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Le Baile Molino demandant un jour au fameux Ahmed pacha pourquoi Mahomet défendait le vin à ses disciples: Pourquoi il nous le défend? s'écria le vainqueur de Candie; c'est pour que nous trouvions plus de plaisir à le boire.» Et en effet, la défense assaisonne. C'est ce qui donne la pointe à la sauce, dit Montaigne; et, depuis Martial, qui chantait à sa maîtresse: Galla, nega, satiatur amor, jusqu'à ce grand Caton, qui regretta sa femme quand elle ne fut plus à lui, il n'est aucun point sur lequel les hommes de tous les temps et de tous les lieux se soient montrés aussi souvent les vrais et dignes enfants de la bonne Ève.

Je ne voudrais donc pas qu'on défendît aux femmes d'écrire; ce serait en effet le vrai moyen de leur faire prendre la plume à toutes. Bien au contraire, je voudrais qu'on le leur ordonnât expressément, comme à ces savants des universités d'Allemagne, qui remplissaient l'Europe de leurs doctes commentaires, et dont on n'entend plus parler depuis qu'il leur est enjoint de faire un livre au moins par an.

Et en effet c'est une chose bien remarquable et bien peu remarquée, que la progression effrayante suivant laquelle l'esprit féminin s'est depuis quelque temps développé. Sous Louis XIV, on avait des amants, et l'on traduisait Homère; sous Louis XV, on n'avait plus que des amis, et l'on commentait Newton; sous Louis XVI, une femme s'est rencontrée qui corrigeait Montesquieu à un âge où l'on ne sait encore que faire des robes à une poupée. Je le demande, où en sommes-nous? où allons-nous? que nous annoncent ces prodiges? quelles sont ces nouvelles révolutions qui se préparent?

Il y a une idée qui me tourmente, une idée qui nous a souvent occupés, mes vieux amis et moi; idée si simple, si naturelle, que si une chose m'étonne, c'est qu'on ne s'en soit pas encore avisé, dans un siècle où il semble que l'on s'avise de tout et où les récureurs de peuples en sont aux expédients.

Je songeais, dis-je, en voyant cette émancipation graduelle du sexe féminin, à ce qu'il pourrait arriver s'il prenait tout à coup fantaisie à quelque forte tête de jeter dans la balance politique cette moitié du genre humain, qui jusqu'ici s'est contentée de régner au coin du feu et ailleurs. Et puis les femmes ne peuvent-elles pas se lasser de suivre sans cesse la destinée des hommes? Gouvernons-nous assez bien pour leur ôter l'espérance de gouverner mieux? aiment-elles assez peu la domination pour que nous puissions raisonnablement espérer qu'elles n'en aient jamais l'envie? En vérité, plus je médite et plus je vois que nous sommes sur un abîme. Il est vrai que nous avons pour nous les canons et les bayonnettes, et que les femmes nous semblent sans grands moyens de révolte. Cela vous rassure, et moi, c'est ce qui m'épouvante.

On connaît cette inscription terrible placée par Fonseca sur la route de Torre del Greco: Posteri, posteri, vestra res agitur! Torre del Greco n'est plus; la pierre prophétique est encore debout.

C'est ainsi que je trace ces lignes, dans l'espoir qu'elles seront lues, sinon de mon siècle, du moins de la postérité. Il est bon que, lorsque les malheurs que je prévois seront arrivés, nos neveux sachent du moins que, dans cette Troie nouvelle, il existait une Cassandre, cachée dans un grenier, rue Mézières, n° 10. Et s'il fallait, après tout, que je dusse voir de mes yeux les hommes devenus esclaves et l'univers tombé en quenouille, je pourrai du moins me faire honneur de ma sagacité; et, qui sait? je ne serai peut-être pas le premier honnête homme qui se sera consolé d'un malheur public en songeant qu'il l'avait prédit.

Littérature et Philosophie mêlées

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