Читать книгу Ezilda, ou La Zingara - Victor Doublet - Страница 6

LE COUVENT DE NOTRE-DAME DE LA MISÉRICORDE.

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Avec plaisir,

Je viens goûter les charmes

De l’espérance en un doux avenir!

Si vous voyez couler encore mes larmes,

Consolez-vous... Je les répands ces larmes,

Avec plaisir.

OUTRE la peste qui désolait en ce moment la cité berruyère et qui, cette même année, fit périr plus de huit mille personnes, un fléau plus redoutable encore, étendait ses ravages dans toutes les contrées qui avoisinent Bourges, et menaçait d’envahir cette antique cité qui s’était toujours distinguée par son attachement inviolable à la foi de ses pères.

L’hérésie de Calvin infestait déjà les campagnes; les zélateurs de la nouvelle réforme, la plupart apostats de l’ordre sacerdotal et de l’état monastique, séduisirent les simples, en leur peignant, sous les couleurs les plus odieuses, les prétendus désordres de la cour de Rome, l’ignorance et le luxe des ecclésiastique, et en leur faisant entendre qu’ils ne leur enseignaient que la pure parole de Dieu, de laquelle ils leur abandonnaient l’interprétation, ne reconnaissant plus aucune autorité infaillible sur la terre en matière de religion.

Pour ceux que le joug de la religion gênait, ils furent entraînés par l’appât des biens ecclésiastiques dont on dépouillait les prêtres, par l’abolition des vœux monastiques, du célibat ecclésiastique, des jeûnes, des abstinences, de la confession, et de l’obéissance qu’ils rendaient auparavant à leurs évêques et à leurs curés. Une telle réforme soi-disant fit des progrès rapides; suivirent les révoltes des sujets contre leurs princes, le désordre dans toutes les provinces du royaume, et les atrocités auxquelles on se porta durant les guerres civiles.

Sancerre, ville du diocèse de Bourges, devint le refuge d’un grand nombre de ceux qui avaient embrassé les nouvelles opinions. Les calvinistes de cette ville, qui jusqu’alors n’avaient osé remuer, se trouvant fortifiés par l’arrivée de cette multitude de religionnaires des autres provinces, s’emparèrent de toutes les églises, des maisons, des terres qui appartenaient aux ecclésiastiques, et chassèrent les prêtres et les religieux. Ils cessèrent de reconnaître l’autorité du roi, et se gouvernèrent selon les vues des habitans de La Rochelle et des autres villes protestantes qui refusaient d’obéir aux ordres de la cour.

Pendant huit années qu’on les laissa tranquilles, ils eurent tout le temps d’abolir tout-a-fait dans leur ville l’exercice de la religion catholique qui avait été celle de leurs pères, et de se fortifier en cas d’attaque.

La domination des calvinistes dans Sancerre entraîna la ruine de toutes les églises de cette ville; mais ils ne s’en tinrent pas là : les églises des paroisses voisines furent aussi désolées, et ils employèrent la force pour contraindre les habitans des campagnes à embrasser la nouvelle réforme. Ils osèrent même tenter de s’emparer de la capitale du Berry, qu’ils surprirent pendant la nuit, et dont ils brûlèrent ou pillèrent plusieurs édifices, et notamment la chapelle et la châsse de saint Guillaume autrefois archevêque de Bourges. Tant d’excès restaient cependant impunis sous un gouvernement trop faible pour se faire respecter. Il fallut donc, dans un tel état de désolation, que les bons catholiques pourvûssent eux-mêmes à leur propre sûreté. C’est alors que les habitans de Bourges, contraints de repousser la force par la force, prirent les armes et chassèrent les huguenots dont ils massacrèrent un grand nombre.

Cependant le patriarche qui gouvernait alors cette église désolée, ne cessait de gémir sur les malheurs de son peuple, et employait tous les moyens les plus propres à préserver ses ouailles contre le venin dangereux de l’erreur; il s’efforçait aussi de ramener au bercail le plus grand nombre possible de ces brebis errantes que les insinuations perfides des loups ravisseurs avaient égarées. Mais c’est surtout à cette jeunesse si intéressante et si facile à tromper, qu’il attachait tous ses soins; à ces jeunes enfans auxquels l’obéissance seule avait fait presque un devoir de suivre la fausse route que leur avaient tracée des parens ou trop aveugles ou trop pervers.

Ce vertueux prélat avait déjà fait entrer à la célèbre université une foule de jeunes gens de toutes les parties de son diocèse, et il leur faisait lui-même des conférences religieuses dans lesquelles il leur démontrait clairement toute l’absurdité dès doctrines pernicieuses de la prétendue réforme; il formait ces jeunes prosélytes qui un jour devaient être comme autant d’apôtres de la vérité, et qui propageraient les lumières de la saine doctrine dans toutes les parties de ce malheureux diocèse.

Les soins du vénérable pasteur s’étendaient encore à une autre portion de son troupeau qui lui était chère, car un père aime tous ses enfans. Il plaignait bien sincèrement la faiblesse de tant de pauvres filles, qui se laisseraient facilement entraîner au torrent de l’erreur, si, dès leur plus tendre jeunesse, on ne se hâtait de répandre dans leurs cœurs les principes invariables de la vraie religion; il déplorait amèrement le malheur d’un grand nombre d’entre elles qui déjà avaient succombé, et sa charité sans bornes lui suggéra un moyen infaillible de réparer tout le mal qui avait été fait, et d’opposer une barrière insurmontable à de plus grands désastres. Il institua une nouvelle communauté de religieuses, sous le nom et l’invocation de Notre-Dame-de-la-Miséricorde; il fit venir de Paris plusieurs religieuses de cet ordre pour servir de fondatrices au couvent de Bourges; et, en peu de mois, il eut la consolation de voir cet établissement s’accroître au-delà même de ses espérances. Tout ce qu’il y avait d’âmes vertueuses et dévouées parmi les saintes filles de la capitale du Berry, voulut être aggrégé, et se hâta de s’enrôler dans l’ordre de Notre-Dame-de-la-Miséricorde. La principale noblesse voulut avoir l’honneur d’être admise la première, et de donner l’exemple des plus sublimes vertus et de la charité la plus pure. Aussi, le nouvel ordre fut-il bientôt si florissant, et le nombre des professes, si multiplié, qu’on put envoyer des religieuses dans tout le diocèse, pour y répandre les lumières du catholicisme et y faire refleurir la piété que l’hydre du protestantisme y avait presqu’ entièrement étouffé.

Outre les pratiques de piété ordinaires à tous les ordres religieux, les dames de la Miséricorde étaient encore obligées d’instruire les enfans et de soigner les malades dans les hôpitaux. Ces deux obligations dont elles s’acquittaient avec le plus grand zèle, les mettaient à même de faire beaucoup de bien, et d’attirer à la foi un grand nombre de huguenots; car les malades qu’elles visitaient, s’étaient pour la plupart laissé entraîner à l’hérésie, par de mauvais conseils ou par une ambition coupable; à cette heure, où la mort semblait les menacer de son approche fatale, ils étaient plus disposés à reconnaître leurs erreurs et à en faire l’abjuration; car éclairés par les pieuses instructions de leurs charitables bienfaitrices, ils ne tardaient pas à reconnaître qu’on les avait trompés en leur proposant une règle de conduite si propre à satisfaire leurs mauvais penchants, et en les séparant de la communion de l’église catholique romaine.

Les jeunes filles qui étaient reçues dans cette sainte demeure, avaient été presque toutes protestantes, c’est ce qui leur avait fait donner le nom de nouvelles converties. Leur puissant protecteur, le célèbre et pieux archevêque Renaud de Beaune, n’avait rien négligé pour que cet asile sacré remplit exactement ses vues de bienfaisance; il avait doté de ses propres biens l’établissement qu’il voyait devenir de jour en jour plus florissant, et il en avait confié le gouvernement à des religieuses d’une rare piété.

Une dame charitable, madame Joanneau, secondait parfaitement les vues du prélat en contribuant par ses abondantes aumônes à la prospérité du couvent des Dames-de-la-Miséricorde. Elle-même, elle était restée long-temps sous l’influence des nouvelles erreurs; son époux avait été un des plus ardens soutiens du protestantisme, il avait porté jusqu’à l’excès du fanatisme, son zèle pour la défense de cette secte; et son aveugle ardeur, en ruinant son pays, l’avait lui-même conduit à une fin misérables

Madame Joanneau, effrayée de la manière terrible dont il avait plu à la divine Providence de châtier les excès de son époux, avait enfin ouvert les yeux à la vérité, et son retour sincère à la religion de ses pères, lui avait mérité l’estime de tous les gens de bien.

Cette dame, avant d’être l’épouse d’André Joanneau, avait déjà été mariée en premières noces à un riche seigneur, qui lui avait laissé en mourant une fortune considérable. Une fille qu’elle avait eue de ce premier mariage, avait été unie au sieur de Bussy, qui jouait un des principaux rôles dans les troubles de La Rochelle. Les troubles civils l’avaient séparée de cette fille chérie, et depuis long-temps cette tendre mère avait tout lieu de croire qu’elle n’existait plus; car toutes les recherches qu’elle avait faites, étaient restées sans aucun résultat satisfaisant.

Ce n’avait été qu’après le mariage de sa fille, et pour des raisons graves, quoique peu louables en elles-mêmes, comme nous le verrons plus haut, que cette veuve avait consenti à s’unir à l’avocat André Joanneau. Sa fortune immense l’avait fait rechercher par les hommes les plus distingués; mais elle avait p référé un simple avocat à tous ces illustres partis qui étaient venus s’offrir à elle, parce qu’elle comptait que la reconnaissance d’un homme dont elle aurait fait le bonheur, devait être sans bornes et, par conséquent, lui procurer la paix et la félicité pour le reste de ses jours.

Mais elle n’avait sans doute pas médité ces paroles par lesquelles le Psalmiste nous apprend qu’il arrive toujours malheur à ceux qui mettent leur confiance dans les hommes, et qu’il n’y a que ceux-là seuls qui espèrent en Dieu, qui ne seront jamais confondus. Car nous verrons bientôt quelles furent les suites de cette union dont elle s’était promis tant de félicité.

Cependant Ezilda la danseuse a de nouveau dirigé ses pas vers la demeure des Dames-de-la-Miséricorde; elle se promène en tremblant sous le portique; elle voit bientôt s’ouvrir la porte du scientifique édifice qui est proche du couvent; son espoir se ranime, elle prépare ses plus jolies romances.... Mais au même instant, un homme en pourpoint noir, un trousseau de clés au côté, parut sur le seuil, et se mit à regarder d’un air important la couleur du ciel:

— Que veux-tu, fille de Bohême? grommela-t-il, en apostrophant la pauvre danseuse arrêtée à quelques pas de lui.

— Rien! répondit timidement la jolie enfant. Puis elle ajouta, adoucissant sa voix le plus qu’il lui était possible: Maître, quelle heure est-il, je vous prie?....

— Dix heures bientôt, belle damoiselle d’enfer, fit-il en se dandinant sur sa porte; oui, bientôt dix heures, nos martinets vont prendre leur vol.

Cette parole du maître portier sembla avoir rallumé la joie au cœur de la pauvre jeune fille....

— Merci, maître, cria-t-elle presque satisfaite... Puis elle retourna encore une fois promener ses pas sous le portique de la Miséricorde.

Le bruit de sa renommée avait fait une profonde sensation parmi les jeunes pensionnaires de cette communauté : les externes, qui avaient entendu chanter la Zingara, avaient été tellement émerveillées, qu’elles n’avaient pu faire autrement que de faire part à leurs compagnes, de la douce sensation qu’elles avaient éprouvée. Celles-ci, à leur tour, avaient supplié leurs bonnes maîtresses de vouloir bien permettre que la jolie danseuse fût appelée aux heures de la récréation. Comme cette demande n’avait pas été rejetée, après une mûre délibération, les dames de la Miséricorde, se rangeant de l’avis de madame Joanneau, avaient cru pouvoir profiter de cette occasion, pour opérer une nouvelle conversion; car elles ne doutaient point que cette petite danseuse n’appartînt à quelque secte ennemie du catholicisme. Il fut donc résolu, qu’à la première récréation qui aurait lieu, on ferait entrer la Zingara, et qu’on surveillerait d’abord attentivement toutes ses paroles et toutes ses actions, afin qu’elle ne scandalisât point les nouvelles converties; puis qu’ensuite on l’instruirait des vérités sublimes de notre sainte religion. Madame Joanneau voulut être elle-même chargée de tous ces soins, et sa qualité de bienfaitrice de l’établissement lui fit obtenir sans peine cette charge qu’elle semblait briguer avec tant d’empressement.

C’est pour cela qu’à dix heures, au moment où Ezilda se promenait sous les longs arceaux de la communauté, cette pieuse veuve sortit dans l’espoir de la rencontrer. Dès qu’elle eut aperçu la danseuse, elle lui fit signe de s’approcher. Ezilda, étonnée, s’avança presque joyeusement, et suivit son guide jusque dans l’intérieur de la communauté.

Là, madame Joanneau lui fit quelques observations pour la prévenir que toutes ses paroles devaient être conformes à la décence et au respect dus à une communauté religieuse. La timide Ezilda rougit... Cet avertissement avait froissé son amour-propre... Elle si pure, quoique si malheureuse!.. Mais elle n’en voulut pas pour cela à la dame charitable qui l’avait amenée, elle ne fit que détester de plus en plus le métier peu honorable que la sévère Elmoth la forçait d’exercer.

La jolie danseuse ne tarda pas à se voir entourée de toutes les jeunes pensionnaires qui formèrent aussitôt le cercle autour d’elle. Alors Ezilda aux refrains du gai tambourin et dansant avec grâce, chanta les couplets suivans:

Mes jeunes ans

S’écoulaient en silence;

Lorsque la mort enleva mes parens,

Des étrangers soutinrent mon enfance;

Dans mon malheur je perdis l’espérance

Chère aux enfans.

Sans murmurer,

Si ma douleur amère

Blesse vos yeux.... Plutôt tout endurer....

Je dois souffrir, c’est mon sort ordinaire;

Je sais, hélas, et souffrir et me taire,

Sans murmurer.

Avec plaisir

Je viens goûter les charmes

De l’espérance en un doux avenir.

Si vous voyez couler encore mes larmes,

Consolez-vous.... Je les répands ces larmes

Avec plaisir.

Ici Ezilda cessa de chanter; quelques larmes s’échappèrent involontairement de ses yeux et arrosèrent ses joues vermeilles. Les jeunes pensionnaires furent touchées de son infortune; elles firent pleuvoir les deniers autour d’elle, et lui prouvèrent tout le plaisir qu’elle leur avait causé, en la priant de venir chaque jour à la même heure leur chanter quelque jolie romance.

— J’y consens, dit la Zingara d’une voix enchanteresse; mais c’est à condition, belles damoiselles, que vous daignerez m’instruire; car la vieille Elmoth, celle qui veut que je l’appelle ma mère, dit qu’elle n’a pas d’argent à dépenser pour cela, et que mes recettes sont à peine suffisantes pour nous procurer le pain de chaque jour.

— Bien volontiers, fille d’Egypte ou de Bohême, firent les pensionnaires d’une commune voix, nous t’instruirons, nous t’apprendrons à détester les coutumes impies du pays qui t’a donné le jour, et bientôt tu sauras prier comme nous.

— Belles damoiselles, répartit Ezilda, comme vous déjà j’ai su prier; car j’avais une autre mère qui m’enseignait à prier celui qu’elle appelait aussi son père, et qui est tout-puissant. Hélas! je lui ai demandé bien des fois dans le secret de mon coeur, qu’il eût pitié de moi et qu’il daignât changer mon triste sort!...

Ces paroles de la jolie danseuse étaient prononcées avec tant de naïveté qu’elles excitèrent la sensibilité de toutes les personnes qui l’entouraient; mais madame Joanneau ressentit en cet instant une de ces impressions vives et fortes, qui laissent des traces si profondes, que l’esprit en reste long-temps occupé après qu’on les a éprouvées. Elle fit mille conjectures, toutes plus bizarres les unes que les autres, et elle résolut, dès cet instant, de prendre soin de l’orpheline que le ciel lui envoyait. D’ailleurs, depuis long-temps elle avait formé le projet d’adopter une jeune fille qui pût lui tenir lieu de famille, puisqu’elle avait eu le malheur de perdre toutes les personnes qui lui avaient été si chères; et la circonstance présente semblait être favorable à ce projet; mais il fallait auparavant étudier le caractère de la jeune danseuse, et voir si elle était susceptible de pratiquer les vertus qu’on s’efforcerait de lui inspirer. Et pourtant, un je ne sais quoi de touchant, de tendre, de persuasif, avait déjà parlé au cœur de madame Joanneau, en faveur de la jeune étrangère.

La charitable veuve commença ses bienfaits par faire octroyer à la jolie danseuse, la permission de venir chaque jour au couvent, divertir les pensionnaires par ses charmantes ballades, et elle recommanda aux plus âgées d’entre elles de la prendre sous leur protection, et de lui donner les premières leçons de lecture et de catéchisme.

Ezilda, de son côté, promit de venir assiduement, et de se montrer attentive aux instructions qu’elle recevrait.

Ce jour-là, elle retourna le cœur plein de joie vers la vieille Elmoth; elle avait reçu des deniers en grande abondance, et elle avait enfin le doux espoir de voir arriver le moment si ardemment désiré, où son sort serait moins amer et moins cruel.

Ezilda, ou La Zingara

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