Читать книгу Actes et Paroles, Volume 3 - Victor Hugo, Clara Inés Bravo Villarreal - Страница 22
BORDEAUX
III
ОглавлениеDEMISSION DES REPRESENTANTS D'ALSACE ET DE LORRAINE
Apres le vote du traite, les representants d'Alsace et de Lorraine envoyerent a l'Assemblee leur demission.
Les journaux de Bordeaux publierent la note qu'on va lire:
"Victor Hugo a annonce hier jeudi, dans la reunion de la gauche radicale, qu'il proposerait a l'Assemblee la declaration suivante:
"Les representants de l'Alsace et des Vosges conservent tous indefiniment leurs sieges a l'Assemblee. Ils seront, a chaque election nouvelle, consideres comme reelus de droit. S'ils ne sont plus les representants de l'Alsace et de la Lorraine, ils restent et resteront toujours les representants de la France."
"Le soir meme, la gauche radicale eut une reunion speciale dans la salle Sieuzac. La demission des representants lorrains et alsaciens fut mise a l'ordre du jour. Le representant Victor Hugo se leva et dit:
Citoyens, les representants de l'Alsace et de la Lorraine, dans un mouvement de genereuse douleur, ont donne leur demission. Nous ne devons pas l'accepter. Non seulement nous ne devons pas l'accepter, mais nous devrions proroger leur mandat. Nous partis, ils devraient demeurer. Pourquoi? Parce qu'ils ne peuvent etre remplaces.
A cette heure, du droit de leur heroisme, du droit de leur malheur, du droit, helas! de notre lamentable abandon qui les laisse aux mains de l'ennemi comme rancon de la guerre, a cette heure, dis-je, l'Alsace et la Lorraine sont France plus que la France meme.
Citoyens, je suis accable de douleur; pour me faire parler en ce moment, il faut le supreme devoir; chers et genereux collegues qui m'ecoutez, si je parle avec quelque desordre, excusez et comprenez mon emotion. Je n'aurais jamais cru ce traite possible. Ma famille est lorraine, je suis fils d'un homme qui a defendu Thionville. Il y a de cela bientot soixante ans. Il eut donne sa vie plutot que d'en livrer les clefs. Cette ville qui, defendue par lui, resista a tout l'effort ennemi et resta francaise, la voila aujourd'hui prussienne. Ah! je suis desespere. Avant-hier, dans l'Assemblee, j'ai lutte pied a pied pour le territoire; j'ai defendu la Lorraine et l'Alsace; j'ai tache de faire avec la parole ce que mon pere faisait avec l'epee. Il fut vainqueur, je suis vaincu. Helas! vaincus, nous le sommes tous. Nous avons tous au plus profond du coeur la plaie de la patrie. Voici le vaillant maire de Strasbourg qui vient d'en mourir. Tachons de vivre, nous: Tachons de vivre pour voir l'avenir, je dis plus, pour le faire. En attendant, preparons-le. Preparons-le. Comment?
Par la resistance commencee des aujourd'hui.
N'executons l'affreux traite que strictement.
Ne lui accordons expressement que ce qu'il stipule.
Eh bien, le traite ne stipule pas que l'Assemblee se retranchera les representants de la Lorraine et de l'Alsace; gardons-les.
Les laisser partir, c'est signer le traite deux fois. C'est ajouter a l'abandon force l'abandon volontaire.
Gardons-les.
Le traite n'y fait aucun obstacle. Si nous allions au dela de ce qu'exige le vainqueur, ce serait un irreparable abaissement. Nous ferions comme celui qui, sans y etre contraint, mettrait en terre le deuxieme genou.
Au contraire, relevons la France.
Le refus des demissions des representants alsaciens et lorrains la relevera. Le traite vote est une chose basse; ce refus sera une grande chose. Effacons l'un par l'autre.
Dans ma pensee, a laquelle certes je donnerai suite, tant que la Lorraine et l'Alsace seront separees de la France, il faudrait garder leurs representants, non seulement dans cette assemblee, mais dans toutes les assemblees futures.
Nous, les representants du reste de la France, nous sommes transitoires; eux seuls sont necessaires.
La France peut se passer de nous, et pas d'eux. A nous, elle peut donner des successeurs; a eux, non.
Son vote en Alsace et en Lorraine est paralyse.
Momentanement, je l'affirme; mais, en attendant, gardons les representants alsaciens et lorrains.
La Lorraine et l'Alsace sont prisonnieres de guerre. Conservons leurs representants. Conservons-les indefiniment, jusqu'au jour de la delivrance des deux provinces, jusqu'au jour de la resurrection de la France. Donnons au malheur heroique un privilege. Que ces representants aient l'exception de la perpetuite, puisque leurs nobles pays ont l'exception de l'asservissement.
J'avais d'abord eu l'idee de condenser tout ce que je viens de vous dire dans le projet de decret que voici:
(M. Victor Hugo lit)
DECRET
ARTICLE UNIQUE
Les representants actuels de l'Alsace et de la Lorraine gardent leurs sieges dans l'Assemblee, et continueront de sieger dans les futures assemblees nationales de France jusqu'au jour ou ils pourront rendre a leurs commettants leur mandat dans les conditions ou ils l'ont recu.
(M. Victor Hugo reprend)
Ce decret exprimerait le vrai absolu de la situation. Il est la negation implicite du traite, negation qui est dans tous les coeurs, meme dans les coeurs de ceux qui l'ont vote. Ce decret ferait sortir cette negation du sous-entendu, et profiterait d'une lacune du traite pour infirmer le traite, sans qu'on puisse l'accuser de l'enfreindre. Il conviendrait, je le crois, a toutes nos consciences. Le traite pour nous n'existe pas. Il est de force; voila tout. Nous le repudions. Les hommes de la republique ont pour devoir etroit de ne jamais accepter le fait qu'apres l'avoir confronte avec le droit. Quand le fait se superpose au principe, nous l'admettons. Sinon, nous le refusons. Or le traite prussien viole tous les principes. C'est pourquoi nous avons vote contre. Et nous agirons contre. La Prusse nous rend cette justice qu'elle n'en doute pas.
Mais ce projet de decret que je viens de vous lire, et que je me proposais de soutenir a la tribune, l'Assemblee l'accepterait-elle? Evidemment non. Elle en aurait peur. D'ailleurs cette assemblee, nee d'un malentendu entre la France et Paris, a dans sa conscience le faux de sa situation. Il suffit d'y mettre le pied pour comprendre qu'elle n'admettra jamais une verite entiere. La France a un avenir, la republique, et la majorite de l'Assemblee a un but, la monarchie. De la un tirage en sens inverse, d'ou, je le crains, sortiront des catastrophes. Mais restons dans le moment present. Je me borne a dire que la majorite obliquera toujours et qu'elle manque de ce sens absolu qui, en toute occasion et a tout risque, prefere aux expedients les principes. Jamais la justice n'entrera dans cette assemblee que de biais, si elle y entre.