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CHAPITRE II
LE NORD-OUEST ET LES MÉTIS
SPÉCULATION ET SPOLIATION
ОглавлениеTout le monde savait, depuis l'automne de 1884 qu'une insurrection était en préparation au Nord-Ouest. Personne ne s'en cachait. Le gouvernement en était averti, mais il ne semblait s'en préoccuper à aucun degré. Lors de l'inspection de fin d'année en vue de l'éventualité d'une prise d'armes, les chefs des districts militaires avaient signalé au ministre de le milice qu'on manquait de tout; ils lui avaient indiqué, en même temps, ce dont ils avaient besoin pour être en mesure de se mettre en campagne, le cas échéant. Mais Sir A. P. Caron avait fait la sourde oreille. Il n'était pas encore devenu le Carnot du régime actuel; et ses opérations de stratégiste se bornaient à faire évoluer à Ottawa, au profit de ses intrigues personnelles, un certain nombre de castors, qui savent maintenant ce que vaut le personnage dont ils ont trop longtemps été dupes.
A envisager les choses de près et à voir la quiétude avec laquelle le gouvernement semblait vaquer à son sommeil ordinaire, un oeil exercé eut pu croire que, si l'on ne faisait rien pour prévenir la révolte, c'est qu'on n'était pas fâché qu'elle eut lieu et qu'on avait ses raisons pour cela.
Il faut tout dire.
Il y a, dans le Nord-Ouest, une bande de jobbers, de contracteurs, d'officiers et de fanatiques, pour lesquels la révolte a été une excellente aubaine.
Des gens, qui ont entrepris de supprimer au Nord-Ouest la langue française, y ont trouvé le moyen d'exercer contre les malheureux Métis une répression impitoyable.
Des compagnies puissantes à Ottawa, qui passaient généralement pour faire depuis quelque temps de médiocres affaires avec le commerce des pelleteries et celui des terrains, ont trouvé, comme pourvoyeurs des troupes, le moyen d'encaisser cette année des bénéfices inespérés.
Les fournitures à l'armée, sans parler du maraudage et du pillage, ont enrichi tant de monde, que le Nord-Ouest deviendrait pour quelques aventuriers un véritable eldorado, s'il pouvait y avoir une insurrection, au commencement de chaque printemps.
Ces répressions n'auraient pas eu lieu, ces dividendes n'auraient point été encaissés, ces bénéfices plus ou moins illicites n'auraient point fait la fortune de ceux qu'ils ont enrichis, si le gouvernement avait pris les mesures nécessaires pour éviter l'insurrection; et si, de son côté, le ministre de la milice ne s'était point endormi dans une quiétude, qui l'a obligé plus tard à se livrer pieds et poings liés à la compagnie de la Baie d'Hudson et à divers autres contracteurs, pour le transport, l'entretien et la nourriture des troupes.
Ce serait une chose trop horrible que de supposer que certaines personnes, même étrangères au gouvernement et trompant les ministres, aient favorisé en sous main la rébellion, pour rendre la répression indispensable et pour en profiter. Mais nous ne remplissons ici qu'un rôle de chroniqueur, et il nous faut bien dire les bruits qui ont couru, quand ils ont couru avec persistance.
De tels faits ne sont malheureusement pas hors de toute croyance. Quiconque connaît un peu l'histoire contemporaine de la France, n'ignore point comment les insurrections se sont faites pendant longtemps en Algérie, lorsqu'un officier général avait besoin de gagner un grade; et comment il n'y a plus eu une seule insurrection, depuis que le régime politique de la France est changé et que les militaires n'ont plus le droit de les inventer eux-mêmes. Les personnes qui auraient encore à s'éclairer sur ce point, pourront lire avec profit Le Dernier des Napoléons, de M. le baron de Hubner, ancien ambassadeur d'Autriche à Rome, et l'histoire anglaise de la guerre de Crimée, par Alexander William Kinglake.
Quoiqu'il en soit, les ministres d'Ottawa ne sauraient prétendre que les réclamations des Métis les avaient pris au dépourvu.
M. Chapleau, secrétaire d'état, écrit aux habitants du Fall River, à la date du 16 juin dernier: «Si les Métis avaient des griefs sérieux contre le gouvernement canadien, la voie de la pétition leur était ouverte comme à tout citoyen libre…»
Hélas! les malheureux Métis avaient usé de la voie de la pétition au point d'être beaucoup mieux édifiés que M. Chapleau sur sa complète inefficacité.
Ce que l'on ne sait pas assez, ce qui est tellement fort qu'on ne voudra pas le croire dans l'avenir, c'est qu'ils pétitionnaient depuis huit ans sans obtenir de réponse!
Depuis huit ans; car la réclamation qu'il renouvelaient encore au mois de mars dernier, datait officiellement de juin 1878, et avait donné lieu, pendant cet espace de temps, à soixante-douze pétitions restées sans réponses!
Et que réclamaient-ils?
Ils réclamaient le droit de vivre, sans être exposés chaque jour à être chassés de leurs demeures comme des troupeaux de bêtes!
La cession que la compagnie de la Baie d'Hudson avait faite, en 1870, de ses droits au gouvernement canadien, avait transformé la terre libre et ouverte au premier occupant en terre domaniale.
Le gouvernement s'arrogeait le droit de vendre la terre, de la donner à la compagnie du Pacifique Canadien, de la concéder à des immigrants ou à des amis politiques; mais, en échange de la terre libre sur laquelle avaient vécu leurs pères, les Métis réclamaient l'allotissement d'une quantité de terrains suffisante pour eux et leur famille.
L'acte de 1870 avait réservé 100 arpents à chacun des Métis de Manitoba.
Les métis de la Saskatchewan, de la rivière Qu'Appelle et de la Rivière Rouge demandaient à ce que le droit–ou pour mieux dire–à ce que l'indemnité accordée à titre de compensation, fût la même dans le territoire du Nord-Ouest que dans le Manitoba.
Ils demandaient, en outre, à ce qu'on ne leur attribuât pas 100 arpents n'importe où, et à ce qu'on ne les délogeât pas de leurs habitations sur le bord des fleuves, pour leur offrir une concession hypothétique dans des régions inaccessibles.
Et ils attendaient une réponse depuis le mois de juin 1878!
Une première fois leur demande avait été soumise à l'enquête.
Une seconde fois on avait consulté Mgr Taché, qui avait insisté sur l'urgence de donner satisfaction aux Métis. (29 janvier 1879).
Mais le gouvernement n'avait pas tenu compte de la réponse.
Une autre fois, le marquis de Lorne donnait de bonnes paroles au représentant du district, M. Clarke; et, en même temps, on lui répondait d'Ottawa: «Votre lettre a été réservée pour la considération spéciale du ministre.» (14 avril 1882).
Mais le ministre ne considérait rien, et tout restait comme devant.
En 1883, le conseil supérieur du Nord-Ouest renouvelait la même demande, sans plus de succès; et en 1884, Sir Hector Langevin déclarait aux Métis, lors de son passage au Nord-Ouest, que leurs demandes étaient parfaitement raisonnables et qu'il serait bon de les consigner par écrit!!
Cependant ce n'est pas tout. A défaut de réponse, les Métis voyaient apparaître, de temps à autre, des arpenteurs qui divisaient méthodiquement le terrain en carrés selon le système des townships; et comme les terres des Métis n'étaient point carrées, ni de la dimension voulue, il arrivait que l'arpenteur figurait une ligne, coupant leur champ en deux ou coupant leur cabane en biais et leur cheminée par la moitié. C'était la limite d'une concession à venir.
D'autres fois, il arrivait qu'un étranger débarquant au milieu d'eux, avec un plan à la main, leur apprenait que leur maison était située sur la concession qui venait de lui être faite, et les invitait à déloger, sans tambour ni trompette.
Quant à tenter d'obtenir pour soi-même une concession quelconque, c'était prendre une peine inutile. Aux pétitions collectives, le gouvernement ne répondait pas. Aux demandes individuelles, les bureaux répondaient invariablement: «qu'ils avaient le regret de vous annoncer qu'il ne pouvait y être donné suite, une application antérieure ayant été faite à Ottawa pour le même terrain, par une autre personne.»
Un jour, on s'étonna, sur les bords de la Saskatchewan, que tant d'applications antérieures eussent été faites par des personnes qu'on ne voyait jamais apparaître; et on imagina, pour en avoir le coeur net, de demander, en un coin imaginaire, la concession d'un terrain et d'un pouvoir d'eau qui n'existaient pas!
La réponse tarda quelque temps; puis elle arriva, avec sa déplorable monotonie «une application antérieure avait été faite par une autre personne,» sur le terrain qui n'existait pas!
Probablement, le bureaucrate, alléché par la description imaginaire du demandeur en concession, s'était dit qu'il convenait de réserver une telle aubaine à un parent ou à un ami; et il avait envoyé sa réponse, en négligeant de vérifier sur le plan l'existence et la condition du terrain!
Les choses en étaient là, lorsque les Métis, las de pétitionner et ne songeant point encore à la révolte, mais désireux d'avoir à leur tête un homme instruit, actif et capable de faire réussir enfin leurs requêtes, songèrent à réclamer l'assistance de Riel (juin 1884).
Louis Riel vivait fort paisiblement, avec sa famille, dans le Montana, lorsque les délégués des Métis, parmi lesquels figuraient des Anglais, firent un voyage de plus de 700 milles pour lui demander de venir se fixer parmi eux.
Il leur répondit dans les termes suivants:
MESSIEURS.–Vous avez parcouru plus de 700 milles du pays de la Saskatchewan, traversé la ligne de frontière internationale pour me faire une visite.
Les communautés au milieu desquelles vous viviez vous ont envoyés comme délégués pour me demander mon avis sur plusieurs difficultés qui ont rendu malheureux le Nord-Ouest britannique, sous l'administration d'Ottawa. De plus, vous m'invitez à vous accompagner et à établir ma demeure parmi vous, dans l'espérance que ma présence servira à améliorer votre condition. Votre invitation est pressante et cordiale; vous voulez que je vous accompagne avec ma femme et mes enfants; je pourrais m'excuser et dire: «non, merci!» et pourtant vous m'attendez; je n'ai donc qu'à me préparer; vos lettres de délégation m'assurent d'une réception amicale.
Messieurs, votre visite personnelle me cause une grande joie, et, je me glorifie ne même temps de l'honneur que vous me faites, mais le caractère officiel de votre visite lui donne une tournure tout à fait remarquable, et je considérerai ce moment comme un des plus heureux de ma vie,–un événement que ma famille se souviendra toujours, et j'espère qu'avec l'aide de Dieu, mon appui vous sera utile afin que cet événement soit une bénédiction pour vous et pour moi, qui en ai eu beaucoup, cette année, la quarantième de mon existence. Il vaut mieux être franc–je ne crois pas que les conseils que je vous donnerai, tandis que je serai dans ce pays, concernant les territoires du Canada, auront aucune influence de l'autre côté de la frontière; mais la question peut être envisagée d'un autre point de vue: D'après les clauses 31 et 32 du traité de Manitoba, j'ai droit à certaines terres, dont j'ai été privé directement ou indirectement par le gouvernement du Canada. Nonobstant le fait que je sois devenu citoyen américain, ma réclamation pour ces terres est encore valide; par conséquent, mes intérêts étant les mêmes que les vôtres, j'accepte votre bonne invitation, et j'irai passer quelques mois parmi vous, dans l'espérance qu'à force d'envoyer des pétitions, nous obtiendrons du gouvernement le redressement de tous nos griefs.
L'élément métis forme une partie considérable de la population du Montana, et si nous comptons les blancs qui, par suite de mariages ou autrement ont intérêt à sauvegarder les privilèges des Métis, il est évident, qu'ils forment une classe puissante. Je suis actuellement occupé à faire leur connaissance, et je suis un de ceux qui aiment à voir régner parmi eux l'union. De plus, j'ai fait des amis et des connaissances parmi lesquels j'aime à vivre. Je vous accompagnerai, mais je reviendrai en septembre.
J'ai l'honneur d'être, messieurs les délégués,
Votre humble serviteur,
LOUIS RIEL.
Le journal Le Manitoba, qui depuis a obéi à l'ordre d'injurier Riel, écrivait en ce temps là: «On dit que M. Riel revient avec sa famille. Oh! s'il pouvait seulement avoir l'heureuse idée de demeurer constamment parmi nous. Cet homme ne peut faire que du bien à ses concitoyens…»
Et le 10 août suivant, Sir A. P. Caron, en villégiature à la Rivière-du-Loup, donnait un dîner politique auquel assistaient Sir John A. Macdonald et une dizaine de conservateurs de la province de Québec. Le chef du cabinet y déclara: «que la présence de Riel au Nord-Ouest n'avait rien d'inquiétant pour le gouvernement, que tout au contraire elle favorisait ses vues, et que le chef métis travaillait à concilier les intérêts des populations avec ceux de la couronne, qu'il méritait de la reconnaissance plutôt que du blâme.»
Le 5 septembre, une grande réunion, dont le Manitoba a rendu compte, se tint à Saint-Laurent, et adopta, sur la proposition de Riel, les propositions suivantes:
Nous voulons,
1° La subdivision des territoires du Nord-Ouest en provinces.
2° Pour les habitants du Nord-Ouest des avantages semblables à ceux qui ont été accordés en 1870 aux habitants du Manitoba.
3° Une concession de 240 acres de terre aux Métis qui n'ont pas encore reçu de concession.
4° La concession immédiate par lettre patente des terrains actuellement occupés par les Métis.
5° La mise en vente, par le gouvernement, de 500,000 acres de terre; le produit de cette vente devant être placé à intérêt pour subvenir aux besoins des Métis pour l'établissement d'hôpitaux, d'orphelinats et d'écoles, ou encore pour fournir aux pauvres gens des charrues ou d'autres instruments agricoles et des semences.
6° La mise en réserve de 100 cantons (townships) dans des terrains marécageux et qui ne seront probablement peuplés d'ici à longtemps; ces terrains devant être distribués aux enfants des Métis de la prochaine génération et pendant 120 ans, chaque enfant devant recevoir sa part à l'âge de 18 ans.
7° Une subvention d'au moins 1,000 piastre pour établir un couvent dans les établissements considérables des Métis.
8° L'amélioration dans les conditions du travail des Sauvages pour les empêcher de mourir de faim, et un plus grand soin de leur personne.
Mgr Grandin, évêque de Saint-Albert, le R. P. Fourmond, le R. P. Touze, le R. P. Lecoq, assistaient à cette assemblée, et Mgr Grandin fut vivement prié par les Métis de faire connaître son opinion.
«Parmi ces propositions, dit Sa Grandeur, il y en a qui touchent de trop près à la politique, celles-là nous sont indifférentes et nous ne voulons nous en mêler aucunement, parce qu'elles n'ont qu'un intérêt douteux pour la population et la religion. Quant aux autres, nous nous en occupons depuis longtemps; et nous nous sommes efforcés de les faire admettre par le gouvernement; nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour obtenir justice; nous avons même obtenu des promesses que nous croyions officielles; aujourd'hui, nous constatons avec regret qu'elles ont été oubliées, nous partageons votre mécontentement et nous n'avons pas manqué de nous plaindre auprès des autorités…»
Malheureusement, ni ces plaintes, ni les pétitions, ni les autres réunions qui se tinrent pendant l'automne et pendant l'hiver ne purent décider le gouvernement à sortir de son mutisme. La consigne à Ottawa était de ronfler; et chacun sait comment Sir David Macpherson s'en acquittait, à la satisfaction du maître.
Sir John A. Macdonald avait eu cependant une idée qui est le résumé de toute sa politique. Il avait eu l'idée de ne rien accorder aux Métis, et de les faire taire en achetant leurs chefs.
C'est ainsi que Schmidt avait été nommé commis au bureau des terres de Prince Albert, Dumas, instructeur des Sauvages, et que des offres avaient été faites à Dumont et Isbester.
Mais, pendent ce temps-là, on n'aboutissait à rien. Le mécontentement et l'agitation des esprits augmentaient de jour en jour. Des nouvelles spoliations étaient commises par des spéculateurs; et les arpenteurs soulevaient incessamment de nouvelle réclamations.
Tout était mûr pour la révolte. Nous verrons, plus tard, comment elle se produisit, et qui tira le premier coup de feu. Mais il est dès à présent prouvé que les griefs des Métis étaient fondés;–qu'ils étaient soutenus depuis huit ans par les autorité ecclésiastiques;–que, depuis huit ans, on n'avait pas su leur rendre justice; on n'avait pas même su leur répondre, et que s'il y a jamais eu un soulèvement excusable au monde, c'est celui de pauvres gens que, ayant usé de tous les moyens légaux pour faire valoir leurs droits, ont été constamment trompés, remis au lendemain et, finalement, n'ont rien pu obtenir.