment. Hem! il y a de la résolution là-dedans, ami!

SIR ANDRÉ. – Je veux rester un mois de plus. Je suis l'homme du monde qui a les idées les plus drôles: j'aime extrêmement les mascarades et les bals tout à la fois.

SIR TOBIE. – Êtes-vous bon pour ces balivernes, chevalier?

SIR ANDRÉ. – Autant qu'homme en Illyrie, quel qu'il soit, au-dessous du rang de mes supérieurs…; et cependant je ne veux pas me comparer à un vieillard.

SIR TOBIE. – Quel est votre talent pour une gaillarde14, chevalier?

SIR ANDRÉ. – Hé! je suis en état de faire une cabriole15.

SIR TOBIE. – Et moi je sais découper le mouton.

SIR ANDRÉ. – Et je me flatte d'avoir le saut en arrière aussi vigoureux qu'aucun homme de l'Illyrie.

SIR TOBIE. – Pourquoi donc cacher ces talents? Pourquoi tenir ces dons derrière le rideau? Craignez-vous qu'ils prennent la poussière comme le portrait de madame Mall16? Que n'allez-vous à l'église en dansant une gaillarde, pour revenir chez vous en dansant une courante? Je ne marcherais plus qu'au pas d'une gigue; je ne voudrais même uriner que sur un pas de cinq17. Que prétendez-vous? Le monde est-il fait pour qu'on enfouisse ses talents? Je croyais bien, à voir la merveilleuse constitution de votre jambe, que vous aviez été formé sous l'étoile d'une gaillarde.

SIR ANDRÉ. – Oui, elle est fortement constituée, et elle a assez bonne grâce avec un bas de couleur de flamme. Irons-nous à quelques divertissements?

SIR TOBIE. – Que ferons-nous de mieux? Ne sommes-nous pas nés sous le Taureau?

SIR ANDRÉ. – Le taureau? c'est-à-dire, les flancs et le coeur18.

SIR TOBIE. – Non, monsieur, ce sont les jambes et les cuisses. Que je vous voie faire la cabriole. Ah! plus haut: ah! ah! à merveille.

(Ils sortent.)

5

En anglais exceptions, d'où la réponse de sir Tobie.

6

Let her except before excepted.

7

To confine, jeu de mots sur confine et fine.

8

Instrument qu'on tenait entre les jambes.

9

Coystril, un coq peureux.

10

Castiliano vulgo, à l'espagnole.

11

Peut-être pour dire: elle est vide; ou bien, d'après la chiromancie, une main sèche signifie ici une constitution froide.

12

I am barren.

13

Pourquoi, en français dans le texte.

14

Espèce de danse.

15

Caper, cabriole, capre.

16

Mall, surnommée Coupe-Bourse, femme fameuse dans les annales des lieux de prostitution.

17

A cinque-pace.

18

Allusion à l'astrologie médicale, qui rapporte les différentes affections des parties du corps à l'influence dominante de certaines constellations.

Le Jour des Rois

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