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II

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La politique, disait Charles XII, c'est mon épée. C'est l'art de tromper, pensait Machiavel. Selon Mme de M——, ce serait le moyen de gouverner les hommes par la prudence et la vertu. La première définition est d'un fou, la seconde d'un méchant, celle de Mme de M—— est la seule qui soit d'un honnête homme. C'est dommage qu'elle soit si vieille et que l'application en ait été si rare.

Après avoir établi cette définition, Mme de M—— expose l'origine des sociétés. Jean-Jacques les fait commencer par un planteur de pieux, et Vitruve par un grand vent, probablement parce que le système de la famille était trop simple. Avec ce bon sens de la femme, supérieur au génie des philosophes, Mme de M—— se contente d'en chercher le principe dans la nature de l'homme, dans ses affections, dans sa faiblesse, dans ses besoins. Tout le passage dénote dans l'auteur beaucoup d'érudition et de sagacité. Il est curieux de voir une femme citer tour à tour Locke et Sénèque, l'Esprit des lois et le Contrat social; mais, ce qui est encore plus remarquable, c'est l'accent de bonne foi et de raison auquel nous n'étions plus accoutumés, et qui contraste si étrangement avec le ton rogue et sauvage qu'ont adopté depuis quelque temps les précepteurs du genre humain.

L'auteur, suivant la marche des idées, s'occupe ensuite des chefs des sociétés. On a beaucoup écrit sur les devoirs des rois, beaucoup plus que sur les devoirs des peuples. Il en a été des portraits d'un bon souverain comme de ces pyramides placées sur le bord des routes du Mexique, où chaque voyageur se faisait un devoir d'apporter sa pierre. Il n'y a si mince grimaud qui n'ait voulu charbonner à son tour le maître des nations. On dirait que les philosophes eux-mêmes se sont étudiés à inventer de nouvelles vertus pour les imposer aux princes, probablement parce que les princes sont exposés à plus de faiblesses que les autres hommes, et comme si leur présenter un modèle inimitable, ce n'était pas par cela seul les dispenser d'y atteindre. Mme de M—— ne donne pas dans ce travers. Elle convient qu'un monarque peut être bon sans posséder pour cela des qualités surhumaines. Elle ne se sert point non plus de l'idéal d'une royauté parfaite pour décrier les royautés vivantes, et ensuite des royautés vivantes pour décrier la royauté en elle-même, grande pétition de principes sur laquelle a roulé toute la philosophie du dix-huitième siècle. L'auteur cite, comme renfermant toutes les obligations d'un souverain, l'instruction que Gustave-Adolphe reçut de son père. L'histoire fait mention de plusieurs instructions pareilles laissées par des rois à leurs successeurs; mais celle-ci a cela de remarquable qu'elle est peut-être la seule à laquelle le successeur se soit conformé. En voici quelques passages:

«Qu'il emploie toutes ses finesses et son industrie à n'être ni trompé ni trompeur.

«Qu'il sache que le sang de l'innocent répandu, et le sang du méchant conservé crient également vengeance.

«Qu'il ne paraisse jamais inquiet ni chagrin, si ce n'est lorsqu'un de ses bons serviteurs sera mort ou tombé dans quelque faute.

«Enfin, qu'en toutes ses actions il se conduise de telle sorte qu'il soit avoué de Dieu.»

Charles IX, dans cette instruction, glisse légèrement sur le danger des flatteurs. Peut-être les rois en sentent-ils moins les inconvénients que leurs sujets. Peut-être aussi serait-ce pour Montesquieu une occasion de glisser sa théorie de climat, espèce de fausse clef qui lui sert à crocheter la serrure de tous les problèmes de l'histoire. C'est en se rapprochant du midi, dirait-il, que les exemples du favoritisme deviennent plus fréquents; sous le ciel énervant de l'Asie et de l'Afrique, les princes règnent rarement par eux-mêmes; au contraire, chez les peuples du nord, le climat est tonique, nous voyons beaucoup plus de tyrans que de favoris. Mais peut-être l'observation tomberait-elle si nous étions mieux instruits dans leur histoire. Nous sommes si disposés à faire science de tout, même de notre ignorance!

Il y a, dans un de nos vieux manuscrits du treizième siècle, attribué à Philippe de Mayzières, un passage qui peut servir de complément à l'instruction du monarque suédois. C'est ainsi que la reine Vérité parle à Charles VI dans le songe du vieil pèlerin s'adressant au blanc faucon, à bec et piés dorés.

«Guarde-toi, beau fils, de ces chevaliers qui ont coutume de bien plumer les rois par leurs soubtiles pratiques, qui s'en vont récitant souvent le proverbe du maréchal Bouciquault, disant: Il n'est peschier que en la mer, et ainsi n'est don que de roi; et te feront vaillant et large comme Alexandre, attrayant de toy tant d'eau à leur moulin qu'il suffiroit à trente-sept moulins qui les deux parts du jour sont oiseulx, etc.»

Je cite ce passage: 1° parce qu'il montre que dans ces temps gothiques on ne parlait pas aux rois avec autant de servilité qu'on voudrait bien nous le faire croire; 2° parce qu'il donne l'origine d'un proverbe, ce qui peut être utile aux antiquaires; 3° parce qu'il peut servir à résoudre une question d'hydraulique en prouvant que les moulins à eau existaient en 1389, ce qui est toujours bon à savoir pour ceux qui ne savent pas que les moulins à eau existent depuis un temps immémorial.

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