Читать книгу Les musées d'Angleterre, de Belgique, de Hollande et de Russie - Viardot Louis - Страница 8

1858.

Оглавление

En revoyant la National Gallery six ans aprèsla rédaction du chapitre qui précède, nous l’avons trouvée comme les enfants qu’on perd de.vue pendant leur croissance, fort grandie. Aujourd’hui qu’elle compte trente-trois ans d’âge, son catalogue est monté du chiffre 185 au chiffre 266. Toutefois, comme l’étroit et insuffisant local où elle est encore confinée ne permettait pas une telle augmentation de cadres, on a emporté-quelques-uns des anciens, surtout de l’école anglaise, dans la maison de Pall-Mall où loge à-présent toute la collection, ainsi accrue, qu’a léguée M. Robert Vernon à la National Gallery . Parmi les tableaux dont celle-ci s’est récemment enrichie, soit au moyen d’acquisitions nouvelles, soit à la faveur des généreuses donations qu’elle a continué de recevoir, entre autres de M. Richard Simmons et de lord Colborne, nous chercherons ceux qui méritent le plus d’être distingués par les visiteurs.

Et d’abord deux Paysages légués au musée de son pays, par William Turner, qui les avait conservés jusqu’à sa mort comme ses œuvres de prédilection. Nous pouvons donc y voir aussi le dernier mot de leur auteur.

De tous les peintres anglais, Turner porte le nom autour duquel il s’est fait le plus de bruit. Il a des détracteurs obstinés et des admirateurs fanatiques; on l’a dénigré jusqu’ à la haine, on’l’a loué jusqu’à l’idolâtrie. Il me semble, à moi étranger, fort désintéressé dans le débat, que, s’il est puéril de lui refuser tout talent, de lui refuser même un talent magistral à certaines époques de sa vie, il n’est pas moins puéril de porter l’adoration démesurée qu’ont excitée ses bons ouvrages jusqu’aux dernières œuvres de sa vieillesse, où le parti pris dégénère finalement en véritable folie; et, s’il est vrai, comme l’affirment ses sectateurs passionnés, qu’il confonde en sa manière celle de Claude, de Gaspard Poussin et de Salvator Rosa, j’avoue que j’aime mieux ces trois maîtres séparés que réunis en sa personne.

Ces deux paysages, célèbres parmi tous ceux de W. Turner, se nomment Le soleil levant dans le brouillard et la Fondation de Carthage. Passe pour le premier titre; mais comment justifier le second? Quel rapport peut-on rencontrer entre cette brumeuse atmosphère anglaise et celle de l’Afrique, si chaude et si transparente? entre ces palais de fantaisie et la ville naissante de Didon, future rivale de la vieille Rome républicaine? L’on doit pardonner aux aides de notre Claude d’avoir plaqué Dieu sait quelles figures dans ses paysages pour leur donner un nom historique. Cela se concevait en Italie dans la première moitié du dix-septième siècle, alors qu’il fallait absolument, et bon gré mal gré, mettre dans le paysage de l’histoire, parce qu’on n’avait pas encore eu la pensée de prendre la nature toute seule pour sujet de tableau, et de faire simplement son portrait. Mais aujourd’hui, après les peintres hollandais, cette manie historique ne peut plus être permise. On est encore plus surpris en voyant les deux paysages de Turner placés entre les deux plus belles pages du Lorrain, le Moulin et la Reine de Saba; et la surprise redouble quand on apprend que c’est par ordre de Turner lui-même, qui a exigé cette place pour ses tableaux comme expresse condition de leur entrée à la National Gallery. Je ne veux pas chercher d’autre preuve de l’état de démence où il a fini sa vie. Personne n’ignore que la cause la plus commune de la folie, c’est l’orgueil.

Heureusement pour Turner que les ordonnateurs de la National Gallery sont venus en aide à la hautaine fantaisie de leur célèbre compatriote. Ils se sont avisés de faire récemment ce qu’avaient fait naguère au musée du Louvre les intendants de la liste civile. Ils ont aussi voulu restaurer les chefs-d’œuvre de Claude; ils les ont aussi perdus. Maintenant le Moulin et la Reine de Saba, presque aussi malades que notre Passage du gué et son compagnon, ressemblent à deux copies de Claude, qui, dans leur sécheresse de coloris et leur dureté de contours, manqueraient du plus grand mérite et du plus grand charme des originaux. C’est entre ces deux cadres déshonorés qu’ils ont placé, suivant le vœu de Turner, cette Fondation de Carthage qui a justement la prétention de ressembler aux Marines de Claude, qu’il ornait de palais et de jardins, qu’il éclairait des premiers ou des derniers feux du soleil. C’était un moyen facile de donner à l’Anglais idole du jour une espèce de victoire sur le vieux Lorrain. Mais, près de là, se trouve la Sainte Ursule que n’a pas encore touchée la main des Vandales. Cela suffit pour les remettre chacun à sa place.

Je regarde comme un vrai bonheur de rencontrer aussitôt un autre ouvrage anglais, dont l’auteur était modeste jusqu’à la timidité, qui ne cause d’autre surprise que celle d’une admiration à laquelle on ne pouvait s’attendre. C’est le Bedeau de village, par David Wilkie. Devant cette page excellente du second Hogarth, bien supérieur au premier par les qualités pittoresques, je regrette d’avoir dit que Wilkie n’était guère qu’un Ostade enluminé. Il y montre vraiment tant d’esprit, de finesse et même de sentiment, qu’il mérite d’être rangé, sous son nom propre, parmi les maîtres.

Maintenant, après cette première mention justement consacrée aux artistes anglais, nous allons revenir en arrière, jusqu’aux débuts de l’art, pour nous rapprocher de l’époque actuelle en traversant, par ordre chronologique, chacune des grandes écoles.

Nous commencerons par l’italienne, qui a reçu le plus de développements, et les plus heureux, et précisément pour cette primitive époque de son histoire circonscrite entre Cimabuë et le siècle d’or. C’est d’abord pour œuvre du vieux maître de Giotto que passe une Vierge aux anges, plus petite que la nôtre, mais mieux conservée, trop peut-être, après six siècles, pour son authenticité. Puis, outre deux groupes de saints en grandeur naturelle, on attribue à l’illustre élève de Giotto, Taddeo Graddi, un Baptême dit Christ, sous lequel l’histoire de saint Jean est racontée dans une série de petits cadres. C’est bien la forme du temps; mais je ne retrouve pas absolument la forme du maître. Au reste, de Gaddi ou de tout autre contemporain, l’ouvrage est très-intéressant. Il cède néanmoins en intérêt comme en beauté à un grand triptyque où le Couronnement de la Vierge, au-dessus d’un concert d’anges, est entouré d’une foule d’au moins cinquante saints et saintes pris dans la légende. Ce vaste triptyque, ainsi qu’un autre plus petit où l’on voit l’Ascension entre l’Adoration des rois et la Descente du Saint-Esprit, est attribué au célèbre Andrea Orcagna, principal auteur du Campo-Santo de Pise, et principal fondateur de l’école florentine. C’est en suivant le cours de cette même école que nous trouvons du divin Fra Angelico une fine Adoration des rois, adorable elle-même par la grâce et le sentiment, ainsi qu’une Apparition de la Vierge à saint Bernard, qui est à peu près de la même époque, puisqu’elle n’est pas encore peinte à l’huile, c’est-à-dire suivant les procédés de Van Eyck, apportés en Italie vers 1440. J’avais vu mettre en vente publique cette peinture à la détrempe, un peu ternie dans ses couleurs, mais d’un beau et ferme dessin. On l’attribuait alors à Masaccio; et, malgré le mérite éminent de cet ouvrage, je ne pouvais y retrouver les caractères de ceux que Florence a conservés dans ses églises et son académie, du maître supérieur qui marque le point culminant de l’art entre Giotto et Raphaël. Aujourd’hui qu’elle est dans le musée national, on donne cette Apparition de la Vierge à Benozzo Gozzoli, celui qui, d’après Vasari, fit en deux années, dans le Campo-Santo de Pise, un ouvrage capable «de faire peur à une légion de peintres.» Y a-t-il plus de certitude dans cette attribution nouvelle que dans la première? et doit-on la tenir pour définitive? double question à laquelle je ne me charge pas de répondre.

Voici d’autres Florentins: Fra Filippo Lippi, avec une fine et précieuse Madone, et une grande Vierge glorieuse, entourée d’un cortége d’anges et de bienheureux, où il semble avoir donné le modèle de ce sujet tant de fois traité par tous les maîtres de l’art religieux; — Antonio Pallajuolo, avec un Martyre de saint Sébastien en grandes figures; le beau guerrier de Narbonne est hissé sur un tronc d’arbre et son corps sert de cible aux archers, ses bourreaux; — Sandro Botticelli, avec une Madone couronnée par des anges, œuvre d’un dessin énergique, de contours très-marqués, et d’une belle couleur; — Piero della Francesca, avec un très-singulier et très-curieux portrait en profil d’Isotta (Iseult) de Rimini, femme de Sigismond Malatesta; — enfin, Filippino Lippi, qui, dans la National Gallery, occupe incontestablement la première place pour cette époque intermédiaire, marchant des débuts à la perfection. Sa grande Madone entre saint Jérôme et saint Dominique, est une magnifique peinture, du plus haut style et de la plus forte exécution. Là, comme dans un autre tableau, en figurines, une Adoration des rois qui traînent un long et pompeux cortége à la crèche de Bethléem, on pressent, on aperçoit Andrea del Sarto. C’est dans Filippino Lippi que le célèbre fils du tailleur a trouvé ses modèles, ses types, ses attitudes, et jusqu’à son splendide coloris.

Les autres écoles de l’Italie, voisines de Florence, nous offrent une Tête du Christ, par Nicolo Alunno, qui passe pour avoir été le maître du Pérugin, et qui serait ainsi, dans la filiation artistique, le grand-père de Raphaël; puis une fine petite Madone, de Girolamo dai Libri, innocente et charmante à l’égal des meilleures Madones du Pérugin. Elle montre l’école de Vérone semblable alors à celle de l’Ombrie, qu’une Glorification de la Vierge, par le Spagna (Giovanni di Pietro), nous représente dans toute sa gracieuse et innocente amabilité.

Mais le Pérugin est là lui-même, et la National Gallery peut aujourd’hui montrer avec orgueil une des pages que cite Vasari et qu’il proclame l’un des capi d’opera du vieux maître d’Urbin. C’est un triptyque; au centre, la Sainte Famille; à gauche, l’archange Michel en complète armure; à droite, l’archange Raphaël conduisant le jeune Tobie par la main. Vasari a raison; il serait difficile de trouver dans toute l’œuvre du Pérugin un morceau supérieur, et celui-ci réunit à tous les genres de beauté une conservation parfaite. Quelques parties de ce triple tableau, le jeune Tobie, par exemple, où le groupe de la Madone et du saint Bambino, ressemblent tellement aux premiers ouvrages de Raphaël, que, séduits par cette similitude, plusieurs supposent que le maître s’est fait aider par son élève, qui serait à demi l’auteur du chef-d’œuvre. Je n’en crois rien; il me semble que le Pérugin en est l’unique auteur. Seulement, il me semble aussi que ce tableau appartient à une époque de sa vie assez avancée pour que le Pérugin, qui a survécu quatre ans à son élève, ait profité des exemples qu’il en recevait, et agrandi, sous cette influence souveraine, sa manière primitive. Ici Vanucci aurait cessé d’être le maître de Raphaël pour devenir son disciple. Ces services réciproques, ces mutuels enseignements produisant des réactions de manières, se sont vus souvent dans l’histoire de l’art; et, à la même époque, la même chose se passait à Venise entre Bellini et Giorgion.

Ces noms nous amènent de Florence à Venise.

Voici une Sainte Famille devant laquelle se prosterne un guerrier (le commettant sans doute), dont le cheval est tenu par un page à quelque distance. On l’a donnée d’abord à Palma-le-Vieux, puis à Giorgion. Aujourd’hui elle porte simplement le nom général Venetian School. Il fallait lui donner ce nom modeste dès l’origine. En tout cas, c’est un bel et noble ouvrage de la primitive école vénitienne, bien plus précieux, assurément, qu’un Cristo alla moneta, de Titien, dit-on, et qui ne serait, cela fût-il vrai, qu’une répétition variée et fort affaiblie de celui qu’on admire justement dans la galerie de Dresde; plus précieux aussi qn’une vaste basse-cour peinte par le Bassan (Jacopo di Ponte), sous le nom et le prétexte des Vendeurs chassés du temple.

Mais c’est à cette même école vénitienne qu’appartient celle des récentes acquisitions de la National Gallery qui a fait le plus de bruit, peut-être parce qu’elle a coûté le plus cher: la Visite d’Alexandre à la famille de Darius, par Paul Véronèse. Nous avions vu cette grande toile à Venise, dans le palais Pisani, où elle était restée depuis l’époque du peintre, car, sous prétexte aussi de la famille de Darius, Véronèse avait simplement réuni les portraits de la famille Pisani en riches costumes du seizième siècle. Cette toile est belle assurément, mais pas plus que beaucoup d’autres dans l’œuvre de Cagliari; pas plus, je suppose, que les quatre tableaux de forme identique à la sienne qui se trouvent réunis dans l’une des rotondes de la galerie de Dresde, celui, par exemple, où la Foi, l’Espérance et la Charité amènent la famille Concina au pied du trône de Marie. On peut féliciter le musée anglais de cette conquête à grand prix, mais je le félicite encore plus du bonheur qu’il a eu de trouver et d’acquérir ces vieilles pages de l’art italien que je viens de citer, et ces autres vieilles pages de l’art flamand que je citerai tout à l’heure. Certes Véronèse est un grand peintre, surtout un savant et brillant coloriste; mais son mérite est moins dans les créations idéales que dans la reproduction des choses réelles; il est en quelque sorte, autant que Caravage, l’antipode de Raphaël parmi les Italiens. C’est pour cette qualité de puissant réalisme, c’est comme réunion de portraits que brille surtout, ainsi que les Cènes, sa Famille de Darius. «Même dans l’école vénitienne, en général si peu expressive, dit M. Charles Blanc, on ne trouverait pas un tableau plus insignifiant, ni un plus merveilleux décor; c’est une ravissante musique de couleurs.» Mais si, après avoir considéré, admiré même ce tableau, et j’en suis d’accord, sur la place d’honneur qu’on lui a réservée dans l’un des principaux salons de la galerie, le visiteur vient à se retourner vers l’autre bout du salon, son regard rencontre des portraits de Rembrandt, et Véronèse est accablé.

L’école française ne s’est augmentée que d’une Vue du château Saint-Ange à Rome, par Joseph Vernet; mais l’école espagnole, en revanche, a reçu d’assez notables accroissements. En voyant un Christ mort entre Marie et Madeleine et un Berger par Ribera, j’ai reconnu avec une vraie satisfaction que ce grand artiste n’était plus exclu systématiquement du musée de l’Angleterre, auquel je souhaite maintenant d’autres ouvrages de ce maître plus capables de le faire apprécier à toute sa valeur. Quant au Moine en prières de Francisco Zurbaran, très-beau, très-noble, très-pathétique, il serait difficile de trouver un meilleur specimen pour faire connaître hors de son pays le peintre éminent de la vie ascétique, des macérations de la chair et des extases de l’esprit, le peintre d’un monde qui n’est plus.

A Zurbaran il faut restituer, en l’étant à Velazquez, une grande Adoration des bergers, qui provient de la galerie espagnole réunie par Louis-Philippe. Je sais bien que c’est sous le nom de Velazquez qu’elle fut rapportée d’Espagne par les collectionneurs de cette galerie et présentée au public français. Mais s’ils se sont trompés, ou laissé tromper par d’habiles gens d’affaires, faut-il admettre et maintenir l’erreur qu’ils ont commise? On peut d’abord leur opposer une raison sans réplique, un fait: tous les tableaux qu’a laissés Velazquez à son royal ami Philippe IV, dont il fut, toute sa vie d’artiste, le pintor de camara, ont été mentionnés par ses biographes, et il est certain, incontestable, qu’après s’être essayé dans le Martyre de saint Étienne qui est au musée de Madrid, il n’a plus osé peindre de sujets sacrés. Hors celui-là, tous ses ouvrages, sans exception, sont des tableaux d’histoire profane. Ce sont les seuls où le portait son talent de peintre réaliste, les seuls où il se sentît pleinement à l’aise, où il pût déployer son talent propre et naturel. Donc, et sans plus de discussion, l’Adoration des bergers n’est pas de Velazquez; elle ne peut pas être de lui. Mais cette preuve historique manquât-elle, il s’en trouverait assez d’autres, et d’aussi puissantes, dans la seule observation du style et du faire, de tout ce qui compose la manière d’un maître. Quoi! vous avez près de cette Adoration des bergers, d’un côté le Moine de Zurbaran, de l’autre la Course aux sangliers de Velazquez, et vous hésitez entre Velazquez et Zurbaran? Mais ces peintures vous disent clairement, par oui et par non, que Zurbaran, et non Velazquez, est l’auteur de l’Adoration des bergers. La certitude deviendrait plus grande encore, et plus absolue, si vous pouviez comparer directement cette composition à d’autres d’égale importance parmi celles du même auteur, telles que les grandes toiles qui ornaient jadis le chœur du fameux monastère de Notre-Dame de Guadalupe, et qui sont venues aussi, depuis la suppression des couvents en Espagne, dans la collection de Louis-Philippe. Alors le moindre doute ne serait plus permis, et, sans nul regret de ce changement de nom, vous rendriez à l’illustre peintre d’Estrémadure un très-bel ouvrage qui lui appartient, et dont l’illustre peintre d’Andalousie n’a nul besoin pour sa gloire.

Mais d’où vient qu’on s’est avisé d’exclure des grands salons les belles pages de Murillo, de Velazquez, de Zurbaran? Pourquoi les a-t-on enfouies dans un des étroits cabinets de l’entrée, où le jour leur vient avec parcimonie, où le visiteur manque absolument de reculée pour les bien voir à leur vrai point? De tous les tableaux de la galerie, ces espagnols, dépaysés sous le ciel d’Angleterre, ont le plus besoin de lumière et d’espace; ce sont eux justement qui s’en trouvent le plus complètement privés. Qu’on leur rende les places d’honneur qu’ils occupaient naguère; elles leur conviennent et ils les méritent. Mais quelle meilleure preuve peut-on donner que leur emprisonnement dans ce cabinet, de la nécessité pressante d’élever un autre édifice à la National Gallery?

Passant du midi au nord, nous trouvons d’abord quelques-uns des rares et précieux échantillons de la vieille école allemande, de celle qu’on nomme école de Westphalie. Ils sont presque contemporains de Meister Wilhelm et de Meister Stephan, qui honorent Cologne, leur commune patrie, aux débuts de l’art éclos sur les rives du Rhin. Les uns sont l’Annonciation, l’Adoration des Rois et la Présentation au temple, avec des groupes de saints; les autres la Vision et la Messe de saint Hubert, avec d’autres groupes de bienheureux; et les auteurs de ces deux parts à peu près égales par l’importance et le mérite, dignes tous deux d’être comparés au ravissant Hemling de Bruges, et tous deux restés inconnus, sont désignés par les noms du Naître de Liesborn (Meister von Liesborn, vers 1465) et du Maître de Werden (Meister von Werden, vers 1480), parce que leurs ouvrages furent trouvés dans ces deux abbayes de la Westphalie méridionale. Il faut y joindre une Tête de vieillard, à barbe blanche, portant la Toison d’or, portrait lavé à la détrempe, qu’on croit d’Albert Durer, mais qui peut être aussi bien d’un de ses bons élèves, Burgkmaïr, Altdorfer, Kulmbach, etc.

Si nous traversons le Rhin pour chercher dans les Flandres l’autre et plus riche rameau parti du vieux tronc de Cologne, l’école flamande, nous trouvons son illustre fondateur Jean de Bruges. La National Gallery pouvait déjà s’enorgueillir de posséder une œuvre excellente du grand Van Eyck: l’Horoscope. Aujourd’hui elle en possède une seconde et une troisième, égales à la première: l’admirable portrait en demi-grandeur d’un homme entre deux âges, coiffé d’un ample chaperon rouge, et celui d’un autre homme coiffé d’un chaperon vert. Le premier, qu’on croit le portrait de Van Eyck lui-même, est daté de 1433, et l’on peut dire, en voyant cette date déjà si reculée, que, depuis plus de quatre siècles, personne n’a le droit de se vanter d’avoir reproduit la nature humaine avec plus de vérité, de force et d’illusion. Quelle leçon pour notre musée du Louvre, qui n’a que le nom de Van Eyck et nulle de ses œuvres! La National Gallery possède même un autre portrait, celui du comte d’Hennegan, assisté de son patron, saint Ambroise, par un élève de Jean de Bruges, Gérard Van der Meer, qui, avec Roger de Bruges et Hugo Van der Goes, a le mieux continué son école et répandu ses leçons de fine et ferme peinture.

Après ces saintes reliques de Van Eyck, viennent les têtes du Christ et de la Vierge par Quintin Metzys, l’un en manteau rouge, l’autre en manteau bleu, chargés de riches parures d’orfévrerie. Ces têtes sont touchées avec la plus exquise finesse, et celle de la Vierge surtout est d’une telle beauté, même morale, qu’il faut aller jusqu’à Raphaël pour lui trouver une légitime comparaison. Du nord comme du midi, le musée de Londres a donc eu cette grande fortune de réunir les plus excellentes œuvres des origines et du progrès. Une belle Piété, de Lambert Sustermans (qu’on nomme Lambert le Lombard et que Vasari surnomme avec raison Lambert Suavius), nous montre ensuite l’art flamand à sa seconde période, lorsqu’il allait s’inspirer et se transformer en Italie; puis deux magnifiques portraits de Rembrandt, une jeune fille rieuse et folâtre, un vieillard très-coloré, très-rubicond, ami de la dive bouteille et de la purée septembrale, tous deux dans sa plus large et plus puissante manière, nous amènent à la troisième époque, celle du réalisme hollandais. C’est à elle aussi qu’appartiennent quelques jolis intérieurs de Nicolas Maës, qui semble avoir réuni et fondu la manière de Rembrandt dans la lumière de Pierre de Hooghe, et un petit clair de lune d’Arendt Van der Neer. Bien que peint en quelque sorte avec une seule teinte, comme les vieux tableaux monochrômes (c’est ainsi que la lune colore), il peut passer pour l’une des œuvres les plus ravissantes de ce peintre du mystère, de ce poëte de la nuit.

On voit que la National Gallery met à profit chacune des années de sa courte existence, et qu’avec le temps elle grandira, par les achats et les donations, jusqu’à devenir l’égale de ses aînées, les autres galeries publiques de l’Europe. Souhaitons-lui d’avoir toujours la même activité, les mêmes ressources et le même bonheur; souhaitons-lui surtout de passer bientôt dans un autre édifice plus digne d’elle, plus digne de la puissante nation dont elle est appelée à augmenter la richesse et la grandeur.

Les musées d'Angleterre, de Belgique, de Hollande et de Russie

Подняться наверх